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5 avril 2016 2 05 /04 /avril /2016 07:25
Elle regardait le monde…

At your own risk.

Avec “M”.

Œuvre : André Maynet.

Le chaos, en elle, elle en connaissait l’origine, elle en savait la puissance, elle en éprouvait la force identique à celle d’une marée, d’une lame de fond dont, jamais, elle n’épuiserait le sens. Comme si tout devait, chaque jour, trouver son propre ressourcement et dire l’infinitude des choses, l’incomplétude de l’être. Des vides qu’il fallait combler, des interstices à assurer d’une substance, des failles à colmater afin que l’aventure se poursuive et que s’allume l’étincelle d’une signification. Ce qu’elle avait urgemment à faire, ceci, engranger le moindre événement du monde, le porter à une compréhension et, ainsi, faire reculer le territoire de l’inconscient, acculer la peur dans quelque sombre marécage où elle demeurerait tapie jusqu’à l’éternité afin qu’exister, non seulement devînt possible, mais s’affirmât dans un genre de gloire, le témoignage d’une grâce par laquelle atteindre l’immédiate satisfaction d’une vie enfin livrée à la beauté. C’était vraiment trop harassant de sentir dans sa sculpture de chair ces sortes de vésicules emplies d’ennui dont on n’aurait su justifier la présence sauf à penser que le néant existait vraiment et qu’il se dissimulait sous cette forme à peine concevable pour l’esprit, affûtant ses armes derrières ses maléfiques couleuvrines.

Elle regardait le monde dont elle voulait s’approprier les images afin que, les métabolisant, ces dernières vinssent combler les vides, éclairer la conscience et libérer l’âme de ses inquiétantes interrogations. Il lui fallait connaître avec la plus extrême précision et débusquer dans l’arbre, le nuage, la rivière, l’écaille de sens qui la porterait hors d’elle-même, mais aussi en elle, à cet endroit mystérieux où s’élaborait l’élixir des certitudes. C’était de ne pas savoir dont les hommes souffraient, de demeurer sur le seuil de leur propre habitation et de n’en percevoir que quelques lignes de fuite, quelques rapides schémas. Alors il fallait, dans un premier temps, chercher au dehors, ensuite se réaliserait un juste retour des choses et l’autre, le différent, le monde surgiraient à même sa propre présence dans une harmonieuse synthèse dont le nom était celui de complétude, ce sublime sentiment de juste appropriation de soi, mais aussi de ce qui gravite tout autour et nous propose l’ordre d’un cosmos. Elle regardait ce qui voulait bien faire phénomène, un paysage ou bien une œuvre d’art, une peinture par exemple, essayant d’en extraire cette moelle dont était faite toute culture, dont chaque expérience était une manière de mise en musique aussi secrète qu’empreinte d’esthétique.

Ce qu’elle voyait, un homme et une femme unis dans un identique élan, flottant au-dessus d’une ville, leurs visages lissés d’une douce sérénité (étaient-ils de pures idéalités, des anges qui se seraient vêtus des habites des Mortels, la condensation d’un rêve, l’architecture d’un imaginaire ?), un ciel habité de nuages si aériens qu’on l’eût facilement pris pour un décor de théâtre romantique, un moutonnement de maisons fondues dans un genre de camaïeu, de teintes séraphiques, d’ondulations souples pareilles à celles des étonnantes utopies, des arbres floconneux, un animal indistinct (s’agissait-il d’une licorne ou bien, plus simplement, d’une chèvre à la forme approchante ?), une neige dense, ouatée, rosie par endroits se voyait enclose par une barricade de pieux faisant songer au temps d’Alésia. Et les Villageois ?, me questionnerez-vous, où donc est le lieu de leur présence ? C’est si étrange une ville, un village désertés par ses habitants ! Oui, combien vous aurez raison, hors la silhouette humaine il ne demeure que les mailles d’une insondable incompréhension. Deux traces cependant, infinitésimales, à la limite d’une invisibilité, deux formes dont l’habituelle prégnance nous oriente vers la perception de deux Existants (dont nous serions bien en peine de donner quelque description), deux sémaphores, deux symboles disant l’émotion, le sentiment, la lumière de l’esprit, l’émergence d’un possible humanisme. Disons, qu’ici, nous nous sommes contenté de faire le commentaire d’une toile de Chagall des années 1917-1918, nommée « Au-dessus de la Ville », dans le contexte de la guerre, de cette confusion dont aucune interprétation, fût-elle savante, ne parvient jamais à bout. Teneur hautement significative dont il est facile de comprendre les attendus : l’homme doit s’abstraire des contingences de tous ordres, à commencer par celles qui conduisent à l’acte inexplicable, à l’inadmissible Guernica qui ravage les consciences et accule son essence dans les derniers retranchements de son pouvoir-être. L’homme doit être capable de transcendance, de création, d’élévation vers des sentiments nobles et des pensées pures. Alors, regarder le monde, ce n’est pas seulement le considérer passivement à la manière d’une simple chose dont on n’aurait rien d’autre à tirer que de faire le constat de sa présence, de la densité de sa matière, de la pesanteur dont il est le réceptacle obligé. Il faut en faire notre affaire, y déceler le sceau d’une éthique et en tirer des enseignements pour soi, pour l’autre qui nous fait face en son énigme.

Vigie, que nous propose l’Artiste, est cette nature inquiète dont la modestie, le visible retrait, orientent vers de profondes pensées. Témoins ses yeux qu’habite une évidente intériorité, sa pose si hiératique qu’on la dirait loin d’elle-même, en de mystérieuses contrées seulement connues d’elle. Visiblement, elle descend dans sa propre demeure existentielle, se livre à l’introspection, au sondage du corps, de l’âme aussi dont on aperçoit le blanc rayonnement tout en haut de son anatomie (ce sublime iceberg), le reste du territoire se dissimulant dans les ombres que n’a pas encore éclairées la lumière d’une révélation. En haut d’elle-même, là est la vérité qui fait sa nébuleuse de clarté. Il convient de poursuive, d’effacer ce qui demeure voilé. Se connaître d’abord jusqu’au creux de l’intime, à la goutte d’eau dont la source est la claire résurgence. Jamais Vigie ne verra de ses propres yeux, ni sa nuque, ni son dos. Seulement les autres le pourront, le monde. Seulement le miroir qui n’est qu’un reflet, autrement dit un mensonge. Donc explorer jusqu’à la limite du vertige et se savoir, comme on sait la plante, sa croissance, l’ouverture de son bouton, l’étalement de sa corolle. Juste en arrière de Vigie, ses propres esquisses que le Dessinateur a posées sur le papier à la manière d’un puzzle ontologique. Réverbération narcissique dont la médiation symbolique est le saisissement du Sujet par son propre Soi, à savoir la pointe aiguisée de sa conscience, le rougeoiement de son intuition, le silex de sa lucidité. Fragments de soi s’essayant à proférer la totalité jamais préhensible puisque l’invisible est là qui se dissimule dans les eaux de l’inconscient, flotte dans les remous des archaïques archétypes. Plutôt que de faire silence, d’ignorer certains pans de sa propre constitution, se hisser au niveau de tout ce qui concourt à poser les fondations de l’édifice, à en assembler les pierres angulaires, à empiler les moellons de l’unique et singulière Babel que nous sommes. Tout est langage, tout est signe, tout clignote à l’instar de la lointaine étoile afin qu’un enseignement puisse être tiré et que s’élabore ce cosmos auquel, tous, nous aspirons, n’en ferions-nous nullement le constat. Vigie surveillée par ses propres esquisses que le monde, à son tour, regarde de son œil unique de Cyclope, ce Soleil dont les philosophes antiques ont fait le lieu d’un indépassable, d’un Absolu éclairant toute chose, tout comme l’astre réel dispense ses millions de phosphènes qui sont l’essence, les nutriments de la nature et des hommes. Aussi sommes-nous regardés par ce monde que nous croyons être une impénétrable abstraction, pourtant il est tout autour de nous, dans le vent qui passe, dans le flux des eaux, la toile du Maître, les yeux éblouis de l’Aimée dont nous ne sommes que la figure inversée, tout comme Vigie dans laquelle nous nous reflétons sans bien le savoir mais en le souhaitant ardemment. Regardons le monde qui nous regarde. Cet aller-retour de soi au monde, du monde à soi est l’unique chose à comprendre, alors que croît le temps, que se déploie l’espace et que, le plus souvent, nous tendons nos mains vides en direction des étoiles. Les étoiles ont des yeux qui sont d’une infinie sagesse. Les hommes ont des yeux qui sont un infini questionnement. Les yeux rencontrent toujours les yeux dont on dit qu’ils sont les fenêtres de l’âme, ce principe universel qui anime le monde, à commencer par nous. Toujours une danse, toujours un chant. Ils sont les imperceptibles harmonies dont, à chaque pas, nous tissons notre chemin. Aussi la quête est-elle toujours infinie. Vigie en est la plus tangible approche. Nous en ferons le lieu d’une connaissance !

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