Œuvre : Barbara Kroll
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Comment venir à soi
Comment s’approprier son être
Celui de l’autre
Dans le jour qui point
La plaie est si grande
Qui dit le réveil
L’entrée sans délai
Dans l’entaille de l’heure
La dispersion du songe
Sa fragmentation
En mille figures
En mille visages
Aux facettes de cristal
Javelots fichés
Dans la mare du corps
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Corps doublement proférés
Corps doublement séparés
Corps saisis du mortel ennui
De l’amour épuisé exténué
La chape d’air est si dense
Si abrasive
Et nul ne sait ce qui pourra advenir
Du destin de deux existences
En leur plus sombre avenance
Sourde a été la nuit
Funestes les desseins des anatomies
Livrées au gouffre de la volupté
Jamais nul n’en ressort indemne
La charge est trop lourde à porter
La liberté trop arrimée
A qui n’est pas soi
Chair aliénée de ne point savoir
Parvenir au point ultime
De sa propre jouissance
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Equarrissage du corps
Démembrement de l’esprit
La conscience est un brasier
Qui ne perçoit
Au-delà d’elle-même
Que la multitude confusionnelle
La dérive du temps
Nulle amarre à lancer
Qui en retiendrait le cours
En orienterait le sens
***
De longs fleuves de gouttes
Tutoient le golfe des hanches
Des faisceaux de flammes brûlent
Dedans les membres
Des pluies de phosphènes
Percutent le diaphragme
Des bouquets d’étincelles
Allument la hampe du sexe
Cernent la faille de ténèbre
Tout est noir alentour
Qui fait signe
Vers l’accomplissement
D’un deuil
***
Sur la natte d’amour
Les corps sont livrés
À leurs propres contours
La solitude est grande
Le désarroi profond
Y aura-t-il à l’horizon des jours
Un lien qui les attachera
De nouveau
Les portera à ce qui
Un instant
Se donna à la façon
D’une incandescence
D’une pure joie
A l’éternelle lumière
Jamais on n’en connaît
La saveur achevée
Seulement le puits
Qui se creuse au sein de l’âme
Irréversible faille qui lézarde
Le sentiment d’exister
***
Sur la natte d’amour
Sont les gestes d’abandon
A quoi bon renouveler
La scène tragique
Dont le désarroi
Est le prix douloureux
Il y a comme un emmêlement disloqué
Simple souvenir d’une étreinte qui fut
L’espace d’un éclair
Flamboiement au plus haut du ciel
Puis la terre s’ouvrit
A laquelle nul bras ne pouvait s’arrimer
Ceci est hors les pouvoirs de l’humain
Seuls les dieux pourraient y prétendre
Mais ils sont si loin
Leurs décisions si mystérieuses
***
Sur la natte d’amour
La combustion des corps a eu lieu
Il n’en demeure que les traces
Feux éteints
Futur si bitumeux
Qu’il en devient illisible
Image de la finitude
En un seul lieu assemblée
Mort est là qui déjà moissonne les corps
Manduque les reliefs de noces consommées
Il n’y aura nulle renaissance
Car il n’y a nul remède
À la maladie d’amour
Du dedans elle ronge
Ce que nous pensions être
Le plus précieux
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Mortels sont les hommes
Mortelles sont les femmes
Dans un geste de désespoir
Ils saisissent l’Autre
Afin de s’assembler
Éprouver leur complétude
Mais ne trouvent jamais
Qu’eux-mêmes
Sur le bord de l’abîme
Grand est l’attrait du vide
Infiniment ouvert
Il n’y a plus que la chute
La chute infinie hors de soi
*