" Paysage avec arbres "
Patrick Geffroy Yorffeg
( Technique mixte )
***
Ils avançaient les hommes
Dans l’effroi d’eux-mêmes
Ils avançaient et leurs mains
Étaient des serres
Que la lumière ne connaissait pas
Ils n’avaient d’horizon
Que leur peau
Ils ne voyaient
Que les globes
De leurs yeux
Ne sentaient que les paumes
De leurs mains
Partout était la terreur
Qui lançait ses flammes
Partout le vertige
Qui déployait ses lianes
*
Le chemin était long
Qui partait de la ruche
De leur corps
Revenait à leur socle
De chair
Avec les plis serrés
De la haine
Tantôt ils s’abreuvaient
De mots usés
Tantôt s’essayaient
À la station debout
La terre était noire
Et de lourd bitume
Qui recevait l’abîme
De leurs génuflexions
*
Partout étaient les guerres
Les jets d’aveuglant napalm
Les sifflements d’obus
La déflagration des tympans
Ils voyaient rouge
Les hommes
Le ciel s’embrasait
Les arbres-torches
Lançaient vers le ciel
La supplique
De leurs frondaisons
Tragiques
*
Crucifiés les hommes
Pour la gloire
De quelques uns
Des Importants
Dingues à lier
Au loin étaient
Les casemates de verre
Où le pouvoir semait
Son vent de démence
Les couloirs feutrés
Où la mort se levait
Désignait ses innocentes
Victimes
Peu importait la couleur
Pourvu qu’on possédât
L’ivresse
*
Ils avançaient les hommes
Hagards
Perdus
Ne se possédant plus
Comment être à soi
Sous le régime
De la terreur plénière
Comment connaître
Son frère
Au visage creusé
Par tant d’obliques desseins
Comment être hommes
Alors que l’humanité
Est terrassée
Opprimée
Réduite aux acquêts
Si humbles
Si parcimonieux
À peine s’ils se donnent
À voir
Une simple lisière
Aux contours de l’être
*
Un jour un vent se lèvera
Qui dira aux hommes
La folie d’exister
De tuer ses frères
De n’avoir pour viatique
Qu’une inique moraline
Non une éthique
Qui les guiderait en raison
De ne thérauriser que de l’avoir
Une estime de SOI
Uniquement de SOI
De son EGO poli comme
Un bronze
*
Un jour un vent se lèvera
Qui dira aux hommes
Le refus de l’Autre
L’appât du gain
La recherche du brillant
Le refuge derrière l’ostentatoire
Tout cela qu’il faudra biffer
Gommer jusqu’au Rien
Broyer jusqu’au noir
*
Il faut beaucoup de sagesse
Il faut beaucoup d’humilité
Pour construire une humanité
Il faut se dessaisir de soi
Se porter au-devant
De son être
Voir avec les yeux de
Qui-n’est-pas-Soi
Du Pauvre
Du Déshérité
Du Laissé-sur-le-bord-du-chemin
*
Beaucoup de trains passent
Dont plus d’un ne voient
Que les signaux rouges
Un sillage dans le temps
Une perte au fin fond
De l’espace glacial
Sidéral
Minéral
De l’espace qui boit
La vrille de l’espoir
La réduit à néant
*
Il faut beaucoup de temps
Beaucoup de patience
Pour faire un homme
UN VRAI
*
Ils avançaient les hommes
Sous le ciel d’airain
Sous le ciel incendié
Où les arbres-torches brûlaient
Où le chemin de goudron
S’enfonçait
Dans la nuit du monde
Dans la nuit
Furibonde
Du monde
*
Ce qu’il fallait faire
Ecrire le long poème
De l’insurrection
Le jeter aux flammes
Ignition des mots
SEULE ressource
De l’homme
Alors rien ne pouvait paraître
Hormis l’abîme
De la désolation
Peut-être les Erratiques présences
Comprendraient-elles
Enfin
L’immense dette qui était la leur
Reconstruire Babel
Faire se dresser
Les Menhirs de chair
Assez de reptations
Assez de lignes basses
Fuyant à l’horizon
Assez de perditions
*
Ils avançaient les hommes
Leurs yeux cloués de cécité
Leurs mains amputées
Pieds rivés au sol
Ils avançaient
*