Photographie : Blanc-Seing
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On est là dans son corps de chair
Son corps de pierre
On attend que vienne le temps
On attend longuement
D’être enfin à soi
De se connaître
De ne plus être en fuite
De son être
La seule ressource qui soit
*
Ici dans les plis ombreux de la ville
Au carrefour des lumières
Dans l’éblouissement de l’instant
Tout glisse infiniment
Dans une manière de brume
Ô ouate des jours
Qui glace les tympans
O fleuve de vie
Qui jamais ne s’arrête
Ô sensations mouvantes
Vous m’enlacez de vos lianes vipérines
Je sens votre venin tout contre
Le miroir de ma peau
Oserez-vous instiller votre mal
Dans le dais infiniment ouvert
De mon âme
*
On est là dans son corps de chair
Son corps de pierre
Il fait si vide dans les coursives
De la peur
Si glacé dans les colonnes d’effroi
Si absurde
Dans l’inutile glacis des veines
Elles gèlent sous les assauts
De ce qui n’a pas lieu
De ce qui toujours se dérobe
De ce qui n’a nul nom
Car à être nommée
La Présence se dissoudrait
Elle qui n’aime que
La vaste solitude
Les cathédrales de glace
Les vents de Sibérie
Aux arêtes aiguës
*
Pourquoi faut-il que l’air bleuisse
Au contact de ma sourde mélancolie
Pourquoi cette chape de verre
Tout autour de mes humeurs chagrines
Pourquoi le bruit ne parle-t-il pas
Pourquoi la perte des hommes
Loin là-bas dans le désert
Des cases de ciment
Ils meurent de ne point différer d’eux
Les hommes de bonne volonté
Ils se calquent à la dimension
De leur propre image
Ils disparaissent
À même leur vanité
Ils redoublent leur ego
Ils sont dans leurs terriers
En attente du Rien
Et cependant ils pensent
Tout posséder
La gloire d’être
Le mérite de figurer
Dans les avenues mondaines
Et leur jabot enfle
A mesure qu’ils avancent
Ou croient avancer
*
On est là dans son corps de chair
Son corps de pierre
On ne sait plus ce qu’exister
Veut dire
Si l’on existe vraiment
Si quelqu’un vous attend
Non dans le palais princier
Mais dans la modeste chaumière
Combien on aimerait
Parler juste au coin du feu
Avec une voix compagne
Qui soufflerait les mots du bonheur
Ferait se lever
La voile tendue de l’amitié
Peut-être de l’amour on ne sait jamais
Parfois il arrive sur les ailes du songe
Butine longuement le nectar de votre joue
Y pose la larme assourdie d’une gemme
Y dit les paroles muettes
Car tout ce qui est précieux
Ne vit que de silence
Fait ses ronds dans l’eau
Puis éclate telle la bulle
De cristal dans l’air
Qui crisse
*
On est là dans son corps de chair
Son corps de pierre
Rien ne bouge au-delà de soi
Le banc est immobile
Qui attend son heure
Les voitures glissent
Dans un bruit de chiffon
Nul chauffeur à leur bord
Avec qui voyager
Tout est rêve
Qui fond dans le sommeil
*
Quand le réveil
Avec son bruit de chaînes
Ah les fantômes sont postés
Ici et là
Qui nous enveloppent
De leur voile de mystère
Que vienne la nuit
Seule consolatrice
De notre solitude
Au moins dans ses plis
Avons-nous refuge
L’ombre est souveraine
Qui efface tout
*