" Solitude des latitudes..."
Photographie : Alain Beauvois.
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Comment aimer sous le ciel gris
Comment arriver à l’Autre
Alors qu’on est en peine de soi
La lumière est si basse
Qui cloître les yeux
En leur énigme de verre
Le jour est si peureux
Qu’à peine un oiseau effleure
*
Vois-tu parfois le courage d’être
Nous manque et nous proférons
L’esquive
Plutôt que donner lieu
À la rencontre
Nous demeurons sous la ligne
De roches noires
En notre essentiel mutisme
Mais peut-être n’avons-nous
D’autre issue
*
Là-bas dans l’inaperçu
Sont les mouvements du monde
Leur lente palpitation
Leur syncope parfois
Le rythme de l’amour
En son éternel recommencement
Un flux reflux qui n’a de cesse
Un balancement de nycthémère
Nous disant l’immédiate fusion
Du temps
*
Au plein des terrasses
Sont les cercles blancs des jupes
Les chemises ouvertes des hommes
Les grappes mauves des glycines
Les promesses que l’on fait
Sous l’œil complice des passants
Le rose monte aux joues
Le cœur s’emballe doucement
La vie émonde ses soucis
La passion furtivement rougeoie
*
Comment aimer sous le ciel gris
En cette latitude
Il est si peu de présence
Solitude nous est remise
Comme seul mot
Que nous aurons à prononcer
Dans le concert inabouti
Des choses
Tout ici dans l’impalpable
La soie est douce
Son effleurement presque un péché
Il est trop tôt ou bien trop tard
Pour ne s’accroître que de soi
Les noces sont multiples
Elles nous appellent au rivage
De la belle inconnaissance
*
Tout demeure à apprendre
Du fond même
De sa propre conscience
Du nuage où glisse le ciel
De la mare où croit la mousse
Dans sa parure d’ombre
De la mer au loin qui bat les varechs
Odeur iodée posée
Sur le revers de l’âme
*
Sais-tu toi l’Inconnue
Attablée au seuil d’une vision
Combien je suis à toi
Ne te connaissant nullement
T’espérant seulement
Quand le vent apaisé
Porte avec lui la senteur
D’une chose rare
Un cyclamen un lotus
Le dépliement d’un camélia
Précieuse tu l’es
En ta distance
En ton éloignement
Ce prodige de l’espace
Nous unit bien mieux
Que ne saurait le faire
La liaison de nos corps
Assemblés
Car alors grande serait
La tentation
De nous déchirer
Rien de plus urgent
Que la coupure
*
Les hommes n’aiment rien tant
Que l’imperceptible brume
La voile derrière l’horizon
L’anémone de mer
Que recouvre la semence de l’eau
L’écume de neige à pic du ciel
Une absence naissant d’une présence
*
Comment aimer sous le ciel gris
Toi que je devine si attentive
Que me conseilles-tu
Sauf de me taire
De faire silence
De clouer mes lèvres
Sur la gemme d’un secret
J’aurais tant aimé un signe
Peut-être une pluie de papillons
Le chant d’une cigale
Dans la touffeur de la garrigue
N’importe
Une roupie de sansonnet
Eût fait l’affaire
Le bleu d’un sentiment
Le rose d’une affliction
Le noir d’un deuil
L’éblouissant arc-en-ciel
D’une pensée
À seule condition
Qu’elle fût sincère
Libre de toute affèterie
*
Depuis le rocher où ma vie se tient
Sous la courbure grise du ciel
Je ne suis peut-être
Que ce roitelet déchu
Attendant le don d’une couronne
Viens donc belle Illusion
Avant que la nuit ne m’étreigne
Il fera si froid ici
Parmi le désordre du vent
Et les premiers frimas
Grande est la gelure
Quand l’espoir tarit
Grand le silence
Quand se taisent
Les étoiles
*