Photographie : Blanc-Seing
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Il nous fallait ce feu
Il nous fallait cette ligne
Qui vibrait à l’horizon
Il nous fallait ce signe
Qui signait notre unisson
*
Nous partions dès avant l’aube
Les hommes dormaient
Dans leurs lits de bois
Les moutons
Dans leurs lits de laine
L’air dans la vallée
Etait cette invisible haleine
Cette voix à peine levée
Ce doux frisson semé
Parmi la brume
Parfois un reste de lune
Gonflait le lac immobile
Du ciel
*
Nous parlions peu
Avares de nos voix
Généreux de nos corps
Sur leur attentive margelle
Se devinait la divine impatience
Celle qui les unissait
Dans la neuve pliure du jour
Les aurions-nous ignorés
Ils auraient rugi tels des fauves
Que la faim terrassait
Leurs crinières faisaient
Leur halo insolent
*
Nous étions au centre
Du drame
Pareils à des enfants
Surpris en plein rêve
Qui demeurent hagards
Dans la flamme du jour
Leurs paumes ouvertes
De n’avoir connu
Qu’une partie
D’eux-mêmes
Ce suspens à jamais
Qui était adversité
*
Il nous fallait cette ligne
Qui vibrait à l’horizon
Il nous fallait ce signe
Qui signait notre unisson
Il nous fallait ce feu
Condition de notre passion
Eviter de trop nous connaître
Telle eût été notre perdition
*
En bas sur le seuil ombreux
Des maisons
Les hommes se levaient
Ivres de nuit
Les femmes titubaient
Privées de jour
Longue avait été la traversée
Rares les amours
Leurs chairs se tutoyaient
Mais se perdaient
Dans le tumulte du temps
Ce marais dont jamais
On ne saisit les rives
Ce fleuve étincelant
Qui vogue à l’infini
Cette gemme de l’instant
Qui nous éblouit
*
Il nous fallait ce feu
Nos étreintes étaient
Brèves et fiévreuses
Chargées du poids insigne
De la Mort
Témoins le bosquet
Au frais feuillage
Le geai des chênes
Dans sa fuite bleue
La mésange charbonnière
Le casque noir de sa tête
Le jais brillant de son œil
Son vol léger partout
Où l’air la cueillait
Se doutait-elle
De notre urgence
À être
Ici sous la lourde férule
Du ciel
*
La boule blanche du soleil
Trouait les nues
Les collines s’allumaient
De sinistres lueurs
L’aurore s’était abreuvée
Du sang des vivants
Elle disait au loin
La rude épreuve de vivre
Le sombre devoir
De clouer bientôt
Sa dépouille
Aux portes usées
Des demeures
C’était la coutume
Dans ce pays sans nom
*
Le sursis était pendu
Telle une boule de cristal
Qui crépitait de mille vérités
Hommes sur terre
Seul le signe d’AMOUR
Porté à son incandescence
Pouvait encore nous sauver
D’une dérive
Depuis longtemps
Commencée
*
Le soir après avoir épuisé
Les ressources des buissons
Et des haies
Les chants du vent
Et le cours de la mer au loin
Nous redescendions
Parmi les hommes
Nous avions été
Dieu et déesse
L’espace de nos corps
Crucifiés
Il nous fallait redevenir
Mortels
Infiniment mortels
Telle était la dure loi
Des étreintes qui cessent
Et parfois des pleurs saignaient
À nos yeux martyrisés
*
Il nous fallait ce feu
Il nous fallait cette ligne
Qui vibrait à l’horizon
Il nous fallait ce signe
Qui signait notre unisson
*