Photographie : Blanc-Seing
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J’ai écrit ton nom
sur de hautes falaises,
là où le ciel n’avait
plus d’appui.
J’ai écrit ton nom
aux cimaises du jour,
à l’heure levante
où dorment les hommes.
J’ai écrit ton nom
dans le sable des dunes,
sur les sentiers semés d’herbe,
au creux des blanches dolines.
J’ai écrit ton nom
aux margelles des fontaines,
là où l’ombre devient blanche,
où parle le silence.
Ton nom je l’ai gravé
dans le marbre doux de la glaise,
sur les clartés étoilées du bronze,
dans les coulures d’encre.
Ton nom je l’ai chanté
parmi le conciliabule
des mouches,
au plein
des fêtes dionysiaques,
au revers des feuilles.
Ton nom j’en ai fait
de subtiles vrilles
pareilles à ces lianes
qui épousent les rameaux.
Ton nom, oui,
l’Imprononçable,
celui toujours en fuite de soi,
je l’ai murmuré au sein
des conques marines,
dans la pulpe verte des oasis,
sur les hauts plateaux
où glisse la lumière.
Toi à qui je destinais
mes gestes,
ma voix,
le lac gris de mes yeux,
pouvais-tu, au moins,
en saisir la fugue,
en goûter la singulière fragrance ?
Ton nom je l’ai vu surgir
au bout de mon stylet,
creuser la feuille de cuivre,
mordre le métal,
puis fondre au loin
dans une brume légère.
Toi, l’Impalpable,
sais-tu au moins
qu’à chaque instant
qui passe,
des milliers de lèvres
prononcent
les contours de ton être,
que des milliers de gorges
se serrent à seulement
évoquer qui tu es,
que des milliers de larmes
sont chaque jour versées
pour insuffisamment
t’amener à la présence ?
Ton nom de vent,
nul ne peut s’en dire
possesseur.
Ton nom de feu,
bien des quidams
s’y sont brûlés.
Ton nom de glace
se consume telle l’étoile
au fond de la galaxie.
Ton nom de rien,
pourtant,
emplit le vide
qui devient
pure offrande de soi.
Ton nom,
chaque heure qui passe,
trouve son écho
tout en haut d’un parchemin,
connaît son rayonnement
dans l’espace
entre deux âmes,
brûle dans le rougeoiement
du désir.
Qui n’a jamais prononcé
ton nom
vit un enfer sur Terre.
Qui n’a jamais entendu
ton nom
est comme le paralytique
soudé à son immobile lieu.
Qui n’a jamais rêvé
ton nom
est pareil au mendiant
aux mains nues.
J’ai écrit ton nom
sur les pages de mes livres,
sur mes cahiers d’enfant,
je l’ai inscrit
sur mes plumiers d’écolier.
Encore il résonne
dans le vestibule
de ma mémoire,
il fait ses belles
confluences,
il fait bourgeonner
ses somptueuses
réminiscences.
J’ai écrit ton nom
au fronton des musées,
sur le marbre luisant
des péristyles,
sur le tranchant
des silex,
dans l’hélice de gemme
des fossiles,
sur les cailloux bleus
des moraines,
sur les bâtons percés
de nos ancêtres.
Je l’ai écrit sur le seuil
des jardins,
sur la pierre
des portiques,
j’en ai fait
de brefs aphorismes,
des formules lapidaires
presqu’effacées
sur quelque évanouissante Babel.
Je l’ai fait résonner
dans les boyaux des grottes,
sur les draperies de calcite,
sur les colonnes de cristal
où repose le vaste pied du monde.
Vois-tu, Toi qui fuis
à l’horizon des choses,
as-tu bien conscience de ta valeur,
connais-tu l’amplitude
de ta puissance,
as-tu seulement
l’idée du royaume
dont tu es le héraut ?
Ou bien es-tu si Illisible
que tu ne parviens nullement
à ton propre déchiffrement,
hiéroglyphe flottant
dans l’immense nacelle
de l’univers ?
Mais pourquoi donc,
lorsque les hommes s’essaient
à écrire ton nom,
leur main tremble-t-elle ?
Mais pourquoi donc,
lorsque les femmes
t’inscrivent dans leur voix,
se lève un bruit
pareil à un sanglot ?
Pourquoi, lorsqu’un enfant
balbutie ton nom,
ce dernier devient
si évanescent,
tout juste un ris de vent
à la face d’un lac ?
Aujourd’hui, vois-tu,
au seuil de l’année nouvelle,
j’ai décidé de t’écrire
un court poème,
un genre de rituel,
peut-être de vœu intime
qui m’accompagnera
et, je l’espère,
me comblera.
Au seuil de l’An Neuf
Magique Présence
Oseras-tu encore m’ignorer ?
Un seul geste de toi, pourtant,
Rimerait avec bonheur.
Oui, avec BONHEUR