T’ayant un jour aperçue
dans cette ombre si longue,
elle n’avait nulle fin,
je pensais t’avoir perdue
avant même de te connaître.
C’était étrange de t’apercevoir
au travers de ce rideau de brume,
loin des yeux des hommes,
tout contre cette sauvage
Mer du Nord
dont tu paraissais être
un étrange prolongement,
la poudre d’une dune,
le flottement d’un oyat
dans le vent,
le vol d’un oiseau
sur le jour de porcelaine.
Ce qui m’était précieux,
qui me rivait au lieu de ton corps,
c’était cette tremblante incertitude
que tu m’offrais comme si,
en un instant,
tu avais pu te distraire de moi,
retourner dans ta pliure native.
Souvent je méditais
sur la vanité des choses,
leur peu de réalité,
les songes des hommes qui,
au réveil,
se déchiraient
et les laissaient hébétés
dans la blanche cellule
du silence.
Il y avait si peu à saisir.
Il y avait tant à donner
aux mains complexes
de la nuit.
Parfois, errant au hasard
d’heures bien creuses,
foulant le sable
que le flux avait durci,
méditant sur le rien
de l’heure à venir,
je m’interrogeais
sur ma propre présence
au monde.
Que signifiait-elle ?
Quel hasard m’avait déposé
en ce lieu de la terre
dont le futur serait
mon dernier abîme ?
Avais-je jamais
rencontré quelqu’un ?
Je veux dire,
nullement dans sa chair,
dans son tumulte de peau,
dans son apparence,
dans ses affèteries,
mais dans son être même,
dans son essence irréductible
à quoi que ce soit,
dans sa solitude
si tu entends le message
de mon âme tourmentée.
Mais, sans doute le sais-tu,
Toi dont l’évanescente silhouette
dirait plutôt ta disparition,
que ta venue en présence,
à peine sommes-nous
venus à nous,
tellement il est difficile
de vivre
sous la pesée du ciel,
le regard lourd de la terre,
l’eau qui, parfois,
tombe du Ciel
et nous convoque au Déluge.
Autrement dit à la fête du Néant.
Mais que je te dise plutôt
le site de mon errance.
Le sable est bosselé,
parcouru de tapis
d’herbe verte,
jaune par endroits,
grise dans les creux,
irisée de vent
en haut des dunes.
Des grappes de nuages
flottent à mi-ciel.
L’immense est une perte bleue
avec des déchirures de lumière.
Un étang en forme de croissant
ou bien de parenthèse
(serait-ce un signe
d’une mise à l’écart
du monde ?),
lisse ses eaux étales
semblables à un métal poli,
à un étain antique.
A l’horizon,
une barre de sable habitée
d’une végétation sombre.
Elle regarde la mer,
son immense plateau
parcouru de sillons,
de tremblements,
de reflets qui se perdent
dans la clarté poncée et inutile,
que bientôt n’éclaireront plus
que les yeux immobiles des étoiles.
Oui, vois-tu, toujours sombre le jour
en d’abyssales fosses,
toujours l’heure étrécit
pour ne plus paraître,
toujours les choses agonisent
sur le bord de leur indigence
et ne nous laissent,
tout au plus,
que quelques signes
dont notre esprit ne prend
nulle possession,
l’exister est ceci
qui toujours fuit devant,
fait signe et se dilue
comme appelé
par une étrange faille,
jamais nous n’en connaissons
ni la destination,
ni la raison de sa présence.
Mais, dis-moi,
ne serions-nous,
tous les deux,
des mots égarés
que nul ne pourrait prononcer ?
On ne prononce nullement
l’arcature du Vide.
L’écho de deux Vides
a-t-il jamais constitué
un Plein ?
Deux absences pourraient-elles
tresser l’effigie d’une présence ?
Certes, il me faut le reconnaître,
tu es le Sujet d’une peinture
aperçue dans le mystère
d’un musée.
Désincarnée si l’on veut,
mais tellement inscrite en moi,
je pourrais décrire une à une
les parties aussi bien visibles,
qu’invisibles de ton corps.
Je pourrais dire le frêle
de tes membres,
ta robe blanche
de communiante,
les deux tiges droites
de tes jambes,
le feu éteint
de tes cheveux,
la sagesse de tes mains
couleur d’argile,
elles semblent vierges
de tout toucher.
Dans l’immense du tableau,
tu viens dans la douceur,
dans l’esquive de toi,
dans la discrétion,
et c’est presque un miracle
de t’apercevoir.
Tu es pareille à une flamme
dans sa cage de verre,
une manière de grésillement
que ton souffle juvénile,
à peine, entretient.
C’est heureux que tu sois ainsi,
située dans une marge inquiète,
dans une pensée
en naissance de soi.
Un genre de méditation,
celle que connaissent
les sages et les esthètes,
celle que connaissent les amants
dans le tremblement
avant-coureur
de la rencontre,
dans le rougeoiement
inaperçu de la passion.
Ou bien es-tu braise
que l’âtre dissimule
dans sa colline de cendres ?
Non, je ne te laisserai pas mourir,
sur toi je soufflerai
afin de ranimer ton âme.
‘Rien, jamais, ne mourra’
qui, un jour,
aura été éprouvé
dans le cristal
d’une indicible joie !