UKRAINE
***
Il y avait le Jaune,
son éclatante ardeur solaire.
Il y avait le Jaune,
son empreinte légère
sur les fronts rieurs.
Il y avait le Jaune de la joie
dans le cœur des enfants.
Il y avait le Jaune de l’or
partout répandu.
Sur les arbres
des hauts plateaux,
sur les épis
des champs de blé,
dans les chaumières
lorsque l’âtre s’éclairait.
Le Jaune comme immédiat bonheur
à épingler au sein de sa conscience.
Le Jaune traversé de belle lumière,
le Jaune pareil à un écu,
la seule richesse
que l’on possédait,
la LIBERTÉ
en tant que sublime offrande.
Le Jaune d’un visage
que l’air avait hâlé.
Le Jaune de la mie
odorante,
le Jaune de la vie.
Il y avait le Jaune
en tant que Jaune,
cet élan de Soi vers Soi
qui était l’empreinte
des Hommes
et des Femmes
que nulle entrave
ne retenait,
dont nul Maître
n’aurait pu disposer
à son gré.
Il y avait le Bleu,
le Bleu immense du ciel.
Le Bleu des lacs,
Le Bleu du Danube,
celui du Dniepr.
Il y avait le Bleu
des yeux
des Jeunes Filles,
le Bleu si frais de l’air,
le Bleu de la vérité,
celui de la sagesse.
Le Bleu de la pudeur
du Peuple,
le Bleu de l’espoir
traversant
la herse des frontières,
le Bleu libre de soi,
le Bleu identique
au vol de l’oiseau
au plus haut
de son ivresse.
Le Bleu des rencontres,
le Bleu des projets,
le Bleu du rêve,
le Bleu de la méditation.
Il y avait le Bleu
en tant que Bleu
et ceci suffisait à rendre
les gens heureux,
à les porter tout au bout
de leur propre effigie.
Puis, soudain,
sous l’effet
d’une terrible volonté,
le Jaune avait connu sa chute,
le Bleu s’était ourlé d’ombres.
Tout avait été biffé de Noir.
Un Noir dense,
un Noir de bitume
qui avait envahi les yeux,
les avait réduits à la cécité.
Le Noir était le Mal.
Le Noir était la Peur.
Le Noir était la Mort.
Alors, il n’y avait plus
que cela,
une immense coulure
de Noir
qui avait badigeonné
les corolles des nuages,
plongé les arbres
dans la glu,
envahi les villes
jusqu’en leurs
plus étroites ruelles.
Le Noir avait
des dents de sabre,
des griffes crochues,
des shurikens,
des lames
qui tournoyaient
à la recherche
des têtes,
des bras,
des jambes.
Le Noir
sifflait,
éructait,
grondait
à la manière
d’un terrifiant tonnerre.
Depuis d’obscures casemates,
le Noir était guidé
avec l’assurance
d’un projet humanitaire :
IL FALLAIT TUER,
telle était la parole nouvelle
qui se fomentait en de tristes
et sépulcrales forteresses.
Certes le Noir avait
un corps,
un visage,
des mains,
mais il ne fallait
nullement
les nommer,
c’eût été faire
trop d’honneur
que d’attribuer au Noir
d’autre prédicat
que celui du Mal.
Le Mal n’avait
d’autre raison d’être
que le Mal en soi,
le Noir n’avait
d’autre lieu
que la folie hauturière
qui, partout,
déchaînait le torrent
de sa furie.
Le Peuple ennemi,
il allait lui faire
plier l’échine,
lui imprimer
sa toute-puissance,
lui dicter
son impitoyable loi,
l’exténuer,
le réduire à sa merci.
Car le Mal personnifié
n’eût jamais accepté
quelque concurrence,
n’eût toléré
la moindre critique,
la plus mince requête.
Le Noir avait sorti
ses boulets,
ses balistes,
ses trébuchets,
ses chars à faux.
Partout suintait
la pituite
de la terreur,
s’écoulaient
les ruisseaux
de la folie.
On était revenus
aux confins
du Moyen-âge,
avec encore moins
de bienveillance,
avec encore moins
de mansuétude.
Si le Peuple souffrait,
c’est qu’il avait failli
à sa mission :
reconnaître,
hors de lui,
le Maître Absolu,
le Noir
qui effaçait le Soleil,
le Noir
qui obombrait le jour,
le Noir
qui détruisait la lumière.
Le Noir avait gagné.
Le Jaune n’était plus
qu’un lointain souvenir
sur le calice trouble
de la mémoire.
Le Bleu n’était plus
que cette vacillation
à l’horizon,
cette fuite à jamais.
LE NOIR !