La nuit éprouvante, les quintes de toux, le souffle à bout de souffle. Elle lutte pour continuer à le sentir fumer, à humer cet espace intérieur qu’Il projette hors de Lui. Elle le retrouve tel qu’en Lui-même. Elle le sent jusque dans chacune de ses volutes de fumée, dans ses arabesques, dans ses figures mouvantes. Elle le reconnaît, Elle le devine, dans son agitation perpétuelle, dans la mouvance qui est comme sa chair intime.
Elle lutte pour ne pas sombrer dans le sommeil, dans le hors mémoire.
Fumée, volutes, clignotements, creux d’ombre, passages sous des tonnelles, des porches, écailles de lumière sur la crête des vagues, voix, mimiques, glissement du vent dans les ruelles gorgées de soleil. Derrière les yeux définitivement clos, les images se brouillent, s’emmêlent, tantôt claires, couleur de réalité, tantôt irisées.
Il n’a pas bougé de sa chaise, très attentif à ne pas interrompre le voyage. Il allume une seconde Bridge. Ne pas briser le mouvement, le chemin sur lequel Elle s’est engagée. Nouvelles volutes de fumée. Plus fortes, plus persistantes que les premières. Eviter qu’Elle ne sombre dans l’amnésie. Poursuivre le voyage jusqu’à la fin du jour s’il le faut, dans la demeure dernière où l'ombre se tapit. Elle parle maintenant. Indistinctement. Comme un murmure. Il se rapproche d’Elle pour saisir des bribes, des éclats, des fragments qu’ll reconstitue.