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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 09:51

 

Un lieu où réfugier la peur.

 

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 Œuvre de Marc Bourlier.

 

 (Cette mince histoire en forme d'allégorie, voudrait attirer l'attention sur ces œuvres qui, pour paraître modestes, n'en sont pas moins grandes. C'est bien leur simplicité émouvante qui les rend attachantes. L'art n'est jamais mesurable à sa forme achevée, pas plus qu'à la matière dans laquelle il trouve son accomplissement. Or, si l'a priori était tel, que seule  la matière noble créerait  les conditions de son émergence, l'or des Incas - pour précieux qu'il est -, supplanterait toutes les magnifiques totems sacrificiels africains enduits de sang , bouillies et autres bières communielles, alors que le rite est porté à la vertu d'une cosmologie voulant dire l'ordre du monde. Ici, peut-être, avec ces minuscules Totems de bois, un culte est-il rendu à quelque ancêtre primitif, peut-être cet Arbre millénaire - image archétypique du Temps - , qui lui donna vie en des flux  temporels si éloignés que nous les qualifions "d'immémoriaux". La tentative d'animer ces fétiches revient, en se remémorant leur bien étrange itinéraire, à les doter de l'esprit qui en parcourait les fibres élémentaires pour, aujourd'hui, en retrouver quelques signes. Il ne saurait y avoir guère de définition plus éclairante de ce qu'est, précisément, une signification : la liaison entre un signifiant et un signifié. Du signifiant-Bois au signifié-Esprit qui en constituait le fondement, comme le ciel est au fondement du nuage.)

 

 

    Les Petites Figurines de bois vivaient à l'origine sur l'Île d'Utopie, entourées d'une mer aussi bleue que le céladon, avec quelques reflets verts pareils aux feuilles des nénuphars. Ils étaient de simples planches usées par le vent et le frottement du sable, des écorces tombées au sol, des tenons et mortaises désassemblées par les hasards du destin. Ils vivaient leur vie à l'ombre des palmiers et se mettaient au soleil quand la brise se levait afin de rafraîchir les fibres de leur chair. Ils n'avaient guère d'autre occupation que de méditer, de longues heures durant, comptant les grains de silice et les plumes des goélands qui faisaient dans l'air leur tumulte d'écume. Les plus sages d'entre eux s'adonnaient à l'exercice de la pensée, les plus frivoles à soulever les écailles qui tenaient lieu de jupes, ce dont leurs Compagnes sylvestres ne s'offusquaient point car il ne s'agissait que d'un jeu puéril. Donc sans autre conséquence que celle d'un pur divertissement. L'Île était peuplée de tout un joyeux carrousel d'Habitants pas plus hauts que trois noix de coco. Leur peau était couleur de terre et leurs yeux brillants comme la porcelaine. La plupart des Îliens s'occupaient à la pêche et à la sculpture du bois qui parsemait les plages de corail.  C'est ainsi que ces Petites Dérisions flottées, que la mer rejetait sur la côte étaient devenues, au fil du temps, ces étranges Figurines en tous points semblables à de gentilles marionnettes, trois chutes de bois leur tenant lieu de nez et d'oreilles, alors que trois trous figuraient les yeux et la bouche. Leurs corps étaient uniment droits, comme s'ils s'étaient érigés en haut d'un manche à balai. Autant dire leur apparence commune, dépouillée, faisant plus dans la sobriété que dans l'exubérance. Chacun, sur l'Île, s'accordait à leur reconnaître une beauté ordinaire, sans aucune fioriture, ce qui semblait confirmer l'idée d'une inclination à vivre dans la modestie et de se contenter du sort commun qui est le signe des âmes simples.

  Tout aurait pu durer ainsi jusqu'à la fin des temps si, un jour, n'avait débarqué sur l'Île, une sorte de Robinson Crusoé, cheveux en cascade, barbe hirsute, bonnet à poils, genre d'aventurier à la peau boucanée et au verbe haut. Pour direct et ouvert qu'il était, il n'en semait pas moins une manière de zizanie parmi le peuple des Cocophiles et celui des Boisés. Car cet homme étrange venu de quelque péninsule lointaine - son embarcation munie d'une voile était des plus étonnantes qui fût, avec sa tête de mort et son croisement ossuaire -,  et les histoires qu'il distillait à longueur de journée fascinaient tellement les Petits Personnages qu'on les eût dit atteints de quelque catalepsie. Eux qui avaient coutume de flotter entre deux eaux, de cabrioler sur la crête des vagues, voici qu'ils demeuraient, des heures entières prostrés sur leur monticule de bois comme si d'invasives échardes les avaient cloués sur une étrange cimaise.

  Ils ne s'animaient guère qu'à l'aune des raconteries de l'Aventurier, lequel prétendait que sa Péninsule était le lieu de tous les plaisirs, qu'on y vivait heureux à simplement y respirer l'air et à flâner dans les rues, là où étaient les boutiques bariolées et la foule des badaudsLes Petites Figurines ne comprenaient pas exactement ce que Robinson leur racontait et, c'est bien cette part d'étrangeté qui les saisissait au mitan du bois, les métamorphosant en de vibrants désirs. Un soir de pleine lune, alors que tout le monde flottait dans des rêves célestes, les Boisés montèrent à bord de l'embarcation et, tant bien que mal, firent gonfler la voile qui, déjà, les emmenait vers le Pays des songes. Ils devaient en revenir, mais en revenir vraiment au sens propre, bien  avant que Mathusalem n'atteigne ses 970 ans, mais ceci est une autre histoire. Donc ils naviguèrent au milieu des vagues bleues et des crêtes blanches. Ils croisèrent des dauphins et des bancs de poissons argentés. Ils longèrent des cargos au ventre dodu et échouèrent au pied d'une immense colline de sable, semée, par endroits, de pins à la majestueuse corolle. Ils mirent bâton à terre, firent quelques pas d'unijambistes et, se grattant le liteau se dirent qu'ils avaient bien fait de quitter cette Île où le temps était aussi immobile qu'un mirage au milieu du désert.

   Ils prirent un peu de repos et s'allongèrent sur la plage afin de dégourdir leurs fibres. Une douce chaleur commençait à s'insinuer dans leurs veines lorsqu'ils entendirent, venant du haut de la dune, des bruits de voix. Ils demeurèrent là où ils étaient, curieux de voir à quoi ressemblaient les IndigènesLes Boisés étaient restés assemblés car ils étaient animés d'un instinct grégaire, lequel abritait une chaude amitié et une naturelle disposition à aider son prochain. Bientôt la plage fut envahie d'une bande de joyeux fêtards qui semblaient tout droit sortis de quelque boîte de Pandore. Chacun semblait avoir été investi d'une mission que les Petits Îliens ne pouvaient guère comprendre, eux qui avaient toujours vécu au contact d'une nature immédiate et généreuse qui ne connaissait aucune sophistication. Les Nouveaux Venus, découvrant le Petit Peuple, n'avaient de cesse d'en explorer les étranges facettes. L'un d'entre eux, du bout de son pied chaussé de cuir, envoya quelques Fragments de Bois en direction de l'eau, alors qu'un autre s'ingéniait à agrandir les trous des yeux et de la bouche à l'aide d'un poinçon et qu'un dernier, du bout de sa cigarette commençait à faire brunir la croûte qui menaçait de s'enflammer. Des Curieux et Curieuses sortis d'on ne sait où parcouraient la vaste plaine luisante tapant dans tout ce qu'ils rencontraient : bogue d'oursin, os de seiche, cordages usés, débris de troncs. Décidemment, c'était une bien étrange occupation que celle de ces Déambulants qui semblaient animés d'une rage à l'encontre des choses, fussent-elles les plus inoffensives. Parfois, certains approchaient des Petites Effigies un genre d'œil cyclopéen qui les fixait avec insolence, bientôt suivi d'un éclair aveuglant. Invariablement cette action étrange était-elle suivie d'une bruyante exclamation, comme s'il se fût agi d'un exploit.

  Bientôt les Venus-de-l'Île furent parcourus de bleus et de frissons, d'ecchymoses et de contusions et leurs corps menaçaient de rompre sous les assauts des meutes urbaines. Bientôt la folie mondaine des Hommes-ordinaires mettrait en danger la moindre Petite Eminence Boisée ou bien de branche lisse qui s'aventurerait hors du terrier originel, cette Île qu'ils avaient désertée, croyant trouver dans un ailleurs prometteur les délices qu'ils venaient de délaisser pour un paradis factice. Celui d'une terre où de bizarres comportements trouvaient leur site, où la brusquerie tenait lieu de civilité, l'outrecuidance supplantait toute forme de rencontre. Décidemment, ces Humains qui battaient le sable de leurs empreintes grossières étaient aussi peu fréquentables que l'est le pic-vert pour une famille de vermisseaux ! Il fallait agir sans délai. Il fallait retrouver la conque primitive, celle qui, entourée des Trois-Pieds-de-Coco, leur avait donné la grâce d'exister, l'aisance à être sous des cieux qui n'avaient rien de provisoire alors qu'ici, sous ce monticule de sable fréquenté de Bizarres, ne s'annonçait que l'étroitesse du jour et la mesure de l'ombre compacte, muette, donatrice de mort.   

  D'une vieille tôle qu'abritait une cabane de planches ils firent une embarcation, se blottissant autant qu'ils le pouvaient dans ce cercle étroit qui ressemblait tellement à la félicité de leur Île. Longtemps, de leurs souffles arrondis, ils simulèrent une hypothétique voile sur laquelle ils appuyèrent leur vent subtil afin que pût être atteinte Utopie dont ils sentait le ressac trembler dans l'âme même de ce bois qui les constituait.

 

  Lecteurs, Lectrices qui vous penchez sur leur touchante histoire, lorsque, sur la plage vous trouverez un de leurs minces et modeste coreligionnaires posez-le au creux de votre main, modelez-le en forme d'Ebauche boisée avec trois trous et trois bouts de volige pour le visage, une éclisse droite pour le corps et confiez-le à l'eau limpide. Soyez alors assurés qu'il cinglera vers cette terre originelle qui mit au monde ses semblables pour le bonheur de vos yeux. Car ces modestes Silhouettes, sans doute par une juste intuition, savent établir le profil d'une vérité. Celle-ci qu'ils découvrent toujours auprès de Ceux, Celles qui leur prêtent attention avec tout le respect que l'on doit au Modeste, au Simple, cette si belle effigie de la parution sur Terre  

 

 

 

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7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 08:51

 

Les Encloisonnés.

 

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 Œuvre : Marc Bourlier.

 

 

  A l'origine, avant que la frénésie du monde ne s'empare d'eux, les Petits Xylophiles menaient une vie tranquille que n'auraient même pas troublé le passage de la tempête ou bien les humeurs maussades des Existants. Confiés qu'ils étaient à la rive de l'eau, au bord du fossé, à la steppe du terrain vague, au tas de rebut près des habitations, aux ballasts des voies ferrées, à la plage où couraient les enfants insouciants, enfin à tout endroit mimant la fin d'une partie de jeu, ils vivaient à seulement se laisser porter par une insouciance foncière et une liberté de tous les instants. Parfois, des Passants colériques les propulsaient dans le vent du bout de leurs chaussures; parfois des bambins en faisaient des palissades pour leurs châteaux-forts. Puis tout revenait dans l'ordre, ou plutôt dans un désordre auquel ils étaient habitués, dont ils faisaient leur horizon quotidien. Ainsi allaient les choses, comme le nuage parcourt le ciel sans se questionner sur la raison qui le conduit à errer sous l'infinie étendue du ciel.

  Tout aurait pu continuer ainsi si, l'un des Xylophiles, plus téméraire que les autres ou bien plus inconscient ne s'était avisé, un jour, de s'enquérir du mode de vie des Terriens. Il était fasciné par la condition des Bipèdes, par leur aisance à se mouvoir dans les avenues scintillantes de lumière, à se vêtir d'habits exacts, à rouler dans des décapotables, les cheveux au vent avec la musique qui se déversait dans le pavillon de leurs oreilles, à bâtir de somptueuses villas ou bien des tours dont la tête se perdait dans les nuages. L'Intrépide Boisé confia ses impressions aux plus proches de ses amis, puis bientôt, la parole faisant tâche d'huile se répandit parmi le petit peuple de Liteaux et autres Voliges avec la vélocité que met la calomnie à se répandre au mitan des bouches vipérines.

  Au creux des dunes, à l'ombre des roses trémières, près des vieux lavoirs, derrière des cabanes de planches, on s'assembla bientôt en un étonnant essaim qui bourdonnait de colloques singuliers. On tirait des plans sur la comète, on disait l'avenir avec des couleurs pastels, on évoquait le passé cerné de teintes usées. On aura compris que tout ce petit monde nageait par anticipation dans le bonheur sinon dans la plus pure utopie. Bientôt l'on aperçut de petits groupes s'affairant à cueillir vis et boulons, agrafes et ficelles, enfin tout moyen de contention utile à leur projet. Car il ne fallait pas demeurer Bois dociles que flattaient seulement les mains souples de l'air, pas plus que l'on ne pouvait se satisfaire de flotter parmi les détritus échouant au bas des écluses et autres ruisselets sans avenir. Les Hommes, ces Fascinations-debout, on les avait aperçus dans leur gloire de lumière, dans leur halo pareil à la mandorle des Saints et l'on voulait une partie de ce rayonnement, de cette belle perspective à imprimer sur la toile du néant. Alors l'horizon du sable se peupla de cabanes goudronnées et de sympathiques sémaphores; alors les banlieues virent pousser des champignons de bois et de planches; alors les villages eurent leurs maisons aux balcons brodés, aux volets riants et, en s'approchant, on pouvait y apercevoir les Petits et Petites Xylophiles occupés à toutes sortes de tâches. Ecouter la radio, regarder les écrans de la télévision, boire et deviser autour d'un feu de bois. Le bois était de bûches et non de celui qui les faisait se sustenter et un seau d'eau veillait sur l'incendie. Il n'y avait pas de quoi se faire des cheveux. De ce côté-là, il n'y avait nulle inquiétude !

  Mais le plus étonnant se révélait sur les grandes places des villes, auprès des bâtiments officiels, musées et autres monuments et, surtout dans la densité des barres verticales qui longeaient les artères commerçantes, près de la bourse, des cafés et des restaurants. A la symphonie pressée et étroite de la grande folie humaine, faite de béton, d'acier et de verre, les Xylophiles avaient voulu marquer de leur empreinte de bois les constructions des Hommes. Et, plus les jours passaient, plus les habitants des villages et des hameaux périphériques venaient rejoindre leurs Compagnons bâtisseurs, s'entassant parfois plus qu'il n'était de raison dans les cellules étroites que le faible espace vital autorisait, à l'exclusion de tout autre projet extensif. "Moins on occupait d'espace, plus on était heureux.", telle semblait être la devise des nouveaux convertis à cette urbanité grégaire où tout tutoyait tout dans une sorte de bienheureux maelstrom.  Et heureux, ils l'étaient, mais à la manière de leurs Coexistants de chair et de sang , c'est-à-dire dans le bruit et la fureur, la course aux désirs multiples, la giration infinie qui s'emparait d'eux comme s'ils étaient devenus de simples chevaux de bois - leurs Cousins matériels -, tournant sans fin sur un carrousel semblant ne pas avoir d'autre but que de tourner.

  Et voilà que se faisait jour, dans leur conscience meurtrie, une bien triste et fade vérité dont ils auraient souhaité faire l'économie mais le monde tournait et il paraissait difficile d'en descendre sans bleu à l'âme. Certes le confort, ils l'avaient, certes la chaude communauté, ils en étaient entourés jusqu'à la démesure. Ils ne se plaignaient pas de cette promiscuité faite de ce bois qui les constituait dont, jamais, ils n'auraient voulu renier la moindre fibre. Ce qui les gênait, les troublait, enfonçait ses échardes au plein de la conscience, c'était quelque chose d'impalpable, d'indéfinissable dont ils pressentaient que cela constituerait leur perte proche. Ce qui les glaçait et menaçait de les engloutir dans une finitude proche, c'était ceci : dans leur nouvel habitat si bien ordonné en cosmos, eh bien, il n'y avait plus place pour faire se mouvoir l'invisible. L'esprit  rétrécissait comme peau de chagrin, les émotions s'enroulaient en minces vrilles, les sentiments se terraient dans un cocon étroit, les intuitions devenaient gale du chêne, la pensée s'amenuisait pour n'être plus qu'une boule pareille aux amas blancs des chenilles processionnaires.

  Mais alors, même de bois, même de cette matière a priori sourde et fermée, comment pouvait-on exister sans l'essor toujours indispensable de la conscience, comment pouvait-on continuer à s'éployer si rien ne concernait plus que du compact, du refermé, du non atteignable ? Comment se disposer à vivre dans cette gangue fibreuse où même la lumière menaçait de ne plus entrer ? Dans ce terrier fermé aux battements du monde, au beau dépliement de sa corolle polychrome, comment pousser devant soi sa propre germination alors que tout menace de disparaître dans l'incompréhension ? Comment ? Il semblait n'y avoir aucune issue et les Xylophiles paraisssaient être destinés à une perdition  proche.

  Heureusement pour eux, un Sage parmi les sages du petit peuple du bois s'était abrité au creux d'une dune et observait le mouvement du monde. Lui, avait gardé l'espace libre de la pensée, la mouvance de l'esprit, le sillage de feu de la conscience. Il avait résisté aux Sirènes qui chantaient, là-bas, dans le lointain des villes, près des tours hautaines et froides. Près de la folie qui faisait ses gigues et attisait son sabbat. Il préférait la modestie du sable à l'empire suffisant du béton. Il se souvenait, autrefois, en des temps très anciens, avoir été graine, puis arbrisseau près des eaux fraîches, puis arbre à la ramure imposante balançant sa libre architecture sous les coulures du vent. Il en avait gardé une infinie humilité, même si aujourd'hui il avait revêtu l'apparence d'une solive usée, poncée par l'air, érodée par le sable. En son sein il sentait encore vibrer faiblement, mais vibrer tout de même, cette "âme du bois", ce cœur vivant relié à la sève, à la croissance, à la vie et à son inextinguible expansion. Vivant, il l'était, aussi bien que la course du nuage, la libre ascension de l'oiseau, les cheminements des Hommes sur Terre. Cela, cette intime conviction, il s'arrangea pour la jeter au premier zéphyr venu. Elle fit ses circonvolutions et ses arabesques, finissant par venir habiter les pavillons étonnés des Xylophiles, entrer dans leur corps éblouis. Peu de temps passa avant que le Petit peuple du bois  ne se défît ses liens, retrouvant la libre dimension de l'espace qui lui était allouée de toute éternité. Aujourd'hui, ils vivent heureux, sur les hauteurs de quelque cimaise de l'art. Allez donc les voir, votre amitié  sera cet invisible dont ils avaient cru pouvoir s'abstraire la mesure d'un instant mais dont ils sont tissés, comme vous et moi, depuis le premier poème  qui s'est illustré sur l'aire ouverte des choses. 

 

 

 

  

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 10:03

 

L'autre côté du temps.

 

 

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 Œuvre de Marc Bourlier.

 

 

  Ces Intemporels, ces étranges personnages surgis du plus loin de la conscience, depuis toujours ils nous habitent. Tellement dans la discrétion que nous ne nous en apercevons même pas. Parfois, au centre de notre être en forme d'ombilic, nous en sentons quelque mouvement, quelque remuement qui nous émeuvent faute de pouvoir être interrogés. Alors, en notre intimité, cela fait un bruit pareil au passé, une rumeur de craie d'école répandant sa trace sur le tableau noir. Et, pensant à cela qui nous échappe, comme par une sorte de miracle, soudain nous basculons dans un monde autre, peuplé de songes, de plumiers de bois, de pupitres de chêne,  planches inclinées à connaître le monde. C'est comme une rumeur de feuilles et d'écorce, un genre de cohorte lente parmi les plis des secondes. Le temps suspendu, tellement semblable au balancement de l'essaim avec son grésillement d'abeilles.

  Les minces personnages de bois, d'abord on ne les voit pas ; d'abord on reste dans le temps d'ici, un temps aiguillonné par sa propre urgence à être. Un temps qui vrille, fore, fait son écoulement de bonde d'évier, sa chute mortifère dans quelque recoin de la terre. Un temps si peu conscient de ses propres fuites, un temps d'apories et de pertes sans fin. Et c'est pour cela que nous sommes au bord de l'étonnement, découvrant le petit peuple du boisles minuscules marionnettes de la vie ordinaire. Si discrets dans leur vêtures d'air et de vent, si impalpables qu'on les dirait tout droit sortis de l'imaginaire. Alors nous faisons une pause ; alors nous laissons choir notre havresac de fantassin pressé, nous libérons nos jambes des bandes molletières qui les assignent au réel, nous avisons une souche à partir de laquelle nous confier à une vision exacte de cet univers miniature. Et nos yeux sont les coupes offertes au spectacle d'une inimitable sérénité.

  C'est le temps, d'abord, son incroyable texture qui nous parle un langage inconnu. Un temps blanc, un temps pareil au tronc lisse du bouleau, un temps de mousse et de lichen, un temps s'ouvrant selon les harmoniques de la crosse de fougère. Long dépliement de la feuillaison qui porte en elle les spores de la beauté, les graines du déploiement ontologique. Car c'est avant tout de cela dont il s'agit, de découverture de l'être en sa simplicité. De dévoilement. De surgissement au plein du jour. Les significations qui étaient latentes, repliées sur leur germe initial, les voilà qui essaiment à tous vents les étamines du savoir, qui dispensent le seul langage accessible aux yeux des hommes, le lexique de la nature en son éternel ressourcement. C'est d'un baume dont nos yeux sont atteints, comme si la vue se libérait d'un carcan, si l'empan de la vision se dilatait à la mesure des sphères infiniment mobiles du caméléon, à leur disposition métaphorique à embrasser tous les phénomènes qui, ici et là, font leurs ébruitements colorés. Tout devient alors si évident face à cette merveilleuse armée pacifique, à cette longue procession d'idées boisées.

  Cela vient du ciel à la douce teinte d'argile, cela coule en cascades joyeuses, cela fait ses filaments le long du dos des collines, cela nous regarde avec toute l'attention commise aux choses secrètes. Cela ne dit rien, sauf le lexique de la fibre, le rugueux de l'écorce, la simplicité de l'usure aux confins du temps. Cela parle d'éternité, comme s'il s'agissait du vol de la libellule ou bien de la fuite du nuage sous la vitre polie du ciel. Cela se regroupe en cercle, pareillement à une disposition cérémonielle, à la dévotion à quelque icône qu'eux seuls, les Intemporels peuvent contempler. Ils ont cette latitude de la perception qui les maintient dans un présent continuel, aux rives infinies.   

  Cela vient jusqu'au devant de nous avec des corps lavés d'eau, avec des têtes que trouent trois orifices énigmatiques, avec, peut-être une inquiétude, comme si leur temps de paille pouvait, un jour, brûler, s'effacer dans les plaines libres de l'espace. Cela demande à durer, simplement, pour témoigner d'un autre séjour auprès des arbres, du nuage, du ciel ;  d'un autre écoulement des choses sur la scène des jours. Parfois, ils collent leurs oreilles à la peau du monde et ce qu'ils entendent des hommes les effraient. Alors, vite, ils retournent à leur sagesse sylvestre et continuent à toiser l'invisible. C'est celal'autre côté du temps, cette libre aventure de corps limités à n'être que branches usées, rameaux indistincts, bois domestiques anonymes, simples dérives à l'horizon des hommes. C'est toujours dans l'inaperçu que le rare exulte et fait ses milliers d'arabesques, alors que les Existants, fatigués d'être hommes, d'être femmes regagnent leurs logis la tête basse, dans un incompréhensible abattement.

  Ils sont là les minuscules génies qui veillent sur notre destin, les petites figurines que trop souvent l'on néglige de voir, tout à la hâte que l'on est de s'arrêter à la seule image de notre silhouette reflétée par l'azur. C'est tout près de la terre, au bord du ruisseau, peut être même dans l'ondoiement des herbes folles de quelque terrain vague, cela attend patiemment depuis le crépuscule du temps, cela questionne dans le rythme vide des yeux, dans  l'absence de bras, de mains - mais qu'auraient-ils besoin de ces artifices, eux qui embrassent le tout du monde seulement à être présents -, cela résonne de cris non proférés, cela surgit des trous de la bouche en direction des éternels Absents que nous sommes, marchant sur notre ombre sans même en percevoir l'inquiétante densité. Ces Intemporels, nous ne les regardons pas. Ce sont eux qui nous regardent à partir de ces postures hiératiques pareilles à celles des pierres levées. Petites effigies de la conscience, imperceptibles stèles de l'esprit, ils ne font que nous questionner sur le sens du monde dont, jusqu'à présent, nous n'avons longé que le cercle invisible, parcouru tous les méridiens, sondé tous les équateurs sans nous détourner un seul instant pour nous pencher sur ces hiéroglyphes qui n'attendent que d'être déchiffrés. Il n'est pas trop tard.  Le bois est toujours disponible qui attend la gouge !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

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17 décembre 2013 2 17 /12 /décembre /2013 09:27

 

Petite symphonie sylvestre.

 

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Œuvre de Marc Bourlier. 


 

 Mais qui sont donc ces énigmatiques personnages qui semblent nous dévisager depuis un autre monde ? Une outre-terre. Un outre-bois. Une outre-racine ? Une "écorcéité" n'ayant encore reçu nul prédicat ? Et, alors, qu'en serait-il de cette essence purement sylvestre qui nous intimerait l'ordre de nous fondre dans cette existence instinctivement rhizomatique ? Mais notre provenance supposée à partir de l'argile, mais notre turgescence de glaise aurait-elle quelque valeur fondatrice ? S'agirait-il d'autre chose que d'un mythe censé répondre à notre impatience à toujours fonder en raison ? "Mythe" et "Raison" : quel bizarre accouplement contre nature, quelle alliance de la carpe et du lapin. Quel surprenant oxymore ! Bien évidemment  il convient  de chercher l'antinomie plutôt du côté de la "réalité" que suppose un tel rapprochement, et non préférentiellement dans les cabrioles d'une figure de rhétorique. Car ce qui est étrange, c'est bien cette inclination de l'homme à se réfugier sous l'aile de l'ange gardien, à savoir la religion à laquelle il demande de l' assurer d'une possible origine.

  Mais qui dit "origine", dit enchaînement de causes et de conséquences, appel au souverain Principe de Raison. Mais le mythe ne saurait avoir affaire aux ressources d'une rigoureuse rationalité. Le mythe, par nature, n'a rien à expliquer ou bien à fonder puisqu'il est œuvre totalement imaginaire. Et voilà la faille, l'abîme par lequel l'humain se précipite tête la première dans les mailles de l'aporie. Demander que soit rendue raison et s'incliner devant l'icône, voici une démarche si singulière qu'elle comporte sa fin avant même qu'elle n'ait commencé.

   Mais qui sont-ils ces personnages en "bois flotté" pour nous livrer une aussi "inquiétante étrangeté" ? Sont-ils des personnages autonomes dont nous n'aurions pu saisir la confondante identité ? Ou bien s'inscrivent-ils en nous sur le mode de l'effraction, à la manière dont notre reflet s'inscrit dans la vitre qui nous fait face alors que notre image nous renvoie à nous-mêmes sans possibilité de fuite ? Topique quasiment freudienne, retour du même, donc du refoulé, du traumatique, d'une sourde angoisse qui, enfants, nous aurait saisis d'effroi et remonterait à la surface de la conscience avec des battements sinistres, des clapotis de "Radeau de la Méduse" ? "Bois flottés" de l'âme, non préhensibles, invisibles, indicibles, seulement perçus sur une épileptique  toile de fond, pareillement à un théâtre d'ombres chinoises.

  Oui, ces personnages sont des ombres, des manières de génies tutélaires surgis de quelque crypte afin de nous dire notre laborieux cheminement parmi la complexité des trajets, le toujours possible égarement, l'inévitable renfermement de la clairière au centre de la forêt punitive, la dernière, celle jouant à titre de finitude. Ils sont là, depuis leur fixité de branches, là à nous toiser de leurs regards troublants, à peine plus que des têtes d'épingles, identiquement aux divinités de l'Île de Pâques, ces immenses Moaïs aux yeux vides, ces stèles de pierre volcanique dont le regard se perd au loin, dans l'immensité du ciel où glissent les nuages. Rassemblés eux aussi, ces minces bâtons, soudés par un instinct grégaire qui les dépasse, dont ils ne perçoivent même pas le sens. Comme une longue interrogation métaphysique faisant ses vrilles jusqu'aux frontières d'un hypothétique arrière-monde, sans toutefois pouvoir en franchir la barrière d'étoupe et de goudron.

  C'est cela qu'expriment ces effigies d'écorces, ces croûtes de pin, ces nervures boisées en quête d'une possible existence. Leur prétention à figurer sur le praticable du monde, ils ne la doivent qu'à leur entêtement à s'immoler dans une compacte grégarité. Séparez-les, seulement par la pensée, et vous les verrez s'écrouler aussi facilement, avec autant d'évidence que les murailles de Jéricho  sous le souffle implacable de Dieu. Car, voyez-vous ils sont infiniment fragiles et c'est bien ce destin éphémère qui les pare d'un charme, d'une grâce dont nous serions bien en peine de tracer les contours. Ils sont, à la fois, les totems des peuples pauvres, mais aussi les tabous, les esprits vengeurs qui, la nuit, peuvent vider vos orbites avec la dextérité que met un bernard-l'hermite à sortir de sa coquille. Mais aussi, ils peuvent vous sauver d'un bien naturel désespoir. Comment me direz-vous ?

  Mais prenez donc un canif, une alène de cordonnier, quelques clous et un marteau, allez à la première écluse venue, vers l'aval, penchez-vous sur la plage de sable et cueillez donc ces minuscules personnages. Ils vous attendent depuis une éternité. Sans doute depuis vos premiers effrois de bambin et, comme lorsque vous étiez enfants, avec naïveté et sans un brin de malice, confectionnez donc ces petits bonhommes de la vie quotidienne. Et, surtout, ne réfléchissez pas. Ces touchants mannequins de bois, ces petites marionnettes, sculptez-les à l'aune de votre fantaisie, insufflez-leur la vie, donnez-leur une âme et laissez-les voguer au hasard des routes.

  "L'âme", vous me dites ? Ah, oui, l'âme, vous n'arrivez pas à les doter de ce principe qui, bientôt, va les animer ? Vous ne savez donc pas les habiller de cette "inquiétante étrangeté" dont nous nous entretenions il y a peu. Car, savez-vous, cette fameuse "inquiétante étrangeté", eh bien c'est tout simplement l'âme. C'est un travers de l'homme que d'inventer des mots, de forger des concepts, de faire appel à des idées générales ou bien à des métaphores éthérées dès l'instant où il ne voit plus clair dans cette matière du réel qui toujours se renouvelle à mesure qu'elle fuit. Eh bien, laissez tomber, cela vaudra mieux pour vous, cela sera un réconfort pour ces modestes compagnons qui ont bien besoin de cette âme pour continuer à regarder la grande pantomime des hommes depuis leur condition sylvestre. Quelle patience tout de même, quelle merveilleuse persistance à être dans cette immobilité éternelle ! Mais, au fait, avez-vous bien réfléchi à ce qu'ils sont en réalité ?

  "Des œuvres d'art", me dites-vous. Certes, mais encore ? Je vois, vous n'avez plus d'idée à proposer. "Oui, ce sont des… ou bien, des…" Mais ne vous fatiguez donc pas. Imaginez. Vous les arrosez d'alcool, vous craquez une allumette, l'approchez suffisamment pour que le feu, soudain, les enveloppe et les réduise d'abord en fumée, en cendres ensuite. Que reste-t-il alors ? Je vous vois comme désemparés ! Seriez-vous tourmentés ? Mais ne soyez pas si enclins au désespoir. Bien sûr vos yeux ne vous abusent pas et il ne reste plus, en effet, qu'une poussière grise que, bientôt, le vent dispersera. Mais ce qui jamais ne se dissoudra : l'art, l'âme. Je vous trouve bien songeurs, seriez-vous si attachés à cette matière qu'elle vous manque déjà ? Il en est toujours ainsi des choses qui s'élèvent deux coudées au-dessus de la réalité. C'est comme le vol de l'éphémère, on ne le perçoit bien que lorsqu'il s'absente de nous. Ces minces figures étaient vivantes, ces petits saltimbanques de la vie ordinaire, vous vous y étiez déjà attachés. Comment mieux vous prouver que par votre affection à leur égard, leur forme d'existence ? Étrange, tout de même, ces formes inanimées qui ont une âme. Le Poète avait raison ! Nous aussi qui, sans plus tarder, allons filer au bord de la rivière. Mais, seront-ils présents, ces aimables personnages qui, sans doute, hanteront nos nuits, le temps de nous rendre auprès de leur silhouette ? Seront-ils là, à nous attendre. Le bois, ça a de la patience, mais tout de même ! 

 

 

 

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