Instantané
Papier A3
Barbara Kroll
***
L’être-scindé de la présence
C’était là ton destin
La voie à toi seule offerte
Le pli du jour selon lequel
Tu serais au monde
Le ton fondamental
Qui imprimerait sur ton front
Les stigmates de l’exister
A ceci tu ne pouvais échapper
Pas plus que le nuage
Ne saurait s’exonérer du ciel
Ta pente déclive en quelque sorte
L’ornière qui guiderait tes pas
L’abîme au bout
Qui inévitablement
T’y attendrait
Avec le souffle ardent
Du Néant
*
Ceci qui ne pouvait être nommé
Le Néant
L’Être
La Nuit
L’Angoisse
Voici que cela te parlait
Avec la voix puissante
Des intimes convictions
Ceci était en toi gravé au feu
Néant avec ses longs couloirs vides
Avec ses portes qui battaient au vent
Avec ses portiques haut levés
Au sommet de nulle montagne
Ceci était en toi gravé au feu
Être avec l’épuisement de l’invisible
Avec ses cordes de cristal
Qui vibraient au diapason du Rien
Avec ses hautes tours ses beffrois ses barbacanes
Ses douves immenses perdues dans l’indicible brume
Ceci était en toi gravé au feu
Nuit avec ses cohortes d’ombres blanches
Avec l’œil pléthorique de la Lune qui saignait
Avec la lancinante musique des sphères
Avec les draps livides du rêve qui s’effilochaient
Au souffle empierré de la mémoire
Ceci était en toi gravé au feu
Angoisse avec ses bourgeons tubéreux
Avec ses marais glauques
Avec ses mangroves plantées de racines noires
Avec l’ensemencement dru de ses étiques palétuviers
*
Ceci qui ne pouvait être nommé
Etait le haut lieu de ta destination
L’incunable aux images perdues
Aux signes effacés
Le palimpseste méticuleux
Où se superposaient
Les échardes aiguës du souvenir
Les tessons des envies insatisfaites
Les angles contrariés des désirs
Les ombres mêlées des amours apatrides
Les aveux d’échecs aux dents muriatiques
*
L’être-scindé de la présence
Oui Être Scindé Présence
Car jamais ton être n’arrivait
Au lieu de son effectuation
Car ta présence à toi aux choses au monde
Etait marquée du sceau de la perte
Tout glissait tout fuyait tout s’écoulait
Par le trou d’une bonde
Avec son sifflement de vortex
Avec ses remous délétères
Avec ses sinistres confins
Qui disaient le haut poème
De la Finitude
Cette consolation in-humaine
Puisque survenant hors la conscience
*
Ceci qui pouvait être nommé
Le glaive translucide de ton corps
On aurait cru la lame du silex
La poussière de charbon de tes cheveux
La fenêtre de ton visage
On y voyait des reflets d’Infini
La faucille d’opale de ton cou
Quelle grâce fragile
Des doigts vengeurs
Y eussent apposé l’image de la Mort
En une unique pression
Bruit de cartilages rompus
Pareils à la chute des osselets
Sur un sol de ciment
Un avant-goût de la biffure terminale
Cet ossuaire en croix
Qui est l’empreinte définitive
De la condition existentielle
Ceci qui pouvait être nommé
L’attache ambiguë de tes épaules
Un rien les eût ôtées
De ta Babel de papier
Et le monticule de ta poitrine
Et la blessure étroite des aréoles
D’à peine sémaphores
Pour des yeux étrangers
D’étranges combustions
Nul ne s’y fût brûlé
Le feu était éteint
Et tes bras en équerre
Cette tenue à la limite de l’insecte
Une mante peut-être
Dans l’instant de la dévoration
Ou bien de l’auto-manducation
Autophagie au gré de laquelle
Tu semblais boulotter
Les maigres provendes
Qui t’avaient été allouées
Et l’absence de ton ombilic
Cette racine ce rhizome
Qui remontent à ton origine
Mais où encore les choses indécidées
Te laissaient libres de toi-même
Et les sarments de tes doigts
Cette Veuve Noire arc-boutée
Sur l’infernal lieu de plaisir
Ce rougeoiement
L’étouffes-tu ou bien le supplies-tu
De te porter à cette ignition
Qui dévore ton ventre
Ecartèle ton sexe
Te met en demeure d’exister
Dangereusement
Partout où il y a sexe
Il y a danger
De combustion
De prolifération
D’extinction
*
Sexe est lieu du Néant
Sexe est oubli de l’Être
Sexe est ouverture de la Nuit
Sexe est vrille de l’Angoisse
*
C’est ceci que nous dit
La vergeture cinglante de ton corps
La venue de la venaison
Où le profit des chairs
Appellera le gibet
Où la confusion des membres
Convoquera la potence
Car ici tout est démence
Etre-scindé de la présence
Voussure de la Raison
Pliure de l’âme
En sa dernière oraison
*
O Être de la Présence
Nous te voulons plein
Hors d’atteinte
Du Néant
De la Nuit
De l’Angoisse
Dans la juste demeure
Du jour
Nous te voulons
Afin qu’en toi
Quelque chose
De vrai se lève
Le Vide est si grand
Avec ses blanches allées
Longues
Vides
Longues
Vides
*