Lever matin, n’est poinct bon heur,
Boire matin est le meilleur.
Après avoir bien à poinct desieuné, alloit à l’ecclise, & luy portoit on dedans un grand penier un gros breviaire empantouflé, pesant tant en gresse que en fremoirs & parchemin poy plus
poy moins unze quintaulx. Là oyoit vingt & six ou trente messes, & ce pendent venoit son diseur d’heures en place, empaletocqué comme une duppe, & tresbien antidoté son alaine à force
syropt vignolat. Avecques icelluy marmonnoit toutes ces kyrielles : & tant curieusement les espluschoit, qu’il n’en tomboit un seul grain en terre. Au partir de l’ecclise, on luy amenoit
sur une traine à beufz un faratz de patenostres de sainct Claude, aussi grosses chacune, qu’est le moulle d’un bonnet : & se pourmenant par les cloistres, galeries, ou iardin en disoit
plus que seize hermites. Puis estudioyt quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre, mais (comme dict le Comicque) son ame estoit en la cuysine. Pissant doncq plein official,
se asseoyt à table. Et par ce qu’il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit son repas, par quelques douzaines de iambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d’andouilles, & telz
aultres avant coureurs de vin. Ce pendent quatre de ses gens, luy gettoient en la bouche l’un après l’aultre continuement de la moustarde à pleines palerées puis beuvoit un horrificque
traict de vin blanc, pour luy soulaiger les roignons. Après mangoit selon la saison viandes à son appetit, & lors cessoit de manger quand le ventre luy tiroit. A boire n’avoit poinct de fin,
ny de canon. Car il disoit que les metes et bournes de boyre estoient quand la personne beuvant, le liège de ses pantoufles enfloit en haut d’un demy pied. Puis tout lourdement grignotant d’un
transon de graces, se lavoit les mains de vin frais, s’escuroit les dens avec un pied de porc, & devisoit ioyeusement avec ses gens. Puis le verd estendu l’on desployait force chartes, force
dez, & renfort de tabliers. Là iouyoit au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe : à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte
virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade : iocque : fore, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la sequence, aux luettes, au
tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la
nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du
cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à pair ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, au savatier, au hybou, au dorelot du lièvre, à la tirelitantaine, à cochonnet va devant, aux
pies, à la corne, au bœuf \iolé, à la chevêche, à je te pince sans rire, à picoter, à déferrer l’asne, à laiau tru, au boiirry, bourry zou, à je m’assis, à la barbe d’oribus, à la bousquine, à
tire la broche, à la boutte fojTe, à compère, prestez moy vostre sac, à la couille de bélier, à boute hors, à figues de Marseille, à la mousque, à l’archer tru, à escorcher le renard, à la
ramasse, au croc madame, à vendre l’avoine, à soufSer le charbon, aux responsailles, au juge vit et juge mort, à tirer les fers du four, au fault villain, aux cailletaux, au bossu aulican, à
Sainct Trouvé, à pinse morille, au poirier, à pimpompet, au triori. au cercle, à la truye, à ventre contre ventre, aux combes, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au
rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline
musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à la foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à
sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne
beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille boucquet, aux roynes, aux
mestiers, à teste à teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux
escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette, au pourceau mory, à cul sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à la cutte cache, à la
maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, à cambos, à la recheute, au picandeau, à crocque teste, à la grolle, à la grue, à taille
coup, aux nazardes, aux allouettes, aux chinquenaudes. Après avoir bien ioué & beluté temps, il convenoit boire quelque peu, c’estoient unze peguadz pour homme. Et soubdain après bancqueter
c’estoit sus un beau banc, ou en beau plein lict s’estendre & dormir deux ou troys heures sans mal penser, ny mal dire. Luy esveillé secouoyt un peu les aureilles : ce pendent
estoit aporté vin frais, là beuvoyt mieulx que iamais. Ponocrates luy remonstroit, que c’estoit maulvaise diète, ainsi boyre après dormir. C’est (respondit Gargantua) la vraye vie des pères. Car
de ma nature ie dors sallé : & le dormir m’a valu autant de iambons. Puis commenceoit estudier quelque peu, & patenostres en avant, pour lesquelles mieulx en forme expedier, montoit
sus une vieille mulle, laquelle avoit servy neuf Roys, ainsi marmonnant de la bouche & dodelinant de la teste alloit veoir prendre quelque conil aux filletz. Au retour se transportoit en la
cuysine pour sçavoir quel roust estoit en broche. Et souppoit tresbien par ma conscience : & volentiers convioit quelques beuveurs de ses voisins, avec lesquelz beuvant d’autant,
comptoient des vieulx iusques es nouveaulx. Entre autres avoit pour domesticques les seigneurs du Fou, de Gourville & de Marigny. Après souper venoient en place les beaux evangiles de boys,
c’est à dire force tabliers, ou le beau flux, un, deux, troys : ou à toutes restes pour abregier, ou bien alloient veoir les garses d’entour : & petitz bancquetz par my :
collations & arrière collations. Puis dormoit sans desbrider iusques au lendemain huict heures.