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9 avril 2025 3 09 /04 /avril /2025 07:17
Là dans la venue du jour.

Septembre finissait

Octobre tardait à venir

Dans le ciel

Une dernière lumière

S’attardait

Une manière de gonflement

De sève s’annonçant

Avant que l’ombre

N’arrive

 

Tu aimais ces couleurs

Qui n’en étaient pas me disais-tu

La terre était ton élément

Comme l’air le mien

Ses sillons t’attiraient

Les mottes luisantes

Que le coutre versait

Jadis

Dans les pages

De Georges Sand

 

La Mare au Diable

Me disais-tu

Et tes yeux couleur de souci

Étaient en partance

Pour ailleurs

Sans doute

Un Pays sans nom

Une île sans rivage

Une presqu’île qui n’avait nulle fin

Se perdait dans des nappes de brume

On n’en pouvait connaître

L’énigmatique destinée

 

Le diaphane te parlait

Le langage du discret

L’à peine arrivée de l’heure

Te trouvait en méditation

La plaque de l’étang

Aperçue depuis ta fenêtre

Ses vibrations

Sous la clarté diffuse

Ses irisations parfois

Ce glissement au loin

Vers les montagnes bleues

Ceci suffisait à te porter en un lieu

D’où il semblait que ton retour devînt

Une impossibilité

La matière insaisissable

D’un rêve

 

Le plus souvent

Dans ta maison

Aux volets à demi tirés

Au milieu de la pénombre

Tu lisais des pages et des pages

Du Grand Meaulnes

Un peu comme si ta vie en dépendait

Tu respirais à peine

Le soulèvement de ta poitrine si discret

On aurait dit le battement d’un cil

Songeais-tu alors

À ces promenades romantiques

Sur un lac de Sologne

Ou bien sondais-tu

Ce que le livre disait

Cet impossible bonheur

Qui jamais

Ne se laisse atteindre

Deux fois

 

Le dehors m’attirait

Le vent m’appelait

Parfois celui qu’ici on nomme

Le Marin

De mes promenades je revenais

La barbe criblée de brouillard

Les yeux laissant s’égoutter

Une poussière de pluie

Je t’invitais à me suivre

A te vêtir

D’une toile légère

A venir longer ces étangs si beaux

Que l’automne lissait

De sa palme douce

 

Mais non

A cette immersion

Dans l’espace

Tu préférais

Cet étrange confinement

Sans doute en raison

De ta nature rétive

De l’illisible peine

Qui t’habitait

Pareille à un voile posé

Sur le réel des choses

 

De longues heures

A sillonner la garrigue

Semée de l’odeur épicée

Des touffes de thym

Parcourue du vert clair

Des genévriers cades

Illuminée par les étoiles mauves

Des aphyllanthes

Et celles roses

Des cistes cotonneux

Souvent la Tramontane se levait

Portant avec elle

Les cris aigus

Des busards cendrés

Tu aurais aimé entendre

J’en suis sûr

Ces appels du ciel

Cette faune libre

Fière

Sûre de son trajet

Ailes largement éployées

Œil perçant forant l’air

De sa belle certitude

 

Mais rien ne servait de te dire

Le dehors

Alors que ne te tentait que

 Le dedans

La disparition aux yeux des autres

Le refuge derrière

Ces murs d’argile

Ils te protégeaient de la foule

Des curieux

Qui déambulaient encore

Dans les rues

Qui bientôt seraient désertes

Tu me disais souvent

Mais quand donc le silence

La paix enfin revenue

Le creuset d’une joie

Dans le fortin du corps

 

Parfois le matin

Lors de la première lumière

Ta silhouette

Que de rares passants

Pouvaient dérober

À ta naturelle pudeur

Ils n’emportaient de toi

Que

Cette allure ambiguë

Cette volte-face

Cette fuite encadrée

De blanc et de bleu

Tes couleurs fétiches

Tu les disais précieuses

Dans leur pâleur même

Leur effacement

Leur souple présence

Que l’ombre recouvrait

En même temps que tu t’y confiais

Avec une certaine délectation

Toi personnage des coulisses

Toi actrice

D’une scène sans voyeurs

Toi ligne éphémère

Dans le déclin

De ce qui se montre

 

Ton destin était ceci

La transparence

L’absence d’épaisseur

Le retrait en toi si discret

Qu’on n’en percevait jamais que

Le début

Ou bien

La fin

Autrement dit jamais la nature vive

Jamais la faille par laquelle te rejoindre

L’ouverture à la vacance de ton être

Tu étais cet indescriptible signe

Sur une antique tablette d’argile

Une simple et éphémère lueur

Sur le col d’une amphore

Un espace entre deux mots

Ce vide médian

Cette respiration

Du vide et du plein

Des Taoïstes

 

Ces blancs

Ces interstices

Ces lumières

Dont se vêt la peinture

D’un Cézanne

Afin qu’apparaisse

Comme en sustentation

Comme par miracle

Tout l’esprit que la Sainte-Victoire

Porte en elle

Qu’elle ne diffuse qu’aux yeux

De ceux qui les ouvrent

Et les emplissent

Des beautés du monde

 

Etait-ce ceci que

Tu cherchais

En toi

Rien qu’en toi

Dans la meute de solitude

Qui t’entourait

Dans la perte

A toi consommée

De cette réalité

Auprès de laquelle

Les Nombreux

Se ruaient

La prenant sans doute

En tant que la révélation suprême

Dont l’existence faisait l’inestimable don

 

Mais combien je m’aperçois

Que mes questions sont inutiles

Pour ne pas dire oiseuses

Comment te définir

Toi l’Etrangère

Puisque

A moi-même

Je suis

L’Etranger

Auquel je n’ai même pas accès

Cette image

Que le miroir me donne

Alors que le réel me l’ôte

Puisque jamais je ne serai

L’Observateur

De Qui-je-suis

Cette feuille d’automne

Qui déjà flétrit

Et s’absente

Des nervures

S’y dessinent

Qui signent

La perte de toute chose

Le non-retour

Du temps

Le non-retour

De l’être

 

 

 

 

 

 

 

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30 mars 2025 7 30 /03 /mars /2025 17:04
Nue et le voile.

Mai 2015 – Nadège Costa – Tous droits réservés.

« L’univers soudain

à portée de main

toujours par-delà

Lorsqu’on dit … « Viens ».

Eros émerveillé.

Anthologie de la poésie érotique française.

***

Nue et le voile

   Jamais Nue n’est sans le voile. Jamais le voile n’est sans Nue. Immémorial balancement du dissimulé et du manifeste. Regarderions-nous Nue sans voile et nous serions dépossédés de nous-mêmes, et nous serions exilés d’un territoire à saisir dans l’exactitude du regard.

   Image de Nue indissociable du voilement, de sa prodigieuse capacité à nous fasciner dans l’attente d’Elle, ce pur insaisissable dont la révélation même est le prix à payer afin que notre propre assomption soit possible. Surgissement dans la sphère onirique où, par essence, nous devenons, nous aussi, inatteignables. Conjonction des mondes, lieu d’une double révélation : celle de qui nous fait face dans son évidence, celle qui, soudain, se loge au creux de notre imaginaire avec la force des sublimes apparitions.

Nue et le voile

 Projetons, le seul instant d’une possible visitation, une soudaine métamorphose. Nue, dans sa volte-face, nous révèle la totalité de son épiphanie originelle. Plénitude de la gorge, souple douceur du mont de Vénus, triangle ombreux du pubis. Mais que se passe-t-il, alors, qui nous rend muets et aveugles, paralytiques et figés, pareils à des gisants de pierre ? Quelle étrangeté s’est introduite en nous dont nous ne sommes plus que la forme endeuillée allouée à sa propre perte ? Ce que nous espérions, à savoir découvrir un territoire vierge de tout regard, un site porté à la dignité de pure merveille, voici que tout se disperse et fuit dans l’effeuillement du jour. Tout est gris et plus rien ne paraît qu’un fin brouillard semblable à celui qui flotte au-dessus des lagunes. Si douloureux de vivre, perdu dans cette multitude illisible et la nervure de notre corps est un flottement sans fin. Et notre conscience erre longuement à la recherche d’un possible sémaphore nous disant, encore, la signifiance de l’heure, la pertinence de figurer, ici et maintenant, sur ce fragment de terre qui nous maintient en sustentation au-dessus du néant. Nous avons besoin d’un cosmos, d’une quadrature fixant les limites de notre être. Nous avons besoin d’un môle de pierre auquel attacher l’esquif de notre destin.

Nue et le voile

  Si indispensable, le voile, car aucune vérité, aussi apaisante fût-elle, ne se peut se révéler dans la fulgurance du dire, dans l’immédiateté du paraître. Il y faut l’espace entre les mots, le jeu subtil entre l’ombre et la lumière. Tout corps, dans son mystère, est cerné d’ombres. Tout regard, dans sa quête, est faisceau lumineux qui troue l’obscurité du monde et fait se révéler la brûlure de la connaissance. C’est seulement parce que le territoire de Nue est à dix mille lieues de notre préhension qu’il brille des feux du désir. C’est toujours le fruit hors de portée qui fait son scintillement sucré au creux de nos papilles. Comme une nature morte de Cézanne dont les pommes sont l’inaccessible que l’art tend devant nos yeux sans que, jamais, une saisie en soit possible, sauf idéelle. Notre existence passionnelle est entièrement sous le joug de la tension, de l’éloignement, de l’incommunicable. Eros ne se présente jamais à nous sous les traits de l’évidence, de la rencontre sensible, de la concrétude que nous pourrions loger au creux de notre anatomie et, ensuite, poursuivre notre cheminement avec la tête dans les étoiles.

  Nue est de l’ordre de la pensée primesautière qui s’efface aussitôt révélée. Elle est pareille au vol irisé du colibri, pure vibration dans l’air étonné. Elle est l’écho de ces mirages que le vent et le sable font se lever dans le silence et l’immensité du désert. Pour cette raison d’une impossibilité à accueillir Nue autrement qu’en sa disparition même, nous aurions pu la nommer, indifféremment : pliure du jour, herbe nocturne, rosée à la pointe de l’aube, rayon crépusculaire, nymphe en voie d’éclosion, « montagnes et eaux », comme dans la peinture monochrome des Song, en Chine, où se dévoile l’être du monde à même sa disparition. Oui, nous aurions pu, mais nous sommes restés en silence parce que, parfois, la parole ne surgit de son ombre qu’à y retourner. Nous posons le voile sur la courbure du jour et revenons à notre nuit, aux battements du songe, la seule diastole-systole dont notre cœur puisse encore témoigner face à l’indicible ! Oui, la seule !

Nue et le voile.
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27 mars 2025 4 27 /03 /mars /2025 17:42
Au lieu de notre désir ?

                 Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

   Le problème, le seul, c’est que nous coïncidons rarement avec l’espace de notre désir. Il est toujours trop en avant de nous dans une indéchiffrable figure ou bien en arrière et nous le sentons palpiter, faire son vol stationnaire tel le colibri face aux étamines gorgées de pollen. Le problème, encore, c’est que dans la présence de son être, dans le rougeoiement dont il est affecté, dans la turgescence de son verbe, l’éclatement de sa forme, nous sommes constamment dépassé et avons la plus grande peine à lui donner un nom, l’affecter de prédicats qui en livreraient le mystère, en dévoileraient le secret. L’essence du désir est bien ceci : se donner à distance, surgir brusquement puis décliner dans le lointain à la manière d’une éclipse dont nous ne comprendrions que les contours. Si vagues. A peine une lueur dans la coursive éployée de l’heure.

   Tout désir n’est simplement une arborescence charnelle dont nous meublerions notre corps afin que, rassasié, il nous laisse en paix et que nous puissions vaquer le plus naturellement du monde à nos occupations. Il demande bien plus et ne saurait se satisfaire de ce plaisir qui rutile au bout de notre union avec l’amante. Il voit plus loin. Il affûte ses pupilles, lustre le globe de sa sclérotique et s’enfonce dans cette nuit heureuse qui est le seul domaine dont il puisse faire ses aîtres. Il est à la lisière de l’ombre, sur la corolle qui vibre avant que l’aube ne paraisse. Il fait signe mais dans la discrétion. On dirait la transparence des ailes de la libellule. On n’en perçoit que les lunules de lumière, la frise de cristal, le mince liseré qui pourrait s’effacer au moindre souffle de la brise.

   Désir n’est nullement enclos dans les limites de sa propre présence. Il déborde, scintille, luit et voudrait se dire mais ne le peut. Désir n’est ni l’archer, ni la cible, seulement le trajet qui les sépare et les enjoint à la sublime fête de la rencontre. Désir est tension, rien que ceci. Amorcé et déjà il n’existe plus qu’à être renouvelé, ressourcé, immergé dans les eaux lustrales car le rite de la purification est le seul qui convienne à son accomplissement. Il ne saurait conserver le souvenir d’un événement qui l’a précédé et l’a marqué du sceau de ce qui a eu lieu. Chaque exercice du désir est naissance de soi par laquelle se marque l’empreinte de son exception. Comment pourrait-il trouver à paraître s’il n’était que renouvellement, histoire recommencée sur le mode d’une utilité empruntant l’herbe usée du même sentier ? C’est, à chaque fois un saut dans l’inconnu et de ce saut il fait sa moisson d’enivrements. Il est pareil à une épice rare qui développe sa fragrance dans le luxe d’un cabinet de curiosités où sont exposées des « choses rares, nouvelles, singulières ».

   Oui, c’est bien la curiosité qu’il faut fouetter jusqu’à ce que le regard, porté au plein de sa fonction, décrypte enfin cet inconnu qui le fascine et l’atterre tout à la fois. Ne pas connaître est supplice. Connaître est sombre maléfice car alors il n’y a plus de porte à ouvrir dont nous tremblons de ne jamais pouvoir connaître l’envers. Désir est ambiguïté, semis de fleurs aux pétales vierges qui distillent leur beauté dans ce ciel infranchissable dont nous attendons qu’il nous apporte une réponse, non une éternelle fascination. Nous sommes toujours en attente et savons que cette dernière est celle qui précède l’éclosion du jour. Beauté mais aussi danger. Parfois les yeux ne demandent qu’à être assoiffés. Comblés, ils sont sertis d’une vérité dont ils rayonnent mais ne souhaitent rien tant que la recherche de cette vérité ! C’est pourquoi ils sondent l’abîme pensant y découvrir le cercle de la joie. Oui, de la joie.

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19 janvier 2025 7 19 /01 /janvier /2025 08:29
Du rare l’image nue

Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

Du rare l’image nue

 

C’était chez toi comme

Une antienne

Cela se levait à la manière

D’une prière

Tutoyait une ferveur

Déployait une incantation

 

Ne supportais

Ni les fioritures

Ni les embarras

Des choses.

Seulement

Leur simplicité

Leur droiture

Dans l’air qui vibrait

Comme un cristal

 

Le moindre rameau givré de brume

Était cette inoubliable

Offrande

Dont tes yeux

Jamais

Ne se déprenaient

 

Cela faisait en toi

Des trajets de comètes

Des brillances de joie

 Des irisations claires

Parfois des pertes

Dans quelque mystérieux

Aven

Que nul n’eût osé

Interroger

 À l’aune d’un regard

Fût-il

D’accord

De reconnaissance

De partage

 

Impudeur il y aurait eu

À traverser la feuillée

De ton silence

À cerner ta peau légère

De questions

Qui n’auraient eu

De sens

Qu’impropre

De finalité

Qu’à enfreindre un territoire

Dont tu voulais préserver

La belle candeur

L’ingénuité

Pareille au frais ruisseau

Dans le cours fragile

De l’aube

 

Mais quel était donc

Ce besoin d’un immédiat

Surgissement

Du réel

Au plus près

D’une vérité

Qu’y avait-il donc

En Toi

Qui réclamait son dû

De beauté

De naïveté

D’innocence

 

Toujours il semblait

Que ton désir

Des choses

Essentielles

Ne pourrait jamais être

Etanché

Comblé

Satisfait

Hampe d’un idéal

Dressé dans la belle

Oriflamme du jour

Gemme couchée

Dans son écrin de soie

Lumière venant

D’on ne sait où

Fuyant en direction

De quelque inconnu

 

Etait-ce donc cela

Qui convenait

A la sombre pliure

De tes humeurs

Qui donnaient à tes yeux

Cette profondeur de cendre

Cette transparence

Cette fuite d’eau

A l’infini

Dans le méticuleux

Et illisible

Destin du Monde

 

***

 

Du rare l’image nue

 

 

Dans ton étrange

Posture

Tu figurais

Ce visage de pierres

Des contrées extrêmes

Où ne souffle

Que le vent acide

Des lointains

Où ne surgit

Que l’absence

En sa verticale

Nudité

Jours de mousse

Et de lichen

Heures de granit

Et minutes de basalte

Demeure du Temps

En son éternité

En sa grâce

Ultime

 

***

Comment t’imaginer

Autre

Que dans cette

Éphémère courbe

De l’espace

Dans cette étroitesse

D’une bouche

Close

Sur sa propre densité

Comment

 

Déchiffre-t-on jamais

Le mystérieux hiéroglyphe

Met-on à jour

La vie des Peuples Anciens

A seulement

Assembler quelques indices

L’éclisse blanche d’un os

Le scintillement d’une parure

Une épingle d’or

Qui retenait les plis

D’une vêture

 

Déchiffre-t-on

L’Autre

Ce continent invisible

Cette Terre d’exil

Cet isthme si étroit

Que les eaux pourraient

L’absenter de notre regard

Et il n’y aurait plus

Rien

Que

Le Vide

La bise désolée

Du Néant

La pierre obsidionale

Assiégeant les remous

De l’esprit

Attisant les nervures blanches

De l’âme

Sondant la chair

En ses minces cannelures

Cette mutité

Cette parole scellée

Qui retourneraient

En leur origine

A peine une étincelle

Dans la nuit du Temps

Une incision

Dans le derme

De l’Être

 

***

 

Du rare l’image nue

 

L’étrave de ton visage

Fendait les flots

Du sensible

Avec la grâce

D’une étoile

Aux confins du Ciel

 

Une simple allégeance

A ta propre advenue

Dans la demeure étroite

Du visible

Ta navigation

Parmi les flots

Si naturelle

Ne te livrait à l’existence

Que sur le mode du retrait

Que sur celui d’une présence

Tissée d’oubli

Teintée de la palme

Du songe

Ourdie de fils ténus

Si minces

Dans l’effacement

Oblique

De l’air

 

***

 

Du rare l’image nue

 

Vois-tu

En ton constant

Egarement

Je te vois à la façon

De cette Terre de rochers

Parsemée d’eau

Cette savane triste

Qui pleure dans le gris

Ce miroir étincelant

D’une eau infinie

Où se réverbère

L’exigence tendue

Du Ciel

Ce Rare où sont les dieux

Cette image nue

Que nous n’habillons

Que des voiles

De notre propre

Errance

 

O Toi qui as lieu

A l’extrême

De notre doute

Es-tu cette simple

Diversion

Qu’annonce le sablier

En sa chute toujours libre

Es-tu cette racine éolienne

Qui nous interroge

En notre fond

Le plus obscur

Ce Noir dont s’ensuit

Tout cheminement

Parmi la sourde complainte

D’une inintelligible

Durée

 

Ô toi qui as lieu

Délivre-nous de ce mutisme

Etroit de la Terre

Dans la Pureté

Oui

Dans

La

Pureté

Il n’y a

Que

Cela à

Voir

Paraître  

Cela

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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16 janvier 2025 4 16 /01 /janvier /2025 11:29
 De ton regard l’invisible trace.

 Margarita

Katia Chausheva Photography.

 

 

***

 

Mais d’où venais-tu donc

Toi l’Etrangère

Qui saisis mon âme

Ligaturas mon corps

Instilla en mon esprit

Ce Noroît

Ce souffle long

Venu de je ne sais

Quelle contrée

Sans doute

Un illisible pays

Aux marges du rêve

 

***

 

Mes jours

Une si vive lumière

Que  mes yeux en sont atteints

Que visite le cristal des larmes

Un infini poudroiement

Du visible

Une infinie diaspora

Des choses

Une fuite à jamais

Des événements

 

 

***

 

Mes nuits

Une oscillation

Entre Charybde et Scylla

Une marche au bord d’un gouffre

Et des bruits sont là qui cernent

Ma chair

Parfois la mutilent

Au lever l’empreinte de tes dents

Cette résille blanche

Où meurt le luxe de tes mots

 

***

 

Mais parles-tu un autre langage

Que celui du retrait

Du silence habité d’ennui

D’autres mots te visitent-ils

Que

Solitude

Enigme

Abandon de soi

Dans le vaste écueil du monde

 

***

 

Vois-tu voici que je TE désigne

A la seconde personne

Alors même que mon existence

Ne fait nullement tache

Sur l’étrave de ta conscience

Tu fus aperçue un jour

De crépuscule

Silhouette émergeant

De la lagune

Pareille à ces oiseaux migrateurs

Sans demeure aucune

Sans repos autre

Qu’une perpétuelle errance

 

***

 

Me voici à mon tour venu

Dans l’irrésolution de l’heure

Dans l’instant tremblant

Du fond de sa vacuité

Passent les secondes

Et rien ne demeure

Que l’envol du temps

La feuillure inavouée

De quelques sentiments

Ces à peine vibrations

Qui laissent

Sur le bord du chemin

Et plus rien ne fait signe

Que la ligne d’horizon

Loin au plus loin de ce qui est

Et parait s’effacer à même

Son tremblant emblème

 

***

 

Comment dépasser

Son tumulte de chair

Longer le sillon de l’humaine destinée

Quand les arbres sont dépouillés

De leurs feuilles

Que les nervures sont les seuls restes

D’une réalité qui ne s’annonce plus

Que sous les traits

D’une encre décolorée

Dont plus aucune lettre

Ne sera reconnaissable

Sinon ces ratures

Se superposant

A d’autres

Ratures

 

***

 

Parfois l’aube me retrouve

Hors de mon être

En limite d’une parution

Est-ce la folie promise

Est-ce la navigation hauturière

Privée d’amers

Et l’incohésion des flux

Le rapt des reflux

La trame ouverte

Par laquelle s’absenter

Se retirer

Vivre au plus profond

De sa geôle

Etroite

Unique

Soudée

À son exacte

Étrangeté

 

***

Ai-je d’autre choix

Que de te décrire

D’inventorier

Tes faits et gestes

L’espace d’une heure

Solaire

Que la nuit a bien vite abolie

Dans ses voiles de suie

Oui tu ressembles à la nuit

Tu en as l’étrangeté

La douce opacité

L’invisible transparence

Oui tes yeux sont

Des astres morts

De simples présences

Réfugiées en ton intime

Deux lunules

Dans le sombre d’une mare

Et quelle résille te dissimule-t-elle

Aux yeux des Curieux

Et des Nombreux

Ce voile de Mariée

Ou bien

De Veuve Noire

Aux ténébreux desseins

 

***

 

Une fois capturée

Songes-tu au moins

A libérer ta proie

Ou ta joie est-elle pure perversité

Bonheur de dominer

De contraindre aux fourches caudines

Ceux qui par hasard

Ont croisé ton regard

Cette noire volonté

Qui fascine et tient

En son pouvoir

 

***

 

Tu es un être du crépuscule

Prémisse du nocturne

Où tu dissimules ton venin

Voie royale au gré de laquelle

Nul ne t’échappe dont tu as surpris

L’esprit fragile

L’inclination à la soumission

L’aptitude à vivre

Sous l’emprise d’un rituel

Il te faut cette trace impériale

Cette filière d’argent

Qui signe le chemin

De ton inextinguible

Désir de possession

Il te faut être toi

Jusqu’en l’extrême

D’une ivresse

Ceci ou bien rien

Autant dire ta fascination

Pour les facettes

Éblouissantes

De

l’Absolu

 

***

 

Non tu ne dévores nullement

Ceux qui sont tombés dans ton piège

Leur inféodation suffit

A faire briller le dard de ton esprit

A allumer cette flamme

De la Passion 

 Cette étonnante rubescence

Qui s’alimente à son propre feu

Qui jamais ne s’éteint

 

***

 

Pourtant ta chair est

Si douce

Ta peau si nacrée

On croirait l’innocence

D’un Chérubin

Et tes deux mains en berceau

Qui ceignent ton cou

Quelle candeur

Quelle disposition

A regarder le monde

Avec une naturelle fraîcheur

Avec une ouverture à tout Destin

 

***

 

Les stigmates sont visibles

Par lesquels ton péché d’orgueil

Se donne à voir

Comme ton originelle nature

Pourtant tes Amants

De passage

Ne t’en tiennent nullement rigueur

Leur passion à eux

S’enchaîne à la tienne

En la remerciant

En l’idolâtrant parfois

Demeure en ton effective présence

Garde en toi ce feu qui altère

Et détruit tous ceux

Qui ont un jour croisé ton chemin

Parfois le Mal

Est-il plus supportable

Que le Bien

Que serais-je

Sans cette subtile aliénation

Sans cette dague

Qui creuse mon intérieur

Et me dit l’unique beauté

De ma condition

Que serai-je hormis

Cette feuille d’automne

Sans autre but

Que de chuter au sol

Que serais-je

 

***

 

 

 

 

 

 

 

 

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16 septembre 2023 6 16 /09 /septembre /2023 17:03
« Au creux de la tendresse ».

« Au creux de la tendresse »

Avril 2013 - Nadège Costa

Tous droits réservés

***

 C’était une à peine respiration dans la lumière levante, la translation d’un nuage contre le linge du ciel, l’envol du héron sur la rive du lac. Cela se produisait, pourtant, et le doute était là qui faisait ses confluences. Aussi bien vous auriez pu ne pas exister, être l’effleurement d’un songe, l’image reflétée par un miroir dont le tain aurait été lustré par le caprice de l’imaginaire. J’étais sujet, il est vrai, à me construire châteaux de sable et hallucinations comme si quelque peyotl eût troublé mon habituel breuvage. Le monde que je regardais était cette étonnante disparition des formes, leur troublant métabolisme qui les écartait d’elles, de leur propre réalité et les versait dans les remous de cristal d’un constant onirisme. Plus que d’un spleen baudelairien ou bien d’une blancheur mallarméenne butant contre le vide de la page, j’étais atteint d’une manière de transparence comme si choses et gens se fussent ingéniés à passer outre mon corps sans qu’ils en fussent alertés. A parler vrai, j’étais dans les limites d’une invisibilité qui ne dialoguait qu’avec elle-même et l’inaperçu dont j’étais une simple nervure ne m’affectait guère plus que la chute du temps dans la gorge du sablier.

 Comment, dans le clair-obscur de cet hôtel de la Côte d’Opale, dans la brève lueur grise des galets, eussé-je seulement pu imaginer votre présence ? En tracer les contours ? En décrire la palme ouverte, ses battements infinis - diastole, systole - jusqu’à une manière d’affolement ou bien de vertige et alors, du monde, rien ne tenait plus que cette vibration indistincte. Alors l’en-dehors n’était plus que l’altération de mes sens brouillés et une brume native noyait la courbure de mes yeux jusqu’à la perte de la vision, sinon totale, amputée de l’entièreté des choses à paraître. Racines de l’arbre et ramures se perdant dans l’effeuillement du jour. Socle brun du rocher et bulles de gaz qui le trouèrent en un temps immémorial. Proue d’une barque bleue que le ressac fait clignoter au sommet de la vague. Vous étiez pareille à cette image tremblante oscillant sur la toile blanche du cinéma d’antan, brèves apparitions parmi les zébrures du film et brusques sauts à la limite de l’écran, autrement dit d’une possible disparition. Jamais l’on ne s’attache plus fort à une silhouette qu’à son illusoire et brève présence. Un passage de l’ombre à la lumière puis la fermeture du rideau rouge et la salle plongée dans un silence cotonneux. Voici, de vous, de votre éclair dans ce matin de brume, ce qui est resté et demeure comme une braise forant de l’intérieur une conscience que j’anticipe, bientôt, dans sa plus grande altération. « Ombilic des songes » et le spectre d’Antonin, livide et dépouillé de soi fait son mime sur quelque scène de théâtre vide. Mais a-t-il seulement joué pour autre que lui ? A-t-il existé en dehors de sa propre douleur, à l’extérieur de la camisole de son génie ?

 Voici : le gonflement des lèvres au bord de la profération du poème ; l’ubac du menton que l’ombre du désir dissimule dans sa perte prochaine ; le glissement blanc d’une joue ; le pendentif et ses perles de corail disant la beauté de la parure, son élégance ; l’incroyable surgissement du cercle de l’épaule pareil à la plénitude après le reflux d’un chagrin ; la parenthèse de la vêture qui voile à peine ; la naissance de la gorge, son sublime renflement afin que, de l’amour, soit connu le vertige. Et, surtout, abrité par la corde étroite de la clavicule, ce « creux de la tendresse », creux à nul autre pareil. Ici s’origine tout ce qui chante et appelle, tout ce qui attire et s’éploie jusqu’à la limite de soi et annonce refuge et retour au sentiment primitif d’exister. Oui, ceci est la conque où trouver abri et ressourcement. Oui, ceci est la doline dont toute femme sur terre nous fait l’offrande à condition que nous sachions en déchiffrer le mystère. Voici, vous apercevant dans la fuite verte de la lumière, ce que j’avais compris : j’étais en deuil de cette pure forme d’amour qu’un jour enfant, je connus au contact de celle qui me confia au projet d’exister. Vous en étiez, ici, la troublante résurrection, le rythme alangui au seuil du jour alors même que je naissais à moi-même dans la complétude d’une révélation. Depuis, combien de Côtes d’Opale ont dérivé dans l’éparpillement infini des secondes, combien de dolines accueillantes bordées de la lueur éteinte des galets, de la brume de la Mer du Nord, du cri des oiseaux blancs se perdant dans la grande dérive hauturière, Combien ? Vous reverrais-je jamais, vous qui avez rendu la lumière à mon regard ? Vous reverrais-je, au moins en rêve ?

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13 juillet 2021 2 13 /07 /juillet /2021 16:17
La Causerie des Jours.

   Combien de fois étais-je passé devant la maison rose ? Je ne saurais le dire. La seule certitude, ne vous avoir jamais vue. Pas même aperçue. Votre silhouette eût suffi à mon bonheur. La simple vision d’une fuite, l’envol d’une écharpe, la corolle souple d’une robe et, à défaut, peut-être, l’image d’une bicyclette que j’imaginais haute, pareille aux vélos de légende des Hollandaises près de l’eau d’un canal. Oui, il fallait toujours que, d’une manière ou d’une autre, je sois rattrapé par cet incorrigible romantisme. Pourtant le XIX° était si loin, Musset un simple souvenir dans les arcanes de la mémoire et « Les Caprices de Marianne » semblaient bien au-delà de Naples, dans un monde révolu. De nos jours il n’y avait plus guère de Cœlio pour déclarer leur flamme à l’épouse d’un juge et faire son siège, espérant sa chute prochaine.

   Peut-être n’existiez-vous qu’à l’horizon de mes chimères et il faudrait, un jour prochain, me résoudre à emprunter un autre itinéraire et faire mon deuil de celle que vous n’étiez qu’à l’aune d’une espérance. C’est bercé par ces idées sombres que je gagnais les quartiers de la ville où se trouvaient la plupart des restaurants. A l’angle d’une rue, surmonté d’un pignon en encorbellement, un café aux vitres dépolies derrière lesquelles des gens consommaient des boissons d’un air rêveur. « La Causerie des Jours », telle était l’enseigne de cette halte pour âmes romantiques. Mon inclination naturelle au sentiment, ma complexion mélancolique, ma sensibilité aiguisée comme la faux, tous ces états d’âme, que je jugeais stériles, me rattrapaient et me clouaient à l'incontournable réalité de mon être. 

  C’est en proie à ces dérisoires pensées que je tournai le coin de la rue. A peine oubliée « La Causerie », une jeune femme dont je pensais qu’elle était l’exacte réplique des « Jeunes filles en fleurs » de David Hamilton, me dépassa, juchée sur un haut vélo au cadre noir. Je ne pouvais en douter. C’est vous qui pédaliez avec cette belle aisance. Votre robe rose et fleurie faisait ses cercles printaniers dans le vent qui se levait. Vos cheveux attachés en queue de cheval flottaient et vos ballerines blanches dessinaient, en tournant, l’espace du bonheur. Je me hâtai de remonter en direction de la ville haute. Bientôt la minuscule place, son unique chêne à la large ramure, bientôt la maison rose. Contre le mur, un vélo : le vôtre, assurément. Sur le trottoir de ciment une carte avec l’enseigne de « La Causerie ». Oui, c’est bien là qu’il me faudrait aller, bientôt. « Causerie », ce vocable un peu désuet et précieux qui me faisait penser à Balzac, bizarrement, ce réaliste social dont vous paraissiez éloignée, tellement un vibrant sentiment, à l’évidence, vous habitait. Soudain vous deveniez cette Marianne dont je rêvais, soudain je devenais Cœlio, cette âme exaltée ne vivant que de vous savoir proche. Oui, proche dans le jour qui baissait. Je n’avais plus que ce souhait et je savais que, bientôt, vous l’exauceriez ! Les causeries n’ont que ce seul but. Lier en un seul mot deux destins séparés ! 

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8 juillet 2021 4 08 /07 /juillet /2021 16:51
Ce qui reste des jours.

Que restait-il des jours dans cet automne finissant ?

Sinon quelques feuilles sur le chemin ?

   

   C’était notre dernière rencontre, notre dernière promenade ensemble, notre ultime cheminement à deux. Novembre inclinait à n’être plus qu’une lumière basse glissant au ras du sol. Nous avancions en silence. A quoi donc auraient servi les mots, nous n’avions plus rien à nous dire. Mieux que nous, les arbres chuchotaient la perte du temps et le ciel se diluait dans des teintes d’eau. Rares étaient les passants à cette heure crépusculaire. Nous l’avions choisie, cette présence 'entre chien et loup', comme une métaphore de ce qui, déjà, nous fuyait et ne reviendrait plus.

    Nous n’étions plus que deux silhouettes que l’amour n’habitait plus, que deux ombres en partance pour plus loin que la conscience. Notre mémoire, plus tard, se souviendrait-elle de cette empreinte si peu visible sur la face des choses ? Une esquisse à peine plus perceptible que le vol blanc de la mouette dans la brume océanique. Longtemps nous avons marché sur le tapis de feuilles qui nous dissimulait aux yeux du monde.

    A nos propres yeux, sans doute. En nous, tout près de l’enroulement de l’ombilic, il y avait un genre de vrille qui creusait et semblait interroger le passé. Bientôt la nuit fit sa tache d’encre que la lune atténuait dans un glacis pareil à une écume. Nous nous sommes séparés sous les premières étoiles. Il n’y avait plus qu’elles pour témoigner de ce qui fut.

 

Que restait-il des jours dans cet automne finissant ?

Sinon quelques feuilles sur le chemin ?

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28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 17:21
Loin, à l’horizon du monde.

Œuvre : Isabelle Mignot.

« Sous les notes qui affluent

Sur le sable que j’effleure

Un seul désir affleure encore

… Toi.

Isabelle Mignot (2015)

*

   C’était comme d’être au fond d’un puits avec, tout en haut, le cercle de la margelle et la lumière de l’air. Ici, tout en bas, les notes étaient blanches et noires avec, parfois, la cendre pareille à un galet. Loin, en arrière, dans les vapeurs du temps, l’eau sourdait avec son glissement de feutre. C’était à peine un murmure, une parole qui n’osait dire son nom. Il y avait danger à ébruiter ce qui, jamais, ne devait se dire qu’à l’aune d’un secret. La mémoire était là, étale, eau d’un lac agitée de moirures illisibles. Comment pouvait-on demeurer en soi dans cet éternel présent qui, sans cesse, se décolorait, retournait à l’invisible néant ? Mais avait-on jamais existé ? Mais avait-on seulement connu quelque chose qui nous accomplît en nous-mêmes au point d’en porter, à jamais, la braise vive, pareille au feu de la passion ? Mais l’amour nous avait-il visité, posant en nous l’irrépressible envie de le connaître à nouveau, de l’installer au centre de notre être, invisible foyer irradiant de la puissance d’un indicible ? Mais étions-nous au moins au monde, racine puisant dans le sol intime les nutriments de son propre métabolisme ? N’étions-nous pas, seulement, une image flottant dans l’espace, la simple fantaisie d’un rêve d’enfant, la pliure amoureuse d’une mère nous révélant avant même de nous avoir conçu ?

   Oui, c’était une vive blessure que de se sentir dans une irrémédiable sustentation, ni en haut dans la fleur dilatée du sentiment, ni en bas dans l’abandon de soi à la gangue primitive. Vertige, flottement, dérive, tels étaient les prédicats qui nous rattachaient au monde avec la discrétion d’un fil d’Ariane. Là, dans la bouche du puits cernée d’ombres profondes était l’immense glaciation de l’âme, la dissolution de l’esprit. Les idées se mouvaient avec des lenteurs de luciole, les pensées se refermaient dans la densité d’une chrysalide à la consistance d’étoupe. C’était un tel effort que de se porter au-devant de soi afin que, vigie à son poste à la proue de la barque, quelque chose consentît à briller de l’ordre d’une présence, se mît à parler dans le cercle rassurant d’une possible raison. Il fallait demeurer et rester coi dans la démesure d’un temps immobile. Pareil à la momie ourlée de ses bandelettes aveugles.

   Mais, soudain, quoi ? Quelle clameur ? Quel feu d’artifice s’allume à la gueule immensément ouverte du puits ? Quelle longue profération nous hissant hors du périmètre d’effroi, nous installant dans l’arc incandescent de la lumière ? Voici ce que je vois, qui illumine ma conscience. Sur l’étrave de mon chiasma, dans l’antre où se croisent les images, voici que jaillit la pure révélation du monde, le poème invisible, l’art en ses manifestations transcendantes. Ô combien la joie est plus douloureuse que la peine. Ô combien la beauté serre la gorge, opprime la poitrine, cercle le bassin dans une ganse de métal ! Il est si douloureux d’apercevoir le rivage et de ressentir l’angoisse du naufragé ! Mais comment atteindre l’autre partie de soi, comment parvenir de l’autre côté du monde, sur l’horizon où brille la présence de l’illimité, l’arche ouverte de l’infini ? Comment ?

   Mais voici que je frotte mes yeux, mais voici que mes paupières se déplissent, mais voici que la vue s’éclaire et qu’apparaissent les images, les merveilles qui nous font tenir debout dans la pure verticalité de notre être. Il y a une plage longue, infiniment étalée sous la caresse du vent. Il y a des pins maritimes que le flux traverse. Il y a des monticules de sable plantés des touffes illisibles des oyats, ces présences si menues qu’elles donnent à la dune la consistance de cheveux flottant entre deux eaux. C’est si reposant, soudain, d’être accueilli, ici, dans l’ouverture du sens, dans la multiplication d’une parole libre. Tout se lève et signifie. Tout ondule jusqu’à la limite extrême de la vision, comme si un mirage habitait l’espace courbe, le fécondant de sa mystérieuse palme.

   Un chant est né du sable, des signes s’y inscrivent, des rumeurs le tissent de l’intérieur. Ce que je vois, ces taches pareilles à l’écoulement de la résine sur l’écaille des grumes, ces surfaces grises si semblables à la couleur de la mélancolie, ces formes si sensuelles qu’elles évoquent le col du cygne en direction de Léda, ces volutes s’échappant, tels des vols de sternes du massif gris des songes, ces baïnes où flottent les eaux du désir, ces graffitis détourant l’amplitude du bassin, enfin tout ce qui ici prend figure, c’est non seulement TOI, mais le visage infiniment ouvert de l’amour, l’épiphanie de ce que tu as à dire en tant qu’existante alors que j’arrive seulement à moi dans la démesure du jour. Demeure donc là, à la pointe du toucher, encore si peu réelle que tu es pareille au nuage que le ciel effleure, que la terre berce de son chant de glaise. Demeure, ainsi nous serons toi et moi jusqu’en notre extrême. Demeure ! Nous serons.

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22 juin 2021 2 22 /06 /juin /2021 16:33
Dans la rumeur de vous.

Photographie : Nadège Costa

Avril 2015

Tous droits réservés

*

   Dans la rumeur de vous

   C’est juste une lumière, l’aile d’un papillon, la visitation d’une soie et rien d’autre que vous ne se présente au monde. La nuit est à peine finie que le jour s’installe avec la paresse de l’aube. Tout dans la caresse, tout dans le retirement de soi. Croyez-vous donc que le temps pourrait s’inverser et nous reconduire aux premiers jours, aux premières rencontres ? Vous souvenez-vous, au moins, combien la brume était légère, les heures étales, pareilles à l’eau grise de la lagune ? Et ce fier campanile qui semblait ne se dresser qu’à fêter notre rencontre. Ce jour est si loin et c’est comme si, jamais, il n’avait été. La cendre envahit tout et l’horizon est une perdition, une fuite que jamais nul cercle ne referme.

   Dans la rumeur de vous

   Voici ce qui me reste et la vie demeure dans son insistance de glu. Mais comment donc saisir ce qui est rêve, cette aile translucide que l’air dissout et les doigts pleurent de leur soudaine vacuité ? De leur silence. C’est comme un vertige de se souvenir. C’est comme une plaie et les braises s’y abîment avec la densité d’un cri. Votre prénom, je ne l’ai même pas connu. Seulement un tourbillon au creux de l’oreille, des meutes de frissons, l’éclair d’un bas pointillé de blanc, un tapis frangé, une tenture faisant son clair-obscur sur la pente de la mémoire. Et pourtant les idées de vous sont si claires. Pareilles à la trajectoire parfaite de la flèche et la cible est trouée en plein cœur. Et la cible ne tient qu’à recevoir la prochaine pointe qui la déchirera. La laissera à demeure pour l’éternité.

   Dans la rumeur de vous

   Soudain il fait si froid dans le corridor des pensées. Le petit hôtel au bord du canal. L’escalier de pierre grise, les battements de l’eau. Et votre si légère vêture, à peine une buée, la stridulation d’un grillon. Mais pourquoi donc ceci a-t-il eu lieu qui n’aurait pu être que rêve ou bien fantaisie de l’imaginaire ? Qu’y avait-il d’urgent à habiter l’espace d’une étreinte cette fenêtre cernée d’étranges lueurs ? On entendait les noctambules, les claquements des escarpins sur le pavé. Nous avons vécu de ce rythme jusqu’à ce que la première clarté vienne vous ravir à moi. Vous êtes descendue fumer sur le quai de pierre. Vous étiez si peu vêtue mais à cette heure matinale, seuls les pigeons vous savaient démunie et fragile.

   Ce qui me reste, cette vision éphémère, ce bitume des bas sur le lisse de la peau, la perle de l’ombilic habitée d’ombre, la parenthèse d’une main sur la gorge nue, puis, soudain l’horizon, de vous, se dépeuple. On a démonté les gradins. Le spectacle est terminé. Les camelots et les bateleurs s’en vont dans un vol de libellule. Voyez-vous, je suis encore à cette fenêtre, les yeux fixés sur votre absence, rivés à la pierre insolente du quai. Elle est muette et je suis sourd au monde. Que votre ombre revienne. Seulement votre ombre. Je la retiendrai dans la geôle de mes bras. Oui, je la retiendrai et nous sombrerons, tous les deux dans l’oubli. Oui, dans l’oubli !

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