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12 août 2020 3 12 /08 /août /2020 08:38
Pensée ferrugineuse.

Le robinet rouillé.

Œuvre : Dongni Hou.

 

 

 

 

   Avant-texte.

 

   Etait-ce la pente de l’humain qui avait été jouée aux dés par un inconscient démiurge ? Etait-ce le hasard qui avait tendu ses pièges ? La liberté était-elle une simple hypothèse ; avait-elle fait défaut ? Etait-ce la faute d’une naturelle entropie ? La Nature était-elle en cause ? L’Histoire, la Religion, l’Art, toutes ces entités Majuscules qui se déclinaient sous la forme d’une indépassable présence, avaient-elles fomenté de sombres desseins dont les Existants auraient été les innocentes victimes ? La Science avait-elle poussé trop loin ses investigations ? La Philosophie n’avait-elle pas abusé de son pouvoir d’abstraction qui, peut-être, n’avait fait qu’entretenir quelques illusions, allumer la flamme de vénéneuses passions ? La Littérature, en mal d’imaginaire, n’avait-elle choisi la chute facile du récit dans le quotidien, la banalité ? Les Astronomes ne s’étaient-ils enquis des limites de l’univers dans une manière de vertige qui les avait emportés dans leurs stellaires spéculations ? Les Artistes, en proie au démon de la nouveauté, de la tyrannique modernité, ne s’étaient-ils confiés à des représentations dépourvues de sens où quelques taches et éclaboussures tenaient lieu des exercices académiques des Antiques ? L’Education renonçant à inculquer les principes de la morale n’avait-elle bradé toute considération éthique au seul prétexte d’une mutation des conduites humaines ? Le carrousel des questions était infini, les réponses inatteignables par essence. Il fallait dresser des constats, décrire, essayer d’interpréter tous les signes à portée de la main. Le chantier était aussi vaste qu’entaché d’une illisible réalité.

 

   Hier.

 

   La pensée ne posait pas de problème. Elle manifestait une sorte d’évidence, elle était coalescente à l’être de celui qui la portait, comme la feuille l’est à l’arbre, simple terminaison qui flotte au gré des vents heureux ou bien contraires. On cheminait dans le cercle de la clairière et l’on pensait la clairière, on en sentait la belle circularité, l’aire propice au repos, le lieu où faire épanouir son désir de solitude. Hier. On longeait le ruisseau et l’on était cette onde claire, limpide qui faisait ses lunules et ses scintillements tout contre l’âme éclaboussée d’un vivant et voluptueux romantisme. On descendait la pente de la montagne et on en éprouvait le tapis d’herbe rase, les touffes de jonc qui couraient sur ses flancs, on était moutons au lainage mousseux ou bien berger avec sa meute joyeuse de chiens noirs et blancs à l’allure si plaisante, à la si vive intelligence. Hier. On escaladait l’épaule de la dune et l’on vibrait de tout son corps, tel une touffe d’oyats agitée par le vent du large et l’on se fondait à même les minces fragments du mica qui couraient de crête en crête sous la poussée illisible du ciel. Hier. On croisait le quidam sur la route solitaire et l’on devinait sa muette demande de nous rejoindre en quelque lieu de rencontre. Et l’on était lui en même temps que soi. On marchait le long de la mer et la pensée était ce flux immense qui allait d’une rive à l’autre de l’Océan, battait les rives d’une écume songeuse, tissait les mailles souples du poème. Hier. On dansait et le corps de l’autre n’avait nul besoin de paraître en sa réalité matérielle, le rêve suffisait qui l’habillait des atours de la beauté. Hier. On se déplaçait au rythme de la foule et l’on était ces milliers de jambes, ces milliers de têtes dans les grottes desquelles on entrait, étonnants spéléologues en quête de nous-mêmes, de l’autre en son étrange singularité. On était au théâtre et l’on vibrait à l’unisson des consciences posées sur les sièges contigus, on partageait son émotion, on communiquait le tremblement de son esprit, la flamme de son âme. Hier. On visitait le musée et l’on était la toile, l’oeuvre, l’Artiste, le Voyeur qui, à côté, faisaient le don de leur joie ou bien de l’effervescence de leur sentiment avec le sourire de la complicité. Hier. On entrait dans le temple sacré et l’on devinait l’énigmatique présence du dieu, son étonnante transcendance que l’on saisissait à même son propre frisson ou bien à l’aune de ceux des Visiteurs qui communiaient dans un même élan, saisis d’une envie de participer, de se fondre dans une universelle et unique sensation.

   La pensée était claire, immédiatement disponible, sensible à la dimension de l’altérité, ouverte sur le monde, polyphonique, développant une sémantique plurielle, faisant appel aux ressources de la nature, de l’humain, de la culture, du brillant des civilisations. Elle était ce métal éblouissant, peut-être acier aux reflets bleus, cuivre à la teinte de feu, éclat du chrome, luxe du platine, puissance de l’airain. En un mot elle était inaltérable comme peut l’être une idée sublime, une des déclinaisons de l’art, la richesse d’un beau sentiment.

 

   Aujourd’hui.

 

   Aujourd’hui. Le temps file avec la rapidité de la cascade à franchir les barres de rochers. Dans le boyau de terre noire, au milieu des voitures qui oscillent au rythme fou de leurs bogies de fer, les Casqués sont les Nombreux, les Erratiques figures qui foncent dans le lugubre tunnel de l’inconnaissance. Ils sont pris dans la nasse de la multitude. Engoncés dans la geôle de chair. Ils sont SEULS. Seuls au milieu de la foule solitaire. Seuls dans leur solitude. Aujourd’hui. Un vent glacial souffle dans les spires de la cochlée où se déversent ce qu’ils croient être les bruits du monde qui ne sont que l’écho de leur propre vide. Cadence syncopée qui mutile les tympans, rebondit sur le tamtam de la peau, percute chaque pouce carré d’épiderme. Nulle parole qui féconderait, annoncerait la présence humaine. Seulement des trilles de percussion disant toute la violence d’être, ici, dans ce non-lieu, cette terre d’absence. Aujourd’hui. Ils sont les Insulaires. Les Robinson qui n’attendent nullement un providentiel Vendredi. Ils sont des coques fermées, des huîtres perlières à la nacre avortée. Nulle perle. Nulle espérance de la petite boule qui serait annonce de richesse. Intérieure, métaphoriquement parlant, s’entend. Des Casqués montent. Des Casqués descendent. Cécité sur cécité. Nul n’aperçoit l’autre qui ne voit celui aux yeux soudés qui l’a isolé dans sa cellule. Au coin des yeux des boules blanches pareilles à celles des chiots nouveau-nés. Sans doute les humeurs du non-voir, du regard retourné sur sa propre occlusion. Aujourd’hui. Bruits de pas. Martèlements sourds. Coups de gong. Plus de parole. Les Casqués parlent à leur alter ego de fer. Minaudent. Gestes obscènes parfois, à la limite de l’exhibition. Ils ont dépassé toute mesure humaine. Ils rétrocèdent. Ils vagiront bientôt. A moins qu’ils n’éructent quelques borborygmes semblables aux premières manifestations articulées de l’Homo sapiens. En pire. Ils ont la même allure voûtée, ramassés qu’ils sont sur la graine étroite de leur ombilic. Aujourd’hui. Ni ne voient, ni n’entendent, ni ne touchent, ni ne font de signe qui dirait la présence de l’autre. Fût-il Casqué.

   Aujourd’hui. Salle d’Attente. Qu’ils écrivent « Sale Attente », comme un geste prémonitoire, un aveu de faiblesse, la manifestation d’une incurie, la signature de la perte du langage. Ils sont sans essence. Aporétiques. Les mains vides. Ne le sachant pas. Nihilisme accompli. Aujourd’hui. Une famille : trois Casqués. D’autres, dans la salle, Lecteurs sur des chaises. Rêveurs sur d’autres chaises. Qui lisent. Qui pensent. Qui rêvent. Qui projettent. Eve-Casquée pianote sur un clavier qui crépite. Rapide tapotement du bout des doigts. Eclairs bleus sur la boîte de métal. Jouissance visible d’être reliée à la Boîte-Nourricière. Cordon ombilical attachant la ci-devant à sa génitrice. Médecin dans l’encadrement de la porte. Un nom est émis. Un Ordinaire se lève. Qui pose sa revue. On ne voit plus que son sillage dans le jour qui décline. Aujourd’hui. Adam-Casqué s’agite en cadence. Etranges sinusoïdes qui dessinent sur son visage les traces de la joie. Visage plein, rond, fendu d’un large sourire. Médecin. Autre patient. Le monde n’existe pas. L’autre n’existe pas. Aujourd’hui. Soi seulement existe avec son petit lumignon qui vacille, sursaute, vibre, jouit, jouit, jouit. Héritier-Casqué se balance, fasciné par une catapulte de sons dont on devine l’urgence à être connus, à se précipiter dans la forteresse de chair. Pure félicité intérieure qui déborde des lèvres, fait son glorieux écoulement vers les membres pris d’une étonnante danse de Saint Guy.

   Aujourd’hui. Chaque Casqué dans sa principauté. Chaque Casqué dans son pour-soi bien hermétique. En guise de pour-soi, ils vont plus loin que Sartre. Quant au pour-autrui ils n’en perçoivent goutte. L’en-soi est à des années lumière avec son bruissement de comète. Aujourd’hui. Ce que veulent tous les Casqués de la Terre, c’est réifier leur ego, en faire cette boule dense, ferrugineuse, ce robinet rouillé dont Dongni Hou a doté son Modèle avec une si belle vision subversive. Nous y voyons une critique de la dimension anthropologique en quelques signes symboliques qui ne sauraient tromper les Ordinaires, ceux qui voient avec exactitude, entendent avec justesse, pensent dans la rectitude de l’être. Alors, comment mieux décrire que par une parodie figurative, textuelle, ce qui se montre comme une inquiétante euphémisation de l’homme ? Le règne du nihilisme accompli qu’annonçait le Zarathoustra de Nietzsche, que portaient à son accomplissement les craintes heideggériennes de l’aliénation de l’être sous les coups de boutoir de la Technique en son inquiétant rayonnement, voici que toutes ces idées qui paraissaient n’être que de vagues prophéties, de sombres plans sur la comète, montrent le désarroi qui est celui de l’homme moderne confronté à des puissances qui le dépassent et le déportent dans un territoire qui l’exile de sa nature.

   Aujourd’hui. Les temps sont venus d’une immense solitude, d’un surinvestissement de l’ego sous toutes ses formes, y compris les plus pernicieuses. La courbe de la métamorphose des conduites est nécessairement exponentielle puisque, chaque jour qui passe, décuple la puissance dévastatrice des Machines. En accroit le pouvoir de suggestion, de fascination, donc de mystification. Nous n’avons plus de dieux veillant sur nos destins du haut de l’Olympe. Nous n’avons plus de sacré à enclore dans quelque temple à la belle architecture. Nous restent les Boîtes Magiques dont le destin, comme toute boîte, est de subir les attaques temporelles, de se soumettre aux assauts de la rouille.

   Alors nous visons la proposition plastique de l’Artiste avec la juste inquiétude attachée à toute lucidité. En lieu et place de la fontanelle qui nous reliait à notre plasticité originelle, voici qu’apparaît une simple ailette statique, vraisemblablement bloquée, une poignée dont la fixité même fait signe en direction d’une impossibilité de croissance des cerneaux du cortex, cette sublime matière grise siège de l’intellection. Comme une hébétude ne proférant plus qu’un infini silence. Le lobe temporal, cette aire d’accueil des fonctions cognitives, ce site privilégié de l’audition, du langage, de la vision des formes complexes, laisse la place à ce corps de métal anonyme dont la fonction, loin d’être apparente, se dissimule sous l’aspect d’une réalité qui semble ne plus saisir sa propre finalité. Et que dire de ce merveilleux lobe occipital qui synthétise les images, genre d’immense écran de cinéma où puise sans doute l’imaginaire, où s’animent les rêves, du moins peut-on le supputer ? Il n’est plus constitué que d’un tuyau terminal coupé de sa source comme si toute possibilité de représentation trouvait là son point de chute. Et l’œil, cet organe si mystérieux en même temps que précieux pour l’homme, symboliquement subtil récepteur des stimuli sensoriels, convertisseur des énergies dont la lucidité fera son matériau privilégié, le voici réduit à l’extrémité d’un robinet asséché qui trouve là la fin de son utilité. Comme une tragique préfiguration de la mort de l’homme, finitude matérialisée, dernier stade avant que l’absurde n’ait commis la totalité de ses basses œuvres.

 

   Demain.

 

   Demain. Que sera-t-il ? Un retour au passé ? Une reconnaissance des Antiques ? De leurs puissances à créer la démocratie, à établir les lois, à inventer l’astronomie, à jeter les bases d’une nouvelle philosophie ? Demain. Que sera-t-il ? La grandeur d’une Renaissance avec ses œuvres à la si exacte beauté ? Ou bien un retour à l’obscurantisme du Moyen-âge, à ses mœurs grossières, à ses luttes intestines. Demain. Que sera-t-il ? L’éclosion d’un Siècle des Lumières qui jetterait les bases d’une vision renouvelée de la Raison, d’une inclination singulière en faveur du Sentiment ? Une ère des Encyclopédistes ? Ou bien l’amorce d’une Révolution ? Le début d’une Terreur ? Le retour d’une Monarchie absolue avec ses rêves d’hégémonie ? Ou encore l’Empire ourlé de ses certitudes de conquête universelle ? Demain. Que sera-t-il ? Un siècle de Machines ? Une ère d’Humanisme ? La déchirure d’une barbarie ? L’abîme de la pensée ? Le chaos de la poésie ? Le néant ouvrant ses ailes immenses ? Demain. Que sera-t-il ? Tout est en germe dans tout. Le bon grain comme l’ivraie. Demain. Que sera-t-il ? Qu’encore nous ne pouvons seulement envisager, pareils à des enfants dans la fleur de l’âge qui ne peuvent embrasser le monde de leurs bras si fragiles ? Demain ? Existera-t-il vraiment ?

                                                                                                                                      JPBS.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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17 avril 2020 5 17 /04 /avril /2020 08:05

 

OMBRE et LUMIERE

 

 

regard-touareg

 Source Útkereső blogja

  Note : Voici un texte fonctionnant essentiellement sous le registre de l’imaginaire, de l’intuition. Nulle allégeance à un quelconque sacro-saint principe de raison, nulle référence à une pensée logico-rationnelle. Ce qui veut se dire ici, de l’ordre de l’ombre, de l’essence de la lumière ne peut transparaître qu’en filigrane, sous une forme particulière. Certes déroutante, certes atypique mais sans doute plus efficace qu’un discours rigoureux. Du reste, certains objets du discours échappent, par leur nature, à tout essai de démonstration. Plutôt se laisser aller à une manière de dérive langagière : entre deux eaux. Plutôt se livrer aux méandres oniriques.


    Le regard.

A l’origine, à peine une lueur dans les lointains du temps, un plissement douloureux du magma, une sphère blanche au milieu.

Tâche circulaire qui veut étendre son emprise, rayonner dans l’espace.

Mais, au début, il n’y a pas de lieu où exister, pas de fuite possible. Etau noir qui resserre ses mâchoires, veut contraindre à la disparition la couleur originelle.

Mais la couleur ne renonce pas, se contracte, diffuse ses dendrites, lance ses rayons. Blancs filaments de myéline semblables aux cheveux des comètes.

Nul dans l’univers ne le sait, mais le REGARD vient de commencer. Il aiguise son trépan, il affûte ses drôles de diamants. Il veut forer l’espace. Il veut ouvrir la bogue de la vérité, faire surgir les dards, percer la peau. La faire éclater : seule issue possible. C’est vraiment cela que veut faire le regard : enfoncer son coin de métal dans l’écorce terrestre, creuser des failles par où se verront les racines.

Ouvrir le monde. Regard-silex entaillant la conscience. Regard aigu comme la pointe des flèches.

    Les yeux - le noir.

Murs de charbon. Ciel hermétique. Etau. Etau.

Autour des yeux sont les signes d’ébène, les signes d’obsidienne. Ils creusent la nuit.

Ils sont canines. Incisives. Ils veulent lacérer la chair, la manduquer.

Pulpe ligneuse. Racines. Les longs rhizomes sombrent les cavités, gluent les abîmes. Grand est le silence dans les orbites vides par où le vent s’engouffre.

Gouffre du ciel noir que n’habite nul horizon. Seuls les grands arbres décharnés sont plantés dans la terre et leurs hiéroglyphes cinglent le ciel. Ciel vide d’éclairs.

Les nuages sont si denses, cotonneux, pressés comme l’étoupe. Noir silence que traversent les cercles étroits des paroles scellées.

Pierres de lave refermées sur leur sourde clarté. Tout est si noir dans l’espace étréci.

Tout si noir. Hachuré. Traits de fusain, coulées de cendre perdues. Goudron. Goudron.

    La tête - Le noir.

Noirceur du sommeil. Blanche noirceur du sommeil sous les fulgurantes étoiles du rêve. L’outre de la conscience s’est étrécie, s’est réduite à la taille de l’ombre. Ombre onirique rapide, sorte de cil vibratile, battement infime de diatomée.

Le noir est répandu partout, à la façon d’une membrane tendue. Aile de chauve-souris. Cris perçants du silence.

La tête est un chaudron de bitume et le chiasma des yeux une étrave ensablée. Etrave serrée dans l’eau lourde, marécageuse, parcourue de filaments de suie. Tête encagée dans les mailles d’acier. Le limaçon des oreilles, envahi de grenaille, tinte dans le gris. Dans la mesure étroite du jour.

Mais où la lumière ? Où le rayon ? Où le chemin ? Tête d’os encadrée de poudre noire. Tête en forme de boulet de canon. Où la mèche ? Où le détonateur qui incisera de feu les nervures, distendra les cerneaux ? Qu’enfin coule la poix nocturne ! Et la matière grise, pourquoi la nommer ainsi ? Pourquoi pas "l’étendue noire" ? ; "le sombre cachot où se terrent les idées" ? ; "les hameçons métaphysiques" ? La nommer métaphoriquement : "cancrelat" ; "étuve immonde" ; "creuset d’où rien ne sort" .

Tout est si noir dans les veines charriant du sang épais, putride. Qui donc a parlé d’idées lumineuses ? Et la lumière où est-elle ? Qu’on m’apporte donc de la lumière ! Un seul photon entier, rond comme une bille, éclatant comme mille soleils ! Un seul photon et du cosmos surgiront mille étoiles de feu.

Mais rien ne sort jamais de la tête noire. Sauf le chaos, le vertige et des billes de coke et des coulées de lave brune et des scories mauvaises. Où donc le remède pour décolorer l’ombre ? Où donc la clé pour habiter la faille oblique des jours ?

    Les yeux - Le soleil.

Depuis toujours les yeux savent cette clarté que diffuse l’étoile solaire. Depuis toujours ils savent ce rayonnement qui jaillit de l’astre blanc, cette parole de l’origine.

Les mots ne sont que cela : des éclats de lumière. Vous le saviez avant même le premier clignotement de votre conscience. Vous le saviez depuis l’antre primitif, la conque où flottaient les eaux primordiales. Les eaux douces, pures, qui bruissaient de mots. Du fond de votre cécité vous les perceviez ces éclats dans la nuit, ces feux de Bengale. Comme une couronne tressée, une comète enveloppante. Vous n’étiez alors qu’une parole celée, une idée fossile. En attente seulement. En attente du dire qui déploie, ouvre, rayonne. Membrane amniotique tendue sous les eaux. Tendue jusqu’à l’effraction qui libère, ouvre la voie à ce qui, depuis toujours, veut surgir à la clarté. Que proférer autrement que par la lumière ? Que dire autrement que par l’étoile blanche dispensatrice du cosmos ? Toutes les choses de lumière nous parlent. Toutes les choses nous parlent de lumière. Depuis la grande couronne qui gravite autour de la sphère brûlante jusqu’au tremblement de la luciole. Tout dans l’étincelle. Tout dans le scintillement. Tout dans les pupilles qui scrutent l’espace. Là est la seule réalité : diamants à la pointe des herbes ; miroirs inclinés des vagues ; clignotement des étoiles dans le ciel tendu comme un schiste.

Là est la seule réalité, avant que les yeux, en forme d’amandes étrécies, ne soudent leur porcelaine. Sclérotique biffée. Dure-mère retournée comme un gant. Lumière occluse. C’est toujours ainsi à la fin. Ombre. Ombre. Ombre.

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8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 08:17
Aube.

Heure matinale

Appelle

Heure sans nom

Personne encore

Sur bords monde

Hommes sont gîte

Femmes dorment pliées

Grands voiles blancs

Bruits font sourdine

Quelque part

Dans ventre terre

Près fleuves magma

Où bouillonne vie

Sourde densité

 

Personne longe

Bleu glacial

Fente boréale

Par laquelle dit

Unique beauté choses

Tremblement divin

Feu sacré

Emblème lequel

Annonce parution jour

 

Ombres noires

Bitumeuses

Gagnées intérieur

Longue mutité

Reflets seulement

Brillances seulement

Rutilances seulement

Comme incantation

Triplement proférée

Chant outre-tombe

Lueur outre-vie

Fugue inaperçue

Fuite temps

Fil éternité déroule

Insu consciences

 

Quelqu’un né

Offrande heure

Sur point s’ouvrir

Quelqu’un respire

Quelqu’un avance

Quelqu’un parle

Immobile

Se met mouvoir

Voix lance volutes

Corps tumultes chair

Yeux sont phares

Balaient espace

Feux questionnants

 

 

Plus rien repos

Foules envahiront agoras

Rires éclateront fente lèvres

Rides déplieront cimaises fronts

Pieds martèleront  sol assiduité

Partout seront clameurs

Partout seront gestes

Partout seront décisions

Entamant pellicule heure

 

Plus rien lieu maintenant

Girations

Pullulations

Gravitations

Monde né lui-même

Douleur parturition

Infinis seront mots promesses

Décisions enfanteront

Marche harassée humains

 

Entend plus

Susurrement aube

Venue saturée millions voix

Etranges Babel

Milliers confluences

Etranges estuaires

Centaines babils

Etranges éploiements

Nécessité mondaine

Oui Mondaine

Attend Soi

A venir Présence

Oui Présence

 

 

 

 

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6 décembre 2017 3 06 /12 /décembre /2017 09:42
Fabrique de l’Homme

Photographie : Blanc Seing

 

***

 

   Murs de moellons jaunes. Murs de lézardes. On entend le vent mugir, les poulies se balancer dans le vide, les machines tisser des mots que creuse l’ennui, que torpille la sombre démesure des délibérations obsolètes. On ne reconnaît guère  ce qui autrefois chantait, allumait dans la garbille des yeux la densité et la mesure de l’accompli en sa garance. Oui, c’était si beau disent les pêcheurs de lune et les histrions, ces mimes que le son mélodieux de la flûte disposait aux sourires des anges et aux bluettes zodiacales.

  

***

 

   On est là, debout, planté dans la masse solaire, gluante. Feu du ciel qui tricote tout contre sa meute ossuaire les lames d’effroi, jette dans la fournaise de l’âme sa langue glacée. Ô froid néantique. Ô rumeur givrée qui glavaude les mors de l’esprit, taillade les ramures de chair, fait couler dans l’outre de sang le chant igné de la finitude. Ô pourquoi faut-il que ce qui est là devant s’agenouille, se prosterne dans la plus violente déraison ? Dante y perdrait son latin, y brûlerait les cercles de la félicité, il ne demeurerait que quelques braises soufflées par Eole et les dieux seraient marris de voir tant d’hébétude humaine.

  

***

 

   Il fait un froid de gerfaut et les dents claquent dans le corridor de la bouche. Et le toboggan de la gorge et les dagues plantées en plein le vide sidéral. Le vide de cristal. Les poumons soufflent leur haleine de forge. Des poutres métalliques, rongées par l’acide du temps, descendent des rhinolophes à la bouche acérée. Filent mauvais coton. Ruminent idées noires. Mines de charbon, boyaux étroits, mineurs, Gueules Noires couchées dans la veine sidérante, la silicose sculpte dans les traverses du corps lacéré les dentelles de l’agonie.  Dentelles de la Mort. La Grande Pute au sourire enjôleur, la Grande Maniérée qui fait ses pas de deux dans votre dos, ses entrechats glaireux. Puis un saut. Violent. Comme ou saute au-dessus d’une fosse à serpents. Venimeux. Lianes mercuriales du péché. Ecailles fascinent, envoûtent, puis sombre venin qui poudre le sang des commissures mauves du Trépas.

 

***

 

    Ô pics à manches courts, ô rivelaines qui émondent la colline de poussière. Et y a le Zacharie et ses moustaches en crochets, le Levaque et son chignon perruquier, le Chaval -d’aucuns l’appellent Cheval -, et le Maheu - certains le nomment Emma -, qui veinent dans la veine bitumeuse et ils meurent à petit feu pour des Empires, des Bourses, des Réceptions broquilleuses dans des salons duveteux avec des Dames pigeonnantes, gloussantes, des Messieurs à plastron, à breloques d’or, des valets en goguette, des quenouilles qui girent à l’unisson dans le beffroi étique des idées.  Creuses, abyssales en leur nouille vacuité. Sidérantes en leurs hémiplégiques et comiques pirouettes. Mais mortelles, tellement catafaltiques, dinguefoles jusqu’à la dernière bouchée arsenicale, ô combien ! Voyez-vous on a des Lettres même chez le Poulbot, le Mécréant, le Zigomateux de la grise matière !

  

***

 

  Ah, cela il faut l’entendre de ses oreilles bouchées de cire. Ah cela il faut le voir de ses yeux usés de cataracte avec des stalactites blanches qui perlent au sol la dette de vivre. Ah il faut le longer de ses membres amputés, de sa fougue de culbuto ivre, de la hargne de ses moignons trempés dans l’acide de la confortable ineptie. Il y a tant d’incomplétude malaveuse et de destins crocheteux, tant de mains aux serres longues, tellement de cerneaux où ne s’agitent que des idées insanes en forme de troupanes, en fouillouses à trous par où suinte une éthique à 4 sous, une morale de bousier épidermique.

  

***

 

   La fabrique est de brique et de moellons jaunes.  De bric et de broc. De fric et de frac. De freux et de frousse. Mais entendez donc mugir le Métier avec ses cliquets qui comptent les passages de vie à trépas, avec ses chaînes qui enchaînent, ses lisses qui maudissent. Mais qu’est-ce qui se trame donc dans ces ruines corporelles car la Fabrique est la fabrique du corps. Car les machines, les tubulures sont les rouages, les harnais, les battants, les éclisses de l’esprit qui se robichonnent dans les glavioles de l’impéritie. Mais que direz-vous pour prendre la défense de tous ces Souffreteux de la pensée qui ne pensent qu’à leur propre vertu, à leurs biens - les si mal nommés -, à leur magot, leur matérialité obtuse ? Que direz-vous, sinon fermer votre clapet, devenir cois, rentrer dans votre coquille de gastéropode silencieux ?

  

***

 

   Plâtras jonchent le sol, débris humains, flaques de sueur, soucis encore visibles sur le ciment maculé de haine. Grandes verrières, elles sont ce qui reste d’une conscience calcinée, usée par des années de lutte et de misère. La misère, le désarroi sont encore là, patents, plus réels que le réel, collés au bleu de clarté, suintant du plafond de verre, cet idéal où s’abîmaient les rivières des songes, les cataractes d’espoir. Ô musique arrêtée des vies en ébullition, ô monde. Ô cheveux flamboyants des ouvrières à contre-jour du temps. Grand temps de rouvrir les vannes de ce qui fut, mais dans le tumulte joyeux, la neuve certitude d’être, la reconnaissance des Errants qui ont donné leur sang, vendu leur cœur, usé leur peau à entretenir de vaines gloires, à lustrer des appétits vénéneux. Merdiques pour tout dire. Obséquieux. Pestilentiels. Ô humaine condition qui trie les Méritants et les Laissés-pour-solde-de-tous-comptes. Mais quelle infinie lassitude de s’en tenir à de pareilles sornettes, à de tels galimatias brodés de galons cloutiques et de brandebourgs rafliscoteux !

  

***

 

   Grand temps de reconstruire la Fabrique de l’Homme, de lui destiner une gloire à sa mesure, un bonheur à sa main. Finis doivent être les temps d’aliénation. Il y a tant à faire dans la mesure du jour. Qu’une fenêtre s’ouvre donc sur l’Infini. Oui, l’INFINI ! Seulement ceci sera notre  mesure si nous voulons donner sens à cette marche de guingois sur les chemins du monde. Qu’enfin cela s’ouvre. Nous étouffons tellement d’être hommes et d’en rester là. Oui, là où l’Être en sa pure Vérité devrait apparaître dans la lumière droite du jour. Droite, non biaisée, de guingois ! Et merde aux Nantis et aux Pisse-vinaigre, aux scrofuleux du fric, aux abîmés de l’ego, aux méprisants du Simple. Oui, merde et que Révolution s’ensuive. Et de suite !

 

***

 

   Le Temps, de son doigt innocent, nous pousse vers l’avant, vers l’abîme. Heureusement y a d’la place pour tout l’monde, les Scrofuleux, les Paralytiques, les Plénipotentiaires, les Snobs, les Filles de joie et de tristesse, les Types du CAC 40, les Pharmaceux, les Notaires vériques, les Réfugiés des paradis fisqueux, les  Vierges fioleuses, les Evêques sacerdotaux, les Grands éduqués et les Petits morpions, les Thuriféraires, les Compte-petits, les Picsous, les Oncles Donald, les Psychopathes, les Truffés d’oseille, les Pauvres, les Sans-Logis pareillement, oh oui, y’a d’la place !

  

***

 

   Mon Grand-Oncle François qui avait des moustaches en guidon de vélo, qui lisait Manufrance à l’envers - y savait pas lire et y trouvait le monde bizarre avec ses postes de TSF, ses bretelles Hercule, ses lampes Tito-Landi, ses almanachs Vermot cul par-dessus tête - oui, bizarre et y disait y’a qu’une justice pour les Pauvres et les Riches, y finissent tous dans le trou et y s’enfilait une rasade de gnole à la santé des déjà-morts, des futurs-morts, des vraiment-morts, de ceux qui faisaient semblant de l’être  et qui l’étaient chaque jour un peu plus.  Morts. Parce qu’y en a aucun qui se sauve disait Grand-Père Oncel même qu’il avait pas tort et, je vais vous dire, moi, y a pas de plus Grande Vérité que celle qui se trousse entre les lèvres des Modestes et des Humbles. Au moins, eux, à la Mort ils y vont sans manière et c’est toujours ça de gagné, l’authentique, le sans embrouille, le franc de collier. Les Autres, les Péquins qui se prennent pour le Pape en personne, Morts, de quoi ils auront l’air ? De quoi ? Je vous le demande ? Z’auront l’air fins, je vous l’dis !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 21:03

 

En guise d'avertissement au lecteur.

 

 

  Avant d'entrer dans cet écrit  particulier, très particulier, - on voudra bien excuser la redondance - il est fortement conseillé de se reporter, soit à l'article "Alchimie textuelle" parmi les articles du Journal ou bien de lire ce même titre sur la Page d'accueil du Site.

  Il existe parfois des situations tellement confondantes, tellement cernées de tragédie que l'écriture ordinaire ne suffit plus à en rendre compte. Alors il faut inventer une autre langue. Sans doute abstraite, cryptée, pareille à un sabir, difficile à pénétrer et pourtant ce texte dit quelque chose d'une réalité. Mais il le dit dans une manière d'absence à soi de l'écriture, comme si cette dernière avait été contaminée par la constante déréliction du sujet qui l'a inspirée. Parfois faut-il s'exonérer d'une façon quotidienne de dire les événements afin d'en faire ressortir, non seulement la complexité, mais la dimension de limite, tout près d'une ahurissante finitude.

  Dans ce texte, il est parlé de LUI, sans qu'aucune autre identité que celle liée à ce pronom personnel soit convoquée. En effet, certaines existences en forme d'outre vide tutoient constamment cette manière de non-présence, comme si, par avance, un funeste destin s'était attaché à biffer les traces d'une vie ne parvenant pas à trouver son rythme, à s'éployer.

  Alors, il n'y a plus de fiction possible, plus d'histoire qui tienne debout, - la transcendance vers une quelconque liberté étant, par avance, congédiée - et l'écrit se résume à une sorte de "storyboard" désincarné, mécanique, faisant son bruit de rouages et ses frottements ossuaires. L'existence tellement réduite à une peau de chagrin que le langage ne peut témoigner qu'à se perdre lui-même. Mais se perd-il vraiment, ou bien est-il parvenu à la seule issue qui lui reste afin de décrire cet inconcevable qui toujours a lieu alors que nous cherchons simplement à fuir, à nous voiler la face. Il faut seulement lire et se laisser pénétrer par cet étrange cantilène métaphysique. D'ailleurs, le sachant ou à notre insu, que faisons-nous d'autre en marchant parmi les sentiers égarés du monde ?

 

 

 

LE CORPS LE SAIT

 

 le corps

 

Sur un thème "chiriquien".

 

 

 

 

Lui. Sans âge, il est.

A mi-chemin de la vie.

Peut-être plus, peut être moins.

Indéfinissable.

Lui. La cinquantaine. On dirait.

Le teint basané. Criblé de vent.

Des rides barrent le front.

Calvitie bien avancée,

ménageant deux golfes clairsemés

autour d’une presqu’île de cheveux.

Les yeux : vagues, lointains.

Des yeux qui ne vous voient pas.

Qui sont dans l’errance même.

Dans la non-connaissance des choses.

 

Maigre.

Un trench-coat bleu marine. Cintré. Comme autrefois.

Pantalon noir.

Chaussures noires. Usées.

Les talons surtout.

Les pointes aussi.

Les yeux dans le vague.

Toujours. Ne voient personne.

Vous êtes invisible dans le croisement de lui que vous effectuez.

Les choses non plus. Ne les voit pas.

Sauf les voitures parfois. Dans l’approche du détail.

Se penche. Regarde dessous. Curieusement. Les pneus surtout.

Geste un peu obscène. Peu lui importe votre regard.

Ne le voit pas. Le sent peut-être.

Comme un souffle dans les cheveux.

Seuls les pneus sont vus.

Dans leur réalité de caoutchouc. Noirs.

Seules les gravures des roues sont retenues.

 

Se relève.

Le regard dérivé.

Au-delà de l’horizon.

Au-delà de toute forme humaine. Autre qu’humaine, aussi.

Noir, le regard.

Comme le caoutchouc.

Comme l’ombre.

 

Poursuit le bitume.

Ruban noir.

Passe dans l’impasse.

Nul ne le voit.

Il ne voit nullement qui ne le voit pas.

Pas plus que ceux qui le verraient incidemment.

Jours de soleil parfois.

L’ombre marche devant lui.

Marche sur son ombre qui le précède.

Son ombre derrière lui, parfois.

Selon la position du soleil.

 

Passe sur la passerelle. Sur la rivière. L’eau sur les galets.

Croise des ombres qui s’écartent.

Passerelle étroite.

La cascade de l’eau sur les galets.

Ne l’entend pas.

Longe la haie. Palmes brillantes des feuilles.

 

Tourne l’angle de la haie.

Froid venu du nord. Ne le sent pas.

Impression de ses pas dans la poussière.

Qui ne retient pas son empreinte.

 

Evite le refuge à l’angle des deux rues.

 

Voitures.

Cyclomoteurs.

Vélos.

Passants.

Lui, seul.

Au milieu des trajets.

Les Vivants le dépassent.

 

Rue en pente.

Ses jambes le savent.

Ses pieds aussi.

Ne le sait pas, lui, vraiment.

 

Cabine téléphonique.

On téléphone.

On parle fort.

On rit parfois.

Fort, aussi.

Le rire ne l’atteint pas.

Les pleurs non plus.

Parfois des pleurs mêlés de rire. Venus de la cabine de verre.

Ne sait pas l’origine.

Des pleurs.

Du rire.

 

Nuages du nord. Gris. Poussés par le vent.

Des ombres glissent. Sur le visage. Basané. Tuilé.

Peu lui importe.

 

Bâtiment jaune.

Haut.

Désuet.

Cube de ciment.

Escalier de ciment aux arêtes de fer. Qui brillent.

Dans l’atténuation.

Ciel gris sur les arêtes de fer.

Des fenêtres avec des grilles.

Les devine.

Ne les voit pas.

Trois fenêtres. Devinées seulement.

Des fentes dans le mur.

Deux fentes. Horizontales.

Avec des inscriptions.

Peintes en jaune.

Fentes recouvertes de plaques de métal.

De chrome.

Ne le sait pas.

Le métal brille. Plus que le fer des marches.

Seulement la succession, il connaît.

 

Cabine de verre.

Marches aux angles de fer.

Fenêtres avec grilles.

Fentes de chrome.

Porte bleue. Repeinte.

Ne sait pas la nouvelle couche de bleu outremer.

Bloc de ciment jaune.

Plaque de bois bleu. Complémentaire, la couleur.

Ne sait pas la complémentarité.

 

Ne connaît que quelques points de l’espace.

Repères.

Non, ses jambes savent, elles.

La pente du trottoir.

Le quadrillage de ciment du trottoir.

Ses semelles savent.

Cinq quadrillages après l’éclair du métal.

Ne voit pas l’éclair.

Sait seulement les fentes de chrome, avant les encoches du ciment.

 

Porte bleue. Poignée de métal.

Non de chrome. De métal mat.

Appuie dessus.

Grincement.

Ne l’entend pas.

Sait seulement le tapis à terre. Rectangle sombre sur le sol clair.

Sol lisse. Bruit du caoutchouc sur le lisse du sol.

Six pas.

Il le sait.

Non, ne le sait pas.

Les articulations de ses pieds seulement le savent.

Mouvement de bascule des pieds.

Six pas.

 

Une planche. Bois clair.

Cloison de grillage.

Deux trous dans le grillage.

Poche droite du trench-coat.

Rectangle de carton. Dans le creux de la poche.

Il le sait.

Ses doigts plutôt le savent.

Carton foncé. Posé sur la planche.

Bois clair de la planche.

La main s’y pose. Aussi.

 

Fraîcheur du bois. Ne la sent pas.

Ses doigts la savent, la fraîcheur.

Comme pour le carton.

Il est parlé dans le trou du grillage.

Le carton est tendu à ce qui a parlé.

Disparaît dans le trou.

Bruit coulissant d’un tiroir.

Métallique.

Ne l’entend pas.

Feuille blanche. Avec des signes dessus.

Tendue par le trou du grillage, là où il a été parlé.

Tube de plastique noir.

Sur la planche.

Ne le voit pas. Le devine seulement.

 

Il est à nouveau parlé dans le trou du grillage.

Voix creuse. Sans écho.

Une croix noire.

Sur la feuille.

Ne la voit pas.

Sait le crissement de la bille.

Sur la feuille.

Rectangle de papier bleu.

Lui est tendu.

Par le trou dans le grillage.

Bruit sec de froissement.

Bruit métallique, ensuite, sur la planche.

De bois clair.

Deux fois le bruit métallique.

Les deux fois, il les sait.

Le papier bleu aussi.

 

Dans la poche du trench-coat.

Au fond.

Dans le décousu des coutures.

Les deux ronds de métal.

Le papier bleu. Est plié en quatre.

Sait la pliure en quatre au fond de la poche.

Du trench-coat, bleu, lui aussi.

Doigts refermés. Sur la pliure. Sur les ronds de métal.

 

Des bruits autour.

Pas entendus.

Devinés.

Caoutchouc sur le sol lisse.

Six pas.

Il le sait.

Ses pieds le savent.

Rectangle marron.

Porte bleue.

Avant la porte, la poignée.

Grince un peu.

Il le sait. Ses doigts le savent.

 

Marche à l’angle de fer.

Une seule marche.

Il le sait.

Rainures dans le ciment.

 

Des rires.

Des pleurs.

Dans la cabine. Dans le verre de la cabine.

Passe.

Ne sachant rien des pleurs.

Des rires non plus.

 

Grilles des fenêtres.

Escalier aux cinq marches. Aux bordures de fer.

Loin déjà.

Peut être.

Ne la sait pas, la distance de lui aux choses.

 

Le refuge aux dalles de ciment. Inclinées. Avec des encoches.

Ses pieds le savent.

Ses articulations le savent.

Le trottoir de ciment. Le bord arrondi.

Les chaussures savent le creux dans la semelle. Incurvée.

Dans le franchissement du bord.

Le bitume noir. Les nuages gris. Le trottoir taché de feuilles jaunes.

 

Comme le cube de ciment aux trois fenêtres.

Ne les voit pas, les feuilles.

Ses semelles savent le glissement.

Les orteils aussi. Se recroquevillent.

Les feuilles sont dépassées.

Les muscles le savent. Qui se relâchent.

 

A gauche, des façades.

Blanches.

Des jardins.

Verts.

Des arbres.

Avec feuilles.

D’autres sans feuilles.

Ne voit pas les yeux. Ni les feuilles. Ni les arbres. Ni les façades.

Le vent. Le froid. Ne les sent pas.

 

Les mains savent.

La doublure du trench-coat sait.

Les mains au fond de la doublure.

La droite, la main avec la pliure bleue.

Avec les ronds de métal aussi.

Métal blanc. Brillant au fond de la doublure.

Les fils de la doublure le savent. L’appui du métal. Le brillant aussi.

 

Gravillon sur le trottoir.

Le caoutchouc le sait.

Le tronc à gauche. Brun. Rugueux.

Le coude le sait.

Passe au plus près.

 

La rue à gauche. Etroite.

 

La haie verte à gauche.

 

La grande bâtisse jaune à droite.

 

Le garage derrière la bâtisse.

 

Les yeux ne savent pas.

Les genoux le savent. Les articulations.

 

L’air frais de la rivière.

Le froid sur le front.

Les gouttes d’eau le savent.

Le long des rides.

Les joues aussi. Creusées. Dans l’air coupant.

 

Trois tiges de métal. Peintes en vert.

De chaque côté de la rue étroite.

Les passants les savent. Lui ne les sait pas.

Le passage des gens.

Sur la passerelle.

Les épaules le savent. Qui obliquent.

Le bassin aussi. Qui oscille.

Le courant d’air des passants.

Rien d’autre ne passe que les passants qui passent.

Continûment.

Un frôlement.

 

Des bruits.

On tousse.

On éternue.

On parle.

Les bouches le savent.

Lui ne le sait pas.

 

Une bâtisse haute.

De ciment gris.

Ne sait rien d'elle.

Lui ne sait pas la bâtisse proche.

Le tas de détritus.

L’odeur.

Ne la sent pas.

Les passants, oui. Qui s’écartent.

 

Le portique de ciment.

Au milieu, un portail blanc.

En fer peint.

Ne le sait pas.

 

 

Le bitume tourne. A gauche.

Les pieds le savent.

Le bitume tourne.

A droite.

Container vert.

A droite.

Avec des roues noires.

Ne voit pas les roues.

Le caoutchouc. Les gravures dans le caoutchouc.

Les contours du container.

 

L’impasse.

Au nord.

Le froid. Ne le sent pas.

Au milieu de l’impasse.

A droite, trottoir.

A gauche, trottoir.

Ne les voit pas.

 

Voitures. Ne les voit pas.

Klaxon.

Ne l’entend pas.

 

Avenue.

Circulation.

Flot de circulation.

Ne le voit pas.

Le trottoir non plus.

Les pieds le savent. Les orteils, surtout.

La cambrure.

Les articulations.

Le bitume avec des trous.

 

Le croisement. Traversé.

Klaxons.

Ne les entend pas.

Cris.

Ne sait pas les cris.

Des chiens aboient.

Ne sait pas les aboiements.

 

Trottoir. Les pieds le savent.

Les orteils surtout.

Les articulations.

La cambrure.

 

Grande bâtisse grise.

Grande ouverture dans la façade.

Comme déchirée, la façade. Violée.

Les yeux ne savent pas.

Le corps sait l’ouverture. La béance.

L’air à peine plus chaud à l’intérieur.

Dans le cube de ciment. Un tourniquet de métal.

Brillant.

Comme le chrome des fentes.

 

Cliquetis du tourniquet.

Le tourniquet le sait.

A droite des choses claires.

Ne les sait pas.

A gauche des cylindres verts.

Foncés.

Ne les voit pas.

Au fond de la bâtisse. Des angles de métal.

Verts.

Ne les voit pas.

Le corps sait. S’y frotte dans l’avancement.

Les hanches savent. Rotation des hanches.

Du bassin aussi.

Les jambes savent.

Angle de métal à gauche.

Le corps sait, les chevilles savent. 

Les tendons aussi.

Long couloir jaune.

Rives métalliques.

Boîtes jaunes.

Boîtes vertes.

Boîtes bleues.

Les yeux ne savent pas.

A droite. Longue caisse.

Métal blanc.

Du froid.

Beaucoup de froid.

Les mains ne savent pas.

Feuille bleue dans la jointure des doigts.

Pliure au creux de la jointure.

Les doigts savent.

Articulations bleues.

Cercles de métal serrés.

Les mains savent.

Le pouce sait.

L’index sait.

Le majeur sait.

L’annulaire sait.

L’auriculaire sait.

L’auriculaire ne sait pas. Dans son absence.

Les articulations savent.

La pliure du papier bleu. Dans la jointure des doigts.

Les ronds de métal savent. Dans la pliure des articulations.

A droite. Des lignes de métal.

Entre les lignes, des boîtes rondes.

De métal. Rouges. Bleues. Vertes.

Les mains savent.

Les pliures savent.

Les doigts savent.

La langue sait.

La bouche sait.

Les yeux savent.

Les doigts savent.

Le froid de la boîte.

Le lisse de la boîte.

La saisie de la boîte.

La main sait.

Le corps sait.

Le souffle sait. Le cœur aussi.

Les mains savent. Moites.

La pliure bleue sait. Se délie, la pliure.

De la doublure.

Les ronds de métal. Sortis de la doublure.

Exposés. La pliure. Le métal blanc.

A gauche, longue plaque de métal.

Gris, le métal.

Long ruban de caoutchouc. Noir.

Absent d’échancrure. Lisse.

Qui roule entre deux rives de métal. Sombres.

On parle.

Les mains savent.

Les doigts savent.

Le papier bleu est pris.

Entre majeur et annulaire.

Les ronds de métal sont pris.

Entre pouce et index.

Bruit de tiroir. Métallique.

Glissement.

Bruit à nouveau.

Ronds de métal. Sur la plaque de métal gris.

Cuivrés, les ronds.

Entre pouce et index.

 

Dans la doublure du trench-coat.

Les mains savent le froid de la boîte. Verte la boîte.

Les pas savent le franchissement. De l’ouverture.

De l’éclatement de la façade. Sur la rue.

Le corps sait l’autre côté.

De la façade.

Les pieds savent le trottoir. Les aspérités. Les rainures.

Par cœur les savent.

Les articulations savent.

Les orteils savent.

Tous. Sauf les majeurs.

A gauche et à droite. Absents.

La cambrure aussi sait.

 

A gauche, des planches. Vertes.

Des planches verticales.

Horizontales aussi.

Le corps sait.

Sous les planches, des tiges.

Lourdes. De métal gris. Ouvragées. Plantées dans le sol.

Le corps sait. Les planches. La lourdeur des tiges de fer.

Les reins savent.

Le dos aussi.

Les fesses.

Les mollets.

Les planches, les tiges de fer, savent aussi le corps.

Les reins, le dos, les cuisses.

 

La boîte de métal.

Verte, la boîte.

La boîte le sait.

Sur le dessus, l’anneau de métal.

Sur les flancs, des inscriptions.

Les doigts le savent, l’anneau.

L’index le sait. Le détache.

Claquement. La langue le sait.

Les bulles le savent.

Le liquide ambré le sait.

Le sait dans la cascade de la gorge.

La langue le sait.

La glotte le sait. Dans son ouverture.

Les papilles le savent. Le tube salivaire aussi.

La déglutition aussi.

La pomme d’Adam sait l’avalement.

Monte.

Descend.

Monte.

Descend.

Le corps sait le glissement. Du liquide.

Tout le corps parcouru. Secoué le corps.

Spasme de la déglutition.

Le banc le sait. Aussi les planches.

Dans le mouvement. De chute.

Les soubresauts du liquide.

La grande dalle de ciment. Sous les pieds.

 

Une fente. Dans le sol de ciment.

De ciment gris.

Une lézarde.

En zigzag. La fente.

Les chaussures noires savent la faille.

Noire au centre. Dans le sol de ciment..

Le corps déglutit.

En son entier.

Ondulation du corps.

Liquide dans la gangue du corps.

De la tête aux pieds.

Le corps le sait.

Liquide, le corps. Fluide.

La colonne vertébrale aussi.

Vêtements soudés au corps. Mouillés aussi.

Sueur au creux des reins.

Sur les planches vertes.

Les verticales d’abord.

Puis les horizontales.

 

Le corps sait le mouvement descendant.

La liquidité.

Le déclin.

Les cellules savent. La fente de ciment. Liquide aussi.

Pluie.

Ne la sent pas.

Le corps non plus, dans sa liquidité.

Pluie battante.

Les filets d’eau savent la pente du corps.

Savent la fente près des pieds de métal. Lourds. Gris. Ouvragés.

Bulles d’eau. Dans la lézarde.

Ne sait pas le bruit.

Ne sait pas le mouvement.

La perte d’eau dans la fente.

Le ciment gris sait la lézarde.

Les gouttes s’égouttent. Dans la fente d’eau.

Le liquide ambré suit l’inclinaison. Vers le sol.

Le corps la sait, la déclinaison.

Les membres aussi.

Les veines aussi. Le trajet du sang. L’écoulement de la lymphe.

Déluge de pluie.

Qui connaît le chemin. De la chute. Vers la lézarde.

La peau sait sa consistance. Molle. D’outre.

De peau flasque. Son dépouillement aussi.

Les muscles, les nerfs, les os savent.

La liquidité de la peau.

Savent leur inconsistance propre.

Au contact de l’outre de peau. Qui déglutit les muscles, les nerfs, les os.

Ouverture de la lézarde. Qui boit le liquide ambré.

Ses bulles aussi.

Qui boit l’eau de la peau.

Qui boit le corps.

Ses fragments,

de peau,

de muscles,

d’os.

 

Pluie moins forte.

Goutte à goutte.

Bords peu à peu jointifs de la lézarde.

Sur ses rives, des bribes.

De peau.

De cheveux. Mouillés. Epars. Pellicules aussi. Rares.

Lézarde refermée.

Bruits internes de succion.

 

Le corps le sait.

De l’intérieur.

Dans son désordre liquide.

Lui ne sait pas.

Les planches vertes verticales savent le trench-coat.

Comme une peau usée.

Les planches horizontales savent le pantalon.

Noir.

Collé.

Les chaussures aussi.

Molles.

 

Le trottoir sait la boîte.

Verte.

Vide.

Verte.

Vide.

Mangée par le sol gris.

 

Sans âge, il était.

A mi chemin de la vie.

Peut être plus, peut être moins.

A mi chemin de la mort aussi.

Indéfinissable…

 

 

 

 

 

 

 

 

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 09:20

 

L'Amour-La-Mort.

 

 

l-alm.JPG 

 Triptyque - Pierre Soulages.

Source : Lyon Capitale.

 

 

 "Un jour je peignais, […] les différences de textures réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre […]. Mon instrument n'etait plus le noir mais cette lumière secrète venue du noir. […] Pour ne pas les [les peintures] limiter à un phénomène optique j'ai inventé le mot Outrenoir, au-delà du noir, une lumière transmutée par le noir et, comme Outre-Rhin et Outre-Manche désignent un autre pays, Outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du simple noir."       Pierre Soulages, Le Noir. 

 

 

 

 

  L'Amour-La-MortIl fallait que cela fût. C'était inscrit de toute éternité dans les choses. Sur les falaises de calcaire, les flèches des cathédrales, le murmure agacé des hommes. Il fallait que cela fût. C'était un matin de lumière grise avec des échardes de nuit et des lambeaux de jour. Je marchais, tête basse, le massif de la tête engoncé dans la rumeur des épaules. Le ciel, sa consistance de marbre, ses veines noires et blanches, je ne les voyais même pas. Cela entrait en moi comme une pluie qui fait tomber des nuages ses hallebardes de glace. Cela ressortait par le bout des orteils avec des bruits d'égouttement et je frappais le sol de mes chaussures lasses.

  Autour, les pierres anthracite de la banlieue, de longues coulures de vent sur le désert des avenues. Au loin les termitières de ciment où vivaient les hommes. La Mort, d'abord je ne l'ai pas vue. Elle s'est annoncée par des vibrations au milieu de mon sexe. J'en sentais la hampe dressée, la turgescence déjà au bord d'elle-même, l'urgence à coloniser le sexe adjacent. La Mort, j'étais de plain-pied avec elle. A armes égales. On m'appelait Amour. A la Mort j'étais destiné comme le lierre au tronc de mousse. Elle marchait devant moi avec un air de gloire modeste, oxymorique. Cela ne faisait nullement dans l'emphase. Non, cela faisait dans la certitude du rapt, de l'emprise, de l'annexion.

  Je voyais la mappemonde de ses fesses enserrée dans le triangle étroit de la toile, faire ses agissements réguliers. Une pure gémellité assurée de sa puissance. De ses hauts escarpins vernis, elle poinçonnait le sol avec la régularité de la Raison. Il fallait que cela fût. Ce déhanchement, ces globes pris en étau dans la fente de la jupe, noire, impérieuse, glanant le jour parmi l'incertitude des heures. Il lui fallait les boulevards semés de vent, il lui fallait l'absence d'existence, sauf une Effigie Humaine, une seule à faire sienne en guise d'éternité. Devant moi elle agitait sa redoutable engeance. L'abîme mortifère, je le savais, enduit de glaireuse certitude, ouvert comme l'étui de la fleur carnivore. J'étais L'Orycte à la corne dressée, j'étais le promis-à-La-Mort.

  Je ne souhaitais qu'une chose : lui balafrer le sexe de mon sabre levé et la reconduire au Néant. Elle se dandinait comme une Fille de Joie. Je devinais les bas résille pareils aux filets qu'on jetait sur les fauves dans les arènes. Je devinais la tête d'os croisés, je devinais la bouche et ses dents aiguës, je devinais les étriers étroits des seins avec la braise brune des aréoles, je devinais l'ombilic en spirale, la plaine du ventre labourée de Rien, je devinais les troncs maigres des cuisses, les boulets mortifères des genoux, la platitude des pieds et les ongles comme des jetées arbustives.   

  Ceci, je le savais depuis tout petit, moiAmour destiné à Celle-qui-m'attendait. Il fallait entrer en elle avec la certitude de n'en jamais sortir. Il fallait entrer en elle sans regarder son corps de Folle, sans toucher sa peau glabre à l'odeur d'outre-tombe. Seulement labourer son ventre et déposer ma semence comme le fait la tortue dans le trou de sable chaud. Puis recouvrir le tout et demeurer dans l'attente de ma propre généalogie. Cela il fallait que cela fût faitCela fut fait dans le meurtre de la lumière, sur une dalle de ciment, sous les cyprès d'encre alors que les dalles des Vivants alentour étaient envahis d'herbe et d'absence éternelle. Personne dans les cannelures  des rues pour assister à la scène Finalela Primitive était loin, dont j'étais issu. Maintenant il fallait lui rendre des comptes à l'Exigeantel'Incontournablel'ImpérieuseLa Salope Majuscule.

  Personne ne lui échappait et, du creux de la Veuve Noire où je gisais, hampe flasque, corne dilapidée, j'apercevais encore quelques pauvres Hères qui sortaient de leur termitière, agitant faiblement leurs anneaux étiques. Ils ne savaient rien de ce qui les attendait. Le Désir Pléthorique, l'ultime jouissance qui fait basculer de l'autre côté du monde. Il fallait que cela fût faitMa MortmoiAmour, ne dura pas longtemps. Faible ciron dans la démesure du vagin denté, j'ai rendu l'âme, celle que l'Existence m'avait prêtée et je n'avais plus de corps. J'étais un Rien que le monde ne pouvait voir. La Mort, sourire édenté de Grande Moissonneuse de vies, me manduquait lentement. Je me sentais me dissoudre parmi les acides laborieux du Temps. Mon Espace était si étroit que ma pensée y tenait à peine. J'étais au fond de la grotte terminale et les vagues amniotiques avaient eu raison de ma splendeur d'être. Ce n'était pas si difficile la Mort. C'était surgir au creux de l'événement dont nous avions tissé les fils un à un jusqu'à ce que l'écheveau s'embrouille. Alors on n'était plus qu'insecte pris au piège et la Mort était une habile entomologiste qui vous clouait net sur la planche du Destin.

  Mais, à qui donc parlé-je depuis l'antre où je réside ? Mais avec qui proférer un discours, au profit de qui ?  En vertu de quoi ? On dit des Morts - car, présentement je le suis -, qu'ils voient tout. Et, effectivement, je vois tout. Jusqu'à la dérision. Vos Silhouettes de carton-pâte, vous pouvez les remballer au fond de vos greniers vides. Vos allures de jeunes Éphèbes, Vous les Habitants des districts huppés, vous pouvez en faire des dentelles. Vous les Prolétaires qui hantez les avenues avec vos airs de belette et vos entrechats de bolchéviks, vous pouvez vous jeter dans la première Sibérie venue.VousTousToutes, les soi-disant Peuples de la Terre, vous pouvez faire l'amour sur les agoras, vous trémousser sur une planche de Fakir, vous enfoncer entre les côtes une lame de yatagan, ce sera pareil, il en restera toujours trop. Car, voyez-vous, "Frères Humains qui après moi-vivez", comme disait l'autre Cinglé de Villon, oui, le François qui fricotait avec la langue, eh bien Lui pas plus que Vousn'avez jamais eu une seule once de réalité. Pas même la feuille de cigarette. Pas même la respiration de la libellule. RIEN. Seulement cela vous avez été : RIEN. Et enfoncez-vous ça dans votre sale petit ciboulot à la meurtrière étroite. Entre nous ce sera vite fait, vu que Vous et le Néant, c'est dans le genre de la gémellité, de l'image dans le miroir narcissique dans lequel vous avez cru voir votre reflet d'Idiot Majuscule.

  Mais faut-il que vous soyez confit de bêtise pour même pas vous apercevoir que, par rapport à Vous, le moustique eût-il existé, qu'il vous eût toisé du haut de ses pattes anémiques et eût enfoncé sa trompe fouisseuse dans le mitan du lard que vous n'eussiez pas sursauté. Mais comment peut-on arriver à se barder de cette pleutre crasse qui vous obture les yeux en même temps que l'âme ? Mais je fais comme si vous aviez eu un semblant d'existence. C'est juste pour le Logos, à savoir pour entraîner ma rhétorique et porter au-devant de votre nullité l'esquisse de la Raison. Alors, voilà, maintenant, il me faut en venir aux mains. Je veux dire au langage des sourds-muets car seulement celui-ci peut atteindre votre posture d'irrépressible apophtegme. Car apophtegmes, Vous l'êtes, mais en tant que sentences vides et non avenues. Car jamais, m'entendez-vous, vous n'avez émis le moindre son, fait le plus petit geste, accompli d'acte mémorable. Non que vous en fussiez incapables. Peut-être le vent soufflant vers l'orient vous eût poussé vers  quelque lumière révélatrice. Sait-on jamais !

  En triste - ou plutôt bienheureuse - réalité, jamais votre parution ne s'effectua sur la scène du monde. Pas le plus petit saut de puce ou entrechat de morpion. Rien. Jamais vous n'avez existé. Juste vent de galerne et corne de bouc. Trois petits tours et puis s'en vont. Jamais vous n'avez existé parce que, pour ce faire, il eût fallu que vous acceptiez de quitter les pénates du Néant. C'est si confortable le Néant. Tout est possible alors que rien n'est possible. Tout est en attente alors que rien n'est en attente. Tout est vide alors que rien n'est vide. Vous aviez le choix de rester planqués dans l'Absolu ou bien de vous en extraire. Eussiez-vous existé et un Moraliste vous eût taxé de lâche, de couard, de sale petit salaud faisant un pied de nez à l'éthique. Merde à Spinoza ! Merde à Sartre. Et ainsi de suite, vous auriez réglé leur compte à tous ces grands déballeurs de sornettes de la Philosophie. Mais, d'ailleurs, pour qui se serait-elle pris, cette empêcheuse de tourner en rond, alors même que vous souhaitiez demeurer en-deçà de l'étonnement, bien pelotonnés dans le ventre chaud de l'invisible, de l'innommable, du nul et non avenu ? Mais de quel droit ? Du droit moral, politique, social et quoi encore comme autre fadaise ? Eussiez-vous existé et vous vous seriez retrouvés, HommesFemmes avec plein d'anicroches à gérer, du genre : Dieu existe-t-il ?  Pourquoi les lapins n'ont que deux oreilles ? Pourquoi les animaux ont quatre pattes, pas les Hommes ? La Vérité est-elle de ce monde ? La Liberté est-elle dans le projet ou bien dans la pure décision de soi d'être comme ceci ou bien comme cela ? Pourquoi la Terre tourne-t-elle ? Pourquoi des Riches ? Pourquoi des Pauvres ? L'euthanasie est-elle bonne pour la santé ? L'addiction au sexe est-elle une drogue dure ? Pourquoi l'expressionnisme a-t-il succédé à l'impressionnisme et pas l'inverse ? Le porte-jarretelles est-il érotique en soi ou bien est-ce le regard que l'on porte sur lui qui l'érotise ? Et encore plein de choses de cet ordre qui vous eussent empoisonné la vie.

  Vous avez bien fait de demeurer dans vos pénates cernées de vide, dans l'absence de couleur, de chaleur, de bruit, d'épileptiques remuements. En réalité vous n'étiez rien et, dites-moi, depuis le Rienvoit-on un brin de la Grande Comédie Humaine qui agite le monde de ses cloches de fou ? Mais je fais comme si vous aviez une pensée, une capacité d'intellection, des idées à bâtir, une volonté, des affairements, de l'espace et du temps, ces deux grands classiques avec lesquels on doit s'arranger afin de pouvoir paraître et agiter sa carcasse sur le praticable du Monde, dans les allées polychromes de la commedia dell'arte.

  Pour parler franchement, vous avez rudement bien fait de demeurer en-deçà du Grand Cirque, en dehors de l'immense Bazar où s'agitent le clinquant et la gloire de paraître. "Si j'aurais su, j'aurais pas venu", comme disait les petits loubards de "La guerre des boutons". Et, faut dire, ils avaient pas tort. Parce que des boutons, dès que vous  débarquez sur la plage de l'exister, vous en recevez plein les pognes, même les pognes elles sont jamais assez grandes. Mais c'est trop tard pour dire : "Stop, j'arrête." Simplement parce que les Montagnes Russes de la vie, elles tournent toujours dans le même sens et s'il vous vient l'idée saugrenue de sauter en marche, vous vous  retrouvez à l'Hosto avec la tête plein de bandages et les jambes en compote et c'est tout ce que vous avez gagné au grand bastringue. C'est pas plus dur que ça : la vie faut faire avec, d'ailleurs, après, vous aurez toute la Mort pour vous rattraper. Et je dis ça en toute connaissance de cause. Vous avez été plus sages que moi. Moi qui fais le malin et me goberge comme si j'avait gagné au Loto. Vous avez résisté aux sirènes de la tentation. Vous vous êtes attachés au grand mât du Néant et vous avez "laissé pisser le mérinos" comme disait mon Grand Oncle qui avait des moustaches en guidon de vélo, des bretelles "Hercule" et qui lisait le journal à l'envers, vu que l'école, il y avait jamais mis les pieds. Entre Lui et Vous, une parenté : vous avez tenu bon, vous avez remisé la Connaissance à plus tard.

  Mais moi, voyez-vous, j'ai pêché par faiblesse, par simple bêtise comme un gamin qui, chez l'Épicière du village, trempe la main dans le bocal de berlingots alors qu'elle remonte ses bas de laine pour la tenue morale. C'est comme ça. On sait qu'on se fout dans le pétrin, qu'on gagnera son pain de chaque jour à la sueur de son front et on y plonge gaiement dans le grand fourbi, dans l'immense foutoir que ça tourne à vous en faire attraper des vertiges. Enfin, voilà, au tout début j'y ai pas mis la main en entier dans l'engrenage. Je me suis contenté d'être une Idée dans le genre d'une fantaisie platonicienne. Oh ça portait pas à conséquence, sinon que je m'ennuyais un peu dans mon empyrée avec les autres Idéesqu'étaient pas plus drôles que moi. Alors j'ai aperçu le Grand Toboggan et, tout en bas, la fête foraine avec plein de Types et de chouettes Filles qui rigolaient. Il me fallait un corps. Les Idées ça avait pas l'air de trop les intéresser les Pimprenelles. Elles voulaient du dense, du consistant, du répondant. Du dur qui monte vite en régime. Alors je me suis laisser chuter avec mon corps tout neuf, sachant même pas que cette petite fantaisie qui allait vers le sol à la vitesse de l'éclair, ça s'appelait la "dialectique descendante" et, bientôt, j'ai réalisé combien c'était réjouissant d'être au milieu du "sensible" comme disaient les Futés et moi, le sensible ça me plaisait bien, surtout le sensible brun avec des cheveux courts, le nez en trompette, des seins comme des pommes d'api, des jambes longues comme un jour sans pain et l'Amour au bout des doigts. Bien sûr je savais pas trop ce que je faisais et, à force de fricoter avec ces Demoiselles, j'ai fini par l'attraper l'Amour, moi aussi. J'en redemandais, si vous voulez savoir. D'ailleurs c'est devenu mon sobriquet. Tout le monde m'appelait comme ça : "Amour, viens par ici; Amour viens par-là."

 

  Mais vous l'aurez vite trouvée la faille dans toute cette fable. Comme les Autres n'existaient pas, mon Amour tournait à vide. Mais c'était un genre de désolation comme il n'y en a pas deux sur Terre. Un matin, alors que j'errais dans un coin paumé de banlieue, je me la suis inventée la Mort, bien à moi, avec des escarpins qui tambourinaient le béton, des hanches en amphore qui se balançaient au rythme du vent, des fesses comme des dunes vivantes, des bras pareils à des lianes, des jambes qui flottaient au-dessus de la brume. Oui, vous connaissez la suite. L'amour on l'a fait. Comme des bêtes en rut. L'homme, "l'animal raisonnable" ils disaient les Autres du haut de leur science. Animal, OUI. Raisonnable : NON. Alors comme Ulysse qu'on aurait détaché de son mât, j'ai sauté en plein la Mort. Soudain, elle s'est retournée. Elle m'a donné un baiser. Vous savez, le fameux "baiser de la mort". C'était glacé et j'ai senti que mon âme s'envolait comme un boomerang qu'on lance par une fenêtre. Alors là, dans ce qui me restait de présence d'esprit accrochée aux lambeaux de chair, j'ai su qu'elle elle EXISTAIT la grande dévoreuse de vies, la grande Catin qui vous dépeçait comme la Manta Religiosis. Et elle laissait RIENJusqu'au Néant, elle vous reconduisait, jusqu'au Néant. Mais attendez, je n'en crois pas mes yeux. Mais vous êtes là, mais je ne rêve pas. Mais c'est si bien le Néant ! Vous dites ? Ça n'existe pas ? Vous en connaissez, VOUS, des choses qui existent ? Vous en connaissez ? Moi pas et même je suis sûr qu'avant longtemps vous serez morts, tout comme moi et vous ferez pas les flambards avec des trucs du genre de la finitude. Même elle vous collera aux basques. Et vous verrez, c'est pas si dur que ça d'être morts. C'est juste une question d'habitude. On a plus d'érection, c'est tout. Je veux dire on n'est plus un menhir avec une possible transcendance et tout le bataclan. On est contingent comme jamais. Et, croyez-moi, y a pas meilleur comme repos. Y a pas meilleur. D'ailleurs vous devriez essayer. Oh, oui, vous devriez essayer ! Comme ça je serais pas tout seul ! TOUT SEUL !

 

 

 

 

 

 

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12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 09:17

 

Sommes-nous source de l'énigme ?

 

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 Crayon sur papier

George Androutsos

 

 

"Et qui interroger sur ce que je suis venu faire en ce monde ?" 

                                                        Milou Margot.

                                                   

 Tout commence toujours par un signe. D'abord, il y a le silence. D'abord il y a le vide. D'abord la page blanche. Et, au-dessus de la falaise sans nom, un regard qui interroge. Un regard qui se regarde dans le miroir de l'étrange. Le crayon est suspendu et la mine dépasse à peine l'hébétude du bois. La craie aussi, livide, à peine assurée d'elle-même, si friable qu'un acide subtil pourrait la réduire à l'espace du non-espace, à une affinité élective proche de quelque élémentaire confusion. Comme si rien de sûr ne pouvait s'inscrire à la face du monde. Comme si le vide absolu était à même de nous dire l'abîme, le sans-fond dans lequel toute chose s'absente. Car rien ne paraît vraiment. Car rien ne respire, ne bouge, ne profère. Rien ne se distrait jamais de soi. L'étendue est immense qui pose sa taie sur l'infinie courbure des choses. Et les battements du ciel se fondent dans les mutités de la terre. Et le murmure de l'eau se plie sous la meute silencieuse du feu. Lutte élémentaire qui voudrait dire la courbure de ce qui vit, l'espacement du monde, l'effraction par laquelle témoigner, fût-ce dans l'éphémère, fût-ce dans les nervures de l'indicible.

  Tout commence toujours par un signe. Et la douleur est grande car elle n'a pas de nom où figurer. Blancs sont les signes de l'inquiétude. Grises les hachures de l'exister. Un essai, du moins. Un à peine exhaussement de la ligne, une fuite horizontale. Une géométrie du doute. Car, a-t-on seulement commencé à parler ? Haleine livide devançant la bouche, son amorce de voix. Blanche. Blanc sur blanc. Comme une fermeture de la parole, une spirale pliée sur son germe initial. Volutes et arcatures de l'impensé. Il n'y a pas d'idée encore et les mots sont de minuscules grains de silice faisant leur écoulement sans bruit contre la toile exiguë du ciel. Tout est tendu. Tout est dans la profondeur native de l'irréel. Tout dans la feuillaison du songe. La blancheur du papier appelle l'incision du graphite, sa ligne maculée de signifiance. Mais tout glisse et se dérobe dans un continuel effacement. Chaque trait est une démesure, une mince faille de la raison, une irisation de la folie. Les bruits sont si bas et les tympans se déchirent à l'aune du silence. Les mailles blanchies du cortex demandent le gris, appellent la médiation. Il faut sortir de l'étroitesse huileuse des cerneaux. Il faut faire sa poix et la déposer sur le bord du monde. Un fanal, un signe, un appel et que la surdité s'étoile en longue polyphonie et que la cécité connaisse enfin sa mydriase, cette longue déchirure de la conscience !

  Tout commence toujours par un signe. La main porte-crayon s'abîme sur la plage de papier et le dire se résout à n'être que galet lisse sous la poussée de la lumière. Tout glisse et dérive infiniment comme pour signifier le bord de l'ultime que jamais on n'atteint. Les bras battent l'air de leur confondante perdition. Mais, jamais ne saisissent. Les yeux sondent l'aire libre du temps sans aspérité où s'accrocher, où glisser le moindre relief qui sauverait, établirait un lieu. Les yeux appellent le miroir, le troublant reflet, l'esquisse, le tremplin duquel on tirerait sa propre ascension. Mais les miroirs mentent, mais les miroirs ne renvoient que leur propre image, illusion en abyme, en abyme, en abyme. Les angles vifs des images spéculaires enfoncent leurs dards aigus dans la moindre surface de chair disponible. La peau devient écorce rugueuse. Les os craquent sous la déflagration. La moelle s'écoule par le trop-plein de l'esprit. L'âme fait ses coulures de plomb et l'on s'étonne de la voir enfin. Nulle, comme en chute d'elle-même. La vue se ramifie en peuples épars, soumise à une étrange diaspora. L'ouïe siffle de ne pas entendre le murmure de l'univers.

 Tout commence toujours par un signe. Le désert blanc qui était seulement habité de vent fait voir ses premiers hiéroglyphes. C'est tellement discret, mystérieux, tout au bord d'un possible évanouissement. Alors les pupilles se durcissent d'obsidienne étroite, têtue, messagères commises à la connaissance. Alors les pupilles forent le réel jusqu'à la folie. Les pupilles veulent savoir. Cela s'éclaire si peu sur la plaine cendrée des choses. Un fusain. Une estompe. Une aquarelle à peine posée sur l'aile songeuse du papier. Et voici que les premiers signes apparaissent. De simples traits d'aube, des effleurements de jour, des incisions dans le cuivre lisse des perceptions. On ne voit pas. On devine, on lit à l'aveuglette. On écarte les pans de sa cécité. Des traits. Des lignes confuses. Des percussions. Des diffusions. Des étoilements. Des ruptures. Des retraits. Des recouvrements. Des irisations. Des glissements. Des écarts. Des arêtes. Puis des regroupements pareils à des confusions de chiffres, à des déflagrations de lettres, à des collisions. Puis des zones ombrées, celles des fosses, des ravines, des goulets dans lesquels se perd la lumière. On croît reconnaître l'effigie humaine, sa probable hypothèse. On accommode, on visse des lentilles au bout de ses yeux de caméléon, on sonde l'espace. Oui, c'est bien cela, c'est l'homme, c'est son hallucinant relief, c'est cette érosion, cette suite de dolines et de dykes anguleux, cette aire géologique en voie de constitution, cette élévation semblable aux motifs aériens des cairns pris de brume parmi les lenteurs de la tourbe. Il y a comme des signes qui appellent, mais depuis d'équivoques marais et alors on en perd la trace, on en perçoit seulement l'écho affaibli, la trame parmi les fils emmêlés d'un étrange métier à tisser. C'est tellement semblable au mythe, cela imite si bien la fable, cela s'inscrit de si troublante manière dans les mailles souples de la légende. Une dernière fois, avant qu'il ne soit trop tard, on s'essaie à déchiffrer ce qui apparaît comme l'inconcevable lui-même. C'est alors que la vue se brouille, que les traits se mêlent, que l'épiphanie dont, un moment, nous avions pu établir l'étonnante figure, se retire sur la pointe des pieds. Comme pour dire l'impossible effraction. On reste là, hagards, étonnés d'être. On demeure en soi. On regagne sa coquille - mais l'avait-on jamais quittée ? -, et, à l'intérieur de la conque close, parmi les touffeurs de la réassurance, une voix résonne à nos oreilles qui nous dit : "Peut-on jamais apercevoir l'homme ?". Cette voix qui résonne de si étrange manière, nous la reconnaissons pour être nôtre. Entend-on jamais une voix différente ?

 

  


 

 

 

 

 

 

 

   

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 10:03

 

Plaidoyer pour une "Alchimie textuelle."

 

 

[ Ce texte est un  prologue destiné à  préciser quelques choix  d'écriture concernant mes articles figurant sous l'intitulé "Alchimie Textuelle". Ce texte est long, mais sa césure n'aurait guère eu de justification que de se conformer à une lecture rapide, laquelle aurait évacué nombre de significations qui seraient restées latentes. ]

  

 Le plus souvent, le langage nous affecte à la manière d'un simple ris de vent, d'un caprice météorologique passager ou d'un accident survenant en quelque coin de la planète sans que nous en percevions l'immédiate portée. Mais le langage n'est rien de "naturel" et l'on se fourvoierait à le considérer  semblable à la feuille, à l'objet domestique ou bien à une chose banale surgissant à tout instant dans le cadre de notre inépuisable vision du monde. Le langage est unique en ce sens qu'il définit l'émergence même de la condition humaine parmi les errements de l'histoire terrestre. Ôter le langage c'est soustraire à  l'homme ce qui l'amène à transcender ce qui croît, git et meurt chaque jour sans que nous en prenions vraiment acte : tous les menus événements qui parsèment l'existence et se dissolvent aussi vite qu'apparus.

  Le tremplin de la conscience ne s'anime que des phrases, des mots, des énonciations qui peuplent les bouches prolixes et créatrices. Nommer les choses consiste à les  amener dans la présence, à les signaler comme pourvues de sens, à les faire s'inscrire dans un horizon  de possibilité dont elles auraient été privées si, d'aventure, la machine à articuler anthropologique ne leur avait donné vie. Seulement le langage est immergé dans une totalité dont, souvent, il ne s'exhausse qu'avec peine, à savoir la complexité constituée par le triple registre du réel, du symbolique, de l'imaginaire. Bien des mots prononcés ou écrits, bien des signes divers finissent par se fondre dans un maelstrom de sons, d'images, de bavardages multiples aussi bien qu'hasardeux. Sans doute la marche du monde est-elle ainsi faite que son niveau de complexité croissant sans cesse, les hommes finissent par exister dans un bruit de fond assourdissant à défaut d'en percevoir ce qui, par essence, les constitue et les détermine, cette parole à nulle autre pareille que nous devons prendre en charge afin qu'elle puisse être reconduite à ses fondements : permettre l'éclosion des significations et leur déploiement.

  Parfois, abusivement, l'on parle du "langage des abeilles", de celui des arbres ou bien de l'eau. Mais, ici, il faut bien évidemment replacer ces assertions dans le cadre d'une efficacité métaphorique qui ne fait sens que pour rendre palpable un phénomène "naturel", lequel, sans cette médiation, passerait inaperçu. Le langage humain se perçoit dans un empan d'une autre nature, aussi bien quantitativement que qualitativement. C'est lui, le langage humain, qui donne naissance à l'Histoire, à l'Art, à la Culture. Car comment se questionner à leur sujet en l'absence d'une fonction symbolique, non seulement chargée de rendre compte de ces universaux, mais d'en assurer l'apparition, puis la continuité, puis l'expansion. L'œuvre de Léonard de Vinci serait-elle parvenue jusqu'à nous, hommes contemporains, si le langage, l'imprimerie, les livres, la communication verbale avaient déserté les chemins de la civilisation ? Et pourrait-on davantage rendre compte du génie de Picasso, des métamorphoses que le cubisme fit surgir sur la scène de l'art moderne si nos langues étaient soudées à nos palais dans une confondante mutité ? Nous ne pourrions même pas décliner notre propre identité et deviendrions semblables au cheminement incertain et oublieux du crabe déambulant parmi les entrelacs racinaires de la mangrove.

  Mais le constat en forme d'hébétude et d'impuissance qui consiste à se lamenter sur la perte de ce qu'il est convenu de nommer les "valeurs" n'aurait guère plus d'effet que de prêcher, comme Simon, dans le désert. Parler, nous le pouvons toujours. Ecrire, nous le savons aussi. Proférer quelque anathème sur la société, nous nous y employons souvent  mais, pour autant, ces nobles occupations suffisent-elles, d'abord à nous réjouir, ensuite à nous rendre conscients que le langage est un bien précieux, irremplaçable, essentiel ? Faire vivre le langage consiste certainement à user de l'art de la dialectique comme les antiques Grecs, à user de la langue de Racine, à s'inféoder aux sublimes écrits des Lumières, à lire Proust et Giono et plein d'autres merveilleux écrivains.

  Mais il est d'autres formes d'apparition, notamment de l'écrit, plus rares, moins aisément perceptibles, sans doute étranges, cryptées, nécessitant un décodage, ou, à tout le moins une affinité avec des formulations abstraites, parfois ésotériques, alambiquées, ou au contraire ascétiques, géométriques, minimalistes, elliptiques, flamboyantes, allusives, itératives, métaphoriques, semées de néologismes, syntaxiquement chaotiques, lexicalement sophistiquées, étonnantes et subversives, impertinentes et recherchées, toxiques et vénéneuses, arides et désolées pareillement aux surfaces érodées des mesas, luxuriantes comme des oasis dans la touffeur saharienne, plantées dans le limon souple ou bien telluriques, volcaniques, sulfureuses, jaillissantes, fusantes, faisant leurs gerbes"d'aérolithes mentaux" pour paraphraser la folie d'en-haut, celle de l'inimitable Antonin Artaud, celle du très fantastique Lautréamont.

  Le lecteur l'aura perçu, cette littératurecette écritureces signes que nous appelons de nos vœux n'auront pour unique aventure que de  concourir à la sublime métamorphose, laquelle s'appuyant sur les ressources inépuisables du langage, en fera éclater la bogue, livrant au plus près ce merveilleux corail dont nos langues désirantes et irrévérencieuses feront leurs délices avant même que son épuisement n'ait lieu.

  Ecrivant ou tâchant de s'y atteler, il s'agira dès lors, le plus possible, de donner libre cours à ce que l'imaginaire pourrait rencontrer si, d'aventure, plus aucune attache ne le fixait à la quadrature du réel, si, soudain, toute topographie contraignante et terrestre se dissolvait dans l'éther, si les mots assurés de liberté et de plénitude pouvaient déployer leurs étincelantes oriflammes par-delà toute rationalité, bien au-delà de toute logique. Une manière de dire quasiment autistique dont le déploiement serait à lui-même sa propre finalité.

  Etrangeté de ce qui annonce son épiphanie pareillement à une mystérieuse cryptologie. Langage racinaire, entrelacs confus, emmêlements pareils aux luxuriances des sombres forêts pluviales. Enonciations issues de catacombes complexes, lexique taillé dans la gemme opaque des incertitudes, phrasé tantôt syncopé, tel un scalpel ; tantôt longue période semblant se suffire de sa propre persistance à être.

  Beaucoup s'étonneront de ces curiosités langagières, de ces fantaisies glacées évoquant les arêtes des bleus icebergs ou bien l'aridité ferrugineuse des sables désertiques. Le langage en tant que langage, la phrase pour la phrase, le mot pour le mot. Pas d'autre justification que ce pur métabolisme montrant ses rouages, ses cliquetis, ses précisions horlogères, ses mécanismes à l'enchaînement précis et clinique, au rythme obsessionnel. Le dedans-du-langage retournant sa peau afin de se mettre à nu, pour que  se livrent à nous quelques esquisses qui pourraient bien un jour s'actualiser si l'homme, de plus en plus homme, enfin en conformité avec son essence, décidait de se confondre avec cela qui le constitue bien au-delà de toute autre réalité, à savoir de coïncider avec  sa parole, intime, secrète, effervescente, taillée dans le pur saphir.

  Alors, si ceci advenait, en dehors de toute fiction fantastique, à l'abri des tours de passe-passe, des éblouissements et pirouettes des prestidigitateurs de tous ordres, nous connaîtrions ce que la vérité veut dire car nous serions projetés dans les limites mêmes de notre propre entendement, là où surgit la lumière - le langage n'est que cela, n'est-ce pas, un pur jaillissement, un éblouissement de photons, une radicalisation du regard, l'ouverture à la magnifique et étincelante mydriase, c'est-à-dire le saut dans la conscience, la disposition à la lucidité, la parution dans la clairière à partir de laquelle le monde serait définitivement intelligent, clair, lisible, non réductible à ses évanescentes apparitions, si proche des merveilleuses Idées platoniciennes que nous serions comme des enfants comblés, les yeux plein de présents, les mains ouvertes sur le vaste univers - donc nous serions là où, toujours, notre humaine condition aurait dû nous reconduire si nous n'avions été abusés par tous les faux-semblants dont nous sommes, à notre corps consentants, les sublimes et dociles révélateurs.

  Sans doute un tel appel vers un langage assurant, de son intérieur, son ultime assomption vers ce qu'aucune bouche, jamais ne pourrait proférer, résulte-t-il à tout le moins d'un vœu inatteignable, d'une luxuriante utopie, à moins qu'il ne s'agisse simplement de l'excroissance d'une pathologie faisant ses coruscantes ramifications à bas bruit, bien au-dessous de ce que toute conscience éclairée laisserait se manifester. Et pourtant, tous, lecteurs autant qu'auteurs, dissimulons en quelque coin secret - et souhaitant le demeurer -, de tels désirs, selon lesquels la parole emplirait d'elle-même la vacuité dont, consciemment ou non, nous sommes habités jusqu'en une prolixe déraison, jusqu'en une absurdité dont même le néant lui-même ne suffirait pas à rendre compte du fond de son absoluité. 

  Est-ce parce que nous sommes des hommes ordinaires, aveuglés par la quotidienneté, usés par le recours aux lieux communs, que nous finissons toujours par renoncer ? Est-ce par l'effet d'une paresse, d'une incurie ?  Est-ce, tout simplement, parce qu'à l'aventure, nous préférons le confort du poème et de ses rimes, la justesse existentielle de la fable, la fiction rassurante du roman, l'espace circonscrit dela nouvelle, le libre cours de l'argumentation, les réfutations rassurantes de la dialectique ? Ou bien ces rives nous seraient-elles interdites, ou simplement inatteignables, hors de portée, réservées au seul empan du génie ? Et quand bien même le génie se vouerait à cette tâche consistant à faire voler en éclats les pépins carminés de la grenade langagière, ne serait-il pas, par sa condition même, le seul à s'y retrouver avec ce qui, souvent, tutoie la folie parce qu'incompréhensible ?

  Faut-il accepter une part d'aliénation, jouer avec le feu, communiquer avec les esprits pareillement au chaman, comploter avec le diable, vendre son âme à Méphistophélès lui-même ? Ou bien, plus simplement, faut-il demeurer en soi et y chercher ce qui, dissimulé sous les apparences, pourrait s'actualiser selon une mince dramaturgie dont nous serions témoins et acteurs ?  Mais ici il nous faut rétrocéder vers un horizon plus étroit, et essayer de nous livrer à une simple alchimie, à une manipulation comme en font les tout jeunes enfants lorsqu'ils jouent avec leur babil ou bien quand, par isolement, fantaisie ou ennui, ils se livrent, dans l'étroitesse de leur chambre à des manières de pullulations langagières, d'infinis soliloques dont eux-mêmes seraient en peine d'exhiber les significations. Mais parfois, l'exercice cent fois renouvelé trouve-t-il sa raison d'être à seulement assurer sa poursuite.

  Donc, ceux qui s'aventureront dans les arcanes de ces "Alchimies textuelles" auront à y apporter leur propre matériau. Le moyen le plus sûr de résister aux miroitements de l'écriture et de s'y retrouver avec ce qui, le plus souvent, nous habite de l'intérieur, avant même que le monde appose sur le palimpseste que nous sommes son chiffre indélébile.

 

   

 

 

 

    

 

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3 octobre 2013 4 03 /10 /octobre /2013 19:32

 

J'ai vu l'Amour.

 

 

phy 


 Source : fotocommunity.

 

 

  Le physalis. Mais qui donc a bien pu nommer, métaphoriquement, cette fragile et gracieuse plante "L'Amour en cage" ? Faut-il ne rien connaître à l'Amour pour le circonscrire à des limites, celles-ci fussent-elles immatérielles !

 

  D'ailleurs, l'Amour, je l'ai vu, de mes yeux vus, il a des ailes diaphanes, un corps d'éphémère, une tunique de soie, des pattes de cristal, un grésillement d'insecte, le vol du colibri, les yeux-caméléon, la grâce du jour, l'impalpable de la nuit, le velouté de la brume, l'irisation de la goutte, la courbure du poème, la consistance de la dune, la fuite de la lumière, le toucher de la nacre, une langue de corail, des lèvres de silence, des idées de vent, des clartés de lagune, la douceur du galet, l'insistance légère de l'aube, l'impalpable du crépuscule, l'arrondi de la crique, le balancement du palmier, le teint rose-thé, le vol bleu du céladon, la transparence du parchemin, le fluide de l'aquarelle, l'à-peine esquisse du temps, le glissement de l'estompe, le tournis du flocon, la blancheur du magnolia, le grisé de la cendre, les joues-porcelaine, la hanche-lyre, le bassin-amphore, la chute d'une plume, le vol du sterne, la pliure d'écume, l'hésitation du grésil, les nervures de la feuille, le fil d'horizon, le clignotement des étoiles, la couleur des voyelles, un son d'outre-ciel, un goût de nectar, le balancement de la phrase, la souplesse de l'alexandrin, le flou de la peau-chagrin, l'ellipse de l'espoir, la confidence de l'édelweiss, la marche piquetée de l'aigrette, la touffeur de la tourbe, le balancement de la canopée, la rumeur du sommeil, les pieds de Mercure, le fil d'Ariane, la mutité du Sphinx, l'impermanence de l'uranie, la calebasse de l'ukiyo-e, l'harmonie du taijitu, le toucher de la pluie, les doigts de gemme, la saveur de la madeleine, la pureté de la source, la confidence de la banquise, le col du cygne, l'allure de l'alezan, le trot du yearling, la caresse de l'argile, l'éclat de la chambre noire, la fuite de l'étincelle, la rumeur de la lave, le calice du lys, un susurrement de fontaine, l'énigme du puits, le scellé de la jarre, la glaçure de l'émail, l'ondoiement du ruisseau, le sinueux du chemin, la plénitude du cercle, l'étoffe de l'étoupe, la vibration inaperçue du cristal, la fuite de l'écluse, l'éclat sourd de la falaise, le rythme auroral, la nuit féconde, l'approximation du dire, la jetée souple de la parole, le mouvement des astres, la langueur lunaire, la patience des étangs, le frais des ombrages, la marée fluide, l'inclinaison de l'étrave, la modestie de la ligne, l'absence du pointillé, la suspension du souffle, le nuage de la lampe, l'élégance du noir, le parti-pris du blanc, la griserie des médiations, les affinités électives, l'adret incliné de l'heure, la permission de minuit, la collation frugale, le battement des yeux, le limaçon de la langue, le sanglot étouffé, le râle du courlis, la tête de linotte, le seuil permissif, la métaphore plurielle, le rêve alambiqué, la douleur de l'absinthe, l'ivresse du peyotl, les pointillés de la mescaline, les éblouissements du jade, l'ennui des ancolies, la retenue du névé, la fraîcheur menthe poivrée, l'abstraction diagonale, la déclivité des humeurs, l'ambroisie glacée, la meringue étoilée, le précieux du velours, la rigueur du lin, le diamant de l'herbe, la tunique du scarabée, la lueur du café, la suavité du thé, tremblement de chrysalide, giration de douce obsidienne, repli de calmar, grains célestes, pierres levées, œuf gigogne, oscillation de balancelle, effluve de musc, perte d'eau dans l'acequia, odeur sourde de limaille, impulsions aimantées, nords magnétiques, effusions boréales, dérive des continents, faille sismique, glèbe versée luisante, feuillée sous le vent, dentelle arborée, lente chenille processionnaire, coulure de zinc au bord du toit, levure gonflant le pain, dragées fondantes, élixir en pluie de muqueuse, mouillure palatale, supinations digitales, frottis de glénoïdes, pavé lustré petit jour, lucarne sur le toit, facétie cerf-volant, songe aquatique, page à peine maculée, ébruitement de courlis, phosphorescence d'ivoire, aile bleue sous les alizés, marécages d'eaux oblongs, palimpseste illisible, mappemonde bercée azur, escalier montant colimaçon, mystique corps fluet, magie charbonneuse du soir, musique rimbaldienne, nostalgie proustienne, spleen baudelairien, mue imaginale, dépliement métamorphique, mémoire oubliée oublieuse, emmêlement de tulle, languissement ombilical, chair ferrugineuse, clapotis alambiqué, peau arche tendue, paume douce soudée, digitalités pianotées, fleurements arboricoles, miroir sans tain, avancée racinaire, paupières allumées khôl, temple ouvert au silence, vertige effilé de la lame, rideau soufflé griserie, signes ployés roseaux, sources claires à contre-nuit, lourde salive marine, félin aux yeux verts, baies mauves dans haie écartelée, route à l'assaut des nuages, collines naissantes, coquillage habité de rumeurs, rêves de sable, chaînes libres du temps, ténèbres percées braises vives, solitude horlogère, clairière neuve, sein forestier, toits ardoises bleues, flammes à l'assaut du ciel, encre diluée dans espace agrandi, pétales exubérants, calices éployés, étamines dressées, pollen fusant éther; mais qui donc a encagé l'Amour, cette libre disposition de Soi en direction de l'Autre, qui donc a osé cette métaphore morte ? L'Amour n'est pas la cage. L'Amour est l'Oiseau vermeil, hors la cage, plumage polychrome ouvrant son éventail, ailes gonflées de vent, rémiges infiniment mobiles, dépliement de soi, pur bondissement. L'Amour jamais ne tutoie la geôle. L'Amour est l'autre nom de la LIBERTÉ.  Sinon il n'en est que le Fou commis à perdre son âme !

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 10:36

 

du-dedans existence nulle.

 

sb 

 

Jerry Bauer. Portrait photograph of Samuel Beckett.

Source : HARRY RANSOM CENTER

THE UNIVERSITY OF TEXAS AT AUSTIN

 

 

Que ferais-je sans ce monde sans visage 
sans questions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi.

 

 

 Samuel Beckett

cité par Sylvie Besson.

 

 

  

  Libre méditation sur un poème de Beckett.

 

 

 Que ferais-je et le monde, où est-il  et visage s'absente, on  voit plus contours, on  voit plus  trace, où passé  monde, gesticulations, déflagrations, abominations ? et partout néant et son haleine froide, mais les os gèlent, mais moelle transparente et myéline minces filets perdition giclures, amas nœuds mortifères, que ferais-je courir après mots, crier dans désert, monter montagne et vociférer à quoi bon, personne et désert étend à l'infini monticules sable, épaulements obliques et seulement eau coulant dans  oasis, belle musique claire le long  acequias mais temps passe, insaisissable et griffe l'air de mains en crochets et saisis juste lames effroi, oubli d'être, nervures existence, éclats quartz, rognures silex, vie entaille jusqu'aux os, fragments tarses, débris métatarses, os croisés sur os visage, finitude et tout verse dans vide et vide figuration neutre du Néant, esquisse intemporelle, le fond sur lequel l'existence fait sens, déploie sa gigue mortelle. Rapides pas de deux, menus entrechats et la grande scène du monde dresse ses tréteaux et les masques dans l'ombre ouvrent leurs gueules d'obsidienne et les personnages de la commedia dell'arte affutent leurs rôles et le brigadier frappe les trois coups et les ficelles descendent des cintres et on sent bien les points d'attache dans le dos, les étriers de corde autour du bassin, les noeuds coulants autour gorge et nœuds plats contre omoplates, hommes plats et prêts à jeter peau cuite vieux cuir, pleine vergetures, nodules, excroissances, croûtes purulentes dans première fosse venue juste pour dire douleur exister, douleur pas exister assez, pareil même, et pourquoi corps, pourquoi pas corps privé organes, seulement vibration dans éther, forme libre, pullulation vérité, seulement idée ajustée ciel monde, à peine plus que stridulation cigale, plissement aile  silène, translation phosphènes dans cage verre ampoules, mais corps corruptible, hautement, pareil à fruit nécrosé et bientôt chute sur sol et éternel retour et ombre recouvre tout, oui, que ferais-je dans ce silence des gouffres sinon crier sans voix dans  démesure temps, dans l'inconséquence majuscule des murmures, des halètements de l'amour, des corps suppliciés attachés l'un à l'autre dans une étreinte mortifère, et petite mort devançant grandement constituée, grande pute folle déployant ses membranes de carton et amants meurent croyant vivre, grande palinodie, désir abouché à voyage terminal, tout se retourne infiniment sur soi, rien ne s'ouvre, bouche à corps, corps à bouche, basculement sexes comme calottes poulpes, rétroversion pensée dans antre, dans chair, dans révolte et dents ivoire déchirent passion, amour, déchirent petites pensées, lambeaux, scories, cendres, lave molle écoulant sa gangue liquide partout où sens pourrait faire petite musique urticante, mince comédie ontologique, car être, où voyez-vous être, tout illusion, poudre yeux, escampette, trois p'tits tours, bande marionnettes à fils savent même pas fils, destin suspendu comme épées damoclès et lames yatagan et têtes tranchées moindre objection, moindre objurgation alors que ferais-je hier passé sans retour, aujourd'hui fuit entre doigts comme filet eau, demain bientôt aujourd'hui, puis hier, reste regarder par hublot conscience, voir si solitude habitée et frayer chemin dans forêt monde et appeler autres humains voix blanche, pas écho, juste réverbération sur peau mienne, juste errance et boulets et chaînes chevilles et enfermé geôle, mienne geôle pareille monade ni portes ni fenêtres et ça résonne du-dedans du corps et ça fait ses tourbillons venteux et ça fait ses giclures dans sang carmin lourd épais visqueux et rien bouge beaucoup et parole enclose dans alvéoles et résonateur buccal vide et palais déserté et massif langue desséché et lèvres jointives cousues cernées silence et à horizon bas et phosphoreux voir gesticulations pantins, langage perdu, juste soubresauts, minces éjaculations temporelles, étroites meurtrières et jets couleuvrines et partout têtes tombent, têtes mortes et "chimères lumière ne fut jamais qu'air gris sans temps pas un bruit", et cendre partout jusque bouche, nez offusqué, poitrine soudée, yeux porcelaine, sclérotique manduquée, pupilles étrécies, chiasma retourné dans-le-dedans des cerneaux gris, dans encéphale bitumeux et "cœur battant seul debout petit corps face grise traits envahis deux bleu pâle", et rien du rien dissimulé creux ombilic âme ignée contrainte à regarder monde depuis inconsistance noire, "seul debout petit corps gris lisse rien qui dépasse quelques trous", et que ferais-je puis qu'existe pas, puisque transcende même pas néant, néant moi-même du-dedans existence nulle non avenue ?

 

(NB : Les phrases en graphies rougesentre guillemets

sont extraites de "Têtes-Mortes" de Samuel Beckett).

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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