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15 février 2016 1 15 /02 /février /2016 09:40
Naissance : hésitation à être.

« Sunday repeat ».

Œuvre : André Maynet.

C’est une telle tragédie que de surgir au monde. Là, tout en bas, sur la boule bleue, ce ne sont que trajets multicolores, incessantes allées et venues, chapelets de bruits que rien ne semble devoir arrêter, mystérieuses confluences pareilles à un magma en fusion. Dans les cages de ciment, en haut des tours tutoyant le ciel, se déploient les envies multiples, gonflent les voiles du désir et de la gloire espérée, rarement atteinte. Sur les agoras où souffle le vent de la polémique, de la discorde, il y a des genres de prédicateurs, des prophètes, des thuriféraires qui dispensent « la bonne parole » et les foules s’assemblent en essaims bruissants et compacts sécrétant la croyance et la foi qui aliènent. Il n’y a d’issue que dans le doute, d’exutoire que dans la folie. Ou bien la maladie qui sème sur les visages les stigmates de la finitude. C’est une telle lassitude et les Existants traînent les pieds en direction de la machine qui va les broyer, les réduire en cendre. Parfois les vagissements des nouveau-nés, minces cris disant, par anticipation, ce que sera la vie lorsqu’elle déploiera ses rameaux, ses vrilles enserrant les têtes, les réduisant à la portion congrue et il n’y aura plus de pensée, plus d’espace pour dire l’effusion de l’homme, sa souveraineté, l’aire de son rayonnement. Loin est le Surhomme qui devait venir et faire de sa puissance le parangon d’un renouveau. Les choses sont tellement scellées et la compréhension occluse.

Mais voici que brille une lueur sur le bord du monde. On se nomme Naissance. On n’est pas vraiment encore. On est une vague silhouette empruntant au vent sa délicatesse, à la porcelaine sa teinte d’invisible, à la soie sa douceur native. On est sur une lisière, une hésitation, une crête séparant l’adret de lumière de l’ubac empli d’ombre. Simple vibration pareille au temps lorsqu’il se mêle de paraître, grain d’éternité en partance pour plus loin que lui. En arrière de soi règne une obscurité d’où l’on provient sans en avoir une conscience bien assurée. Ravissement que de ne même pas pouvoir saisir son origine, la deviner seulement, en sentir les entrelacements dans la matière primitive des choses. On entend un cliquetis. On devine un rythme, on perçoit une cadence. Cela fait le bruit de l’amour lorsqu’il déploie sa résille entre l’amant et l’aimée alors que, dans l’ombre, se fomente le fruit qui en naîtra et dispersera, à son tour, les spores d’une généalogie. Cela fait son étrange remuement et l’on se sent, soi-même, fil qu’une navette appliquée s’est mise en devoir de faire émerger du métier à tisser dont l’univers est le cœur battant. On n’est que cela, un croisement entre une trame et une chaîne, une complexité se perdant dans la confusion du temps, les nervures de l’espace. Que cela. Et c’est déjà beaucoup et l’on se retient de paraître plus avant. C’est un tel luxe que de pouvoir disposer de soi, de faire du surplace, d’imiter le vol stationnaire du majestueux colibri. La partie arrière de son corps est dans le passé, la partie avant fait face à l’avenir et l’on est traversé dans toute sa verticalité par un incommensurable présent, une durée éternelle de l’instant où bouillonnent toutes les énergies du monde. Certes rien n’y paraît, tout est à l’intérieur, tout ruisselle dans la tunique du corps, tout se ramifie jusqu’à l’extrémité des doigts, tout s’écoule et la peau est cette frontière étincelante qui dit notre présence au monde tout en préservant notre intimité dans la citadelle unique, imprenable puisque, jamais, l’on ne saisit ce qui constitue notre essence et nous révèle à nous-mêmes comme l’être que nous sommes, cette étincelle s’allumant et s’éteignant à l’horizon de la terre et du ciel.

Oui, notre peau est le parchemin le plus visible que nous tendons aux autres, notre géographie lumineuse, notre réalité spéculaire sur laquelle viennent s’imprimer toutes les significations qui viennent à notre encontre : le vol libre de l’oiseau, la douce rumeur des collines, les déserts aux couleurs chatoyantes, la fourrure animale, le sourire de l’autre, les flamboiements de l’art. Ô combien tout ceci mérite d’être tenu à distance. Combien ceci doit briller derrière l’écran d’une vitrine. Il faut un écart, une distance, un intermédiaire afin que les choses se constituent en mondes autonomes auprès duquel le nôtre jouera sa partition. Multiples échos d’un monde à l’autre. Etonnantes réverbérations, allers et retours, telle la navette originelle, pulsions diastoliques-systoliques nous disant la courbe généreuse de notre exister en même temps que ce qui la féconde et la porte au-devant de nous avec la qualité insigne d’une révélation

Observons l’image, elle est la vivante métaphore de ce que constitue notre venue au monde. Elle indique la nudité, la réserve, le retrait avant même de réaliser le saut dans l’inconnu. Être Naissance, c’est être comme une marionnette à fils (souvenons-nous du métier à tisser qui édifia nos fibres premières dont, à vrai dire, jamais nous n’échappons), sans doute l’image d’un irrémédiable destin auquel nous opposons le concept de liberté. Certes, liberté à seulement l’énoncer et ceci, l’énonciation, en est l’évidente condition de possibilité (nommer les choses, c’est les amener dans la présence, leur donner corps), liberté que contrecarre toujours l’absurde, que contredit le nihilisme en acte, qu’obère tout ce qui détruit et reconduit à la perte, à l’incompréhension, à l’abîme. D’un abîme l’autre. Ceci justifie que Naissance, s’en extrayant tout juste, choisisse d’en différer la survenue terminale, cet incontournable qu’est la mort, qu’elle se consacre, Naissance, à faire durer, à prolonger le bourgeonnement qui précède toute efflorescence, tout déploiement. C’est pour cette raison d’une tenue sur une lisière que l’œuvre se montre sous des aspects si diaphanes, éthérés, comme si le fait de paraître était une telle prouesse que son mécanisme, à tout moment, menaçait de rétrocéder, de faire se métamorphoser le papillon en chrysalide, autrement dit d’annuler le sens qui se levait pareil à un sublime levain. Etre n’est jamais ceci que cette possibilité de ne plus être. Immense paradoxe qui suspend, au-dessus de nos têtes, la lame acérée de Damoclès.

L’aspect du Modèle, tel qu’il se révèle à nous, dans son étonnante épiphanie, est le clavier selon lequel ces idées trouvent forme et ouverture. La chevelure, sous laquelle se lève l’intellection, est si chenue, si éphémère, qu’on la croirait la messagère d’une impossibilité à élaborer de la pensée, si ce n’est un vague état d’âme, un ressentiment, une réminiscence ayant trait à une vie antérieure qui puisait à même l’illisibilité de son obscurité l’assurance d’une confortable inconscience. D’une illucidité en quelque sorte salvatrice. La poitrine est si menue qu’elle ne saurait encore constituer le socle d’une future génération. La cambrure des reins, la projection ombilicale vers l’avant, autant de signes d’inscription dans le futur que vient aussitôt annihiler le phénomène de retrait du bassin comme s’il manifestait sa volonté de différer son entrée sur la scène du monde. Quant au sexe par lequel s’instaure la rencontre du sexe complémentaire, son effacement est celui d’une gestion si innocente des rapports amoureux qu’il incline vers une discrète virginité. Les jambes, quant à elles, ces moyens de locomotion grâce auxquels investir l’espace et y apposer le sceau de sa loi, voici que leur aspect si frêle, deux sarments, leur intiment l’ordre d’une abrupte immobilité. Enfin, la cheville gauche de laquelle part un lien, constitue l’apparent symbole d’une attache, sinon d’une aliénation. Ne s’agirait-il pas du métier à tisser du destin qui n’aurait pas terminé son ouvrage et retiendrait Naissance dans les limbes ? Bien évidemment, tout ceci n’est que conjectures, hypothèses sur une réalité par définition non préhensible. Cependant, ce qu’il convient de faire, toujours, tisser de réflexions ce qui fait phénomène et nous interroge. Peut-être la seule alternative qui nous est donnée, échafaudant des théories, d’échapper à la nappe dense de la chaîne et de la trame. La seule façon de différer des questions qui font notre siège et nous clouent sur la planche de liège de la métaphysique. Naissance nous l’aimons comme nous aimerions la réverbération de notre propre effigie dans un miroir. Tous, hommes, femmes, sur la Terre, ne rêvons que de vivre notre vie quand bien même une invisible attache nous rappellerait une immémoriale dette, notre appartenance à une sphère invisible qui disposerait de nous et tracerait notre voie avec l’imperium des choses déterminées d’avance. Mais peu importe les fondements sur lesquels nous nous levons. Nous serons amnésiques, s’il le faut, mais nous serons LIBRES, immensément LIBRES !

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