Depuis longtemps, sans doute depuis la nuit des temps, des prophètes de malheur annonçaient la fin du monde, anticipant, avec de sombres imprécations dans la voix, les pires malédictions destinées au genre humain. Ces ombrageux aruspices promettaient la fin la plus tragique aux Existants, au simple motif que, dans leur désinvolture coutumière, ils avaient consciencieusement scié la branche sur laquelle ils étaient assis, sans bien se rendre compte du fait que tout acte délictueux comportait nécessairement sa part d’imprescriptible dette : une vie vouée aux affres du dénuement ; l’accomplissement d’un long chemin de croix ; la rédemption des péchés dans quelque anonyme sépulcre dont nul ne connaissait les règles quasi monastiques, y pénétrer consistait tout simplement à remettre son âme entre les doigts ardents du Diable.
Cependant, comme toujours, la réalité était bien autre et nulle vision d’apocalypse n'habitait les yeux des Impétrants, lesquels prétendaient bâtir un Nouveau Monde dont ils espéraient qu’il échapperait aux prédictions de cette funeste eschatologie. Ce qu’il y avait de bien dans tout ceci, dans cette vision d’une Ere Nouvelle, c’était qu’il n’était nul besoin, pour les humains, d’en déterminer la forme : tout se levait de soi dans une belle et inhabituelle lumière aurorale. Tout surgissait de l’ancien, faisait peau neuve, tel le reptile après la métamorphose de l’exuvie. Les Nouveaux Venus s’inquiétaient-ils de cette brusque survenue d’un état inusité, s’étonnaient-ils de percevoir des paroles inouïes, étaient-ils troublés de découvrir des paysages surprenants ? Non, en vérité, il semblait bien que ce Nouveau Monde fût agrémenté de tous les prodiges possibles.
Il est habituel au comportement humain de s’empresser d’accepter tout ce qui flatte leur ego, repoussant dans les marges, le gênant, l’indocile, l’inflexible. A première vue, selon la belle expression de Leibniz, “Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ”, cette belle devise ils eussent pu la faire leur sans nulle arrière-pensée, le Jour Nouveau se levait dans une gloire de lumière, les oiseaux chantaient et pullulaient dans les arbres, les jarres vernissées débordaient d’une généreuse ambroisie. Dès lors, l’on pouvait en toute confiance lever les yeux au ciel, se détacher des lourdeurs de la glaise, flotter en soi comme la feuille légère sur les ailes du zéphyr.
Puisqu’un Nouveau Monde s’annonçait, on se devait de l’accueillir dans la joie et jeter aux orties tout ce qui eût pu en différer la venue, en atténuer l’éclat. Donc, un soir pareil aux autres, les Humains s’étaient-ils endormis sur leurs nattes de tissu, couchés en chien de fusil, en boule, étendus de tout leur long, pliés dans les nasses ouatées de leurs rêves et ces mêmes Humains s’étaient-ils réveillés, dans l’aube qui suivait, avec une drôle d’impression logée au sein même de leur corps. Ils se sentaient plus légers, musicalement accompagnés, des refrains de cristal tintaient tout contre le pavé de leurs têtes. Jamais, au grand jamais, ils n’avaient été saisis d’une si belle humeur, si bien que leurs abris se fussent effondrés sans qu’ils en tinssent rigueur, ni à leur constructeur, ni aux manigances d’un destin s’annonçant sous de vénéneux auspices. Non, la venue à soi du monde se faisait identique au dépliement d’écume d’une corolle et nul ne se souciait de l’heure qui viendrait, de la seconde qui s’effriterait dans l’immense sablier du temps. C’était plutôt la sensation de la goutte d’eau suspendue tout en haut d’une clepsydre, laquelle s’inquiétait de ne la faire chuter qu’au motif du contentement de ceux qui en observaient le lent et appliqué écoulement.
Mais, afin que le Lecteur, la Lectrice ne s’impatientent de tout ce long préambule, qu’il nous soit permis, maintenant, de proposer quelques vues de ce Nouveau Monde en ses plus belles déclinaisons. Bien évidemment, les sceptiques, ceux dont le doute est chevillé à l’âme, les pessimistes, ceux que les fables n’intéressent nullement, ceux pour qui les mythes ne sont que des inventions d’esprits fatigués, ceux qui ressentent la poésie comme une simple bluette, ceux enfin qui jugent le Romantisme parfaitement anachronique, toux ceux-ci et quelques autres encore pourront se dispenser d’entrer plus avant dans cette manière d’aimable comptine pour enfants, ce Nouveau Monde ne sera pour eux, non seulement une gentille utopie, mais une invention imaginaire, un simple miroir aux alouettes. Mais laissons les sceptiques à leur scepticisme !
Nouveau Monde et Paris
Oui, c’est peut-être à Paris que la métamorphose de l’Ancien Monde en Nouveau est la plus étonnante, la plus aboutie, comme si le microcosme de la Capitale reflétait à lui seul l’image de nouveaux espaces, disait l’échelle illimitée d’une nouvelle dimension du temps. Mais il nous faut maintenant visiter et nous laisser porter par le charme irrésistible de la nouveauté.
La Place Saint-André des Arts est devenue Place des Peintres et des Sculpteurs. Pas une once de terrain qui ne soit recouverte d’une œuvre. Pas un seul platane qui n’arbore fièrement, dans ses larges ramures, dans la rigueur de son tronc, l’éclat d’une sculpture, le classicisme d’un bas-relief. Pas une terrasse de café qui ne soit le prétexte à exhiber un dessin, une eau-forte, un lavis. Bien sûr, des Visiteurs Nouveaux déambulent au hasard des rues, puis confluent sur la Place. Chacun veut voir l’Art en sa plus effective réalité. Chacun veut emplir ses poumons de la brise légère d’une aquarelle, chacun veut sentir, tout contre sa peau, le velouté d’une huile, la généreuse rugosité d’un collage, humer l’odeur d’une encre, palper la consistance d’un pigment. C’est un peu comme si l’air lui-même était tissé de façon artistique, comme si l’on en sentait les souples arabesques, les pleins et les déliés, toute une typographie, une sémiologie parlant aux Visiteurs la belle langue des signes.
Mais écartez-vous légèrement, regardez donc au-dessus de mon épaule. Oui, tout comme moi vous êtes émus de voir de si près « Le Printemps » de Giuseppe Arcimboldo, d’en détailler la belle chromatique, de sentir, venant à vous, le luxe inouï de ces fleurs, leur épanouissement, leur subtile présence. Vous sentez, mais réellement, en une manière d’incarnation, les effluves discrets de l’églantine, la douceur des pâquerettes, la note plus affirmée des marguerites, l’odeur un peu fade, antiquaire, des roses. Et cette courge à la belle teinte qui oscille de gomme-gute à mandarine, elle tient, pour vous, le langage de la plénitude, de la chair venue au terme de son éclosion. Oui, c’est vraiment un genre de « miracle » que l’art, ainsi figuré, descende soudain de sa cimaise, se mêle à la lumière du jour, rejoigne le clair souci des Passants, ouvre pour eux les portes qui, jusqu’ici celées, leur interdisaient d’avoir accès à ceci même qui est essentiel pour l’homme : connaître la Vérité en sa plus juste mesure. Jamais l’art ne triche. Toujours l’art se donne en tant que cet objet fabuleux qui vous offre le plus précieux de son être. Il suffit de s’y disposer soi-même, de se constituer selon la forme d’une amphore en attente du précieux liquide qui va s’y déposer et en illuminer les flancs de l’intérieur.
Le geste de réception de l’art consiste en son accueil, le dépliement d’une sérénité, l’attente heureuse. Nul effort à fournir, l’Art ne demande nulle peine, seulement un regard attentif soutenu autant de temps que l’œuvre est présente et au-delà, lorsque, absente, elle nous convoque à la belle fête de la réminiscence. C’est toujours dans le germe de soi qu’il faut réactualiser l’émotion première, la prolonger peut-être selon les beaux motifs du concept, en porter au loin l’efflorescence aussi longtemps que dure le désir de s’accomplir selon la loi de son essence humaine, laquelle est de comprendre le monde jusqu’en ses plus infimes donations. Seule la compréhension de ce qui est, est à même de nous combler. Elle seule nous exonère d’une terrible cécité, laquelle ne peut, selon sa nature, que nous conduire à l’abîme.
Mais, ici, il faut avoir de plus légères pensées. Mais ici, il faut voir et encore voir, inonder son regard de la plus bienfaisante des pluies. Nulle rivière de larmes, cependant, nul sanglot retenu au profond de l’isthme de la gorge. Au contraire, le ruissellement d’une pluie bénéfique, le versement d’une eau lustrale qui nous portera au-devant de nous, au seuil de cette reconnaissance d’une altérité qui assure notre complétude et nous dispose à l’effectif rayonnement de qui-nous-sommes en propre. Des nomades en quête d’un lieu où faire s’abreuver leur troupeau, d’une halte où trouver repos et arrimer son destin à la courbe de la dune, au bourgeonnent vert de l’oasis, loin là-bas, au titre de la distance, mais près au motif de la calme certitude qui enveloppe le simple et obstiné marcheur du Désert lorsque, parvenu au bivouac, toute douleur s’allège et devient gratitude, remerciement.
L’art, donc, était là en sa sublime ouverture. Aussi bien le « Portrait de Nicolaus Kratzer », peint par Hans Holbein, dit « Le Jeune », du temps de la Renaissance nordique. Cette tempera sur bois de chêne est si généreuse dans ses teintes de beige et de terre de Sienne, si exactement belle que chacun, ici présent, penserait pouvoir saisir au creux de ses mains les instruments de cet homme-orchestre, de ce mathématicien, astronome et horloger bavarois, saisir donc ce compas, cette « horloge du berger », ce cadran solaire polyédrique sur lequel le savant exerce son art. Mais aussi des estampes japonaises telle « La Chasse aux insectes » de Suzuki Harunobu de la période Edo. Sublime tableau si finement livré avec ses rehauts de nacre broyée et de poudre d’or, le tout se diffusant dans un rayonnement subtil, comme si c’était l’estampe elle-même d’où émanait cette lumière parfaitement spirituelle, arachnéenne.
Tout se laissait admirer avec naturel et rien n’eût étonné les Nouveaux Venus si certains d’entre eux s’étaient retrouvés sous la figure d’une peinture impressionniste ou bien d’inspiration nabi, tellement les œuvres instillaient dans l’esprit des hommes de soudaines efflorescences. Si bien que, dans la lumière déclinante, un homme venu sans doute du Grand Nord, là où la taille dépasse la moyenne, apparaissait telle cette infinie figuration masculine, longiligne, taillée dans le bronze, inoubliable effigie de l’Art Etrusque, nommée « Ombre du soir ». Ce qui était beau au-delà de toute parole, cet écoulement du symbolique et de l’imaginaire dans le réel, dont chacun tirait sa plus noble quintessence. Parfois, s’amusant à faire le tour de la Place des Peintres et des Sculpteurs, un petit char monté sur des roues de métal, avec à son bord deux oiseaux aux becs recourbés, tout droit venus de la Civilisation Villanovienne, projetaient en direction du futur ce que pourraient être les déplacements des Urbains dans les temps à venir. Nul ne quittait jamais cette place sans émotion. Nul ne la quittait sans porter en soi, au plus secret de son être, quelque projet de création artistique qui, peut-être, trouverait le lieu de sa réalisation au fond d’un atelier nimbé de la douce lumière d’un clair-obscur.
Le visage de l’ancienne Lutèce se donnait aussi selon de nouvelles perspectives et la Place René Char avait été rebaptisée Place des Poètes. Ici, quiconque versifiait ou poétisait en prose, trouvait l’endroit rêvé de son élection. Le Lecteur attentif aura bien évidemment deviné que ce lieu situé dans le quartier Saint-Thomas-d'Aquin, accueillait, aussi bien sur les rotondes en ardoise des immeubles haussmanniens, que sur les bannes colorées des terrasses de café et le sombre bitume des rues, l’un des plus beaux extraits de l’anthologie classique, odes et ballades, sonnets et autres rondeaux. Il n’était pas rare qu’à l’écoute du poème « Enfance » de Guillaume Apollinaire (nul ne savait d’où venait la voix), plus d’un, ému aux larmes, se retrouvât soudain sur les rivages de ses jeunes années, songeant au milieu « des cyprès », oubliant tout de sa vie actuelle, Oubliant aussi bien les joies que les peines pour ne retenir que la douceur de l’âge ancien, ce merveilleux présent qui n’aurait nul retour :
« Au jardin des cyprès je filais en rêvant,
Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
Jusqu'au bassin mourant que pleurent les saulaies… »
Un soir d’été vit un Jeune Homme hissé tout en haut d’un balcon, déclamant dans une manière de fougue curieusement retenue dans son corps d’éphèbe, les vers d’Arthur Rimbaud tout droit venus de son poème « Sensation ». Etrangement, il avait, trait pour trait, la physionomie blême, triste, le regard flou comme retourné vers l’intérieur et faisait songer à la photographie du Poète à dix-sept ans, prise par Étienne Carjat. Tout comme lui, il arborait une chevelure désordonnée, une veste de toile grise, une chemise à boutons de tissu que venait fermer la moire d’un nœud papillon. Sa voix était voilée comme si elle était venue des confins du monde, peut-être du côté de Chypre ou d’Eden, ou bien d’au-delà du visible, depuis les lourdes portes de Harar, là où brille le mirage des peaux, du café, là où apparaissent les miroitements de l’ivoire, les éblouissements de l’or qui ne sont jamais que l’envers de la poésie, cette prose soudain si sombre qu’elle s’engloutit dans la nuit de l’incompréhension et du silence.
Quoi qu’il en fût de la perception du natif de Charleville, ce qui était patent, c’est que les Amateurs de poésie étaient aux anges, quelque part entre « Une saison en enfer », « Les Illuminations » ou bien sur les traces erratiques de « L'Homme aux semelles de vent », eux aussi ils étaient partis pour un intangible royaume, ils planaient infiniment bien au-dessus de leur contingente figure, ils traversaient les espaces sidéraux, ils frôlaient des comètes de feu, ils tutoyaient les rugissements de la lave et il s’en fût fallu de peu, qu’au sommet de leur vertige, ils n’eussent la tentation d’Empédocle, se jeter corps et âme dans la gueule incandescente de bombes ignées afin d’y rejoindre cet Absolu dont ils rêvaient sans bien en saisir la foudroyante nature. On ne saute dans l’abîme qu’à en méconnaître la profondeur.
Les mots du Poète, ils les buvaient, les syllabes ils les manduquaient, les voyelles « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu » entraient par leurs pores et bruissaient longuement, telles des « mouches éclatantes » qui butinaient la matière effervescente de leur imaginaire. Leurs « naissances latentes » trouvaient le lieu et la forme de leur effectuation et plus rien ne demeurait du réel en sa compacité, sa douleur patente, son obstination à demeurer ici tel l’infranchissable obstacle qui ôtait toute idée même de liberté. Mais écoutons avec eux la marche attentive et décisive du Poète, celle au gré de laquelle il vient à lui et gagne son essence poétique, bien loin de la chute qui se dessine à l’horizon, cumulus ténébreux qui effacent tout et reprennent tout en leur sein :
« Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme. »
En ces temps de noble surprise, le champ de la nouveauté s’étendait selon tous les horizons et il semblait ne demeurer du passé que quelques haillons suspendus à l’oublieuse mémoire des hommes. C’est bien l’un des traits du changement que de fossiliser tout ce qui n’est lui, de plonger hier dans une brume et faire de demain un songe flou encore inaccessible mais vers où l’on tend irrésistiblement au motif que la mode qui vient dépasse toujours la mode antécédente. Ainsi, marchant au hasard des avenues, des rues et des places de Paris, pouvait-on découvrir, tels des enfants ravis par leurs cadeaux de Noël, un visage inconnu dont, bientôt, l’on ferait son ordinaire pour, un jour prochain, n’y plus prêter attention. Mais poursuivons notre périple, il est bordé d’or et semé de vertes émeraudes. Nous arrivons maintenant en vue de la Place Maurice Barrès rajeunie en Place des Ecrivains. Bien évidemment, il serait bien trop long d’énumérer la kyrielle des Diderot, des Montaigne, des Chateaubriand, des Ronsard, mais qu’il nous soit seulement permis d’évoquer ce beau texte dédié à la mémoire d’Etienne Pivert de Senancour, extrait tiré de son roman « Oberman », LETTRE II :
« J’étais sous les pins du Jorat : la soirée était belle, les bois silencieux, l’air calme, le couchant vaporeux, mais sans nuages. Tout paraissait fixe, éclairé, immobile ; et dans un moment où je levai les yeux après les avoir tenus longtemps arrêtés sur la mousse qui me portait, j’eus une illusion imposante que mon état de rêverie prolongea. La pente rapide qui s’étendait jusqu’au lac se trouvait cachée pour moi sur le tertre où j’étais assis ; et la surface du lac très-inclinée semblait élever dans les airs sa rive opposée. Des vapeurs voilaient en partie les Alpes de Savoie confondues avec elles et revêtues des mêmes teintes. La lumière du couchant et le vague de l’air dans les profondeurs du Valais élevèrent ces montagnes et les séparèrent de la terre, en rendant leurs extrémités indiscernables ; et leur colosse sans forme, sans couleur, sombre et neigeux, éclairé et comme invisible, ne me parut qu’un amas de nuées orageuses suspendues dans l’espace : il n’était plus d’autre terre que celle qui me soutenait sur le vide, seul, dans l’immensité.
Ce moment-là fut digne de la première journée d’une vie nouvelle : j’en éprouverai peu de semblables. Je me promettais de finir celle-ci en vous en parlant tout à mon aise, mais le sommeil appesantit ma tête et ma main : les souvenirs et le plaisir de vous les dire ne sauraient l’éloigner ; et je ne veux pas continuer à vous rendre si faiblement ce que j’ai mieux senti.
Près de Nyon j’ai vu le mont Blanc assez à découvert, et depuis ses bases apparentes ; mais l’heure n’était point favorable, il était mal éclairé. »
Adossée à l’une des colonnes corinthiennes de L'église Notre-Dame-de-l'Assomption (on avait un peu de mal à en cerner la nouvelle forme, des grappes de raisin recouvraient les canelures de pierre), une Jeune Femme vêtue d’un ample péplos aux plis pareils à ceux d’une pierre antique ayant pris forme sous le ciseau d’un sculpteur, lisait avec attention (de belles inflexions dans la voix suivaient le rythme du texte, le rendaient vivant, presque palpable), les phrases teintées d’un beau lyrisme qui font la charme d’Oberman. Attirés par cette voix aussi mélodieuse que sensuelle dans ses sinuosités, quelques Personnes nouvellement venues convergeaient en direction de ce murmure littéraire lequel, mesuré à sa juste valeur, se donnait sous la forme d’une réelle incantation. Telles de légères abeilles, les mots de Senancour glissaient sur le lisse de la peau, y semant le trouble délicieux d’un pollen. Nul ne se fût décidé à partir avant que le point final n’eût été posé. C’était vraiment nouveau sous le ciel gris de Paris, cette ferveur des Quidams à se rassembler là où fleurissait l’émotion, là où la sensibilité brasillait avec discrétion à même le massif de la chair.
Ceux, celles à qui était destinée la lecture percevaient-ils les messages codés qui y figuraient ? Ou bien, captivés par le son de la voix, n’étaient-ils ouverts qu’à l’esthétique du texte, à ses harmoniques soyeux, à ses subtils poudroiements ? Nul n’aurait pu dire à ce sujet, si ce n’est évaluer du dehors l’apparente fascination qui intimait l’ordre, immédiatement consenti, de demeurer en soi, là au pli le plus intime de la sensation. Nul ne bougeait. Nul cil ne battait. Nulle impatience n’activait quelque acte que ce fût. Ce qui était vraiment beau à voir, cette adhésion totale au geste du lire, cette écoute sérieuse, réfléchie, cette soudaine disponibilité à faire se lever en soi l’essence même du langage, à en faire déployer les élytres là même où le cœur battait et trouvait le lieu de sa pulsation.
Sans doute fallait-il penser que ce texte n’avait nullement été choisi au hasard par la Lectrice et cette impression devenait d’autant plus vive lorsqu’on focalisait son attention sur les passages mis en relief par une habile diction. « L’état de rêverie » évoqué par le narrateur, n’était-il une invitation au songe qui, depuis bien longtemps avait déserté les têtes ? Et ces montagnes qui s’élèvent et se séparent de la terre, ceci ne voulait-il indiquer la nécessaire hauteur dont chacun devait se doter afin de ne nullement demeurer dans les lourdes contingences terrestres ? Quant à la belle énonciation posant comme seule alternative le fait qu’il « n’était plus d’autre terre que celle qui me soutenait sur le vide, seul, dans l’immensité », comment ne pas y entendre la totale solitude de la condition humaine toujours confrontée aux limites de sa propre finitude ? Comment ne pas y repérer le dard de la vacuité qui troue toujours la toile du réel, y ouvre de continuels abîmes ? Comment, enfin, ne pas y saisir que toute joie profonde, que toute découverte de Soi en son abyssale profondeur ne peut jamais résulter que d’un face à face du Soi avec sa propre dimension ? L’autre est toujours de surcroît qui, certes nous tend la main, nous réconforte mais au plus fort de la tempête nous sommes embarqués sur notre esquif solitaire que viennent battre les flots mauvais. Mais nous ne noircirons davantage le tableau, ce qui se passe est si admirable qu’il convient sans doute de rester au silence et de méditer longuement en soi les faveurs qui se donnent sans répit, sans compter.
Oui la Vie Nouvelle est une bien belle chose !
Partout, dans les rues de la Capitale, se manifestait une curiosité, mais une curiosité saine qui touchait à la nature même de ce que nous rencontrons chaque jour comme la part de réalité qui nous est allouée, dont nous devons, à force d’opiniâtreté, déflorer le sens. Un lieu parmi tous brillait de son habituel éclat, mais rehaussé par le prestige de la modification. La Butte Montmartre, ce genre de Mont Olympe pour les Parisiens, semblait tenir en sa récente manifestation tout ce que promet habituellement de félicité une Mythologie digne de ce nom. Sans doute son nouveau nom n’était-il sans causer quelque étonnement. Ouránios Lófos (Ουράνιος Λόφος qui se traduit par « Colline Céleste »), tel était le récent toponyme qui désignait la Butte, les habitants de cette dernière ayant quelque mal à se définir tel les « Ouraniolofiens », mais il est maintenant grand temps d’aller voir de plus près ce qui, ici, se donne en tant que Nouvelle Réalité.
Ce qui était tout à fait digne de regard, c’était la Nouvelle Configuration des lieux. En une certaine manière tout était semblable à soi mais dans la différence. Nous voulons signifier par-là que les rues étaient toujours les rues, les places étaient toujours les places mais c’était la notion de temps qui avait trouvé l’espace de sa métamorphose. Déambulant au hasard des sites d’Ouránios Lófos, on apercevait bien des fragments de l’ancienne Butte, mais plongés dans une perspective historique qui ramenait en droite ligne à la splendeur de la Grèce Antique et il n’eût guère été étrange de surprendre, sur les agoras disséminées ici et là, une foule muette attentive aux dires de quelque orateur Attique : Antiphon enflammant l’agora, Andocide faisant le récit de sa propre vie, l’éloquent Démosthène haranguant la masse des Curieux, leur exposant ses convictions politiques ou bien encore Isocrate tricotant quelque habile philosophème. Si la plupart des endroits avaient gardé leur aspect initial, seulement quelque détail architectural en changeant la façade (ici une frise florale, là un tympan richement armorié, plus haut le surgissement d’un somptueux triglyphe, le surplomb d’une corniche, le fût crénelé d’une colonne), c’est bien la partie la plus élevée de la Butte qui avait subi les transformations les plus visibles.
En lieu et place du Sacré Cœur, de son étrange architecture byzantine, se dressait un édifice faisant penser au Temple de la Concorde d’Agrigente. Ses hautes colonnes étaient d’un blanc éblouissant, tympan, métope et triglyphes colorés d’un rouge ponceau, d’un bleu de France, teintes si douces qui se confondaient presque avec le gris du ciel de Paris. Ce magnifique Temple fascinait tellement les Ouraniolofiens que ceux-ci, en longues processions, venaient de tous les azimuts montmartrois, de la Place du Tertre, des Vignes du Clos Montmartre, du Moulin de la Galette et le Cabaret du Lapin Agile n’était nullement en reste. Tous étaient vêtus à l’antique, les femmes enveloppées dans de larges péplos de couleur safran, les hommes arborant des chitons blancs décorés de frises architecturales. Tous étaient chaussés de sandales de cuir à lacet qui conféraient à leur marche une allure à la fois souple et altière.
Tout ce peuple joyeux convergeait en direction du Temple de la Concorde en de longues grappes qui, dans les rayons dorés du soleil, faisaient penser aux fruits mordorés de la vigne. Le but de la déambulation était l’ample parvis qui se développait sur l’ancien site de la Basilique, il figurait, en quelque manière, un proscenium sur lequel devaient se dérouler, pour le plus grand bonheur de tous, les « Anthestéries », fêtes de la fin de l’hiver dont on souhaitait qu’il s’achevât, l’hiver, sur une sorte de feu d’artifice et qu’il conduisît à une ivresse bien méritée. Là, sur la corolle de pierre blanche, allait avoir lieu, dans le plus festif des caractères, « l'ouverture des jarres », laquelle ouverture, habituellement, se déroulait près du Sanctuaire de Dionysos (mais les Ouraniolofiens n’étaient guère regardants et les détails importaient moins que l’extase qui succédait à ce rite païen).
Les jarres couronnées de fleurs, emplies à ras bord du capiteux Vin Nouveau, allumaient des étincelles dans les yeux des fêtards et quiconque eût admiré la scène de l’extérieur, se fût toujours présenté trop tard. Des agapes, sur le parvis taché de vin, il ne demeurait guère que ces témoins d’une large exultation collective. Mais le culte de Dionysos n’était nullement le seul à être porté au pinacle. Ainsi pouvait-on voir indifféremment, selon les saisons, les jours et les heures, des manifestations dédiées à Zeus, à Héra, à Athéna, à Apollon, à Aphrodite, à Hestia, toutes ces divinités envahissant de leurs singuliers attributs le Nouvel Espace qui leur revenait de droit. Ainsi se mêlaient, en un joyeux tohu-bohu, sceptre et foudre, grenade et paon, chouette et olivier, arc et lyre, colombe et rose, feu et corne d’abondance. Si les Résidents du lieu avaient presque perdu la totalité de la mémoire des jours anciens, cependant, parfois, au milieu de leur étonnant pandémonium, surgissait le souvenir d’une fête religieuse dans la grande Basilique blanche, l’image d’un baptême ou bien d’un mariage, mais ce qui était évident c’est qu’ils n’auraient nullement troqué leurs Jours Nouveaux pour les Anciens. Cette ombre portée de l’Antique sur leur soi-disant modernité, ils l’avaient accueillie au sein même de leur communauté et l’avaient métamorphosée en une nappe de lumière permanente aussi douce qu’un miel. C’est ainsi que se déroulait la Vie Nouvelle, avec ses volutes de joie, ses flonflons enrubannés qui flottaient haut au-dessus de la Capitale. On eût pensé à de facétieux ballons dirigeables dont le Pilote, pris d’amour, aurait laissé voguer son aéronef au gré de ses caprices et des voltes primesautières de sa volubile humeur.
Mais la nouveauté ne s’arrêtait nullement là et il nous faut poursuivre notre voyage en direction de quelque surprise dont on pourrait penser, à juste titre, qu’elle ne résulte que de l’invention d’un monde surréel, hors de portée des yeux, éloigné de tout geste de préhension. Or ne regarde avec justesse, on ne saisit avec bonheur, que Celui, Celle qui s’y disposent selon la voie de leur souple volonté, peut-être à la force latente et insoupçonnée de leur désir. Alors comment pourrions-nous omettre de parler de ces Edéniques Arcadies (en lieu et place des habituels espaces verts de Paris : Buttes Chaumont, Parc Monceau, Bois de Boulogne, Jardin des Tuileries, Jardin des Plantes, Jardin du Luxembourg, Bois de Vincennes - Un seul exemple suffira à fixer les idées, le superbe Jardin des Tuileries se nommait « EPIGEIOS PARADEISOS », ΕΠΙΓΕΙΟΣ ΠΑΡΑΔΕΙΣΟΣ, qui signifie, comme chacun sait « Paradis sur Terre »). Mais refermons ici la parenthèse. Tous ces jardins, qu’à peine l’imaginaire pouvait concevoir, étaient reliés entre eux par un réseau de « Chemins Verts » que les Nouveaux Citadins fréquentaient assidument au motif que la vie y était sereine, que la chlorophylle s’y étalait en larges nappes, que les abeilles y butinaient les immenses grappes de fleurs qui partout s’y épanouissaient. Tantôt les chemins s’élevaient au plus haut du ciel, semés des touffes mauves des glycines, tantôt c’était la vive couleur d’héliotrope des fleurs des bougainvilliers qui exultait.
Parfois les chemins descendaient selon une pente vertigineuse, conviant leurs Passagers à une visite des anciennes carrières ayant servi à la construction de la Capitale. Des corolles de marbre s’y révélaient, des champs de blanche calcite lançaient les rayons brillants de leur cristallisation dans tous les azimuts. C’était, ici, le lieu des floraisons minérales que chacun admirait à la hauteur de leur étonnante pluralité. D’autres fois les sentiers se réunissaient en étoiles, s’enlaçaient à la façon de rubans de Moebius, se lançaient dans l’espace sur des passerelles vertigineuses, se démultipliaient en volées d’escaliers, enjambaient des boulevards depuis l’arche de leurs très hauts viaducs, d’autres fois flottaient au-dessus d’un canal, d’un port, au-dessus des toits gris des immeubles de Paris. Le Lecteur, la Lectrice auront compris combien cette Nouvelle Architectonique de la ville constituait, pour l’âme, un baume souverain.
Mais, avant d’entreprendre ce périple, il nous faut observer combien ces Temps Nouveaux ont changé les mœurs des Humains aussi bien que des Animaux. Sur une petite butte de terre, de jeunes enfants, grimpés sur le dos de tigres et de jaguars noirs, jouent au bilboquet, la boule de bois, parfois, s’égaillant au milieu de la foule de macaques à queue de lion qui se font une joie d’aller la dissimuler à l’ombre de quelque bosquet. Un jeune caracal (ce félin-chat aux oreilles pointues à la diable), grimpé au sommet d’un rocher prend la pose devant le chevalet d’un Peintre, ne distrayant parfois son attention que pour émettre un rapide bâillement. Des panthères nébuleuses et des neiges glissent en criant de plaisir sur de longs et joyeux toboggans. Le ciel est bleu d’azur avec des trouées de blanc où se montrent de doux séraphins. De hautes falaises de calcaire d’une neige éblouissante sont couronnées de sapins aux larges ramures. Des nuées d’oiseaux colorés s’y posent en babillant tels de jeunes bambins. Un couple de Nouveaux Venus, rats des nuages perchés sur leurs épaules, devisent joyeusement avec un vieil Ermite vêtu d’une houppelande pourpre, les fils de sa barbe traversés d’une nuée de papillons.
Tout, ici, se donne dans le naturel, dans l’immédiate simplicité. Rien ne demeure hors de soi. Tout conflue en tout et nulle différence n’isole plus ici tel homme, là tel autre qui lui serait hostile. A l’évidence, ce que le Peuple des Nouveaux a appris, la tolérance, le respect de l’autre en sa singularité, sa propre modestie à proposer plutôt que cette morgue hautaine qui, dans l’Ancienne Vie, était la seule et unique monnaie d’échange. C’est comme une Nouvelle Morale qui sortirait des tapis de fleurs, animerait le cœur des marguerites, comme une Nouvelle Harmonie qui ferait du loup le compagnon inséparable du mouton, du mangabey couronné avec sa touffe de poils de couleur rouille au sommet de la tête, avec ses oreilles bleues, sa frimousse fripée, ses yeux noisette, le double inséparable du merveilleux caméléon. Chacun, ici, serait le frère, l’ami de cette Belle Grande Fille à l’éclatante beauté, la modestie animale se reflétant dans l’exception humaine enfin mise à portée, enfin perçue tel un atteignable.
Des bouquets d’arbres à la toison vert bouteille arborent, dans la nuit de leurs feuilles, de somptueux fruits, à n’en pas douter des pommes d’or des Hespérides, ces pommes offertes par Gaïa la Terre, à Héra, afin de célébrer son mariage avec Zeus en personne. Oui, cet ancien Jardin des Plantes est fécondé par la riche Mythologie, on en sent l’empreinte mystérieuse à chacun de ses pas, à chacun de ses souffles. C’est ceci, être porté au Sacré, se glisser dans la peau céleste des Dieux et des Déesses, se vêtir de leur haute stature, insuffler dans son âme humaine, simplement humaine, ce nuptial zéphyr qui, d’emblée, relie à ce qui est Beau, à ce qui est Bien, à ce qui est Vrai. Demeurer sur Terre, c’est bien là le lot humain pour de simples raisons de pesanteur. Strictement physiques, la Terre nous attire tel l’un des siens. Strictement psychologiques, nous ne nous estimons nullement capables de dépasser notre frontière de peau, de transcender le réel, de nous immiscer dans quelque haute venue à nous d’Idées Sublimes, de plurielles Substances, de libres Esprits qui nous diront notre possible naissance à la fête plénière de l’exister. Non, ceci n’est nullement le songe flou d’une mystique. Non ceci n’est nullement un coupable égarement de l’imaginaire. Tous, nous portons en nous cette fleur qui ne demande qu’à éclore, à essaimer dans le luxe de l’air les spores d’une félicité. Ainsi aurait-on pu décliner à l’envi l’étonnante rencontre du cercopithèque de l’Hoest avec le chat angora domestique, contempler le surprenant commerce des Hommes en cols blancs avec l’orang-outang de Bornéo, se laisser surprendre par tous ces rapprochements qui étaient la vivante traduction de l’arc-en-ciel des affinités, des genres et des espèces diverses qui peuplent la terre.
Mais maintenant, il s’agit de franchir un grand pas en avant, de découvrir ensemble combien cette fin d’un monde était tout à la fois tissée des plus belles surprises, ouvragée des plus beaux projets dont l’imaginaire humain eût bien été en peine de dresser le tout début d’un inventaire. Là où les choses prenaient une singulière ampleur, nous n’allons guère tarder à en découvrir les mystérieux arcanes. Mais, tout d’abord, ayez présente à l’esprit la majestueuse Cathédrale Notre-Dame de Paris avec sa large esplanade qui s’ouvre devant l’édifice. Représentez-vous ses deux tours carrées puissantes comme des rocs lancés en plein ciel, ayez en vous, en pleine présence, les trois portails du soubassement, faites venir, tout contre l’étrave de vos yeux, l’immense rosace portant la statue de la Vierge à l’Enfant, entourée de ses belles fenêtres géminées. Puis, soudain, à la façon d’une trombe d’orage, de la survenue d’un cataclysme, que vos yeux s’emplissent de l’embrasement de la flèche lors de l’incendie survenu en avril 2019. Vous assistez, avec stupéfaction, à son écroulement, à la chute des toitures de la nef qui entraîne la chute de la croisée du transept. Vous êtes sidérés comme le sont tous les amateurs d’art religieux, tous les connaisseurs d’architecture, tous les gens, croyants ou bien athées, il n’y a nulle différence devant l’atteinte mortelle d’un immémorial patrimoine. Puis, grâce à un saut dans le temps, retrouvez Notre-Dame totalement rénovée, sa belle flèche neuve trouant de nouveau le ciel gris de Paris. Voilà, vous y êtes entièrement, mais pour autant, vous n’êtes nullement au bout de vos peines, loin s’en faut !
Avril 2025. Les travaux ont été terminés à temps. Sur le parvis se tient la foule des Notables que la foule entoure, située derrière des barrières. C’est le jour tant attendu de l’inauguration. Le parvis est constellé des robes pourpres des Hauts Magistrats, les Dignitaires de l’Eglise ont revêtu leurs vêtures d’apparat, les Corps Constitués s’échelonnent en grappes compactes. Chacun veut voir le spectacle en son entier, personne ne veut se distraire du moindre détail. Les yeux sont fixés, attentifs. A 18 heures 20, en souvenir de l’incendie meurtrier, au moment où le Président de la République, assisté de l’Archevêque de Paris, s’apprête à couper le ruban tricolore, doublé d’insignes religieux éminents, un grand bruit se fait entendre. Aussitôt les yeux des Curieux se portent sur Notre-Dame : l’incroyable, l’inimaginable se produit, la flèche que des armées de Compagnons du Devoir ont mis des années à édifier, la flèche qui porte tous les vœux des gouvernants, des ecclésiastiques, des passionnés d’Histoire et de Patrimoine, la flèche s’écroule sur elle-même à la manière d’un château de cartes, entraînant avec elle la presque totalité du bâti. Les lourdes pierres de la façade volent en éclat, rejointes par les arcs-boutants, les débris de la rosace, les éclats colorés des vitraux. Je vous fais grâce de tous les détails qui suivent cette Nouvelle Tragédie. Nombreux sont les inconsolables, les affligés, les désespérés. Mais inutile d’insister sur ce lourd pathos, il ne nous apportera guère qu’une ineffaçable mélancolie.
Avril 2026 - Notre-Dame n’existe plus que dans le souvenir, dans les cœurs. Une armée mondiale d’Experts de tous ordres a décrété la fin de l’édifice religieux. Sur le plan de la réhabilitation de l’ancien monument, rien d’autre n’est possible que de procéder à son entière démolition. Durant une année entière, bulldozers, scrapers, excavatrices et autres grues travaillent sans arrêt. A l’issue du chantier, ne demeure qu’un trou béant, un large cratère qui fait penser à celui laissé vacant par la destruction des Halles en 1972-1973. Bien évidemment un Concours International d’Architecture est lancé simultanément afin que ne demeure visible cette immense cicatrice laissée dans le sol, en même temps que dans la psyché des Hommes et des Femmes de ce temps. A l’issue du Concours et bien que les Sommités Mondiales aient planché sur le projet, rien ne sort des plans que du conventionnel, des plats réchauffés : de hautes cathédrales néo-gothiques, des édifices étranges surmontée de bulbes colorés, pourvus de tours semblables à celles des minarets, de hautes élévations qui font penser au débridement architectural d’un Gaudi édifiant le monde imaginaire de la Sagrada Familia avec ses gargouilles en forme de bestiaire, escargots, grenouilles, salamandres, lézards, caméléons, enfin tout un musée surréaliste dont la rhétorique paraît inépuisable. Donc, au grand dam de ces peigneurs de comètes éteintes, seule demeurait la cendre poussiéreuse du passé, on lança un Nouveau Concours destiné aux enfants âgés de huit à treize ans dont on supputait que l’imagination ferait merveille alors que la tête des ci-devant Constructeurs n’avait accouché que de bien tristes projets. Comme l’on peut s’en douter, nombreuses furent les propositions des Jeunes Impétrants et le choix se fût révélé délicat, si au milieu de tout ce fatras de signes embrouillés, un plan ne s’était nettement détaché de la masse.
Bientôt les savants experts furent unanimes à désigner le projet d’un enfant de dix ans, nommé Thávma (Θαύμα), nom qui, traduit du grec, signifie « Prodige ». Oui, Thávma était l’un de ces rares enfants qui essaimaient la planète, une manière d’enfant-fée si l’on peut s’exprimer ainsi, une fleur précocement ouverte d’où surgissait, à foison, le pollen luxuriant du génie. A son âge si près de sa propre origine, le Jeune Prodige avait lu la plupart des Grands Traités Philosophiques et les autres disciplines n’en étaient pour autant nullement négligées. Pour lui l’astronomie, la chimie, la physique, les mathématiques n’avaient plus guère de secret et il ne se passait de jours qu’il ne fit quelque découverte majeure. Ses interprétations, au piano, des oeuvres musicales classiques se donnaient dans la joie et les moins mélomanes des humains eussent été totalement conquis d’entendre une si sublime maîtrise des notes et des rythmes. Oui, je sais combien vous serez étonnés de découvrir cette Jeune Vie, un genre de mirage flottant au-dessus des dunes du Désert ! Parfois est-il urgent, parmi toutes les apories distillées par notre civilisation technique, de se laisser emporter par de tels surgissements, ils donnent à quelques uns le privilège de relever le socle de la condition humaine dont le marbre est singulièrement lézardé.
Maintenant, sans délai, venons-en à l’exposé de la sublime nouveauté architecturale mise à jour par le très inventif Thávma. Donc il y avait, en lieu et place de l’ancien parvis, un immense trou dont il fallait combler l’insupportable vide. C’est ainsi, l’homme supporte le plein mais guère son contraire. Si, à partir d’ici, votre imaginaire peut suffisamment se déployer, alors vous allez vivre l’un des moments les plus intenses de votre existence. Pouvez-vous installer, au centre de votre psyché, une forme en tout point semblable à un obélisque ? Dans l’affirmative, nul doute qu’il s’agisse d’un facsimilé de l’Obélisque de la Concorde, ce pur chef-d’œuvre taillé dans un bloc de syénite, cette roche rose cousine des granits, dans laquelle sont gravés les merveilleux hiéroglyphes dont ceux, admirables, de Ramsès II faisant une offrande au dieu Amon-Rê. Mais ce qui devient aussitôt indispensable, vous détacher de cette image de pierre qui, malgré la finesse de l’ouvrage, lui donne encore trop de pesanteur. C’est en direction de la légèreté qu’il nous faut aller, en direction de la transparence, en direction de la diaphanéité. Car notre Constructeur de génie, en plus de posséder d’une manière innée, en soi, les clés de l’architectonique, est doué d’une conscience éveillée à la beauté de toute esthétique pourvu qu’elle soit conduite avec toute la finesse requise. Imaginez donc un Obélisque taillé dans le plus pur cristal, seulement parcouru de quelques lignes d’acier qui en nervurent la forme. La base de l’Obélisque repose tout au fond de la cavité laissée vacante par la disparition de Notre-Dame. Les premiers travaux dirigés par Thávma ont consisté à draguer le lit de la Seine, à disposer sur son fond des strates successives de pierres de granit et de treillages d’acier finement torsadés, de manière à ce que la structure dispose d’appuis suffisamment stables. Donc la base de l’édifice est entourée de larges plaines d’eau, une eau filtrée à la clarté étonnante. Y évoluent, en toute tranquillité, dauphins et autres cachalots ainsi que des poissons de toutes les sortes, si bien que les Visiteurs, lorsqu’ils gagnent le sous-sol de l’Obélisque de verre, peuvent s’installer tout à leur aise afin de voir les évolutions gracieuses et légères de cette belle faune fluviale.
L’Obélisque (To vélos - Το βέλος -La Flèche) est incliné à quarante-cinq degrés, si bien que sa flèche se lance à l’assaut du ciel et que son extrémité, le plus souvent, se perd dans le ciel laiteux de Paris. Les nervures d’acier dont il a déjà été parlé, sont les liaisons qui assurent la jonction des pavés de verre. A la hauteur du Parvis (nommé présentement « Parvis de la Flèche »), situées de plain-pied, deux larges ouvertures permettent d’accéder à la colonne de verre translucide. La Porte Ouest est celle par laquelle les Visiteurs pénètrent à l’intérieur, la Porte Est étant celle que l’on emprunte pour sortir. Avant de poursuivre la description, il convient de faire entrer en scène les Protagonistes qui sont les acteurs de ce Nouveau Monde. La Porte Ouest est aussi nommée « La Porte Hespérique », celle qui se perd dans le labyrinthe touffu des ombres humaines qui envahissent les contrées occidentales.
Ici, s’assemblent en masses compactes les Existants qui traînent derrière eux les boulets de l’existence. Il n’est pas rare de voir un Homme affublé de péchés qui altèrent son visage, ce dernier prenant l’allure de la suie. Il n’est pas rare de voir une Femme dont la vie dissolue lui confère des traits inquiétants. Ce qui est remarquable en tous points, c’est la longue patience dont les Ténébreux font preuve, attendant que leur tour vienne. C’est un peu une manière de pénitence avant l’heure. De part et d’autre de l’entrée, sur des tables juponnées de coutil neutre, sont posées d’amples chasubles blanches dont les Visiteurs doivent se vêtir avant de pénétrer dans l’enceinte inondée de lumière. Blancheur contre blancheur, pureté contre pureté. Mais ne voyez ici ni le clair-obscur de quelque mysticisme, ni l’ombre portée d’une religion. Mais il faut faire une parenthèse et préciser quels sont les concepts du jeune Prodige en la matière.
La Flèche n’est nullement un édifice religieux. Bien plutôt elle est une synthèse de la beauté, une sorte de fusion en un seul lieu de ceci même qui élève les Hommes et métamorphose leur destin en un regard qui se hausse au-dessus du niveau de la triste factualité. Chacun, chacune s’interrogera à bon droit de savoir pour quelle raison s’est opérée la substitution du religieux en profane. Si Thávma connaît la valeur du fait religieux, pour autant il n’en tolère guère les excès. Tant que les religions vivent en mode unitaire, tant qu’elles demeurent en soi à l’intérieur de leur propre foi, rien n’est plus beau que cette pieuse ferveur, elle grandit les âmes et porte à la mansuétude. Seulement les religions sont rarement sages et le problème se pose dès l’instant où leur pluralité s’oppose, se confronte. Alors chacune revendique la justesse de ses propres vues. Alors chacun des Croyants prétend que sa religion est la seule voie d’accès à la Vérité. Ainsi naissent les dogmes, prolifèrent les intégrismes, se développe la figure insupportable de l’intolérance. Thávma a lu suffisamment sur les guerres de religion pour que son point de vue s’ancre à de plus objectives valeurs qu’à celles de l’opinion immédiate que l’on prend pour argent comptant. Non seulement la religion n’est pas à condamner mais elle doit occuper la place qui lui revient de droit. Hegel, en son temps, n’a-t-il postulé l’accès au Savoir Absolu après que la conscience a franchi les trois étapes ultimes de l’Art, de la Religion, de la Philosophie ? Thávma pense qu’il faut vivre en Esprit, aussi l’un de ses livres préférés est-il « La phénoménologie de l’esprit », cette immense œuvre hégélienne, sans doute l’un des sommets de la littérature philosophique mondiale. Parfois, dans le massif laborieux de sa tête, penché sur quelque plan complexe d’architecture, des phrases de « La phénoménologie » et quelques autres œuvres célèbres du Philosophe hantent-elles les coursives de son intellection. Par exemple ceci :
« L'art, la religion et la philosophie ne diffèrent que par la forme ; leur objet est le même »
Ou bien encore :
« En disant que la beauté est idée, nous voulons dire par là que beauté et vérité sont une seule et même chose. »
Ou bien encore :
« L'Art est ce qui révèle à la conscience la vérité sous forme sensible. »
Ce qu’il méditait le plus souvent, la césure qui plaçait d’un côté le Sacré, de l’autre le Profane. Thávma établissait nettement la différence entre l’Esprit chrétien éternel, infini et l’Esprit humain infiniment mortel. Parfois, une note de Hegel tirée d’une interprétation du mythe évangélique, traversait sa pensée sans pour autant le distraire de sa tâche :
« Ce n’est pas cet homme-ci qui meurt, mais le divin en tant que tel ; c’est précisément à cause de cela que ce divin devient Homme. »
Subitement l’on chutait de la Théologie pour rejoindre le sol concret de l’Anthropologie.
De l’Homme on pouvait être sûr.
De Dieu l’on ne pouvait que douter.
En réalité, c’est ceci que disait « La Flèche » : elle ne se hissait du sol humain en direction du Ciel que pour mieux rejoindre cette Terre dont elle était un simple prolongement. Cependant, ce qu’il fallait c’était que cette surrection fût poinçonnée à l’aune de la Beauté. Et, assurément, elle l’était !
Maintenant le temps est venu d’accompagner les Nouveaux Elus en direction de ce qui se donne tel leur lumineux avenir. Ce qu’il faut savoir, c’est ceci. Ce que les Hommes Nouveaux, les Femmes Nouvelles vont entreprendre, c’est la plus étonnante des métamorphoses ontologiques qui se puisse imaginer. Partis de la Porte Occidentale-hespérique, celle qui les détermine en tant que les Ombreux, les Peccamineux, ces lourdes destinées plongées dans le déclin qui les désigne tels les Automnaux, voici qu’ils pénètrent dans le vaste atrium où la lumière les traverse comme elle le ferait d’une boule de cristal. Si bien que la clarté entrée en leur corps les rend semblables à des photophores.
Au centre de l’aire de haute vastitude, un Parallélépipède de Pierre Blanche, sans doute une Pierre de Lune sur laquelle semble flotter, tel un nuage, une Sphère, sans doute de pure Agate. La Sphère, dite « Sphère de l’Harmonie » est si fascinante en soi que tout regard qui s’y accorde ne parvient à s’en détacher qu’au prix d’un effort surhumain. Tantôt elle paraît affectée d’une densité incroyable, tantôt elle s’allège de soi et paraît flotter une coudée au-dessus de la Table d’Offrandes qui en constitue le support. Oui, nous avons dit « Table d’Offrandes » car l’unité assemblée Table/Sphère ne fait que chanter la belle fête de l’Être. Tout ici est doué des plus hautes valeurs. Tout ici conflue en direction de l’Infini, tout se donne selon la verticalité de l’Absolu. Bien entendu, les Lecteurs, les Lectrices éclairés auront deviné la liaison de cette Sphère avec le bel imaginaire du Philosophe présocratique, pythagoricien, natif d’Elée. Oui, ici, il y a référence à la cosmologie platonico-parménidienne où le monde est donné telle cette « sphère à la belle circularité, étant partout étendue à partir du centre ». Et la raison en est simple qui se résume en ces quelques mots : « figure qui entre toutes est la plus parfaite et la plus semblable à elle-même ». Alors, vous étonnerez-vous encore que le don purement visionnaire de Thávma se soit porté sur cette figure géométrique qui dit en son entier, la parfaite coalescence Monde/Être en sa « multiple splendeur » ?
Vous étonnerez-vous que les Nouveaux Elus entreprennent, tout autour de la Table d’Offrandes où règne l’éclat souverain de la Sphère, une très lente et très respectueuse circumambulation, cette pratique magico-rituelle chargée d’un hiératisme qui demeure incompréhensible pour qui n’est Pèlerin assidu à accomplir le rite de sa foi. Comment comprendre en effet l’événement du Tawaf, ces sept tours que les Musulmans effectuent autour de la Kaaba, adorant la fameuse Pierre Noire dont on ne sait s’il s’agit d’une météorite tombée tout droit du Ciel, d’une simple pierre de verre, d’une gemme non identifiée ? Comment comprendre l’énergie inépuisable que manifestent les Bouddhistes, se prosternant de tous leur corps, tous les trois pas, en faisant le tour de la Montagne sacrée Kailash, pensant obtenir au terme de la Kora, ce nirvana qui brille tout au bout de leur conscience tel un névé inondé de soleil ?
Thávma a une intuition aiguë de la valeur du symbolisme, de sa puissance, de sa force d’effectuation des tâches les plus harassantes qui soient, lesquelles reportées aux lumières de la Raison, ne se donnent que sous la figure de quelque égarement aux racines plongées dans les veines les plus diffuses des mystérieux archétypes. Le but de Thávma, édifiant cette Haute Tour de Verre en laquelle brillent quelques étranges épiphanies, son but donc ne consiste nullement à convoquer un mythe contemporain tissé de la présence cachée de dieux devant lesquels il faudrait se prosterner, effaçant de soi tout libre arbitre. Non, ce que vise Thávma au travers de cette Table, de cette Sphère, de cet Obélisque, lequel résonne en écho avec la Pyramide de verre du Louvre, c’est bien de se ressourcer à d’anciennes fontaines, de s’abreuver à l’eau d’une Sagesse Antique dont nos frères humains, à commencer par nous-mêmes, semblons avoir effacé le chemin, restant, si l’on peut dire, en rase campagne. Ici est un horizon à ouvrir, une Voie Nouvelle à tracer parmi l’échevèlement du monde et sa diaspora selon des milliers de sentiers qui se perdent en de confus et d’illisibles layons. Ce qui est en tant que possible effectuation de l’humain, s’y retrouver d’abord avec soi, ensuite avec les Autres, enfin avec le Monde. Pour le Jeune Prodige, il n’y a d’autre solution que de se placer face à de hauts Signifiants, de manière à ce que, de cette confrontation, émergent ces Signifiés qui impriment sens et orientation à chaque vie.
Ce que ce périple accomplit au sein de ce monde de cristal n’est rien de moins qu’une prise de conscience qui doit aboutir à un seul et unique résultat : gagner sa propre liberté et s’y maintenir au gré de cette giration infinie qui pourrait bien ressembler, en son contenu intime, à la danse des Derviches tourneurs, cette pratique soufie si étrange pour nous Occidentaux figés sur nos biens matériels, ces Hommes qui suivent la Tariqa, la Route, faisant vœu de pauvreté et d’ascétisme, de simplicité en sa mesure première. La finalité : parvenir à cet état de conscience modifiée, à cette extase qui, pure expansion de l’être, le porte au plus haut de soi, devant son Dieu même. Si la démarche de Thávma peut bien être qualifié, au sens strict, de « religieuse », ce n’est nullement en raison d’une quelconque dévotion devant une figure divine, mais au seul motif d’éprouver cette expérience unitive au terme de laquelle, l’individu recentré, rassemblé en soi, se trouve disponible pour accueillie le tout autre que soi. Ce qui veut dire : parvenir à la pointe extrême de son être.
Cependant, on entend l’eau de la Seine battre les flancs inférieurs de l’édifice et ce clapotis est, en quelque sorte, la juste mesure qui scande la marche en avant de ces Inquisiteurs de l’Inconnu. Et voici que s’annonce, dans un heureux nimbe de clarté, « La Porte Orientale-Aurorale », celle qui se donne en tant qu’Origine, Printemps, Naissance, Éclosion, Germination. Cette porte rayonne sous le régime de l’adret, elle est solaire en son ascension mais non encore parvenue à sa maturité. Tout au long de leur montée le long de la Flèche, les Elus découvrent avec ravissement l’ineffable beauté de la ville. Cette dernière ne les distrait nullement de leur tâche, bien au contraire elle en réalise la lustration comme si, chaque nouveau degré atteint, était accomplissement baptismal de l’Homme en tant qu’Homme, le Féminin y étant bien évidemment associé. Au travers de la pellicule cristalline des parois, « Les Pèlerins » emplissent leurs yeux des pures merveilles de la Ville Capitale, de la Ville Magique, de la Ville Maternelle. Ce que voient les Visiteurs : les coupoles blanches comme neige de la Basilique du Sacré-Cœur ; les hautes tours de la Défense identiques à des vaisseaux d’acier hissés sur l’océan du ciel ; les toits vert-de-grisés de l’Opéra ; le dôme doré des Invalides : la dentelle de fer de la Tour Eiffel ; les quatre livres de verre de la Bibliothèque Nationale de France ; le génie ailé de la Bastille brandissant le flambeau de la Liberté.
Et c’est bien vers cette Liberté que se destine la marche des Elus, que se déploie circulairement la progression attentive de leur avancée. Avançant dans le temps et l’espace, ils ne ressentent nulle fatigue, ils n’endurent nulle douleur, comme si leur marche, elle aussi, était ailée, comme si leurs pieds étaient chaussés des sandales d’Hermès, ces magnifiques talaria dont le sublime Homère disait : « [Hermès] noua sous ses pieds ses divines sandales, qui brodées de bel or, le portent sur les ondes et la terre sans borne, vite comme le vent. » Oui, c’est bien cette impression quasiment éolienne que ressentent en eux ces « Bienheureux », cette exaltante sensation qui les transcende et les rend légers tel le nuage. « Les Bienheureux », s’il nous est permis d’user de ce terme aux connotations fortement bibliques qui fait signe vers une possible rédemption des péchés dont nul ne pourrait s’exonérer qu’au titre du mensonge. Mais, peut-être, inconsciemment, ne sommes-nous que des pêcheurs devant l’Eternel Souci du Monde ?
Sans doute le Lecteur, la Lectrice s’étonneront-ils de cette référence constante à la sphère de la Grèce Antique. Le génie de l’Enfant Prodige s’y abreuve en permanence, s’y nourrit et c’est cette provende qui constitue, sans doute, le mystère le plus constant dont cette Jeune Existence est tissée. Thávma, en quelque sorte, est un Exilé. Il est foncièrement Grec et ce sont les linéaments de sa propre grécité qui infusent son âme et lui procurent de si belles réverbérations. Que Thávma médite, lise, écrive, trace des plans sur une feuille de papier et ce sont de Hautes Figures Grecques qui se profilent à l’arrière-plan de sa pensée. Avec Thalès de Millet il pense que l’eau est à l’origine de toute chose, avec Héraclite que le temps s’écoule sans fin, avec Parménide que tout a toujours déjà existé, avec Socrate que la maïeutique est la façon la plus adéquate de connaître, avec Platon que seules les Idées sont Réelles, avec Aristote que l’intellect s’organise selon le paradigme des catégories. Et pour tenter de cerner d’un peu plus près les traits essentiels de ce Virtuose, il faudrait encore citer les grandes prouesses artistiques et architecturales, faire venir à nous les superbes amphores à figures noires, évoquer la Terrasse des Lions à Délos, faire s’élever le Temple d’Artémis à Corfou avec son chapiteau richement orné, imaginer les hauts fûts de pierre du Temple d’Apollon à Corinthe. Et puis faire venir la divine Mythologie, parler d’Héra et du Mariage, d’Aphrodite et de l’Amour, d’Hermès et des Voyages, d’Apollon et de la Lumière (c’est à ce dieu solaire que Thávma vouait un véritable culte, il en était lui-même, tout illuminé), enfin d’Héphaïstos et du Feu.
Bien évidemment, chacun aura compris que la littérature n’aurait pu être passée sous silence et que les Tragédies, ces assises fondatrices de la psyché humaine, devaient trouver leur place dans son panthéon : Sophocle et son Antigone, Euripide et son Andromaque, Eschyle et son Prométhée enchaîné. Et que, faire l’impasse sur les merveilles d’Homère, eût constitué un « péché » impardonnable. Sur sa table de chevet se tenaient, telles des figures tutélaires les deux volumes de « L’Iliade » et de « L’Odyssée » dont il eût pu déclamer de nombreux vers sans se référer à quelque autre source que ce soit qu’à la fidélité de sa mémoire toujours en dette de la période Classique. Ainsi pouvait-il évoquer sans peine quelques phrases issues de de la Rhapsodie XIII de L’Iliade, où il était question des aventures de Poseidaôn :
« Et là, il attacha au char ses chevaux rapides, dont les pieds étaient d’airain et les crinières d’or. Et il se revêtit d’or lui-même, saisit le fouet d’or habilement travaillé, et monta sur son char. Et il allait sur les eaux, et, de toutes parts, les cétacés, émergeant de l’abîme, bondissaient, joyeux, et reconnaissaient leur roi. Et la mer s’ouvrait avec allégresse, et les chevaux volaient rapidement sans que l’écume mouillât l’essieu d’airain. Et les chevaux agiles le portèrent jusqu’aux nefs. »
Mais aussi bien se fût-il empressé d’enchaîner avec un bel extrait tiré de L’odyssée, Rhapsodie III :
« Hèlios, quittant son beau lac, monta dans l’Ouranos d’airain, afin de porter la lumière aux Immortels et aux hommes mortels sur la terre féconde. Et ils arrivèrent à Pylos, la citadelle bien bâtie de Nèleus. Et les Pyliens, sur le rivage de la mer, faisaient des sacrifices de taureaux entièrement noirs à Poseidaôn aux cheveux bleus. Et il y avait neuf rangs de sièges, et sur chaque rang cinq cents hommes étaient assis, et devant chaque rang il y avait neuf taureaux égorgés. »
Chacun, ici, aura compris combien le Jeune Thávma vivait dans un culte permanent des Anciens, combien il cultivait les germes d’une obsession de tous les instants. Mais vous n’êtes pas sans savoir combien l’obsession nervure le trait distinctif essentiel du génie, combien sa fulguration lui est redevable de ses plus belles efflorescences.
Cependant que nous devisions gentiment sur les mérites les plus apparents de l’antique civilisation grecque, les Elus poursuivaient leur hiératique cheminement. Les voici maintenant parvenus tout au sommet de La Flèche, à « La Porte Zénithale », celle qui trace la voie de la maturité, celle qui exulte au plein de l’été, celle qui, à l’acmé de toutes choses, se sent en soi comme l’un des rayons de l’Eternité, comme la force surpuissante, « L’Heure du Grand Midi », l’heure nietzschéenne portée à son absolu éblouissement mais il faut faire ici amende honorable et laisser la parole au Grand Zarathoustra :
« Et ce sera le grand midi, quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le Surhomme, quand il fêtera, comme sa plus haute espérance, son chemin qui mène à un nouveau matin. »
Oui, combien il est étonnant de constater que la route tracée par Thávma semble se superposer, à un iota près, à celle définie par le génie de Nietzsche. Rencontre des génies en un même point ultime ? Sans doute ce genre de coïncidence existe-t-elle. Toujours les hautes pensées rejoignent les hautes pensées, ce qui explique que le langage du génie soit si peu accessible au commun des mortels. C’est une manière de sémantique hiéroglyphique, laquelle demande une initiation suivie d’une longue maturation. S’exposer sans précaution aucune aux idées du génie, c’est prendre le risque de se confronter à la déflagration du tonnerre, à la brusque fulguration de l’éclair. Le génie, tout génie est de nature céleste et, peut-être, seul Zeus pourrait-il en faire l’épreuve sans dommage ? Le livre « Zarathoustra » est de cette nature qu’il frappe en plein cœur et foudroie les âmes trop sensibles, cloue au pilori ceux dont la spéculation est trop courte.
« Un livre pour tous et pour personne », est-il dit de cet ouvrage. Alors comment comprendre cette formule énigmatique qui sonne à la manière d’un oxymore ? Ce livre est en effet « pour tous », si « tous » l’abordent à la façon d’une simple narration, suivant Zarathoustra à la trace, éprouvant avec lui, au premier degré, la vie d’un ermite et sans doute d’un illuminé courant au hasard du monde. Mais ce livre n’est assurément « pour personne » tant qu’au Dernier Homme n’aura nullement succédé la haute figure du Surhomme, car c’est bien lui, le Surhomme, emblème de la surpuissance du génie, qui peut éprouver la totalité du réel et s’affranchir aussi bien des contraintes de la Morale que de la Religion, que de la Socialité ambiante. Être en tant que Surhomme c’est être libre, déterminé par son propre chemin, choisissant les voies autonomes au gré desquelles arriver à Soi par l’exercice de la Volonté de Puissance, laquelle a été définie, par Heidegger, comme « Volonté de Volonté ». Comment mieux dire ici l’effort « surhumain » d’autodépassement de Soi ? Véritable travail semblable à celui, mythologique, d’un Héphaïstos forgeant lui-même l’airain de sa propre sculpture ? Après avoir décrété la « mort de Dieu », véritable paradigme de la culture contemporaine, comment, en effet, ne pas s’en remettre à cet Homme du Devenir, s’affranchissant de toute contrainte, édifiant à « la force du poignet », les conditions d’une Vie Nouvelle ?
Si les ambitions de Thávma ne s’abreuvent nullement aux sources nietzschéennes, cependant il convient de reconnaître une similitude des chemins empruntés. Il faut ci reprendre la phrase plus haut citée :
« Et ce sera le grand midi, quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le Surhomme, quand il fêtera, comme sa plus haute espérance, son chemin qui mène à un nouveau matin. »
Ici, j’ai évité de reproduire l’un des premiers brouillons de Thávma, pour la simple raison que le Jeune prodige, le plus souvent emporté par son enthousiasme, dont chacun connaît la belle étymologie : « avoir Dien en soi », délivre un travail qui souffre de bien trop de vivacité. Aussi, lui ai-je préféré un schéma clair (plus bas reproduit), dont j’espère que les Lecteurs, l’abordant en une manière de synthèse, parviennent à y voir plus clair dans l’étonnante perspective de ce Nouveau Monde.
Mais mainenant, reprenons mot à mot l’énoncé nietzschéen, le reportant au schéma qui trace la progression dans le temps et l’espace spirituels de la quête des Elus. « le grand midi » évoque bien évidemment, sans l’ombre d’un doute, la Porte Zénithale qui est bien le « milieu de sa route », puisque nos Elus n’ont encore terminé les quatre trajets de leur circumambulation. Pour ce qui concerne la position « entre la bête et le Surhomme », comment ne pas la référer, quant à la bête, au chaos nocturne de la Porte du Nadir, quant au Surhomme à la transcendance qui se dévoile tout en haut de la Flèche sous les auspices de la Plénitude, du Déploiement, autres noms pour l’actualisation de la Volonté de Puissance ? Une Volonté de Puissance succède à une autre. Notre-Dame qui paraît maintenant si loin dans l’ordre de nos préoccupations, n’était-elle la mise en œuvre de la Volonté de Puissance des hommes qui, du reste, culminait symboliquement dans l’érection de la Flèche de Viollet-le-Duc ? Etranges polarisations. Etranges confluences. Jamais l’Homme ne sort du sillon de l’Homme. Telle est sa destinée. « son chemin qui mène à un nouveau matin », nous en suivrons maintenant les dernières sinuosités, parvenus au terme de notre recherche lorsque les derniers Elus, allégés de leur poids initial, franchiront la Porte Orientale-Aurorale pour connaître un Nouveau Jour, celui qui les arrachera aux lourdeurs de la Terre pour les remettre aux nuées légères du Ciel. Cependant il n’y aura eu dans la démarche des ci-devant, ni allégeance à quelque dogme que ce soit, aliénation à quelque religion, remise aux injonctions de quelque régime politique. Non, seulement une libre Venue de Soi à Soi sous l’effet d’une bienveillante volonté dont le caractère de puissance n’était relatif qu’à assurer son propre être de plus hautes valeurs ontologiques.
(NB : Pour des commodités de lecture du schéma,
celui-ci ne tient pas compte de l’inclinaison à 45 °
de La Flèche.)
***
Alors que les Elus parcourent dans leur robes blanches telles des corolles leur pèlerinage circulaire, une haute lumière venue à la fois du Ciel, à la fois de la Ville, rend La Flèche aussi brillante, aussi phosphorescente qu’un vaisseau posé sur un océan d’argent, sous les traits d’une Lune bienveillante, sous les milliers d’yeux aiguisés des étoiles. Certes, les Urbains ont été décontenancés lorsque, pour la première fois, ils ont vu, surgissant de la terre, en lieu et place de Notre-Dame, ce pur cristal dressé au plus haut de l’espace. Puis, graduellement, leur vue s’était accommodée à cette nouveauté, tout comme ils avaient faite leur, en son temps, la Pyramide édifiée par Ieoh Ming Pei. En ce temps présent, beaucoup qui la critiquaient, se fussent offusquées si, du jour au lendemain, on les en avait privés. C’est ainsi, la pâte humaine est une pâte infiniment ductile, sujette à tous les changements, une nature-caméléon si l’on veut, c’est elle qui explique la multiplicité des idées et des formes, les périodes de l’Art, la mutation des Civilisations.
La flèche d’argent on la voit de partout à la fois. Depuis les hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève, depuis le Mont-Souris, la Butte-aux-Cailles, Ménilmontant, Belleville, Montmartre, la Colline de Chaillot, la Butte Bergeyre, depuis Passy, Charonne, les Buttes Chaumont et Montparnasse. Mais on la voit aussi depuis les rives de la Seine, depuis le Jardin des Tuileries car la Flèche est partout présente et elle illumine la nuit de son index levé en direction de Sirius, d’Andromède ou d’Arcturus. Mais elle est aussi présente au creux des rêves des dormeurs, dans l’imaginaire des Artistes, dans les dessins d’enfants, dans les songes fous des Amoureux.
Mais suivons la dernière ronde des Elus. Une ultime fois, ils ont dépassé la pointe de la Porte Zénithale, en ont perçu la totale plénitude. Une dernière fois ils ont descendu les degrés de verre qui conduisent à la Porte Occidentale-Hespérique (celle par laquelle entrent les Nouveaux Impétrants), ils ont écarté des ombres mais pour en retrouver la cruelle densité lorsque, parvenus au niveau le plus bas, ils tutoient la Porte du Nadir, y éprouvent un long frisson qui glace leur dos, le souffle mortel de l’Hadès est si proche, la Mort si incarnée qu’on pourrait la toucher du bout de ses doigts révulsés. Une dernière fois ils progressent le long du plan incliné qui conduit à la Dernière Porte, la dernière avant la Grande Délivrance, avant la Grande Joie Libre de toute attache. La joie en son absoluité. Chaque passage jusqu’ici réalisé les a métamorphosés en des manières d’entités si légères, c’est à peine si la plante de leurs pieds effleure les pavés de cristal. Ils ont acquis la consistance des éphémères, ces étonnants insectes qui viennent à la mort avant même d’avoir vécu. Mais regardez-les donc ces Elus franchir la Porte Essentielle, la Porte Orientale-Aurorale, celle qui préside à leur re-naissance, celle qui se donne dans la belle clarté de l’adret, celle qui dit la croissance de chaque existant sur Terre, aussi bien la végétale, que l’animale ou l’humaine, celle qui, en même temps, vous ôte à qui-vous-êtes et vous y reconduit mais avec l’assurance dédiée aux Belles Âmes.
Mais regardez donc ces Natures portées au plus haut degré du Simple, immergées dans le lac luxueux de la Vérité. Elles connaissent la plus belle des allégies qui soient. Elles sont de purs songes au large d’elles-mêmes, des pluies d’argent, de fins brouillards, des nuées si hautes, elles se confondent avec le gris du Ciel, cette teinte qui n’en est une, cette teinte qui est la couleur même de la mélancolie lorsque, portée à son incandescence, elle confine aux vertus de l’Esprit. Oui, Lecteurs, Lectrices, vous l’aurez compris, ce que les Elus auront réalisé au terme de ce Voyage, un vieux et immémorial rêve de l’humanité, transcender la douleur profuse du monde, traverser son propre corps de chair et se retrouver de l’autre côté des choses, là où la Matière devient Esprit, où le Fini se transforme en Infini, où le Relatif s’agrandit aux dimensions de l’Absolu. Oui, ils ont gagné l’Autre Rive, celle qui ne connaît ni les imprécations de la Nécessité, ni les lois inflexibles du Destin. Ici, tout s’élève de Soi, revient à Soi après avoir parcouru des infinités de temps, des lieues et des lieues d’espace. Ici est le silence qui retentit tel une parole. Ici est la Conscience qui se connaît en tant que Conscience. Ici est le Libre à lui-même identique. Ici est le sans-distance qui place toute mesure hors de soi, dans un inimaginable lointain. Ici est le repos infini, celui par lequel accéder à Soi dans le plus exact rayon de félicité. Combien il est substantiel de pouvoir faire l’épreuve d’un fondement qui n’a nul besoin de fondement. La pure gratuité d’être allouée à la manière d’une grâce remise par la Nature elle-même en son inépuisable ressource.
Ainsi, sur la face de la Terre, vivons-nous pareils à des somnambules fildeféristes privés de leur perche, ne redoutant que de sombrer dans les plis vénéneux de l’abîme. Toujours nous cherchons une échappatoire, nous dissimulons derrière quelque subterfuge dont nous pensons qu’il nous dispensera de sonder plus avant l’inconsistance d’une condition toujours aporétique en son fond. Toujours nous évitons de nous confronter aux angles vifs du réel, lui préférant la douceur d’une fuite vers d’autres horizons plus accueillants. Toujours nous voulons nous dépasser et, d’un seul bond, d’un seul, franchir la distance qui nous sépare de notre essence. Toujours nous armons notre volonté, décuplons nos forces afin de franchir sans encombre cette Porte Orientale-Aurorale dont quelque chose dissimulé au plus profond de nous nous dit qu’il s’agit de la seule Porte de Salut. Toujours nous évitons l’effort qui, partant de cette Porte, nous intime l’ordre de nous confronter à la hauteur de la Porte Zénithale, puis, descendant par degrés successifs nous demande de visiter la Porte-Occidentale-Hespérique, puis au prix d’un effort encore plus grand, de nous plier aux exigences ténébreuses de la Porte du Nadir dont, à l’avance, nous nous effrayons à l’idée qu’elle pourrait nous conduire jusque devant le cruel Tartare. Alors nous tergiversons, nous négocions avec notre couardise, alors nous mouchons le lumignon de notre conscience de ce chapeau de métal qui, la faisant vaciller, nous octroie encore quelques minutes avant que le Bourreau ne dispose notre tête sur le billot. Et ceci, nous ne le faisons qu’au motif que notre vue est trop basse, que nous refusons de regarder au-dessus des herbes de la savane tels nos lointains ancêtres de la préhistoire, que nous demandons à la Terre et encore à la Terre de nous serrer dans ses sillons de glaise. Mais regardez donc Ceux qui ont franchi tous les obstacles, mais regardez donc la grande beauté de cette Flèche de Verre qui nous indique la direction à suivre : elle est fixée sur le Grand Nord, sur la lumière bleue des Grands Icebergs (ils sont nos dieux les plus immédiats), sur la lueur verte des Aurores Boréales. Là, seulement, dans ces Hautes Latitudes se trouve le germe de notre bonheur. Puissions-nous le faire éclore à la mesure de la beauté de la Terre, de la vastitude du Ciel. Nous ne possédons que ceci, mais ceci est IMMENSE !