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29 décembre 2022 4 29 /12 /décembre /2022 09:37

Depuis mon Sud, ce Lundi 26 Décembre

vers ton Grand Nord

 

Très chère Solveig (« Chemin de soleil »,

selon la belle signification de ton prénom),

 

    Je viens vers toi, en cette fin d’année, avec le cœur lourd et l’âme en peine. Je t’imagine, au plein de cet hiver, blottie tout contre ton poêle rougeoyant, chassant de la main la buée qui colle aux vitres. Je t’imagine, livre en main, absorbée dans ta lecture que rien ne vient troubler, si ce n’est le passage au loin d’une harde d’élans, la chute de cristaux de glace du haut des fins mélèzes, peut-être parfois le chant plaintif d’un bruant des neiges, son cri se perd dans la brume boréale. Sais-tu combien, parfois, j’envie ton calme, ta sérénité, là dans ta cabane peinte en rouge, tout près du rivage du Lac Vättern festonné d’une lisière de givre. Une sorte de paradis malgré la bise glaciale et la morsure de l’air polaire. Les Gens du Nord, je les crois plus profonds, plus accordés au rythme de la Nature, nous Gens du Sud sommes trop superficiels, qu’une cymbalisation de cigale, la chute d’un gland sur le sol de pierre, viennent tirer de ce qui, en vérité, n'était qu’un demi-rêve, en quelque manière une demi-vie. Ici, sous notre climat généreux (l’hiver est un été continuel), toujours nous sommes distraits de nous-mêmes, exilés de notre centre et réintégrer l’antre de notre propre identité est le plus souvent tâche bien ardue. C’est un peu comme si nous n’étions jamais que nos propres échos, des genres d’auras flottant tout à la périphérie de nos corps, sans que nous ne puissions vraiment faire de ces deux réalités une seule et unique marche vers l’étoile de notre destin.

   Des êtres en partage, si tu veux, des êtres dont l’éternel refrain d’incomplétude les porte toujours au-delà de qui ils sont. Il en résulte l’un de ces flottements caractéristiques des états d’ébriété ou bien de ceux résultant de la prise d’une « noire idole ». Mais je crois, Sol, qu’il serait inconvenant que je m’appesantisse plus avant sur le sort qui est le mien, dont je ne pourrais infléchir le cours qu’à rétrocéder vers le lieu de ma naissance et jeter les dés sur le tapis vert en priant que leur formule me fût bénéfique.

   Mais je reprends ici les termes de ma lettre : « le cœur lourd et l’âme en peine » et, maintenant, qu’il me soit permis de leur donner un contenu. Ne va nullement croire que j’en sois arrivé à m’apitoyer sur mon propre sort, celui-ci en vaut bien d’autres, tellement l’affliction est grande en ce Monde qui semble privé de ses points de repère. La photographie que je joins à ma lettre, cette belle Jeune Femme tout contre l’encoignure de sa fenêtre, livre entre les mains, regardant au travers de la croisée une rue déserte, cette Jeune Femme porte en elle cette félicité intérieure qui transparaît sur son visage clair et lisse, sur son front que nulle ride ne vient troubler. Et il n’est même jusqu’à sa vêture qui ne vienne renforcer ce sentiment de confiance en la vie, la douce volonté que semble vouloir indiquer le V de son chandail largement ouvert, sa gorge naissante gorgée de suc que soutient, dans la légèreté et la joie, le noir ouvragé d’une dentelle. Vois-tu, à l’observer, déjà un apaisement me gagne, comme si de mystérieuses ondes émanaient de sa juvénile splendeur, un genre d’aube bienfaisante répandant le baume bleu de sa présence.

    Alors un curieux phénomène se produit, la jonction de deux eaux, la confluence de deux affluents navigant de concert en direction d’un même estuaire. Toi la Nordique du Lac Vättern, elle l’Inconnue de l’image, deux Étrangères assemblées eu une heureuse et unique silhouette, une figure de la joie, un battement de cœurs à l’unisson, une douceur à faire éclore à la levée du jour. Vous êtes deux, mais aussi bien vous pourriez être trois, réunies en l’étrange communauté que rien de troublant ne pourrait atteindre, un genre de lieu subtil à l’écart des tracas du Monde. Alors, partant toujours de cette activité onirique qui constitue ma marque la plus habituelle, j’édifie de toutes pièces une scène sur laquelle l’Inconnue de la vitre (voici le premier prédicat qui s’est présenté à moi), Toi, Sol la Nordique, Simone de Beauvoir (cette égérie du féminisme), vous rejoignez, je le consens, en une bien étrange crypte ou bien c’est votre position d’Iliennes retirées en leur havre de paix qui m’a naturellement conduit à faire de vos trois personnages le lieu même d’une pure félicité.

   Je vous prête sans délai les paroles de Simone de Beauvoir dans « La Force des choses », œuvre de maturité où, déjà, la plupart de ses concepts sur l’existence sont posés à la manière de « modes d’emploi ». Le verbe y est pur, élégant, la phrase claire et limpide, l’authentique en accompagne chaque mot. Pour moi, en cette période troublée, cet extrait résonne à la façon d’un vade-mecum dont je crois qu’il faudrait que j’apprenne l’art subtil, de manière à me détourner de qui-je-suis pour ne regarder que le Monde (Un Monde rêvé, bien sûr !), éprouver la beauté de ses paysages, m’introduire au cœur des choses belles, là où un bonheur simple est le terme du voyage. Mais, Sol, écoutons Simone de Beauvoir dont, je suis sûr, tu connais chaque passage, chaque mot, toi dont la littérature t’accompagne chaque jour en tes boréales latitudes :

   « Je crois que les arbres, les pierres, les ciels, les couleurs et les murmures des paysages n'auront jamais fini de me toucher. Je m’émouvais autant que dans ma jeunesse d’un coucher de soleil sur les sables de la Loire, d’une falaise rouge, d’un pommier en fleur, d’une prairie. J’aimais les chaussées grises et roses sous la haie infinie des platanes, ou la pluie d’or des feuilles d’acacia, quand vient l’automne ; j’aimais, non certes pour y vivre mais pour le traverser et pour me souvenir, les bourgades provinciales, l’animation des marchés sur la place de Nemours ou d’Avallon, les calmes rues aux maisons basses, un rosier grimpant contre la pierre d’une façade, le bourdonnement des lilas au-dessus d’un mur ; des bouffées d’enfance me revenaient avec l’odeur des foins coupés, des labours, des bruyères, avec le glouglou des fontaines. »

   Sais-tu combien il y a de délicatesse, de richesse immédiates à rejoindre cette prodigalité de la Nature, à humer la corolle de la fleur à l’odeur de miel, à tutoyer les rivages enchanteurs d’une rivière, à flâner longuement dans les « rues aux maisons basses », tel un Quidam qui, en réalité, ne cherche qu’à atteindre son point d’équilibre, à scruter son propre horizon habité des plus belles teintes printanières, un air d’enfance y traîne encore qui fait s’élever le sarment d’une douce émotion. Oui, je sais, il y a beaucoup de nostalgie dans mon évocation, peut-être même l’empreinte d’amers regrets. Vois-tu, Solveig, à deux reprises déjà j’ai évoqué ce vague à l’âme qui ne s’éloigne guère de moi, qui me poursuit même la nuit, poudrant mes songes de bien étranges visions, comme si le Monde était arrivé à sa fin, tout au bord d’un vertigineux précipice. Tu sais mon inclination constante à la tristesse, tu sais ma dette au spleen baudelairien, tu sais la profondeur de mes émotions, bien plus proches de celles d’un Jean-Jacques que de celles d’un Voltaire.

   Solveig, mais je te sais alertée à ce sujet, le Monde va mal, il court à sa perte. Partout les guerres entre des ethnies opposées, pour des revendications territoriales dont l’immémoriale Histoire n’a même plus le souvenir, des guerres pour l’eau, le pain, le tracé d’une frontière, des guerres pour l’art de la guerre. Des guerres au motif que les Hommes ne sont pas encore sortis de l’Âge de Pierre, que leurs mœurs sont frustes, leurs désirs mal équarris, leurs projets funestes, leur éthique davantage proche du lucre que du don de Soi. Sans doute me trouveras-tu bien pessimiste !

Mais quelqu’un sur la Terre

a-t-il changé d’un iota l

le profil de son essence ? 

Mais quelqu’un est-il devenu

 autre qu’il était au titre

des hasards de sa naissance ?

Mais quelqu’un est-il jamais

sorti du cercle de ses affinités ?

  

   Tu le sais, Sol, nul ne s’amende jamais, si ce n’est à la marge, dans les détails, là où le Diable aime à se cacher. Oui, je suis un Révolté et un Révolté contre qui-je-suis, au premier chef. Comment y aurait-il d’autre issue ? Puisque je critique l’Homme et que je suis Homme, ma critique me vise en premier. Cependant, je crois que tous, nous avons quantité de qualités, que nos vertus sont réelles mais que notre faiblesse constitutionnelle fait que nos vices prennent le pas sur nos vertus et que le croûton de pain que nous destinions au Chemineau de passage, nous l’avons boulotté avant même qu’il n’atteigne le seuil de notre maison. Je crois que, par nature, donc par des nécessités strictement physiologiques, nous sommes des métabolismes voulant assurer leur propre futur, l’Autre, l’Étranger, tous Ceux qui ne sont nullement nous, sont de facto de surcroît. Je sais qu’ici je brosse le portrait en clair-obscur de cet égoïsme-solipsisme auquel nul ne pourrait échapper qu’au prix de son propre sacrifice. Or nous ne sommes ni Christ, ni Socrate et, à la tasse de ciguë, nous préférons l’ambroisie alcoolisée que nous dégustons entre Amis, le cœur léger et l’âme tranquille. Pour autant, nul ne nous demande de devenir des Saints, seulement des Regardeurs de Vérité.

   Or la Vérité blesse. Or la Vérité n’a cure de nos états d’âme. La vaste Théâtre Mondain recèle dans les plis de ses coulisses des crimes, des vols, des meurtres, des esclavages, des féminicides, des exploitations de toutes sortes. Les Travailleurs, le cœur léger, sous la poussée de ce raz-de-marée de la mondialisation, sous l’exigence consumériste tyrannique, détruisent la Terre, la rongent jusqu’à l’os, semant en elle les acides les plus mortifères qui ne sont jamais que ceux que l’Homme a inventés en tant que fondements de ce qu’il pensait être les conditions mêmes de sa joie. Bien sûr, Sol, nous pouvons, telle l’autruche, enfouir nos têtes dans la multitude du sable et c’est bien ceci même que nous faisons depuis des siècles, sinon des millénaires. Mais la Terre est lasse et menace à tout moment de retourner sa calotte, de nous offrir ses viscères et, tous en chœur, nous irons à la curée sans nous douter un seul instant que cette terrible Cène sera la dernière, qu’il ne demeurera du Monde et de ses Officiants que des peaux vides flottant, tels des drapeaux de prière aux « vents mauvais » tout en haut de quelque Annapurna aux cimes décimées par tant de joyeuse innocence.

   C’est ainsi et c’est pourquoi, sans doute, le fatalisme existe-t-il sous le joug duquel nous plaçons nos nuques, pareils à des bœufs lents et un peu stupides, traçant notre sillon dans la glaise pour tracer notre sillon dans la glaise. Å l’évidence nulle Vérité ne saurait échapper au régime des tautologies.

Le Monde est Beau

 parce qu’il est Beau.

Le Monde est Affligent

parce qu’il est Affligeant.

Le Monde est Monde

parce qu’il est Monde.

 

   Nous sommes Tous qui nous sommes et allons de l’avant. Nous souhaitons notre navigation sous les auspices d’un doux alizée. Une façon douce d’exister. Si cela est humainement possible. Je suis coutumier de cette dernière formule « humainement possible ».

 

Oui, le Possible est Humain,

rien qu’Humain.

Il s’agit de le reconnaître

et de lui accorder faveur.  

Lui accorder FAVEUR !

 

   Ma très chère Confidente du Grand Nord, que le blizzard t’épargne. Que le feu illumine ton foyer. Que tes lectures soient belles. « La Force des choses » est toujours et partout présente. C’est en nous qu’elle doit trouver son site.

 

Que la Nouvelle Année qui se profile te trouve

dans un Monde plus généreux que l’ancien.

 

A bientôt.

 

Celui qui médite en Soi, autour de Soi.

Pour Toi aussi, qui m’es chère.

 

 

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