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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 09:21
Regard, ce don infini.

Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

   Tout allait de soi.

 

   Au début, au tout début, c’était pure évidence. C’était une lame de cristal qui partageait le ciel de sa droite décision, de sa volonté d’imprimer aux choses la flèche d’une vérité. Tout allait de soi. Le monde était monde à seulement prendre acte de sa courbure infinie pareille au destin des comètes, au trajet lumineux des étoiles. Rien ne différait d’une beauté immédiate. Le ciel regardait la terre qui reflétait l’eau et cela faisait une immense arche jusqu’aux limites de l’éther, cette jonchée de mariée qui parcourait l’espace de sa longue traîne, effusion que jamais ne clôturait la geôle de quelque insuffisance. Sublime musique céleste qui résonnait jusqu’au cœur de la matière. Dans le tronc d’écailles de l’arbre, au creux du vallon empli de fraîcheur, au centre du rocher qui faisait son gonflement de granit ou de basalte. Tout s’immisçait dans tout avec confiance et les choses confluaient naturellement, grain de sablier entraînant l’autre grain dans une farandole qui semblait inépuisable. C’était à peine un murmure de l’univers comme si, doué des vertus de sa jeune virginité, ses ressources étaient inépuisables, si riches en significations que rien ne servait de parler, de démontrer, de faire signe, miel qui coulait de soi avec l’insouciance des choses justes.

 

   La pointe d’un diamant.

 

   Regard - Regard. Là était le centre du mystère en même temps que son dévoilement. Mystère, dévoilement, étrange binôme dont un terme appelle l’autre, une image son reflet, une parole son écho. Mystère du regard qui interroge et trace sa route à la mesure de son pouvoir éclairant, de son principe de désocclusion. Le regard vise l’ombre et l’ombre s’écarte, se dilate, ouvre ses lèvres d’abord selon le rythme d’un clair-obscur, puis s’illumine de l’intérieur, se déploie comme les ailes phosphorescentes du rhinolophe sous la laitance d’une lune gibbeuse. Etrange et ensorcelante clarté qui rend les doigts diaphanes, les lèvres ourlées de subtil incarnat, le bouton de l’ombilic pareil à une braise sur le bord d’un dire, à moins qu’il ne s’agisse d’une retenue, d’une frontière entre extérieur et intérieur. Mais non. Nul partage. Jamais la lumière ne trouve de limite, les yeux d’obstacle qui les déporterait en-deçà de leur exact pouvoir d’éclairement. A l’origine il faut imaginer ceci : la sclérotique est blanche, dure comme un marbre, lissée d’une pluie de phosphènes, poncée jusqu’à l’âme. L’iris est cet éclat d’émeraude et de turquoise où joue le clavier des réflexions, où rebondissent les images de tout ce qui est présent dans sa livrée initiale. La pupille est un sombre tunnel, un mince oculus, la pointe d’un diamant qui fore loin, jusqu’au moindre détail qui clignote, ici ou là, dans le grand jeu de la représentation mondaine. Fulgurations, pulsations, déflagrations, éclatement du réel en son point de rupture. Mais ceci ne veut nullement signifier sa mise à mort. Bien au contraire extraction de sa puissance, multiplicité de sa parution sous le signe de la joie nécessaire, du luxe à faire briller, de la plénitude à atteindre à l’aune du simple, de l’infiniment inapparent, du menu en sa charge de beauté.

 

   L’amour en regard de l’amour.

 

   Dire le regard en tant que possibilité de mise au jour du monde, désigner les yeux tels des miroirs étincelants, c’est pointer en direction d’infinies images spéculaires qui, dans la pureté de leur première apparition, ne reflètent que cette harmonie des choses en leur innocence. Dire les yeux qui regardent les yeux c’est dire l’amour en regard de l’amour (en regard est à comprendre ici comme une nécessité autoréférentielle dont l’amour use et se dote afin que, situé au foyer de ce qui est essentiel, il mérite de recevoir le don d’une éternité), dire les yeux en leur pureté donc, c’est s’appliquer à voir avec générosité, envisager toute rencontre sous la juridiction d’une oblativité, tout échange comme pouvoir fécondant des affinités, cet indissoluble lien qui se tisse entre les Existants et les remet dans l’orbe d’une royauté humaine. Oui, dès l’instant où les yeux ne sont encore nullement atteints d’une taie qui recouvre leur pouvoir de conscience, leur devoir de lucidité, leur attente de sens, alors ils ne visent ni ce qui effraie et angoisse, ce qui divise et sépare, ce qui blesse et aliène. C’est lorsque le regard s’égare qu’il ouvre la voie aux apories, aux tristesses, aux avenues de la haine, aux dagues des revanches. Et, ici, nulle complaisance ou naïveté. Seulement le constat que l’amitié, l’affection, une juste sensibilité sont les perspectives d’une compréhension ouverte de soi d’abord, de l’autre ensuite qui est logé au centre de notre vision.

 

   Regarder l’image en sa parole.

 

   Sans pour autant lui attribuer valeur allégorique, comment conférer à cette image la juste place qui lui revient dans le contexte d’énonciation qui nous occupe ? C’est d’abord le regard qui doit être visé. Celui de Discrète ou bien d’Absente, tous prédicats équivalents pour elle qui se présente à la façon d’une fuite, d’un évitement, peut-être de la perte de quelque chose qui rassurait, unifiait et, maintenant diverge de soi, met dans l’inconfort existentiel, place tout au bord de l’abîme. L’essai de nomination, aussi bien, eût pu s’enquérir de Juliette en guise de référence. Qui est-elle, en effet, cette Juliette éplorée qui se tient dans l’encadrement de sa fenêtre telle l’héroïne de Shakespeare sur son balcon avec l’espoir fou que Roméo apparaisse afin que cet amour de jeunesse puisse trouver son naturel accomplissement ? On sait que le drame de la pièce pose le fil rouge des amants maudits, mortel archétype qui se situe à l’exacte jointure du désir et de son contraire, cette finitude qui rôde en filigrane de toute relation amoureuse. Désirer est seulement repousser la Mort, lui damer le pion l’espace d’une étreinte. Pour cette raison ce sentiment passionnel se double toujours de son revers meurtrier. Ceci est une réalité indépassable.

 

   Le regard est oblique.

 

   Mais il faut revenir au regard puisque nous sommes partis de lui. Le regard est oblique, perdu dans un illisible déchiffrage, comme exilé du personnage qui est censé l’abriter, le porter au devant de soi. Le regard est sorti de sa mission qui est celle d’archiver les images du monde. Les questionner, trouver en elles, ces multiples visions, sa propre justification qui n’est jamais que celle de l’autre qui, parfois nous aliène, souvent nous renie, toujours nous réalise tel ceux que nous sommes, des êtres en attente, en demande. Muette supplication dont l’amour est la pierre de touche, le sentiment ce qui le féconde, la prière ce qui le place sur la dalle levée du sacré. Comme un absolu à atteindre qui procède, à mesure de nos pas en sa direction, à son tragique effacement. Car tout fuit que nous pensions tenir. Car tout s’immole à son propre feu. Aussi bien la passion dont la consomption laisse les yeux vides et le cœur déserté. Visage blême comme celui d’un Pierrot sans sa Colombine. Figure lunaire lorsque le soleil est de l’autre côté de la Terre et que ne demeure que son souvenir maintenant effacé, privé de son rayonnement.

 

   Corps meurtri. Si précieux le regard.

 

   Epaules basses d’un destin lourd à porter ? Haut de la poitrine ceint d’une large bande blanche : renoncement à être, ligature du sens, contention qui retient le souffle, bride le cœur, ses battements, son rythme de vie ? Bras croisés en signe de protection, d’abandon, de lassitude ? Mais quel est donc le danger qui menace si ce n’est le reflux de cet insaisissable amour dont le Sujet semble délesté, perte prochaine dans des dérives hauturières dont le but n’apparaît jamais hormis celui d’un néant proche. Ne restera plus que le recours au songe, à son illusoire étreinte, l’addiction aux fantasmes de l’imaginaire, ces irreprésentables qui dépossèdent de tout jusqu’au territoire de sa propre personne. Qu’indique le vide de la fenêtre contiguë, sa figuration partielle, sinon le territoire d’une incommunicabilité ? Et cette échelle qui plonge dans le vide, qui se précipite rapidement vers l’abîme, nul ne la situerait comme celle dont les pas de Roméo feraient trembler ses barreaux sous la hâte à rejoindre son Amante. Image du soliloque interne que rien ne saurait distraire de son souffle froid, de son vide infini, de son silence où pourrait se lever le vent de la solitude, briller la flamme de la folie. Aucun regard qui tendrait sa braise vers cette ellipse d’être, cette presque disparition à soi. Comme un ascète livré au désert qui l’appelle mais le rejette comme celui dont l’offense est de vouloir rejoindre Dieu, cet inconnaissable. Et ces teintes de gris, ces corridors anticipateurs d’une ombre définitive, que veulent-ils placer en exergue qui ne serait l’esquisse d’une infinie tristesse ? Le plus terrible qui se puisse imaginer : perte de l’amour, donc disparition d’une lumière à l’horizon d’un cheminement qui semble devoir se terminer par une impasse, un lieu où ne profèrerait plus aucune parole, où ne brillerait plus le feu de la conscience. Mais rien ne servirait d’ajouter du tragique au tragique. Nous pourrions baisser le store, claquemurer la fenêtre, ôter l’échelle qui conduit Eros là où toujours il a rêvé d’être, dans le cœur épanoui de Celle qui l’attend. Ou bien alors nous fermons les yeux, en biffons toute vision, ce qui serait une identique entreprise de conduire le réel à sa nullité. Le regard est si précieux qui nous dit le chiffre secret de l’être. Si précieux le regard !

 

 

 

 

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