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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 08:51
Abstinence & continence.

« Abstinence. »

avec Sonyna Heroine.

Œuvre : André Maynet.

« …16 L'Eternel Dieu donna cet ordre à l'homme:

Tu pourras manger de tous les arbres du jardin;

17mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal,

car le jour où tu en mangeras, tu mourras. »

Genèse 2.

Comment ne pas débuter ce texte sur l’œuvre d’André Maynet, nommée « Abstinence », par l’évocation de Genèse 2 relative au péché qui installa l’humanité sur la planche savonneuse de la déréliction ? C’est à partir de la Chute que les choses se compliquèrent pour les Existants. La tentation de croquer la pomme devait se présenter à la manière d’un boulet attaché aux basques de l’humanité. Autrement dit Sisyphe greffait sa mythologie sur les Evangiles, si ce n’est en déplaçant la pierre maudite des épaules au pied, ce qui, symboliquement considéré, constituait une manière de redoublement de la nature tragique peccamineuse. On était dans de beaux draps et il s’ensuivait que la privation devenait la condition de possibilité d’un rachat. On n’enfreint pas la règle divine avec autant de désinvolture même si l’insoutenable légèreté de l’être peut en expliquer le tortueux cheminement. A tout bien considérer, il faut dire qu’Adam et Eve avaient manqué du plus élémentaire des discernements. Leur faute, car il s’agissait bien de cela aux yeux de Yahvé, avait été le siège d’un quadruple manquement. D’abord de se nourrir, car il eût été préférable de jeuner, cette attitude exemplaire de tout bon croyant, de tout mystique digne de ce nom, enfin de celui qui veut cheminer vers une spiritualité. Ensuite d’offenser l’arbre, cette haute représentation d’une transcendance et, par voie de conséquence du Transcendant. Puis d’avoir cru que la connaissance était à leur portée alors que ce geste est d’essence divine : on n’écarte jamais les ombres du néant qu’à la mesure d’une puissance extra humaine. Enfin on avait accédé aux rives de la métaphysique et de la morale, ce qui, en soi, était un acte contre nature tant l’homme est inapte à juger ce qui s’élève vers le Bien, ou ce qui incline vers le Mal. De cette coupable inconscience devait résulter l’obligation d’un sacrifice, à savoir de se tenir dans l’abstinence et de ne faire qu’un usage modéré des nourritures terrestres, aussi bien des sexuelles qui devaient recevoir le nom de continence. Voilà donc que les premiers humains tombaient de haut. D’un Paradis qui leur ouvrait les portes pour le moins jubilatoires d’une bonne chère infiniment renouvelée ainsi que les délices d’un libertinage à tout crin, voici que leur liberté étrécissait comme peau de chagrin pour se réduire à la seule issue possible, celle d’un repentir éternel. A partir de là il y avait donc fort à faire, gagner son pain à la sueur de son front, faire face aux maladies, s’élever dans l’ordre du spirituel, se préparer à la mort afin qu’une attitude exemplaire permît aux pécheurs et pécheresses de renaître à la Vie Eternelle.

Mais le propos est si sérieux, si contraint entre les rives étroites d’une morale, donc d’une éthique strictement religieuse, qu’il convient d’aérer le débat et de le porter sur des fonts baptismaux qui lui procurent une jouissance esthétique à laquelle chacun, chacune aspire, parfois à son insu. Mais voyons d’abord ce que nous dit l’image. Abstinence est dans la déshérence d’elle-même, regard dolent perdu vers une manière de désolation terrestre dont il semblerait qu’il y ait peu à espérer. Oui, combien il est difficile de renoncer à toutes les tentations à portée de la main, aussi bien la chair de la succulente pomme, aussi bien la chair de l’autre, cette promesse d’indicible bonheur. Car le corps est ici présent, le corps de l’amant en l’occurrence, celui d’Adam dont la pomme suspendue à un fil dit la fragilité en même temps que le danger de s’en emparer avec la fougue toujours liée au désir. Désir de l’autre. Comblement de son propre désir aussi, comme si l’on était une jarre à moitié vide dont l’altérité serait commise à assurer la complétude, à accomplir l’être jusqu’en son essence plénière. Foncièrement nous sommes des êtres du manque, des Errants et Errantes en chemin vers cette partie absente que nous voulons annexer de toute la force de notre âme. C’est un tel sentiment de dépossession de serrer ses bras sur le vide ou bien de les ramener autour de sa propre bastide de chair (ce que fait Abstinence), sans que le Visiteur au loin, l’Etranger, le Passant ne soient conviés à la fête, à l’intérieur même de l’enceinte de peau, là où, toujours, se trouve la place de l’accueil, le tremplin de l’efflorescence que l’on nomme amitié ou bien amour et qui brille en son intime comme la braise dans le foyer d’Hestia, cette divinité du feu sacré, cette abstinente-continente qui refuse les assiduités d’Apollon et de Poséidon. Et qui restera vierge immuable en échange du privilège d’être honorée dans chaque demeure humaine, dans chaque temple, comme la gardienne du sanctuaire privé dont elle est l’image inviolable.

La mythologie serait-elle une simple répétition d’une lointaine Tradition qui dirait, en réalité, l’impossibilité de la rencontre, l’évidente vérité tranchante comme la lame d’une immense et indivisible solitude humaine ? Toutes les apories s’abreuveraient à cette source, sans possibilité aucune de procéder à son tarissement. Certes, l’image nous conduit à ce constat d’une perte de soi dans les inextricables mailles d’une incompréhension originelle. Tout, chez Abstinence, incline à la perte, au retrait, à l’isolement dans une autarcie dont la verticalité, en même temps, révèle le sublime. Car il y a grandeur, dépassement de soi à rester dans le cercle étroit de sa demeure comme à l’intérieur d’une monade dépourvue de portes et de fenêtres et de ne pas succomber à ce qui sape ses fondations comme l’eau de la lagune ronge les palais patriciens et les détruit chaque jour qui passe avec son rythme d’inépuisable clepsydre. Oui, la condition du magnanime, du superbe, du héros ne se dit pas autrement qu’à éliminer du réel toutes les contingences qui en font une dépouille, une guenille désertée des valeurs du geste gratuit, du don de soi, de la soumission de sa propre personne à une cause qui transcende les choses et les porte bien au-delà des horizons habituels, des perspectives parfois limitées, sombrement anthropologiques pourrait-on dire sans crainte de faire subir une torsion à cela qui se produit, quotidiennement, sur la Terre, sous le Ciel, aux quatre orients de la planète. Abstinence, renonçant aux rhizomes d’une joie immédiate, se métamorphose en un étrange tubercule, en une racine aussi dépouillée qu’exigeante dont la seule volonté est de trouver en elle-même les ressources de l’être. Le ruissellement libre des cheveux en est le témoignage visuel, aussi bien que le cercle des bras refermés sur une poitrine indigente, alors que les mains empêchent toute effraction vers une saisie qui serait condamnable en dehors de sa propre effigie et le bas du corps, là où rougeoie la flamme de toutes les tentations, s’efface dans une douce lumière de cendre sur le bord d’une possible disparition.

A cette investigation de l’image se réjouiront les apolliniens, les amateurs de pensée rigoureuse et verticale, les professeurs d’ascétisme, les chercheurs d’une esthétique rigoriste, les quêteurs d’absolu. A cette vision d’une flagellation de soi s’opposeront les dionysiens, ceux qui ne vivent qu’à enduire leurs corps du sang de la vigne, à danser, à chanter, à faire se déplier les corolles de chair, à investiguer les anémones vibratiles dont leur sexe est en quête pareillement à l’ambroisie dont les dieux sont friands afin de sombrer dans l’ivresse. Oui, toute beauté, toute morale, toute esthétique sont toujours oscillation, battement entre ce que d’aucuns nomment le Bien, le Mal et la volonté de l’homme, de la femme. Etrange condition humaine qui n’est qu’un constant pas de deux, tantôt avec l’un, Le Bien ; tantôt avec l’autre, le Mal, tellement il est bon de se vautrer dans le péché puis de se retirer dans le recueillement et la contemplation de cette chair, fût-elle pomme ou bien sexe de l’amant, de l’amante. Nous ne vivons que de cela puisque, aussi bien, nous sommes le fruit d’une pratique peccamineuse immémoriale. Nous ne vivons que pour cela, aimer, être aimés et en exister libres de toutes contraintes aussi bien que de toute contrition. C’est cela assumer en son fond sa nature : tantôt la lumière, tantôt l’ombre. Nous souhaitons clignoter éternellement, pareils aux lointaines étoiles. Ceci, rien ne pourra nous en distraire. Ceci est apodicticité !

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