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4 octobre 2018 4 04 /10 /octobre /2018 10:16
Retour à l’essentiel

       « Le matin se lève aux salins de La Palme »

                   Photographie : Hervé Baïs

 

 

***

 

 

   ETE - Le soleil est haut dans le ciel, immense goutte en fusion. Il crépite, lâche ses milliers d’étincelles. Il coule avec un bruit de crécelle. Sur Terre sont les hommes, caravanes de minuscules fourmis aux trajets incessants. Ils abritent leurs yeux derrière des vitres noires. En arrière de la paroi de verre leurs sclérotiques virent au sombre et leurs pupilles sont de minuscules et illisibles grains. Parfois leur vue scintille pareille aux névés inondés de lumière. Parfois ils titubent pris dans l’ivresse du jour, dans le tourbillon de clarté qui ponce la plaine de leur peau. Cependant ils sont heureux. Cependant ils reçoivent l’obole solaire avec la joie d’enfants découvrant quelque trésor dont ils avaient perdu la trace. Partout la vie s’éploie, étend ses ramures, libère son nectar. Pareille aux grappes mauves des glycines pendues aux grilles des pergolas, cascadant sur les bois des tonnelles. Tout est couleur jusqu’à la démesure. Le ciel est aigue-marine avec de longues franges blanches. La pellicule des lacs est gris-bleu, que décolorent par endroits les plaques de sel. Parfois l’eau est teintée de sanguine, de rose, de rouge-orangé.

   On veut la couleur. On veut la griserie. Au nord, vers La-Nouvelle, au sud vers Leucate sont les foules bariolées des plages. Les corps sont identiques à des terres cuites anciennes. Les maillots lancent leurs éclats, tels de bavardes verroteries. Aux terrasses coule la menthe dans des verres glacés poudrés de sucre, pétillent les bières dans leurs vêtures d’or, fusent les limonades dans leurs lueurs minérales. Partout est la forêt pluviale avec sa vie exubérante. Les jaguars et leurs ilots d’ocelles bruns. Le puma et ses yeux de verre. Le chevreuil à la robe claire. Partout la canopée et ses bruissements, ses vives tonalités. Les perroquets aux plumes corail, topaze, émeraude. Le toucan au bec orange. Le caméléon aux éclats verts Véronèse et jaune de chrome. Partout les arcs-en-ciel, les prismes où la lumière se diffracte. Partout les conciliabules, les colloques, les palabres. Il semblerait que jamais ceci ne puisse avoir un terme, que le mouvement serait perpétuel, les sons infinis ricochant à la face ouverte des choses. Les hommes regardent les femmes. Les femmes regardent les hommes. Leurs yeux sont des diamants qui disent tout la beauté présente, l’union possible, la fusion de chaque chose en son réceptacle, l’assurance d’une plénitude au long cours.

   AUTOMNE - Subitement le temps a fraîchi. Les terrasses des cafés sont vides que, parfois, balaie la Tramontane, rafales où nagent des nappes de feuilles. Les plages sont désertes qui portent encore l’empreinte de pas, de griffures, d’objets égarés que, bientôt, l’oubli recouvrira. Des voitures glissent au loin. Leurs pneus font un bruit humide quelque part sur une route sinueuse de la garrigue. C’est alors comme si un lampion de fête avait troqué son costume bariolé pour une simple tunique de papier, à peine quelques teintes se fondant dans l’humilité du jour. Le ciel est étendu au large dans un voile soutenu de gris que traverse, par endroits, la dérive plus claire d’un nuage, que visite un pâle soleil. On dirait un phare perdu dans l’immensité, venant dire aux navigateurs leur progression à vue parmi les obstacles et soubresauts du monde. Plus bas, vers le trait noir de l’horizon, une frange plus soutenue, une hésitation entre l’ardoise et le plomb. Déjà, en filigrane, l’hiver s’annonce. On devine les bourrasques, la chute lente du grésil, les herbes prises dans le givre, l’âtre où flambe un feu jetant ses braises contre la plaque de suie. Des salins on ne distingue plus les montagnes blanches, ces cônes qui éblouissaient dans l’insolente lumière estivale. Tout a regagné son abri. Tout s’est mis en réserve afin que la saison connaisse quelque répit, que les corps se reposent, les yeux s’éteignent, les mains se fassent poings où le temps condense son pli intime, cette mesure de l’instant en-deçà et au-delà de laquelle plus rien n’existe du passé, plus rien du futur. Seulement ce point inlisible qui se confond avec l’être des choses, en dit le prodigieux secret.

   SAISONS - Les hommes, les femmes, sont rentrés au foyer. Dans la période qui végète et attend l’heure de son ressourcement. Il faut cette coupure afin que les clameurs cessant, l’âme puisse retrouver une sérénité à défaut de laquelle elle ne serait que fétu de paille chahuté par les flots. Il faut la césure. Il faut l’arrêt. Il faut le recueillement. Que serait donc une vie si elle ne ménageait ces haltes ? Un jet continu ? Une exubérance sans fin ? Une opulence dépliant à l’infini ses frondaisons ? L’on sent combien ceci serait artificiel, entaché de fausseté. Tout désir appelle le calme. Tout plaisir le retrait. Tout bonheur l’approche d’un répit. Ayant compris cette nécessaire alternance, on se plaît à regarder le modeste, à découvrir le menu, à se réjouir de la vue de cette eau de lagune que traverse une barre de terre noire. On n’est plus immergé dans l’image, ce que l’été nous imposait avec sa puissance. On est au bord de l’événement imperceptible, toute attente, toute patience. C’est de cette façon que se révèle à nous ce qui prend figure d’essentiel : cette souple modulation de blancs, de noirs et de gris, ces nuages si fins - ils pourraient disparaître -, cet horizon si bas, cette eau immobile dont nous n’éprouverons le fluide qu’à l’aune de nos yeux. Les corps viendront plus tard, régénérés par un souverain repos, une accalmie réparatrice. Ainsi se déploie le mystère de la métamorphose dont les saisons sont les belles et inaltérables scansions. Tout est rythme dans l’existence. Nuit, jour. Eté, hiver. Abondance, disette. Comment pourrions-nous nous exonérer de ce flux-reflux qui est le tempo même de ceux, celles que nous sommes ? Que vienne l’hiver. Il porte, en sa doublure, la fontaine claire au printemps ; la colline où chantent les étoiles vertes et blanches des euphorbes en été ; la bogue où dort le marron automnal. Tout ceci que nous accueillons sans même nous en apercevoir. Nous-mêmes sommes cette oscillation. Guère autre chose. Le gain de cette vérité, outre qu’il nous place sur le droit chemin, nous met à l’abri de bien des déconvenues. Hors ce cycle, plus rien ne fait signe. Que l’oubli !

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