"Vêpres de chandeleur".
Œuvre : André Maynet.
A première vue.
A première vue l’image est apaisée et pourtant notre satisfaction n’est nullement au rendez-vous. Quelque chose manque. Ou bien est dissimulé. Ou bien fait sens uniquement à être décrypté, comme si une manière de mystère s’interposait entre la représentation et la lecture que nous tentons d’en faire. Vérité hiéroglyphique se soustrayant à notre regard. Regard qui doit forer, pousser plus loin que le rayon qui en sort dont la vertu est sans doute insuffisante. La plupart du temps nos yeux sont ces boules distraites sur lesquelles dérapent les fragments de réalité, les silhouettes des Autres, les arbres au feuillage d’argent, la beauté en ses multiples atours. Confondante vision humaine qui se satisfait d’approximations, de myopies, de strabismes dont le dédoublement est bien inadéquat à saisir quoi que ce soit d’urgent, d’immédiatement doué de signification. Alors nous allons à la dérive. Alors nous feignons d’être ces navigateurs hissés à la proue de la goélette alors que nous ne nous situons jamais qu’à la poupe, au-dessus des tourbillons et des cataractes d’écume. Notre périple est l’histoire d’un égarement au milieu des récifs et écueils de toutes sortes. Mais rien ne sert de pérorer, de tracer des plans sur une comète qui file, droit devant, à l’allure vertigineuse de ce qui ressemble à une lumière se perdant dans la toile dense du cosmos.
Devoir d’inventaire.
Mais, avec cette œuvre, nous ne nous en tirerons pas grâce à une esquive, à une fuite. Faire face est la seule mesure juste, celle qui nous installera dans une compréhension, fût-elle parcellaire, approximative. Inventaire : le sol, le mur ne sont, visiblement, que des artifices par lesquels mettre en relief ce qui doit y apparaître comme la proposition essentielle. Alors nous commençons par le modeste, le contingent, ce qui, par nature, demeure le plus souvent dans l’illisibilité. Ce tabouret hissé sur ses trois pieds nous fait immanquablement penser à la tournette sur lequel le sculpteur place la pierre à façonner. Ainsi en voit-il toutes les esquisses à l’aune d’une simple rotation. S’enquérir de l’être d’une chose est ceci qui la considère sous toutes ses perspectives, phénoménologie du visible qui porte tout objet se présentant à sa connaissance la plus approchée. Cet humble officiant de nos habituelles assises nous dit-il autre chose que sa fonction à laquelle, par nature, il est voué, à savoir accepter que nos anatomies en épousent la dalle de bois ? Ou bien retient-il, en lui, d’autres lignes pertinentes que nous n’aurions nullement aperçues ? Son piètement est-il la figure symbolique d’une temporalité dont les trois pieds nous diraient, en mode métaphorique, la nécessité d’exister selon les trois extases du passé, du présent, du futur ? Le plateau en réaliserait la synthèse, sa circularité indiquant le cycle éternel du temps. Mais alors comment relier la présence du petit chat blanc ? Est-il la réalisation d’un habile sculpteur imitant l’état de nature ? Ou bien est-il ce sphinx réverbérant, par simple métonymie, la face assagie du Cerbère qui aurait renoncé à ses autres têtes pour n’en conserver que ce visage aimable au regard empreint de curiosité ? Interprétant ceci, nous sommes allés du côté des enfers dont le gardien défendait l’entrée. Mais peut-être sommes-nous allés trop loin ou alors d’une manière inadéquate !
Glissements.
Nous n’avons pas parlé de ce Modèle qui envahit la presque totalité de l’espace vertical et nous sentons que nous ne pouvons le faire qu’en raison de ricochets, d’ellipses de boomerang, de jeu de billard à plusieurs bandes. C’est ainsi, parfois certaines réalités ne se laissent approcher que par des glissements de sens, des transitions, des effleurements, de minces allusions qui abordent de biais, de façon diagonale, cela même qui est à faire apparaître en tant que verbe de la phrase, actant de la situation. Alors nous revenons à l’évocation de l’enfer, à son feu. Et aussitôt nous avons en regard les bougies allumées dans toute la maison lors de la chandeleur. Et nous avons la guirlande lumineuse avec ses douces boules blanches diffusant un halo de lumière. Ce sont ces gouttes laiteuses qui nous retiennent. Nous ne savons pas encore pourquoi. Alors nous les comptons, pareils à de jeunes enfants jouant avec leurs bouliers aux pièces multicolores. Nous hésitons comme s’il fallait différer l’éclosion d’un secret. Nous distillons lentement, presque religieusement, tellement ces boules de lumière sont belles, rassurantes, accueillantes : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 et, ici, nous demeurons en suspens tels des gamins surpris au seuil d’une bêtise ou bien d’une découverte à la limite de laquelle ils demeureront les yeux hagards et les bouches muettes. 6 - 7 - 8 - 9 … le 10, nous l’attendons dans l’inquiétude, presque dans l’angoisse, si près du lieu d’une révélation. Oui le 10 clôturant la série, l’amenant à son terme, lui conférant l’unité dont le multiple était en attente afin de recevoir sa totale réalisation.
Tetraktys.
Alors nous songeons à la belle Tetraktys pythagoricienne, à la suite féconde conférée par Platon aux délibérations du philosophe présocratique (« celui qui a été annoncé par la Pythie »), aux amplifications initiées par les différentes gnoses. Nous songeons aussi à son déploiement dans la philosophie de Nietzsche dont Zarathoustra est comme le flamboiement. 10 : le nombre sacré, l’expression de la divinité, le lieu le plus haut auquel l’homme puisse atteindre à partir de sa contemplation des nombres, ces inimitables supports des élaborations symboliques. Nous admirons sa pyramide (cette forme parfaite) qui enclot l’ensemble des connaissances, la totalité des éléments. Tétraktys, dieu de l’Harmonie qui préside à la naissance de tout être. Alors nous entendons la mystique du nombre faire son beau poème, sa sublime supplique en direction de ce qui, toujours, flotte dans les hauteurs célestes, dans les brumes de l’invisible. Ecoutons dans le recueillement la prière en direction de la « sainte Tétraktys » :
« Bénis-nous, nombre divin,
toi qui as engendré les dieux et les hommes.
Ô saine, sainte Tétraktys,
toi qui contiens la racine
et la source du flux éternel de la création.
Car le nombre divin débute
par l’unité pure et profonde
et atteint ensuite le quatre sacré ;
ensuite il engendre la mère de tout,
qui relie tout, le premier-né,
celui qui ne dérive jamais, le Dix sacré,
qui détient la clé de toutes choses ».
La Tétraktys.
Source : Wikipédia.
Dixième jour, dixième lumière.
Décade. Nous comptons les jours qui nous séparent de cela même que nous cherchons. Neuf jours sont présents qui sont les taches claires de la lumière. Ces ampoules qui sont les phosphorescences de la conscience, le plein au sein duquel trouver la pure joie. La lumière n’est que cela, rayonnement à l’infini d’une félicité qui, pour inatteignable qu’elle paraît, peut venir à notre encontre sur nos chemins de hasard, en un lieu et un temps dont nous ne maîtrisons pas le destin mais qui, un jour (le 10ième), s’ouvrent aux yeux des Rares, ceux qui savent regarder les choses jusqu’à la lie et en faire éclater la bogue emplie de richesse. Neuf jours mais le 10ième est absent et nous pleurons. Neuf jours et nous sommes orphelins de nous, du monde. Neuf jours et le 10ième, le sacré, nous ne l’avions pas reconnu. Nous l’avions passé sous silence, absents que nous étions au chant de la manifestation. Le 10, le nombre sacré, le 10ième jour n’est autre que Radieuse en sa présence. Elle regroupe le divers et le réunit en une seule parole, la sienne qui féconde l’éparpillement, le porte à sa sublime exactitude. Ainsi aperçue, comment pourrions-nous la nommer autrement que par ceci « Décade Lumineuse », car nous ne sommes que par Celle qui nous porte dans la suite des jours avec l’éclat d’une vérité. La clarté, la perfection, nous devons en rechercher la présence. Ou alors nous ne serons rien. Rien qui soit arrivé à sa propre profération. Et le silence fera son bruit d’abîme et nous serons comme des enfants nouveau-nés privés des bras qui les accueillent. Et nous pleurerons.
Le 11ième jour ?
Nous sommes arrivés au terme de notre voyage. Nous avons rencontré l’enfer, sa gueule hurlante, nous avons porté son feu aux cierges de la chandeleur, nous l’avons installé dans la guirlande où dansent les photons. Nous n’avons cependant ni rencontré Dieu, cette fable des hommes, ni les dieux de l’Olympe, cette fiction de la mythologie. Seulement cette Fée aux yeux de lumière qui nous dit, en sa 10ième place, l’ineffable lieu de l’être en son unicité. A cette station nous demeurerons car il n’y a d’autre site pour connaître. Pour aimer. A ceci nous voulons nous consacrer avec la belle attention qui brille au fond des yeux des Rares. Oui, des Voyeurs en leur transparente vision !