Ces ombres il y avait ces ombres
Ô vacuité des choses présentes
O incendie de l’âme
O ignition de l’esprit
Ô dispersion du corps
Ecartèlement quand le temps
Vient
De si loin
Une à peine parole
Dans l’inconsistance
Du Monde
Une faille
Inconnaissable
Insaisissable
Livide telle la bougie
Qui se consume
Dans la crypte
Qui grésille
Dans le Temple
Pour des dieux absents
Pour des immolations
Dont le nom
Le sens
Ont été perdus
Dans l’indolence du jour
Sa lente irrésolution
Son labyrinthe
Où ne souffle plus
Aucun langage
***
Ces ombres il y avait ces ombres
Ces ombres qui rampaient
Au ras du sol
Pareilles
À de mauvaises consciences
A de malins génies
Plantant
Dans la détresse
De la chair
Leurs canines d’effroi
Plus RIEN ne paraît
Plus RIEN ne se manifeste
Que l’aile sinistre
Du vide
Plus RIEN n’arrive
Que l’haleine froide
Du Néant
***
Ces ombres il y avait ces ombres
Que nous ne pouvions faire
Nôtres
Tellement leur haine était
Grande
Démesurée
Leur silence
Hurlant
Dans les spires de la cochlée
Leurs lames s’invaginant
Autour de l’ombilic
Cette graine originelle
Qui s’étrécissait à la taille
Du microcosme
Et demeurait cloîtrée
En sa bogue
Sans jamais pouvoir en offenser
La translucide paroi
Mot dans mot
Qui refuse de s’ouvrir
Peau contre peau
Qui refuse de se distendre
De déployer son oriflamme
Dans la nuée de l’heure
Ô douleur incantatoire
Qui ne rencontre
Que son étique mélopée
***
Ces ombres il y avait ces ombres
La colline bougeait
À l’horizon
La plaque d’eau luisait
Dans le bleu
L’argile allumait son feu
Couleur de pain
Le buisson en touffe verte
En vert amande
Se souvenait de l’autre
De l’Ardent
De la révélation
Du Dieu Eternel
Mais Dieu était mort
Disait le Gai Savoir
Il n’y a plus de pays de Madian
De contrée où asseoir la pliure
De sa foi
Plus de lieu où prier
On n’idolâtre plus les idoles
On a brisé les icônes
On a détruit le palais de cristal
Des Mythes
On a broyé l’Imaginaire
Sous les coups de boutoir
De la possession
On a renié jusqu’à son être même
On a vidé la substance
De sa substance
***
Ces ombres il y avait ces ombres
La Bible
En des temps immémoriaux
Nous annonçait l’Exode
La fuite hors d’Egypte
Des Hébreux
Leurs longues errances
Dans le Sinaï
Leur quête de la Terre Promise
Mais de Terre Promise
Il n’y a que SOI
Enfermé dans la geôle étroite
De SON corps
Cette sombre monade
Sans portes ni fenêtres
Ce minuscule cosmos
Où à la manière
D’un oxymore
Ne règne que le désordre
Où ne croît
Que l’herbe mauvaise
Des jours
Cette piètre savane
Couleur de destin biffé
Là ne se laissent entendre
Que
Feulements
Barrissements
Rugissements
Ils sont l’architecture de notre peur
La quadrature de notre angoisse
La démesure de notre existence
Sous les fourches caudines
De la Finitude
Oui de la Finitude Majuscule
Qui signe le terme
De nos illusions
Décrète l’arrêt
De la Grande Pantomime
Frappe les trois coups
Au-delà desquels
Plus aucun Jeu
Ne sera permis
Brigadier
Sans indulgence
Cerbère
Sans complaisance
Guillotin
Sans état d’âme
Seule la lame définitive
Et son sifflement ophidien
Qui fait de nos têtes
Ces pitoyables boulets
Qui s’écrasent contre
La lourde barbacane
De l’incompréhension
Ces ombres il y avait ces ombres
Les ombres étaient
Au Passé
Au Présent
A l’Avenir
Il n’y avait plus
De temps
Pour le Temps
Plus de lieu
Pour l’Espace
Plus de parole
Pour le Langage
Plus d’ombre pour l’ombre
Plus de clarté pour la Lumière
On s’essayait
À une effraction
À se divertir de soi
À s’exonérer de ce
LÀ qui nous enfermait
Ligaturait notre voix
Attachait nos gestes
Faisait de notre amour
Le site d’une pure autarcie
SOI
On n’aimait que
SOI
SOI
On ne voulait que
SOI
Le pur égoïsme faisait
Ses empreintes délétères
Ses traces arbustives
Ses déploiements
De griffes de sorcières
Ses menuets
D’espoir afin de se soustraire
A sa propre inconséquence
Il ne demeurait
Que peau de chagrin
Bribes de cotonneuses envies
Copeaux de frivolité
Ces ombres il y avait ces ombres
Voilà à force
D’errer
D’omission en omission
De renoncement en renoncement
De dérobade en dérobade
On était arrivé
Dans le sas indissoluble
De l’ultime aporie
On hissait sa silhouette
Dans le cadre étique
D’une Porte
Etroite
Sur le seuil
Non en tant
Que passage
Translation
Vers autre chose
Que Soi
NON
Dans l’immobilité la plus totale
La plus dévastée de signes
La plus illusoire qui se pût concevoir
On était arrivé dans la certitude
D’être au Monde
Et de n’y être point
Comme affirmation d’un
Non-retour
A quelque chose de signifiant
Seule l’aire de la dévastation
Déployait l’emblème
De sa présence
***
Ces ombres il y avait ces ombres
On regardait l’en-dehors de Soi
A la manière d’une pure étrangeté
On ne questionnait plus à l’aune
De quelque Vérité
Les Choses étaient devenues
Choses
Irrémédiablement
Choses
Jusqu’en leur extrême
La réification partout
Etendait l’épouvantail
De son insolence
Ce qui n’était NOUS
Nous ne pouvions que le nier
Qu’était donc ce banc
Que nulle présence n’habitait
A commencer par la Nôtre
Qu’était ce flot bleu
Que notre corps ne rencontrait
Qu’était cette terre
Dont nous ne foulions pas la poussière
Qu’était ce buisson
Qui n’allumait le feu de notre être
Qu’était cette ombre
Qui nous était étrangère
Sinon l’image même de la Mort
Celle-ci
OUI
ASSUREMENT
Nous pouvions la ranger
Au nombre de nos avoirs
Nullement de notre être
Mais se possède-t-on jamais
Soi-même
Se possède-t-on
JAMAIS