Photographie : Blanc-Seing
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En hommage à Beckett-Lautréamont
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[On se trouvera bien de lire la petite comptine
Qui suit dans la travée
Bien qu’insuffisante
Des ci-devant nommés]
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D’où cela vient-il
Douleur que de ne rien savoir
D’errer parmi la multitude des signes
Et de n’en posséder que le vent
N’en saisir que l’absence
Les mains se tendent vers l’avant
En crochets
En ventouses
En langues de sangsues
Poix du vide
Qui laisse égoutter
Ses fibrilles de cristal
Les doigts flagellent
Ce qui passe à portée
Une idée
Un songe
Une brindille folle
Dans l’air chargé
De lourdes humeurs
*
Parfois une veuve noire
Saigne ombilicalement
Dévide son cordon d’acier
À mieux me ligoter
Me pousser tête la première
Dans le labyrinthe avec ses murs
De verre éblouissants
Ô robe blanche du Minotaure
Ô corps de plâtre
Qui n’est que le mien
Et ma tête
Oui ma tête de taureau
Où bat le sirop rubescent
De la fougue
Du désir
*
Oui posséder toutes les Vierges
De la Terre
Créer une généalogie
À mon image
Avec naseaux fumants
Sabots étincelants
Fureur logée au mitan des cornes
Ce Soleil qui incendiera
Le monde
Et nul ne vivra plus
Que sous le signe
De la puissance
De la surhumanité
*
Assez de cloportes
Qui ne laissent derrière eux
Que les traces abortives
Du renoncement à être
Les dards de l’hébétude
Fichée au plein du cœur
Les stupeurs de l’impéritie
Faisant ses marigots insolents
À l’ombre des mangroves
*
Je me suis levé un jour
Et j’ai dit le destin de l’Homme
Ecrit sur toutes les murailles
De Jéricho les traits
D’ocre et de sanguine
Avant que tout ne s’écroule
Dans des meutes de poussière
La ville sera maudite
Et nul ne pourra la rebâtir
Qu’au péril de sa vie
*
Ô toi qui me lis
(Me lis-tu vraiment ou bien es-tu simplement
En train de te repaître de ma substance carminée
Vampire qui dissimules
Les yatagans de tes canines
Le long de tes dérobades)
Ô toi qui lis ou bien dé-lis
Délie-moi donc d’un sort cruel
Je ne sais plus
Ni le lieu de ma naissance
Ni la première goutte de lait maternel
Qui humecta de miel
La pliure de mes lèvres
*
Mes lèvres saignent
De ne plus se souvenir
Mes lèvres se retournent
Pour manduquer
Mon intérieur
Il y a tellement de matières
Qui méritent le détour
Qui s’impatientent d’être connues
À la juste valeur
De leur longue macération
C’est un métabolisme
Si secret que nul
N’en pourrait approcher le réel
D’un iota
C’est une ambroisie
Qui vit au rythme de son autogenèse
Qui bouillonne et rugit de ne point parler
À la pointe du jour
*
Ô toi l’inconnu sois mon messager
Que les hommes de bonne volonté
Allument le feu de mon inévitable autodafé
Je ne suis empli que de vermine
Et de scorpions à la queue levée
Je me piquerai si nul ne le fait
Je pratiquerai ma morsure létale
Mes dents ont connu
Le mortel poison
De l’ennui
Elles sauront bien
Me donner la mort
Nous sommes enlacés
Tous les deux
Comme le lierre au tronc
Je ne vis que pour la mort
La mort ne vit que de ma vie
Mon corps de carton
Se dessèche et mes cartilages
Sonnent le cor
Comme Roland à Roncevaux
Ronces de vos regards
Qui lacèrent la dure-mère
De ma conscience
Biffent la pendeloque
De mon sexe
Annulent jusqu’à l’éclair
De mon être
*
Être un éclair
Ceci que j’ai souhaité
Depuis le berceau
Voici que cela prend corps
Sous les ors du foudroiement
Je suis entré dans la chapelle romane
Aux fresques usées
Qu’y ai-je vu
Que vous ne sauriez voir
Compagnons de brume
Qui n’existez qu’à me précipiter
Dans le premier cul-de-basse-fosse venu
Je sais vos intentions mauvaises
Pulsatiles et hémiplégiques
Vous ne valez guère plus que moi
Mais ne le savez pas
Moi je sais ce que vous ne savez pas
*
Vous n’êtes que des morts
En sursis
Et jetez un voile
Sur tous les miroirs
Qui vous renvoient à trépas
Vous ne supportez guère
Que les surfaces
Qui réfléchissent et polissent
Votre ego
Fût-il poli il n’est guère reluisant
*
Moi qui vous parle
J’ai imprimé dans l’argile
Les premiers chiffres
De l’humain
Ces pictogrammes qui voulaient enfoncer
Un coin dans la chair du réel
Seulement l’engeance des existants
En a perverti l’usage
En a gommé les signes sacrés
*
De Charybde en Scylla
Je vous le dis
Et le pire est à venir
L’humain en sa plus haute acception
Est langage
Je parle donc je suis
Le Cogito est langagier ou bien
N’est qu’une simagrée
Allez donc tous vous rhabiller
Vous les mégoteurs
Avec vos Cogitos de pacotille
Je baise donc je suis
Je mange donc je suis
Je parais donc je suis
Je brille donc je suis
Miroir aux alouettes
Et messages à la chienlit
Tout ceci palabres et remugles de l’enfer
Pestilences
Où meurent les consciences
Sous les coups de boutoir
De la malédiction
*
Car oui le genre humain est en péril
Et j’en sens dans mon ventre révulsé
Les premières contractions
Bientôt seront les forceps
Au travers desquels ma tête oblongue
Aux fontanelles claires insoudées
Pointera le bout de son museau
Oui de son museau chafouin
Pareil à celui de l’animalité
En ses premiers soubresauts
Juste du limbique collé à la voûte occipitale
Où crépitent les images du vertige de vivre
Juste du reptilien dans le lobe pariétal
Avec ses ravines de Rolando de Sylvius
Ses cratères ses couleuvrines ses boursouflures
Et l’espace s’y abîme en de pathétiques contorsions
*
« Nœud de vipères » avait écrit l’autre
Ne pensant pas si bien dire
L’eût-on cru on l’eût brûlé en Place de Grève
Combien sont dérangeants
Ces empêcheurs de tourner en rond
Ces philosophes ces hommes de robe
Ces Importants
Qui distillent
À l’envi
De cruelles prophéties
Ils appellent ça
Des Vérités
Avec une Majuscule
Et disant ceci leur goitre
S’enfle de vanité
Ils sont pareils à des crapauds
Dont la suffisance les conduit
À fumer la cigarette qui les portera
À l’éclat d’eux-mêmes
Le Vrai celui qui sonnera
La « Fin de la partie »
*
Tu vois assidu lecteur
Complice lectrice
Je convoque à mon chevet
Beckett ce cher Samuel
Qui bien mieux que moi
Saura tricoter
Une maille à l’endroit
D’absurde
Une maille à l’envers
D’absurde
Tailler à ma juste mesure
Cette vêture
De bure
Avec laquelle j’attendrai
Que Malone meure
Que Godot arrive
Que l’Innommable
Fasse son apparition
*
Il est plus que temps
Pour moi
D’effacer tous les signes
La chapelle bientôt
Fermera ses portes
On n’y verra plus goutte
Je n’aurai existé
Qu’à la mesure de l’instant
Quelque part
Sur la margelle d’une tombe
Ou bien dans le boyau
Qui descend vers Tartare
En convulsant
Maldoror m’attend
Rien ne le contrarierait plus
Qu’un faux bond
Il risquerait de m’envoyer
Par le fond du Vieil Océan
*
Or je ne sais pas nager
Quelle main secourable m’enverra
La bouée qui me sauvera
Toi fidèle lecteur
Toi empressée lectrice
Déjà je tends mon bras
Déjà je déploie ma main
Déjà je déplie
Les tentacules
De mes doigts
Venimeux
Qui donc
Osera
Les prendre
Qui donc