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17 avril 2019 3 17 /04 /avril /2019 10:19
VIDE - PLEIN

"Sans titre", bronze, Milan 1986

Coll. privée.

Œuvre : Marcel Dupertuis

 

***

 

 

D’abord il y a le rien.
D’abord il y a le vide.
D’abord il y a le néant.

Mais le rien n’est rien, qui voudrait quelque chose.

Mais le vide est vide, qui voudrait le plein.

Mais le néant est néant, qui voudrait l’exister.

Rien ne néantise mieux que le vide.

Mais le vide n’est pas somme nulle.

Mais le vide n’est pas l’égal de zéro.
Mais le vide est déjà une présence silencieuse.

Si je dis « présence »,

j’amène l’être dans sa forme la plus essentielle.

Car « présence » n’est nullement le multiple et le bruit.

« Présence » veut dire l’être en sa première venue.

« Présence » veut dire silence, mais silence capable de parole.

Seul le silence en est pourvu, en sa réserve inépuisable.

 

Pour amener les premières nervures

du sens,

il faut partir

du Rien

Du Vide.
Du Néant.

 

Partirait-on de quelque chose et,

déjà, nous priverions l’être de sa liberté.

L’être-chose de la chose ne se donne

que dans la dissimulation

de sa propre essence.

C’est pourquoi il faut être

dans le retrait,

dans le voilement,

dans l’esquive de soi de la chose.

 

La chose serait-elle proférée d’emblée

et nous n’y prêterions plus attention.
Toute chose entourée d’une kyrielle de prédicats

disparaît sous cette profusion.

Seul le Simple agrée le regard

et le porte à la question.

C’est pourquoi il ne faut nullement

les lumières de la scène.

Il faut le retirement dans l’ombre.

Il faut la boîte du Souffleur

où le souffle amène le mot.

Dans la douceur.

Il faut une survivance de l’originarité

de la chose.

Il faut la Source.

Il faut le cours sous les frais ombrages.

Il faut l’étoffement de l’eau.

Il faut l’affluence du sens.

Il faut l’estuaire où brule la lumière

de la Vérité.

 

Ici, j’ai parlé de tout et de rien.

Ici, j’ai parlé de l’œuvre en sa venue à l’être.

J’ai parlé à partir du vide.

Le vide a appelé le plein.

 

Jamais il n’y a de vide absolu.

Vide toujours relatif.

Le vide ne fait trace sur du vide.

Le plein ne fait empreinte sur du plein.

 

C’est le passage

de l’être-du-vide

à l’être-du-plein qui crée

toute signifiance.

 

Le vide seul ne signifie que le vide.

Le plein seul ne signifie que le plein.

 

Vide - plein - vide - plein,

voici la belle litanie

qui nous donne accès à la chose,

à sa réserve illimitée de puissance.

 

Car les choses sont sans limites.

Car leur langage est infini.

Toujours l’on peut rajouter

un mot à un autre,

une chose à une autre.

Ainsi est la procession de cet Universel

qui nous a été donné

à nous les hommes

afin de témoigner de notre être

et, conséquemment, de tous les autres

puisque le Da-sein est la seule instance

douée de ce mystérieux pouvoir

de reconnaître l’être-des-choses

et de leur donner site

ici et là où tout converge

afin que quelque chose soit possible

qui ne soit

ni le Rien,

ni le Vide,

ni le Néant.

 

Regardons « Sans titre » le bien nommé.

Sans-titre afin que demeure

l’infinie liberté de nommer.

Eût-il été désigné de telle ou de telle manière

et, déjà, il eût pris une direction,

et, déjà, il eût renoncé à la liberté

qui est le signe d’une œuvre en sa Vérité.

 

« Sans titre » est libre d’aller ici et là,

où bon lui semble,

à sa guise, et uniquement à celle-ci,

sans que quelque conscience particulière

ou quelque volonté

n’en ait déterminé la direction.

 

Au début il n’y a rien

que le vide habité

de néant,

mais le vide ne peut rien sans le plein.

Le vide appelle la forme

qui lui donne son être.

Le vide s’emplit et fait connaître

sa première rumeur,

le premier mot grâce auquel la chose

ne sera plus anonyme

mais rayonnera dans toutes les directions de l’espace.

Être c’est rayonner

et faire de ce rayonnement

une constellation

appelant d’autres constellations,

et ainsi de suite, jusqu’à l’infini.

Alors le sens, qui était vacant,

s’étoile et diffuse

jusqu’au plein des consciences.

Le seul plein qui soit

un vide

mais habité,

immensément habité.

En quelque sorte une fusion

de deux principes antagonistes

qui, depuis toujours,

depuis l’origine,

attendaient le lieu

de leur rencontre

 

C’est ce que nous dit cette belle œuvre

de Marcel Dupertuis.

Regardez donc comment

la matière-bronze joue

avec la matière-air,

avec la texture-vide.

Une maille à l’endroit,

Une maille à l’envers.

L’Artiste est cet habille tisserand

Qui croise fils de trame

et fils de chaîne,

jusqu’au moment où le tissage dit son nom,

son nom de Vérité,

car il ne saurait y en avoir d’autre,

sauf à chuter dans l’errance,

dans l’illusion,

ce que ne saurait être

l’oeuvre d’art portée

à son incandescence.

Ici se laisse voir la trame

du Da-sein

de l’être-le-là,

l’ici-présent,

autrement dit de celui qui témoigne

de sa propre venue,

cette apparence

de la présence voilée de l’être

qui souffle et fait se gonfler

la voilure de l’étant.

 

Que serait donc une œuvre

si elle était dépourvue « d’âme » ?

Une baudruche flottant entre

deux absences identiques,

un excès de profusion,

une surabondance de vide,

mais sans tension,

mais sans ce combat

de Monde et de Terre

qui donne l’étant

tout en justifiant l’être.

 

La Terre est ici la matière

qui se refuse,

et qui, se refusant

en sa profondeur retirée,

crée les conditions

de l’ouverture,

de l’éclosion de tous les étants.

Ce Monde dévoilant les choses,

dont l’art manifeste l’effectivité

en sa plus exacte mission.

Art est ouverture à l’être

ou bien n’est pas

 

Ici, dans cette œuvre,

au plus haut point de sa parution,

la déchirure est patente

qui arrime la dimension

du tragique

à  l’encorbellement de l’essence humaine,

écarte la faille par laquelle

un sens devient perceptible.

N’y aurait-il

cette béance,

cet abîme,

cette ouverture par laquelle

nous traversons l’étant,

le dépouillons de sa naturelle opacité,

le pressons de parler,

alors la matière demeurerait muette

et nous serions privés de langage,

non seulement à son sujet,

mais au nôtre

et errerions telles des âmes

en peine de leur être.

 

Les ouvertures, chez Marcel Dupertuis,

trouvent leur équivalence dans les blancs

de la Montagne Sainte-Victoire

chez Cézanne,

ces palpitations qui déploient les formes

jusqu’à la beauté intrinsèque

de leur « inachèvement ».

Mais « l’inachèvement » est précisément

ce qui les libère, ces formes,

d’une dette au réel et les place

dans une inatteignable réserve

qui est le lieu

de leur plus haute réverbération :

un éblouissement !

Au sommet de la peinture,

c’est bien la Montagne

qui surgit de ces vides,

une Hauteur Essentielle

pareille à l’Esprit

et s’affirme telle la singularité qu’elle est.

Les ouvertures font signe vers

ces autres oculus

que sont, chez André du Bouchet,

les blancs de la typographie qui,

plus que de représenter fissures et brisures,

sont la pure venue au jour

des significations plurielles,

lesquelles se situent à l’origine des choses

et disent leur fondement

qui n’est que le nôtre.

Si nous sommes des hommes Vrais,

nous sommes Langage,

nous sommes Poésie,

nous sommes l’Être

en son sillage silencieux.

 

« Sans titre » nous invite à penser le Monde,

celui de l’art,

celui de ceci qui nous fait face

tel le réel qui nous interroge,

celui de ce qui toujours fuit

afin que nous cherchions

à en déclore l’énigme.

Oui, l’énigme est un beau mot,

cette parole obscure et équivoque

qui nous met en demeure d’être

des chercheurs de sens.

Seulement ceci.

 

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