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4 février 2025 2 04 /02 /février /2025 08:39
Ce pli blanc

Photographie : Léa Ciari

 

***

 

   [Le pli dont il va être ici question, ce pli à la jointure des deux espaces de l’image : le nocturne, le diurne, n’est pli qu’à se ressourcer à ces deux origines dont il est la rapide et éphémère trace. Ce pli, symboliquement, n’est seulement pure illustration du paysage, simple détail sans importance, il est le stigmate même de l’infini clignotement de l’existence. Tantôt le pli se referme sur qui il est et c’est l’incertitude, le doute qui végètent au-dessous de notre propre ligne existentielle. Tantôt le pli connaît son dépli et c’est la pure joie d’être, sous le soleil, dans la présence fleurissante, déployante du jour. Comme si le pli voulait, une fois nous dire le mensonge, l’absurde, la fermeture du sens, qui, l’instant d’après, tel le phénix, renaît de ses cendres et prend son envol pour de nouveaux ciels prédictifs d’une possible félicité. Nous sommes, nous les Existants, à la jointure de ce pli-dépli, figures armoriées de hautes détresses qu’annule parfois, dans le jour qui naît, une subtile lumière dont on sait, intuitivement, qu’elle est le signal au gré duquel, Hommes et Femmes sur Terre n’ouvrent leurs yeux qu’à ignorer la sourde nuit qui rampe sous la ligne d’horizon, elle dessine leur destin le plus probable.]

 

*

 

   Ce pli blanc, vois-tu cet hiver est long à mourir. Il se traîne en longues écharpes mélancoliques depuis un temps sans bords, sans consistance. Long a été son chemin semé de blêmes balafres. Elles, les blessures, les déchirures, ont pénétré notre regard jusqu’à l’endroit, clôturé, sinistre point aveugle que nulle lumière, jamais, ne visite. Il y fait trop sombre, où même l’ombre la plus dense ne voudrait connaître son étrange destin. Car de la nuit profonde, du non-sens, jamais l’on ne revient. Le ferait-on, et notre silhouette ne serait qu’une échine courbée sous le faix d’une irrémissible douleur. Ce pli blanc, là, qui nous tient lieu de fanal, il s’allume de si sinistres lueurs ! Notre sclérotique en serait-elle atteinte et plus rien de manifeste ne se donnerait à nous. Seulement un gris blizzard s’insinuant dans la brisure de l’âme. Seulement.

  

Pourrait-on encore revendiquer le droit de vivre ?

Pourrait-on rencontrer le poème

et en saisir la pure beauté ?

Pourrait-on croiser la possible Amante

avec, au creux de soi, cet infini vertige

qui est trace infinitésimale

si essentielle de l’Amour ?

Pourrait-on ?

  

   Å peine éveillé, encore habité des longues écharpes du songe, l’on vient à la croisée (n’est-elle croisée de nos hasardeux destins ?), l’on pousse les volets sur la résistance du jour. Des lambeaux de ténèbres collent encore aux planches de bois, comme si elles voulaient en retenir la cotonneuse contingence. As-tu déjà entendu la plainte du bois, cette manière de faible gémissement venu depuis la complexité des nœuds, depuis les inextricables particules de la matière ? C’est un peu comme le craquement des os (je veux dire « nos os », nullement des os universels sans réelle substance), comme des claquements ligamentaires, comme des cliquetis d’astragales de tarses et de métatarses. Oui, je sais combien mes métaphores anatomo-physiologiques doivent au poids d’une chair mortelle, combien ces concrétions du réel sont davantage des déterminations sombrement métaphysiques plutôt que de simples objets, par exemple de touchants osselets avec lesquels jongler comme on le ferait de naïves et innocentes pensées, à peine l’exhalaison d’une eau légère au-dessus du frimas lent des herbes.

   Mais, Toi mon Affiliée depuis toujours, tu connais l’inclination de mon âme (elle qui ne devrait qu’être talquée d’allégie) ma tendance à me compromettre, à me lester du moindre détail de la vie, il devient, sans délai, cette gueuse de plomb que je traîne après moi, comme le boulet d’acier, Ceux qui ne connaissent que la mince joie de la geôle. Non, ne t’étonne pas de mes allégations qui, aux yeux des Inconnus, pourraient paraître fortuites, mensongères, gratuites, alors que leurs énoncés ne sauraient avoir lieu qu’en des déclarations assertives, une profonde vérité en anime la sourde puissance.

   Oui, je dis et maintiens que le Prisonnier, non seulement a le droit d’être heureux, mais en a l’immémorial devoir. Car s’éprouver Soi, tout au fond de sa geôle, c’est connaître en un unique mouvement de son esprit le « Principe du Terrier » qui s’énonce joyeusement en ceci que la terre qui l’entoure, l’accueille en son sein, le Terrier, eh bien cette terre le protège de bien des déboires qui parcourent en tous sens les mortels sillons de l’exister. Tu sais, ce que d’aucuns jugeraient tel mon profond et incurable pessimisme, toi dont l’analyse est infaillible, depuis longtemps tu as perçu qu’il ne s’agit que d’une lucidité exacerbée, d’un parfois et le plus souvent, cruel réalisme. Mais qui donc, ici, sur cette Terre arpentée en tous sens des apories des crimes, des assassinats, des vols et de viols, qui donc pourrait proférer autre chose qu’un long cri d’affliction, son chagrin s’égoutterait de ses yeux en une manière de mare indistincte si proche de quelque fin annoncée depuis la nuit des temps ?

    Ce pli blanc qui, selon les jours, joue la partition claire du bonheur, le lendemain s’abîme dans les sanglots de l’adagio. Mais combien le sens des choses prend son élan depuis ces troublants contrastes, depuis ces vivantes dialectiques dont, nous ne sommes, nous les Vivants, que les reflets, les échos.  Tu l’auras compris c’est un jour « état d’âme », c’est une heure « stimmung » comme le disent les Romantiques et Philosophes allemands, traduisant en ceci cette floculation du réel, ce tremblement instable situé entre « philosophie, psychologie et esthétique », cette tonalité si particulière, celle qui s’élève du plus profond de l’Être, à savoir cette voix qui est la marque indéfectible de notre identité. L’on peut confondre deux visages, jamais deux voix. Sans doute en va-t-il de même pour le principe subtil, volatile de l’âme. Toujours une essence se distingue d’une autre essence, c’est bien là sa définition la plus évidente.

 

Ce pli blanc,

cette infime variation,

cette hésitation

de Soi à être Soi,

cette fulgurance retenue

en amont de qui l’on est

(le sait-on jamais !),

ce sentiment

 

   que semblent pouvoir évoquer seulement les points de suspension  sans doute ce pli est-il destiné, par nature, à se dissimuler, à clignoter du plus loin de l’espace, dans une dimension insaisissable du temps, il va sans dire que Chacun, Chacune le porte en Soi à la manière d’une faveur à mettre en lieu sûr.  Sans doute, comme moi, aperçois-tu ce pli qui, au premier regard, paraîtrait anodin, mais en réalité porte en lui la plus vive des inquiétudes. Il en est ainsi du destin des plis qu’ils projettent devant eux une lumière en laquelle s’éteint leur propre envers, cette toujours déterminée adhérence des soucis, ils tapissent l’existence humaine à la manière de ces mousses invasives se ressourçant continûment à l’affairement assidu du Noroît.

   Lui, le Noroît, n’a de cesse de souffler et de porter à la blancheur du silence et de la virginité tout ce qui se dresse devant lui et prétend miroiter, étinceler à la face surprise du Monde. Le Monde en pâtit, de la présence têtue, obstinée de ces choses mondaines dont les Curieux et les Inattentifs bardent leurs lourdes paupières, ils n’ont plus qu’un regard de pierre et leurs yeux ne sont qu’un gypse éteint, pulvérulent, bientôt quelques cendres se dissipant au gré de leur infructueuse marche de guingois.   

   Car, oui, cette poussiéreuse blancheur des plis, cette force qui ponce toutes les aspérités, aplanit tout exhaussement, réduit à néant la pointe d’acier des vices les plus saillants, eh bien, oui, tu l’auras reconnu,

 

c’est bien en ce blanc Noroît,

en ce souffle essentiel

que se dissimule le Pur Vivre

en sa plus exacte expression.

 

   Il veut tout effacer de ce qui fait tache, gommer tout ce qui entrave la marche en avant du dessein Humain. Oui, le pli est l’inaperçu en lequel sourd, à la manière d’une braise vive, la puissance imageante de notre phantasia, se lève l’énergie sans limite du concept, se dilate, depuis son point focal, cette manière de verbe originaire, ce cri longtemps retenu au sein des consciences, cet espoir bourgeonnant qui constitue le désir immémorial de l’Humanité de sortir de soi (nullement de s’annuler, cependant, tu l’auras compris), bien au contraire, la volonté de réduire à néant tout ce qui contrarie, étouffe, chagrine l’esprit des Existants, les rive à demeure à cette sourde gangue en laquelle végètent tous les absurdes, croissent toutes les déraisons, se multiplient les ambitions les plus viles.

   Aussi bien que moi, chère Confidente, tu sais depuis ton infaillible intuition, que toute bonne volonté s’abrite derrière les plus apparentes indifférences, que toute générosité se dissimule derrière le premier égoïsme venu, que toute beauté se farde du masque de la disgrâce. Ce qui voudrait simplement signifier que le pli, en sa modestie, en son effacement, recèle la condition de possibilité de ses naturels envers :

 

le Clair,

le Vif,

le Manifeste

 

ce qui, dans le sensible,

dans l’immédiatement donné,

dans la surgissante présence

cherche à nous dire le précieux du jour,

l’irremplaçable de l’Amitié,

la feuillaison à nulle autre pareille de l’Amour.

  

Ce pli blanc qui se fraie un chemin

parmi les coulures grises du ciel.

Ce pli blanc qui repose, sublimement lactescent

derrière le voile des nuages.

Ce pli blanc depuis lequel les silhouettes agitées

des arbres prennent leur essor.

Ce pli blanc, lui qui est lisière, qui est frontière,

éclair ultime avant que la douloureuse nuit

n’en vienne altérer le lumineux prestige.

Ce pli blanc, il est ce par quoi

nos yeux s’éclairent,

nos mains s’ouvrent,

nos consciences fleurissent.

 

Ce pli blanc.

Il est pur mystère, sans doute

effervescence de la nuit.

De la nuit dont nous venons.

De la Nuit vers où nous allons.

Tout à la fois

le pli est ouverture,

le pli est réserve.

 

Il en va ainsi du

paradoxe humain !

 

 

 

 

 

 

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