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2 janvier 2015 5 02 /01 /janvier /2015 08:44

 

Du cœur de la nuit.

 

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Sur une page de Marie Capel

vers : Littérature.

 

« Ma mère avait laissé des romans. Nous nous mîmes à les lire après souper mon père et moi. »

«… nous lisions tour à tour sans relâche et passions les nuits à cette occupation. »

 Jean-Jacques Rousseau - "Les Confessions".

    

  La Lectrice est là, assise sur son lit, attentive à ce qui se passe, regard entièrement livré à la contemplation. Rien ne saurait advenir qui éloignerait du livre, distrairait de ce qui devient événement. Car c'est bien d'un surgissement dont il s'agit. Dans la conscience et nulle part ailleurs. Alentour, tout se dissout, tout s'use et se polit dans une même teinte, une identique harmonie. La lampe à peine visible, juste un rougeoiement, est la métaphore simple de ce recueil dont l'émergence même est la condition pour que quelque chose existe de l'ordre de l'amour. Lire est un acte de cette nature ou bien il ne s'agit que de divertissement, d'inclination passagère à s'écarter de soi. Toute lecture est une osmose, une fusion, une participation.

   Nous lisons et le monde immédiat est une fumée qui se dissipe dans les volutes d'air. Nous lisons et le présent est aboli, le passé une flaque irisée dans le lointain, le futur une brume à l'horizon.Nous lisons et notre corps s'absente pour ne laisser place qu'à un flottement, une dérive songeuse, un pli dans les mouvances du monde. Mais un monde circonscrit à la chambre.  Il ne saurait y avoir de meilleur endroit pour la relation amoureuse.

 L'Amant et l'Aimée s'immolant dans une même passion. A l'écart de tout ce qui pourrait troubler, amoindrir les sensations, abolir les perceptions. Plus rien, alors, n'a lieu que cette flamme, cette brillance, cette étincelle au cœur de la nuit. La nuit : cette belle et indispensable médiatrice dont nous ne ferions  l'économie qu'à délaisser les rivages de la littérature.

  Lire est un cheminement parmi les ombres, une progression au travers des trouées de clair-obscur, un avancée sur la ligne indistincte de l'aube, dans la lumière déclinante du crépuscule. La clarté du jour est trop vive pour que puissent se réaliser l'indispensable alchimie, la rencontre. La vive lumière brûle le papier, dissout les signes, efface les mots. Et puis il faut le silence, l'immobilité, l'occlusion dans une conque. Le jour convoque trop de mouvements, de bruits de voix, d'éclats de lumière, de diasporas diverses qui divisent, éparpillent, mutilent. Une accumulation de fragments sans fin, une manière de schizophrénie à l'œuvre. Le regard est constamment dispersé, n'ayant plus de point vers lequel converger.

  Les allées et venues dans le sillon des rues, les colonnes de fourmis laborieuses, les échos,  tout conflue, tout  ricoche à l'infini, dans une manière de folie destructrice. Il n'y a pas de halte, pas de respiration. Pas de refuge où retrouver quelque assise signifiante. Pas de ressourcement possible. Donc pas de lecture, ou bien seulement le consentement à déchiffrer quelque chose, comme par inadvertance, sans en avoir le souci réel, privés d'intérêt qui nous conduirait en quelque lieu inconnu, bien au-delà des habitudes, des aimantations ordinaires. Simple limaille attirée par des confluences magnétiques. Lire n'est jamais une compromission, une soumission qui résulterait d'une injonction. Lire suppose toujours l'entrée dans une spatialité différente, dans une temporalité alanguie, mais assumée, souhaitée, quintessenciée.

  Or, lire c'est toujours scinder le temps, y introduire une césure, ouvrir une parenthèse. Nuit : fleuve au long écoulement, île disposée à la liberté, à l'épanouissement insulaire. Lecteurs, nous sommes tous ces iliens coupés du monde, de ses dérives, ses syncopes, ses urgences. La nuit est là, autour de nous, avec ses lointains battements accordés au rythme du poème, avec son flux lent qui porte la fiction, ses vagues si bien assorties à l'amplitude du romanesque. La nuit est ronde, souple, attentive à la survenue d'une plénitude, accordée au secret, propice à la confidence. Or, lisant, c'est bien nous, en propre, qui nous confions à ce que le roman, le poème ont à nous dire. Et ils ne le peuvent qu'à partir de cette mutualité, cet accord réciproque, ce souci de se confier à une entente qu'on pourrait dire "fusionnelle", identiquement au jeune enfant encore attaché à sa mère par un cordon symbolique.

  Le jour est trop anguleux, mondain, englué dans la quotidienneté pour pouvoir prétendre participer à notre enchantement.  Oui, c'est bien d'un sortilège dont il s'agit, d'un émerveillement, d'un ravissement. Nous sommes ravis à nous-mêmes afin que nous puissions nous ouvrir au phénomène de l'art. Seule la nuit le peut. Seule la Lectrice nous y invite depuis la magie de sa chambre, dans cette atmosphère pleine de promesses. Le "voyage au bout de la nuit" ne fait que commencer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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