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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 08:35

 

"Nous sommes dans une nuit d’hiver, alors que les éléments s’entre-choquent de toutes parts, que l’homme a peur, et que l’adolescent médite quelque crime sur un de ses amis, s’il est ce que je fus dans ma jeunesse."

 "Meurt-on seulement en hiver lorsque les éléments de la nature se déchaînent ? Ici, sous la mansarde seulement éclairée par le jour blafard issu de la rue, les ombres déplient leurs sombres ramures. Mais qu'attendent-elles pour livrer leur assaut, saisir ma gorge d'effroi et me plonger dans la ténèbre définitive ? J'ai compris. Dissimulés parmi les ombres, au pied des lampadaires glauques, le long des caniveaux, à l'arrière des immenses trottoirs, auprès des poubelles de zinc, sont mes assaillants, mes juges, mes bourreaux. Pourquoi ai-je donc commis l'irréparable, ou du moins mes géniteurs, me mettant au monde consécutivement à une lutte effroyable. Car toute naissance résulte de cela : un combat à mort d'Eros pour terrasser Thanatos. Vous la savez tous cette vérité belle, pareillement au crapaud boursouflé de pustules prêtes à vous sauter à la figure alors  même qu'il achevait de fumer la cigarette avec laquelle vous pensiez le condamner.

A peine dans votre berceau entouré d'angelots bleus naïfs comme le ciel et, déjà, s'ourdit la sinistre conspiration. Une revanche est à prendre. Thanatos ne s'avoue pas si aisément vaincu. Et puis il sait, par sa longue expérience, que votre chute viendra. Inéluctablement. Peut-être lentement et c'est tant mieux pour lui, Thanatos, pour l'efflorescence de son plaisir anticipateur, alors que vous, sombre Idiot, allant  jusqu'à oublier la lutte originelle, celle qui présida à votre naissance, longez le premier caniveau venu, ne vous doutant même pas que vous êtes suivi, épié, surveillé lors du moindre de vos gestes. On surveille votre hésitation, votre estimable faux-pas, votre chute depuis si longtemps espérée. El le "On" qui vous suit pas à pas, comme votre ombre, c'est d'abord Vous, votre inconscience, votre pleutrerie, votre bêtise majuscule, c'est aussi les Autres qui vous font mille courbettes, c'est la sinueuse Ligne 27 avec ses arrêts, ses déhanchements, ses hoquets, avec Irma la Secrétaire qui feint de limer ses ongles mais attend le premier cahot pour vous la planter dans le mitan des omoplates la gentille lime à bouffer les cartilages et autres aponévroses sanguinolentes; c'est Isidore, le coiffeur tellement discret, inoffensif, on le prendrait pour le bedeau de la paroisse, sauf que dans sa mallette de carton bouilli, le sabre est prêt à surgir, les ciseaux à castrer, le peigne à essorer vos capillaires; c'est la gentille Retraitée avec son pot de chrysanthèmes sur les genoux, le pot embête son arthrose et il n'y en pas pour une éternité avant que vous n'éprouviez la douceur des tessons de terre cuite sur votre toque fourrée, fût-elle d'astrakan et cousue à la main.

  Pour être poursuivi par une telle engeance nécrophile j'ai sans doute commis, dans ma jeunesse, le plus sordide des crimes qui fût, faisant l'économie de son souvenir, subséquemment au traumatisme possiblement enduré.  Mais je crains de ne faire que m'abuser, étant seulement coupable d'exister !"

 "Que le vent, dont les sifflements plaintifs attristent l’humanité, depuis que le vent, l’humanité existent, quelques moments avant l’agonie dernière, me porte sur les os de ses ailes, à travers le monde, impatient de ma mort. Je jouirai encore, en secret, des exemples nombreux de la méchanceté humaine (un frère, sans être vu, aime à voir les actes de ses frères)."

 "Ce ne saurait être un hasard si ma Mort intervient alors que l'hiver cogne à ma mansarde et que le vent se déchaîne à ma croisée. Mais n'avez-vous donc point perçu combien cette dernière, la Croisée, simple intersection de mon horizon vide et de la ligne à l'assaut d'un piètre salut céleste, est l'image parfaite de la Croix sur laquelle, bientôt, mon étique squelette s'appliquera comme, autrefois, se clouait aux contrevents des maudits et des reclus, les membranes opaques des chauve-souris ?  Et le vent, le vent à la lame outrecuidante,  aux dents de vampire, ne serait-il pas simplement le blizzard des malintentionnés qui souffle son haleine acide dans mon dos courbe comme la misère ? 

  Os des ailes du vent, cartilages dispendieux du souffle, vertèbres emboîtées d'une respiration inique faisant ses volutes parmi les couches d'air, que ne vous saisissez-vous de mes vertèbres, de mes os déphosphorés, de mes disques rongés par une stature quasi animale me faisant ressembler  à la hyène aux reins rabotés, à l'allure fuyante, comme si, déjà, elle anticipait la dernière fauchaison du Néant ?  Et que le monde soit impatient de ma mort, je ne saurais m'en offusquer. Seulement m'en réjouir à la façon dont le petit enfant manifeste sa joie derrière la vitrine aux mille jouets, aux mille feux de la jouissance première. Cet ultime voyage sera celui d'une dernière lucidité par laquelle me seront révélés les mystérieux et secrets visages des hommes, les complots qu'ils fomentent en vous prenant dans leurs bras chaleureux comme les forceps, les sourires qu'ils vous adressent, dissimulant derrière leur dos flétri le canif qui, bientôt, fouillera votre gorge, de minces filets écarlates s'écoulant dans les caniveaux d'indifférence dont les regards bien intentionnés se détournent pudiquement, réservant leur sollicitude pour les Saints et les Eglises où, à foison, ils peuvent déverser, dans les oreilles des Clercs compatissants, leurs mille avanies, leurs mille turpitudes. Combien, Lecteur attentif à mon propre délabrement, il est instructif, alors que les membranes de la Mort rôdent, d'observer, une dernière fois, d'un œil amusé autant qu'impartial toutes les bassesses de cette meute humaine seulement occupée d'elle-même.

  A se pencher sur les ornières dont notre condition existentielle est porteuse, nous les hommes; ou prétendus tels, ne sommes pas l'espèce la mieux requise à juger nos pairs. Ils nous ressemblent trop, miroirs renvoyant leurs rayons aigus dans nos propres miroirs leur faisant face. Les animaux, certes plus primaires, plus rustiques, moins prétentieux, depuis leur naïveté foncière, leur impartialité, auraient vite fait de nous juger à la seule aune qui vaille, celle d'une vérité jaillissant d'une vive impulsion, un simple réflexe, lequel, par son émission  spontanée, mettrait à jour nos lignes de conduite, nos perspectives, sans compromissions. Sans doute seraient-ils étonnés de voir les hommes parcourir la Terre de leurs trajets hésitants, erratiques, pareils aux embardées du bousier cherchant maladroitement, par de multiples chassés-croisés, à reculons, à protéger son précieux fardeau. Sans doute seront-ils encore plus surpris de l'allure de mon anatomie en forme de vrille et d'hameçon, simple jouet, poisson muet et globuleux à la bouche ensanglantée qu'incise le fabuleux trident de son destin ordinaire !"  

 

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