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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 08:04

 

"Alors, les hommes relèveront peu à peu la tête, en reprenant courage, pour voir celui qui parle ainsi, allongeant le cou comme l’escargot. Tout à coup, leur visage brûlant, décomposé, montrant les plus terribles passions, grimacera de telle manière que les loups auront peur. Ils se dresseront à la fois comme un ressort immense. Quelles imprécations ! quels déchirements de voix ! Ils m’ont reconnu."

 "Voilà donc ma récompense suprême faisant ses petites circonvolutions dans l'air criblé, saturé de messages, que les hommes ne voudraient pas entendre plus longtemps, leur tympan se déchirant sous la poussée des meutes d'évidences sonores. Me voici enfin reconnu, mais comme l'incarnation du mal lui-même, celui après lequel tous les Existants ont couru, celui auquel ils ont tressé des couronnes de lauriers. Seulement, le mal en eux, ils l'acceptent, ils lui octroient une petite grotte bien dissimulée, soyeuse, écumeuse. Seulement le mal, chez l'autre, ils  l'abhorrent et le condamnent, toujours prêts qu'ils sont à immoler celui qui en est porteur. Proche est ma perte qui succèdera à la désignation de Nevidimyj, moi le "sans-nom", l'exilé, l'errant, comme l'incarnation de Satan lui-même, comme l'auteur de tous les maux de la Terre. Mais jamais on ne lutte contre son destin. Il s'ouvre à vous avec l'impérieuse nécessité du mouvement universel et sa réalisation n'est que l'avènement d'une légitime conclusion, le point d'orgue d'une imparable logique. Aussi je ne me plaindrai pas. Je me livrerai simplement, avec humilité, à ce qui ne pourrait apparaître que comme l'aboutissement d'une vindicte populaire, alors qu'il ne s'agira là que d'une vérité trouvant son épilogue. A vous, animaux de la Terre, je confie mon corps inutile, à vous Hommes mon esprit et mon âme. Faites-en l'usage qui vous plaira."

 "Voilà que les animaux de la terre se réunissent aux hommes, font entendre leurs bizarres clameurs. Plus de haine réciproque ; les deux haines sont tournées contre l’ennemi commun, moi ; on se rapproche par un assentiment universel. Vents, qui me soutenez, élevez-moi plus haut ; je crains la perfidie. Oui, disparaissons peu à peu de leurs yeux, témoin, une fois de plus, des conséquences des passions, complètement satisfait…"

 "Disparu aux yeux des hommes depuis toujours je ne devrais rien craindre d'eux alors que ma simple apparition déchaîne leurs  passions les plus extrêmes. Mais voici qu'apparaît mon ami le rhinolophe."

  "Je te remercie, ô rhinolophe, de m’avoir réveillé avec le mouvement de tes ailes, toi, dont le nez est surmonté d’une crête en forme de fer à cheval : je m’aperçois, en effet, que ce n’était malheureusement qu’une maladie passagère, et je me sens avec dégoût renaître à la vie. Les uns disent que tu arrivais vers moi pour me sucer le peu de sang qui se trouve dans mon corps : pourquoi cette hypothèse n’est-elle pas la réalité !"

 "Dans le froid hivernal de la mansarde, ô bienveillant rhinolophe, je sens le battement de tes ailes effleurer mon anatomie de glace caverneuse. Tu es la bonté même, la générosité, le dévouement. Tu aurais pu profiter de mon absence pré-mortelle pour te précipiter sur ma gorge où palpite encore un peu de sang tiède et le boire jusqu'à la dernière goutte. Tu te serais repu de ce sublime aliment, en même temps que tu aurais débarrassé l'humanité de ma piteuse existence. Qu'a-t-on, en effet, à faire d'un sans-nom, d'un invisible qui hante les consciences de sa propre inclination à la néantisation ? Les Bienveillants qui peuplent les villes et les campagnes ont bien d'autres chats à fouetter que d'essayer de débusquer celui qui se terre comme le pestiféré, bien d'autres parcours à effectuer que de faire deux ou trois minces girations autour du nul et non avenu. Au pire, délaissant mon liquide inluxueux, hémoglobine sans gloire, tu eus pu me confier ta crête chevaline, afin que, tardivement pourvu  d'un signe distinctif, je ne disparusse totalement aux yeux des curiosités adjacentes. Sans doute quelques indélicats eussent-ils pris mon échine pour la croupe d'un bizarre et estimable équidé, parcourant sur mon dos pentu les incertitudes bosselées des monts et vaux  existentiels. Mais ceci est de peu d'importance et je m'aperçois que, même mon Lecteur privilégié que j'avais invité dans ma mansarde afin qu'il pût assister à mon dernier souffle, vient de s'éclipser. Sans doute mon heure n'est-elle pas encore venue ? Donc, rhinolophe bien aimé, toi dont j'attendais avec impatience que tu te disposasses à tremper dans mon corps charriant toutes sortes de liquides putrides ta trompe salutaire, aspirant jusqu'à la dernière goutte ce sang mêlé de roturière et de grand bourgeois, le pire qui fût pour les tenants du prolétariat conquérant, voilà que tu te confondais avec une maladie épisodique, ouvrant par cela même une nouvelle parenthèse dans mon destin pointilleux ! Mais je sens que celui-ci frappe à ma porte. Il est temps, pour moi, de rejoindre la Ligne 27, la seule dont le trajet incertain et chaotique convienne à ma claudicante progression. Je ne manquerai point, ô sublime rhinolophe, de te conter par le menu ce que mon estimable sort m'a réservé, dont je ne doute point que se réjouiront les curés, les pleutres et les prostituées nonagénaires, tous, toutes, accrochés à ma mielleuse existence comme les parasites aux parties les plus invisibles de notre anatomie."

 

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