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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 09:00

 

  Et voilà que le Pélican sort de la file des Curieux, claudicant à souhait, traînant devant lui son bec en forme de besace ou d'outre remplie par les bons soins d'Eole. Ses immenses  pattes palmées pareilles à des battoirs font, sur le sol de l'Omnibus, leurs larges auréoles de bruit. Dans la marche adoptée par le grand oiseau blanc, dans ses yeux aux prunelles de jais qu'éclaire une étincelle de lumière, dans sa crête occipitalement ébouriffée, dans la touffeur noire de ses rémiges, loin s'en faut que Nevidimyj reconnaisse ce bon Isidore, le méticuleux et précis barbier qui ne rêve que d'une chose, enduire de mousse blanche la falaise des joues youriennes, en faire des tas onctueux comme la neige, produire une mince avalanche en direction de l'éperon mentonnier, couler le long de la pente de la gorge, entourer le promontoire de la pomme d'Adam, attendre qu'un fin grésil vînt encore s'y poser - peut-être le brouillard des larmes de Nevidimyj étonné de tant de soins prodigués en sa faveur -, et, alors qu'une vague inconscience s'empare du Russe, lui planter l'arrondi du sabre dans la carotide afin que, partout se répande le sang de l'inutilité, celui de la lâcheté de vivre, celui encore du dédain de ses Semblables.

  Cependant, Lecteur sanguinaire, n'imagine point assister en ce moment palpitant à l'égorgement pur et simple de l'aristocrate déchu. Un vrai spectacle n'est jamais autant goûté dans sa profondeur qu'à être soumis au rythme lent de ses événements. Or Isidore est bien trop informé des labyrinthes tortueux et des coups fourrés de l'humaine engeance - combien de confidences a-t-il écoutées dans le moelleux de son salon; alors que les têtes shampooinées, livrées à une douce quiétude, étalaient, comme sur le divan du psychanalyste, leurs sordides épopées -, Isidore, donc, sursoit au sacrifice, se contentant d'enduire la face du moujik d'une écume légère alors que de la pulpe de ses doigts calamistrés il joue à faire des ronds sur la nuque de son Client étonné, ce dernier se surprenant même à esquisser un sourire de béatitude. Youri, dont la situation n'est pourtant guère enviable, ragaillardi par les bons soins d'Irma et de Félicie auxquels, de belle manière, se sont joints les doux attouchements du Coiffeur - figure archétypale du Père dont l'Exilé a été privé ? -,  se prend à rêver d'une vie meilleure alors même que cette dernière, pareille à un filet d'eau dans le désert, s'égaille en tous sens ne gardant de sa forme première qu'une vague trace d'humidité bien incapable de rendre compte de son passé.

  C'est tout de même curieux ce phénomène qui, présentement, rampe le long des flancs de l'Omnibus, fait ses ramures parmi le peuple des Rhizomatiques et s'étoile, montant jusqu'à moi, apportant ses luxueuses fragrances. Mais, vous, Lecteurs à  la conscience ouverte, n'avez-vous point été informés de ce qui se jouait en filigrane, se déroulait en sourdine,  étalait sa petite mélodie, cascadait son refrain d'heureuse comptine parmi la multitude compacte ? Mais ce n'était rien de moins qu'un bouquet d'odeurs faisant leurs petites révolutions autour de la sphère nevidimyjienne, une senteur de bonté, une d'indulgence, une enfin de miséricorde.  Oui, c'est bien de cela dont Youri venait d'être atteint, d'une soudaine coulée de sentiments ouverts, généreux, genre de "multiple splendeur" glissant le long de son âme de subtile manière. Jamais une telle donation en sa faveur de la part de ceux qu'il avait croisés sans même prendre acte de leur présence réelle. N'avait-il pas été coupable de négligence à l'endroit des Autres ? N'avait-il pas péché par orgueil ou, tout simplement par omission, distraction, ne voyant dans l'existant que sa propre trace ?

  Mettons-nous, seulement un instant à la place du Sans-Racines. Les quelques sentiments qui avaient été exhibés envers sa personne par les trois Voyageurs - fussent-ils insincères, pervers et, en définitive indélicats, œuvrant à l'obtention d'une souffrance différée mais non moins mortifère -, n'en étaient pas moins ressentis par son destinataire comme des signes patents d'une reconnaissance. Le faux pas de l'Histoire s'effaçait soudain, permettant par cela même l'émergence d'une identité dont le Mansardeux avait fait la douloureuse économie, son calvaire durant. Donc, toutes ces manifestations affectives, simples cautères sur une jambe de bois, n'en faisaient pas moins leurs simulacres de joie pleine et entière dont Nevidimyj, s'il avait été assuré d'un empan plus ample du Destin eût fait son ordinaire pour son plus grand bonheur. Mais l'on choisit rarement la sauce à laquelle on veut être mangé !

 

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