Aujourd'hui, ça va juste être le tour de ce bon Pittacci; Calestrel ce sera pour la prochaine fois. Car, voyez-vous, c'est comme dans la "Comédie humaine" de Balzac, les personnages, faut prendre le temps de les détailler, les mettre sous l'œil du microscope, prendre son scalpel et de voir ce qui se dissimule sous la peau, au-delà de l'épiderme, dans le profond du corps, à cet endroit mystérieux où se dissimule l'âme. Faut chercher longtemps vu que c'est de l'invisible, l'âme. Depuis le temps qu'on en parle et qu'on gire tout autour sans bien savoir en quoi elle consiste, quelle est sa nature profonde, si elle ressemble à un boomerang, à une langue de feu transcendant la réalité, à un pur souffle d'air avec quelques volutes blanches alentour. Souvent, avec les choses invisibles, on se comporte comme les gamins qui imaginent le château de la Belle au bois dormant, et le château et la Belle, on les imagine selon ses inclinations personnelles. Des fois c'est un château romantique comme celui de Louis II de Bavière, perché sur son éperon de rochers, tout près des nuages et avec plein de frondaisons vertes comme de la mousse à la pistache. Parfois c'est un sombre château écossais de pierres brunes dont la silhouette s'efface par le haut au milieu des nuages, par le bas dans le lac où Nessie fait ses contours ophidiens. Parfois c'est juste une superposition d'idées, une dérive onirique, un glacis à la surface de la toile, un moulin avec ses ailes bariolées qui tournent dans le vent.
Vous voyez, c'est si bizarre, les choses de la nature de l'âme, des sentiments, de l'esprit, du spirituel, de l'art. Ça change infiniment selon le regard de celui qui applique son œil au microscope et cherche à voir ce qui, par hasard, voudrait bien s'éclairer. C'est un peu comme les fragments colorés du kaléidoscope, facile métaphore d'une vérité multiple, toujours fuyante, insaisissable à mesure que l'on s'en approche. Car c'est bien là la manière qu'a la vérité de se présenter à nous, par petits bonds successifs, avec une marche de guingois, souvent claudicante, hérissée de faux-bonds, glissant infiniment au-devant d'elle comme si, elle-même voulait se précéder afin de se mieux connaître. Et, souvent, plus on pense au problème de la vérité, plus on cherche à en savoir davantage, plus on s'empêtre dans le marécage des contradictions. C'est comme si on avait les mains enduites de guimauve collante, élastique, avec laquelle on finit, bientôt, par faire une manière de boule unique, indistincte.
Mais revenons à l'âme. Faute de pouvoir en tracer une esquisse satisfaisante que nous pourrions dessiner sur une feuille de Canson, puis l'épingler au mur sans autre forme d'inquiétude, nous préférons lui conférer une forme, lui donner corps, l'inclure dans une concrétude, en faire, sinon un objet, du moins un simple colifichet qu'aussi bien nous pourrions porter au-devant de nous, à la manière d'une offrande et qui contribuerait à nous définir. Une photographie en somme. Une image identitaire. Comme les prisonniers, nous pourrions tenir une ardoise grise sur laquelle serait tracée, à la craie blanche, la couleur de notre âme. Ainsi, au hasard de nos déambulations dans l'établissement pénitentiaire, pourrions-nous lire : "Amour" - "Don de soi" - "Sexe" - "Pêche à la ligne" - "Nourriture" - "Rencontre" - "Altérité "- "Femmes" - "Hommes" - "Orgueil" - "Avarice" - "Envie" - "Colère" - "Luxure" - "Paresse" - "Gourmandise" .
Mais voilà, qu'en dernier ressort, nous n'avons énuméré que les 7 péchés capitaux. Mais l'âme aurait-elle d'abord à voir avec ceux-ci, serait-elle une simple hypostase du Bien, du Beau, du Vrai et leur toujours possible chute dans les ornières de l'humaine condition. Par exemple Sarias est constamment attiré vers le piège de l'égoïsme; Pittacci complètement livré aux affres de la luxure; la Mère Gignoux par la gourmandise; la Mère Dubreuil par la colère. Quant aux autres, les vertueux, les bien-pensants, bien-agissant , les Simonet et autres Vergelin, ne nous exposent-ils ce côté brillant de leur âme qu'à en dissimuler le revers d'ombre ?
Vivre, ou plutôt exister, serait-ce toujours naviguer à vue en évitant les écueils, les barres de rochers, les carcasses échouées, les récifs d'autant plus dangereux qu'ils sont cernés d'une certaine invisibilité ? Vivre serait-ce laisser flotter son âme entre deux eaux, les eaux claires de surface, celles plus sombres, abyssales et glauques des grands fonds ? Les Copains, sur leur frêle esquif essaient, à leur façon, de poser cette éternelle question à défaut de pouvoir y répondre. C'est une des raisons qui font que leur continuelle navigation, par vents et marées s'accomplit toujours selon la devise célèbre : " FLUCTUAT NEC MERGITUR". "Il flotte mais ne sombre pas". Sans doute l'âme est-elle de cette nature. En faire l'hypothèse nous maintient au-dessus des flots aussi longtemps que nous porte cette croyance. Mais peut-être n'est-ce qu'un leurre ? Interrogez votre âme, peut-elle consentira-t-elle à vous répondre ?
Pittacci
"Et puis, pour Pittacci, c'est guère mieux, il est aussi petit qu'il est vicieux et dire que ce type a passé tout son temps à la Manu à être payé comme gardien, juste pour se rincer l'œil du côté des vestiaires, juste pour plonger dans le corsage des ouvrières, à l'infirmerie, juste pour voir sous les jupes des femmes quand elles montaient la passerelle pour aller au Chef de chantier et, en plus, ce vieux croûton, ça lui a pas encore passé la démangeaison entre les jambes, tu sais, Jules, j'ai pas les yeux dans les poches, je le vois souvent, l'après-midi, Rue du Square, garé dans sa Peugeot 309, avec sa galerie de toit plutôt antique, il fait le guet pour essayer de voir cette vieille grande bringue de Rosalie, tu sais la rousse qui est veuve, qui habite dans les maisons en bande de la Rue Emile Zola, même Pittacci y se planque derrière le journal pour qu'on le voie pas , mais en fait, tout le monde le voit et puis il risque rien Pittacci, elle est au courant sa femme, y a pas mieux d'ailleurs comme secret de Polichinelle dans le quartier, et puis tout le monde y est passé dessus à la grande rousse, "sauf le train"comme disait l'oncle Cristobal, et puis, à son âge, qu'est-ce qu'il lui ferait à la Rosalie, à part baver devant comme un vieux dégueulasse ?".
Alors là, ça commence à prendre des proportions et même s'il y a beaucoup de vrai dans ce qu'elle dit, Henriette, je lui fais remarquer qu'elle commence à exagérer, qu'elle devient franchement médisante, qu'elle ferait mieux de penser à préparer la soupe, mais quand Henriette elle est lancée, elle est comme les B14 autrefois, on a beau appuyer sur le frein, la pédale répond pas, alors je suis bien obligé d'en prendre mon parti et j'essaie d'écouter d'une oreille seulement, mais voilà que ça repart et c'est maintenant le tour de Calestrel.