Nous sommes debout, là, sur la croûte de la terre et nos bras sont ballants le long du corps. Sans cesse nous errons et, comme Simon du Désert, nous écoutons le sable, nous écoutons le ciel au cas où quelque chose comme l’être voudrait se produire. Alors, parfois, du fond de notre désespoir, nous nous couchons sur le sol de poussière et regardons les étoiles. Oui, il y a parmi leurs yeux brillants comme la pointe du diamant, mille signes qui nous disent notre origine et nous invitent au beau voyage de la cosmologie. Il s’en faudrait de peu que nous nous métamorphosions en démiurge, quelque calame entre les doigts pour graver dans l’azur le chiffre du monde. Cela fourmille dans le creux de nos mains, cela s’agite dans les plis méticuleux de notre esprit, cela fait sa cohorte de bulles sur l’arc tendu de notre conscience et notre âme en deviendrait presque visible. Soudain nous étions montés si haut dans la matière ductile du songe. Soudain la source s’était ouverte qui fécondait nos yeux, ourlait nos oreilles de la symphonie de l’univers, déposait dans la capsule étroite de notre sexe les graines impatientes de la généalogie.
Mais, là, sur la courbure des choses, nous ne pouvions demeurer longtemps. Sauf au risque de nous perdre, de nous fondre dans les mailles d’un possible égarement. Les braises de l’espoir, le feu de la démesure sont toujours un risque de sombrer dans la folie et de n’en plus sortir. Ce serait si tentant d’exister dans l’orbe de cette folie d’en-haut jusqu’à oublier les autres, son propre corps et flotter en attente d’un événement qui survienne, une félicité comme notre propre mort. La biffure de l’être et son évanouissement aux yeux des incrédules et des médisants. Beauté que celle de la mort qui nous délivre des contingences terrestres et de celle dont nous sommes affectés depuis notre naissance, cette vie que nous traînons derrière nous à la manière d’un boulet. Car nous sommes à nous-mêmes notre propre geôle.
Alors, munis de ces idées qui brillent pareilles à des astres sur un fond nocturne, voici ce que nous faisons. Nous nous saisissons d’un silex tranchant ou bien de la pointe d’un clou rouillé et, sur la plaie vive de quelque arbre à la grande sagesse, nous gravons les beaux hiéroglyphes du langage. Alors cela crépite depuis l’intérieur, cela résonne à partir de l’âme du bois. Un peu de sève coule pareille aux larmes de sperme et s’accomplit la seule fécondation qui soit, celle qui entame le réel pour le porter dans l’ordre des significations. Là, sur la chair vive de l’arbre, l’arbre, cette belle métaphore semblant accomplir l’acte de transcendance depuis le nœud complexe de ses racines jusqu’aux ramures célestes qui déploient leur pollen dans l’éther, dans son essence même nous apposons le chiffre anthropologique, nous unissons dans un même empan d’un geste fondateur l’osmose des êtres. Être-de-l’arbre mêlant sa voix silencieuse à l’être-que-nous-sommes, dont la trace est le cri par lequel nous existons et que, toujours, nous gravons dans l’ordre des choses. Ainsi en est-il de notre destin qui est un unique signe porté à la dignité de paraître en attendant la biffure définitive. Oui, beaux sont les stigmates qui disent la douleur d’exister. La douleur d’être dans le non-savoir. Car la connaissance est au loin qui clignote pareille aux feux d’Algol dans la nuit. Oui au loin qui n’est jamais que notre proche mais nos mains sont vides et nous tremblons d’être !