Photographie : Ela Suzan.
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Comment saisir le monde
En sa fuite rapide
Comment happer
La première parcelle
Et demeurer en soi
Intangible
Entier
Seul
Mais si accordé
Au tumulte inouï
Du monde
Si intimement lié
À sa vaste demeure
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On est là au bord des choses
Dans le pli du temps
S’écoulant
On est là
En soi
Et déjà
Hors de soi
Et déjà au loin de toute mesure
Au large de tout horizon
A l’infini de l’être
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C’est comme un tremblement
Une troublante irisation
La perte de la vue
Dans l’illisible
D’une eau
***
Ça bouge
Dans la citadelle de chair
Ça fait sa rivière pourpre
Dans les canaux du corps
Ça stridule et cymbalise
Dans le golfe des oreilles
Ça s’impatiente
Dans le chapiteau de la tête
Ça fourmille dans l’étrave des pieds
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Nul ne sait d’où ça vient
Où cela se dirige
C’est une troublante magie
Qui fait ses flux et ses reflux
Ses ondoiements
Pareils à la combustion de l’âme
Dès l’approche de l’Aimée
A l’hésitation du sol
Dès le lever du soleil
Au crépitement des étoiles
Dès le gonflement de la Lune
Lactescence de la Nuit
Où se lève
La sombre voile du songe
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Tout est précieux qui vient à nous
Dans la confiance
Le grésillement de l’abeille
Le vol du colibri
Son scintillement de lumière
La brume sur la lagune
Son insistance
De doux poème
Qui jamais ne retombe
Sauf dans la distraction
Des marches muettes
Des oublis de soi
Des reniements
Des perditions
Des chutes
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Mais entendez donc
Ce clapotis
Mais voyez donc
Cette flaque de couleurs
Tout y est présent
Depuis les ors Renaissants
Les plis secrets des vêtures
La nacre souple de la peau
Le rose aux joues de la Courtisane
Les paysages aux falaises de marbre
La flèche verte du campanile
L’arabesque d’une gondole
Sous le pont qui enjambe
Et jamais ne se lasse
De compter le temps
De mesurer
La ténuité
De la seconde
Le vol
De l’instant
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On ouvre les yeux
Sur l’immédiat
Destin du monde
On titube
Au bord
Du peuple polychrome
On veut connaître
La pliure de chaque chose
Le plus intime reflet
Le moindre clapotis
On veut y voir
Sa propre image
L’esquisse ouverte
De Soi
Le dépliement qui nous dirait
Notre être
Et l’on demeure pris de doute
Dans le somptueux colloque
Du jour
***
C’est comme une hébétude
La révélation d’une incomplétude
On fore le réel
Qui toujours est en fuite
En avant de soi
En arrière de la présence
Au mitan d’une joie
Si éphémère
Qu’elle ondoie à même
L’éblouissement
De notre conscience
Tout ceci
Qui vient à nous
Annonce-t-il un sens
Que jamais nous n’atteindrions
Ou bien est-ce nous
Qui sommes absents
Au monde
Qui n’en percevons
Que l’envers
Le poudroiement
Puis tout s’éteint
Et ne demeure
Que cette trace
Ce remuement
Ce sillage
Puis plus
Rien
Rien
Rien
Rien
Rien
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