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16 mai 2021 7 16 /05 /mai /2021 17:15
Blanche, la poésie

« L’enterrement de Verlaine 

Œuvre : André Maynet

 

 

 

  

Clé de lecture ou un regard  possible.

 

En une seule ouverture

Cette image nous donne

Le Blanc et le Noir

La Vie et la Mort

La Parole et le Silence

La Poésie et le Néant

 

A l’origine continent Blanc

Poétique 

Gloire de Verlaine

 

Puis les Nihilistes sont arrivés

Et n’ont eu de cesse

De détruire la beauté

De s’en prendre à la poésie

Continent Noir  

Enterrement de Verlaine

 

***

 

L'Enterrement De Verlaine

 

 

« Le revois-tu mon âme, ce Boul’ Mich’ d’autrefois

Et dont le plus beau jour fut un jour de beau froid :

Dieu : s’ouvrit-il jamais une voie aussi pure

Au convoi d’un grand mort suivi de miniatures ?

 

Tous les grognards - petits - de Verlaine étaient là,

Toussotant, Frissonnant, Glissant sur le verglas,

Mais qui suivaient ce mort et la désespérance,

Morte enfin, du Premier Rossignol de la France.

 

Ou plutôt du second (François de Montcorbier,

Voici belle lurette en fut le vrai premier)

N’importe ! Lélian, je vous suivrai toujours !

Premier ? Second ? Vous seul. En ce plus froid des jours.

N’importe ! Je suivrai toujours, l’âme enivrée

Ah ! Folle d’une espérance désespérée

Montesquiou-Fezensac et Bibi-la-Purée

Vos deux gardes du corps, - entre tous moi dernier. »

 

Georges Brassens

 

 

   Commentaires.

 

« Dieu : s’ouvrit-il jamais une voie aussi pure »

 

   Comment mieux dire l’adoubement du Poète Georges Brassens à cet autre Poète Paul Verlaine qu’en en appelant à Dieu lui-même ? On ne saurait s’élancer plus haut dans l’ordre d’une « foi », peut-être d’une « mystique » (ces mots entre parenthèse. On n’oubliera pas le scepticisme foncier de Brassens et son agnosticisme actif), donc s’élever dans la voie pure qui semble faire signe vers celle du Tao, cette essentialité qui assigne à l’être une présence singulière au-delà de la pensée, du ressenti, dans un territoire sans doute proche de l’Absolu.

   Or il n’est nullement indifférent que Brassens convoque Dieu face à la Poésie dans un rapport d’homologie. Poétiser, en un certain sens, possède la vertu d’un tel accroissement ontologique que se montre, aussitôt, la sphère de la Déité en son ultime rayonnement.

 

« Au convoi d’un grand mort suivi de miniatures ? »

 

   Tout Poète disparu est un « grand mort » pour la simple raison qu’il est ce Mortel dépassant la condition des autres hommes, ces « miniatures » qui suivent le convoi, tête basse, sans doute contraints par le poids du génie à ne voir de la réalité que sa contingence, le sol qui semble lui être échu tel son incontournable destin.

La Terre pour les Hommes. Le Ciel pour le Poète.

 

« Tous les grognards - petits »

 

mais a-t-on seulement la possibilité de relever le front, de devenir grand lorsque l’œuvre poétique nous domine de toute sa hauteur ?

 

« Premier Rossignol de la France.

Ou plutôt du second »

 

   Quel oiseau pourrait donc se porter à la hauteur du chant mélodieux du Rossignol ? Alors sont évoqués, dans l’œuvre de Brassens,  d’une manière plus on moins détournée, les noms de ceux qui ont compté au titre de la Poésie : Ronsard ,Villon, Rutebeuf, Musset, Vigny , Hugo, enfin tous ceux qui « rossignolaient », dont la trace est constante dans l’œuvre de l’Auteur de la « Supplique pour être enterré à la plage de Sète ». Et cet enterrement « dans l'encre bleue du golfe du Lion », à l’ombre tutélaire de Paul Valéry, rejoint symboliquement « ce Boul’ Mich’ d’autrefois », lien indéfectible par delà l’espace et le temps des grands faiseurs de rimes.

 

« N’importe ! Lélian, je vous suivrai toujours ! »

 

   PAUVRE LELIAN, une anagramme de PAUL VERLAINE que cet autre grand Poète,  Arthur Rimbaud lui avait attribuée sous couvert d’une gentille moquerie.

   Bref, la Poésie de Georges Brassens est l’hommage appuyé d’un saltimbanque amoureux des mots à ses frères versificateurs, une manière d’éprouver envers la Poésie non seulement une dette mais une reconnaissance éternelle.

   « L’enterrement de Verlaine » est la disparition d’un corps, non celui de la Poésie, Poésie seul rempart, seul antidote pour résister au nihilisme contemporain qui, partout, répand « le bruit et la fureur ». Poétiser est la meilleure façon d’échapper aux couleuvrines du Néant, de s’exonérer du désespoir dont tout homme est affecté en son propre comme son essence la plus visible. Nul espoir de liberté en dehors du Langage.

 

    Continent blanc ou le lieu du Poème. La Gloire de Verlaine. (Paradis).

 

Blanche, la poésie

   D’abord il faut partir du visage, explorer son continent blanc, y découvrir les affleurements d’un langage essentiel, autrement dit y trouver la présence d’une subtile poésie. Encadré par le maquis brun des cheveux, c’est d’un pur ovale dont il est question, d’une neige immaculée, d’un frimas à peine visible qui surgit dans le gris tout comme le cône blanc du Mont Fuji-Yama plonge dans les eaux bleues du ciel la pointe paisible de son être. Sans doute en son intérieur les bouillonnements du magma, les trajets veineux de la lave, le soufre jaune qui s’impatiente de trouver sa fuite dans l’espace sidéré. Sans doute, mais ceci, cette vie inapparente ne modifie en rien l’aspect qu’il présente à nos yeux, de calme, de sérénité. En lui l’Enfer est contenu, mis à distance ce qui ne nous empêche nullement d’en percevoir la redoutable énergie, d’en ressentir les flux, d’en deviner la toujours possible éruption, ces filaments de sanguine qui s’écouleraient sur les flancs, traçant à même leur peau les vergetures de la Mort.

   Oui, combien il paraît étrange, soudain, de faire se lever la dague de la tragédie, de convoquer la disparition, la fin dernière des choses comme si, inéluctablement le Destin s’apprêtait à commettre ses basses œuvres, à lancer ses morsures définitives. Certes ceci peut bien inquiéter, désarçonner, instiller un doute muriatique dans l’esprit. Cependant se voiler la face ne servirait à rien. Toujours nous savons que l’autre côté du jour est la nuit, que le blanc abrite le noir, que toute joie est le masque d’une probable tristesse. Si le visage à peine encore parcouru d’Eurydice semble bien doué de vertus poétiques, il ne l’est qu’à repousser dans l’abîme les sournoises attaques de ce qui, à bas bruit, rampe et se dissimule afin de mieux préparer ses assauts.

   Nous ne sommes que de fragiles funambules marchant au dessus d’un volcan. Poétiser, parler, créer, ce n’est que maintenir en suspens l’antique menace d’un Enfer qui pourrait bien ouvrir ses portes d’airain pour que nous puissions goûter aux « joies » de la damnation. Ceci nous le savons, mais, à la façon d’un secret, nous le dissimulons dans quelque recoin de notre esprit de peur qu’éveillé, le savoir d’une telle présence ne nous saute au visage et ne nous conduise dans les limbes obscurs parcourus des flammes de l’aporie humaine. Et, sans nous interroger plus avant, nous sentons bien que toute chose belle  (l’amour, une peinture, des vers harmonieux), toute beauté donc recèle en ses plis inaperçus de redoutables oubliettes qui menaceraient, à tout instant, de réduire en cendres notre légitime désir d’exister. Nier ceci, en dissimuler la réalité et c’est alors un bonheur factice qui s’installe, et c’est un confort illusoire qui nous fait croire qu’habiter sur Terre ne peut avoir lieu qu’à l’aune d’une cécité. Bien au contraire, toute œuvre vraie, à commencer par la Poésie, est marquée au fer rouge d’une angoisse, à l’encre indélébile du questionnement de la Vérité.

   Mais poursuivons notre chemin qui se veut poétique et disons ce visage en son exception. Le front est doucement bombé, il est un haut plateau où court le vent de l’altitude, où des oiseaux ivres basculent dans la lumière du jour. Le front est incantation, demande de pureté, disposition à l’ouverture d’une clairière dans la suie épaisse de l’ombre. Sous le linge de la peau les idées s’y devinent qui tressent leur résille de cristal, pétillent à la manière de bulles claires, évitent les pièges et contournent les ténébreux marigots  de l’inconscient.

 

Un pas dans le Blanc. Un évitement du Noir.

 

   Une marche en avant qui réclame l’étoile allumée au bout du sentier, un regard qui cherche dans la nuit l’éclat vert, phosphorescent, de la luciole, un témoignage de vie dans les mortelles avenues du temps.

   Et ces deux traits des sourcils, cette lueur de cendre, cette inflexion du visage qu’un signe vient barrer comme si, de toute éternité, la géographie faciale devenait la figure lisible d’une biffure, ces parenthèses ouvertes qui se manifestent sous la forme d’un abri inquiétant, bourrelet qui, parfois, se fronce sous la tension de l’angoisse. Les deux verres clairs des yeux viennent s’y loger avec leur ressource de fontaine vive, avec leur densité si aérienne qu’ils pourraient aussi bien être une simple bogue de silence, peut-être une veinule d’eau dans le secret de la terre. Combien ces yeux - portes de l’âme -, ont inspiré de poètes. Combien de vers en ont chanté les louanges. Combien de larmes poétiques ont été versées dans des milliers d’alexandrins pour dire l’infini du regard, son luxe sans repos, la profondeur de sa sémantique.

 

Yeux de joie : Gloire de Verlaine - Yeux de tristesse : Enterrement de Verlaine.

  

   Toujours cette infinie oscillation, ce battement de la Vie au Trépas, de l’Amour à la Haine, de la Clarté à la Ténèbre. Ecartèlement de l’Homme aux deux polarités : Naissance-Mort que relie la ligne brisée de l’existence. La Poésie, en tant qu’objet fondamental, ne saurait en montrer la seule face de joie sans évoquer celle de tristesse qui lui correspond, lui est coalescente. Face de Janus à deux têtes, infernale dualité qui nous tire vers l’amplitude du Ciel puis, sans crier gare, dans la fosse illisible du Limon.  Sachant ceci, et tout le monde en est averti, quoi de plus logique que de retrouver dans tout acte humain, le plus frustre, aussi bien que le plus noble ces lignes de force qui en sous-tendent la cruelle réalité ? Oui, cruelle puisque notre sort est tragique, frappé au coin de la finitude. Alors comment le poème pourrait-il s’exonérer de la tâche de nous initier à la perte, au gain, à toutes les perspectives selon lesquelles se déroule l’aventure de notre hasardeuse marche ?

   Et cette barre droite du nez, cette équerre qui vient jouer avec les  traits des sourcils, ne nous dit-elle les belles fragrances de la fleur, de la peau de l’Aimée, de la feuille morte d’automne, du nectar éblouissant au printemps, de l’arôme subtil d’un thé, et parfois du pestilentiel se manifestant sous les traits d’un fruit en décomposition. Bien évidemment il est toujours difficile, sinon impossible, langagièrement parlant, d’évoquer la corruption, sauf à convoquer un irrépressible sentiment de malaise. Et pourtant l’art de la peinture - ce Poème plastique -,  nous en livre, à vif, les plus urgentes expressions. Que l’on songe seulement aux écorchés vifs tels que dépouillés par le pinceau de Soutine. Ou bien aux faciès métamorphiques, empreints d’une folie vacante des portraits d’un Francis Bacon. Ou encore aux insoutenables scènes d’apocalypse dans la peinture de Picasso, Guernica au premier chef. Oui l’empreinte pathétique est toujours là qui affute ses griffes dans l’ombre et ne rêve que de capturer sa proie. Mais rien ne sert d’épiloguer, le constat existentiel est si visible qu’il en devient aveuglant.

   Et cette plaine des joues que viennent rehausser les deux touches discrètes d’une terre un peu plus colorée. Une à peine insistance, une vibration de l’air au dessus des herbes et des graminées, une teinte de ciel à l’aurore, l’attouchement tout en subtilité de la Nature, sublime attention à ce qui est et toujours mérite de s’affirmer, d’accéder à la beauté. Ici est un cosmos qui s’ordonne autour d’une palpitation. Rose-thé et blanc poudreux jouent la mélodie des choses justes, celles qui n’ont nul besoin d’une oriflamme dressée dans l’éther, juste une discrète manifestation, un fanal dans la brume, une lumière filtrée par un voile, une sourdine dans le jour qui décline. Mais parfois les joues rougissent sous les coups de canif de l’affliction. Une mauvaise nouvelle, une trop vive émotion éprouvée à l’annonce de quelque drame, la vision d’un dénuement. Le même rouge estompé pour dire à la fois le plaisir, le contentement, les griffures de la détresse.

   Et cette bouche si discrètement purpurine, et le seuil des lèvres pour dire les mots d’amour, réciter des Poèmes, conter une histoire, s’extasier, jouir, prononcer des anathèmes, critiquer, réprimander, stigmatiser. Il serait si heureux de destiner à ces délicieux bourrelets l’émission de paroles de paix, de réconfort, manières d’onctions qui feraient de la vie une douceur, des événements le siège d’une constante félicité. Mais ce serait oublier la possibilité d’un état de siège, la violente polémique, les assauts sophistiques, les calomnies, les brimades.

   Le plus souvent, l’entente du poème se limite à lire une gentille bluette, à éprouver quelque sentiment romancé, à ne « souffrir » de la parole qui nous est adressée que sa marge de bienfaisance, à déguster un miel, à nous abreuver d’une ambroisie. Mais l’on comprendra combien cette conception demeure insuffisante, confondant l’acte poétique avec ce qu’il ne saurait être, à savoir un arrangement, une compromission, la pente en direction de la facilité. Croire ceci serait simplement rejoindre le bavardage des cours d’école et n’en retenir que l’incompréhensible bourdonnement.

   Toute poésie véritable (mais ceci est un pléonasme), fore profondément la chair humaine, le tissu des choses afin d’en extraire la seule chose qui vaille, cette vérité qui se dissimule, que le vers rythmé, harmonieux, souplement intentionnel conduit au seul lieu possible : la production d’un sens qui « donne à penser ». C’est là, sans doute l’une des « missions » les plus profondes qui puisse échoir au langage, mettre son propre être en question tout en plaçant en exergue celui des Autres, du Monde. A ce seul empan est reconnaissable l’œuvre exacte qui ne se perd ni en fausses conjectures, ni en hypothèses hasardeuses. Grande est toute Poésie qui signifie et marque au fer rouge celui qui en a sondé l’inestimable profondeur.

   Nul ne peut entrer dans le vif du Poème s’il ne prend acte des racines orphiques, donc toujours en tension, inquiètes,  qui en constituent le fondement originel.

 

      Les racines orphiques de la poésie.

 

   De manière à ce que l’entente de la Poésie se fasse avec suffisamment de justesse, il convient de dire, successivement, qui est Orphée, de rappeler le mythe attaché à son nom, de déduire du mythe les fonctions essentielles du Poème, de préciser l’originarité de ce mythe pour toute Poésie qui n’en constitue que la répétition symbolique.

 

   Orphée selon le Dictionnaire des Mythologies.

 

   « Après les dieux, avec lesquels nul mortel ne saurait rivaliser, Orphée, fils d’une Muse, peut se targuer d’être le plus grand musicien et poète de tous les temps. Il joue divinement de la harpe, l’instrument qu’Hermès a offert à Apollon (…). Les tempêtes s’apaisent, la mer se calme, les bêtes fauves, les rochers même, les arbres le suivent, et tous demeurent sous le charme magique de son art. »

 

   Le mythe d’Orphée.

 

   « A son retour, il (Orphée) épousa la très belle hamadryade, Eurydice et il s'installa en Thrace. (…). Le couple vécut très heureux (…) Mais ce bonheur idyllique et cet amour parfait allaient être troublés par un drame atroce. Un jour, près de Tempé, dans la vallée du fleuve Pénée, Eurydice (…) posa malencontreusement son pied nu sur un serpent venimeux qui la mordit à la cheville.

   Terrassée par le poison foudroyant la malheureuse Eurydice s'écroula sur l'herbe tendre. En vain Orphée employa le suc bienfaisant des plantes pour détruire l'effet du poison mais rien n'y fit et Eurydice mourut. Quand Orphée vit le corps inanimé d'Eurydice, blanche comme un lys, il comprit que Thanatos avait fait son oeuvre et il laissa échapper son chagrin en de longs sanglots.

  Alors Orphée, inconsolable, vit que tout était perdu, il prit la terrible décision d'aller chercher Eurydice dans le royaume d'Hadès. Il se rendit à Ténare (…) et descendit courageusement au Tartare dans l'espoir de ramener son épouse. A son arrivée, non seulement il charma le passeur Charon, le chien Cerbère et les trois Juges des Morts par sa musique, mais il interrompit momentanément les supplices des damnés : il adoucit à tel point l'insensible Hadès et son épouse Perséphone qu'il obtint la permission de ramener Eurydice dans le monde des vivants.

   Hadès n'y mit qu'une seule condition : Orphée ne devait pas se retourner jusqu'à ce qu'Eurydice soit revenue sous la lumière du soleil. Eurydice suivit Orphée dans le sombre passage, guidée par la musique de sa lyre; tous deux remontaient le chemin de l'Averne. Aux portes du Ténare, lorsqu'il revit poindre à nouveau la lumière du jour, n'entendant aucun bruit et se méfiant un peu des promesses d'Hadès, il se retourna pour voir si son épouse était toujours derrière lui. Un seul coup d'oeil et il la perdit pour toujours. » 

 

                                                       (Source : Le grenier de Clio)

 

   Fonctions du Poème.

 

   Ce que le Mythe délivre et permet de comprendre c’est essentiellement en quoi consiste l’essence de la Poésie.

  

   * Enchanter le monde en jouant de la lyre et en chantant.

   * Exprimer les sentiments en évoquant l’amour.

   * Exprimer la douleur (Mort d’Eurydice).

   * Tenter de retrouver qui a été perdue (la Bien-aimée).

   * Ouvrir le site d’une inconsolable mélancolie.

   * Célébrer la beauté grâce à un chant immortel.

 

   Ainsi est tracée la voie par laquelle le poème lyrique se donnera comme la forme à reconduire plus tard dans l’Histoire afin que le mythe puisse trouver son accomplissement et remplir sa fonction, laquelle est ainsi définie par Mircea Eliade dans « Aspects du mythe » :

 

    « C’est cette irruption du sacré qui fonde réellement le Monde et qui le fait tel qu’il est aujourd’hui. Plus encore : c’est à la suite des interventions des Etres Surnaturels (Orphée pour ce qui nous occupe, c’est moi qui souligne) que l’homme est ce qu’il est aujourd’hui, un être mortel, sexué et culturel.» Nous pourrions ajouter à cette définition : « un être de Parole reproduisant les Paroles primordiales. »

 

   Tout Poète est Orphée.

 

« Que mon Orphée, hautement anobli,

Malgré la Mort, tire son Eurydice

Hors des enfers de l’éternel oubli ! »

 

Maurice Scève (dizain 445)

 

***

     

   Voici ce qu’en dit Fabrice Midal dans « Pourquoi la poésie ? » :

 

   « Tout poète est Orphée, car tout poète est le porteur de la parole originaire. Il la surprend. La tient à bout de bras, dans le risque le plus vif.

Orphée est le poète premier, celui qui, par son chant, charma non seulement les hommes et les animaux, mais aussi les cœurs de pierre et le cœur des pierres !

De cette étincelle soutenue, Orphée est l’origine de la poésie. L’origine, comme le souligne le philosophe Hadrien France-Lanord, loin d’être dépassée par ce qui la suit est « toujours au-devant de nous, à venir, et dispense la primeur d’un nouveau jaillissement à chaque fois que nous allons à elle. » Tout poète fait en ce sens jaillir, à neuf, l’origine et par là nous fait exister dans un vrai jour. (…) Quand cela chante, c’est, pour tout poète d’Occident, Orphée qui revit. Tout poète est Orphée miraculé. »    -           (C’est moi qui souligne).

   Magnifique méditation qui, en peu de mots, donc en l’essentiel, pose devant nous, à la fois la valeur initiatique du mythe, cette destination envers les humains d’une parole fondatrice, à la fois ce risque qui est toujours à tutoyer puisque, poétisant, on longe l’Enfer, on en subit la tragique brûlure. Dimension véritative de l’art du poète qui nous place dans le jour même de ce qui est à saisir de plus profond, notre propre essence s’accordant à la parole première. Enfin cette sustentation au-dessus du vide. Lisant des vers nous assistons à notre propre miracle qui n’est que l’écho de l’initiale présence d’Orphée dans le sidérant tumulte du monde.

 

   Être Poète : connaître l’enfer.

 

« Il faut avoir connu le gouffre de l’enfer

Si tu n’y vas vivant, tu y entreras mort. »

 

Angelus Silesius.

 

   Citons encore une fois les belles références données par Fabrice Midal en préambule de son article intitulé : « Traverser l’enfer » :

 

   « La légende nous raconte qu’Orphée descendit aux enfers et y enchanta les dieux qui y habitent. Dans la Nekya au chant XI de l’épopée homérique, l’Enéide de Virgile, La Divine Comédie de Dante jusqu’à Une saison en enfer de Rimbaud ou les Carnets de Malte Laurrids Brigge de Rainer Maria Rilke, un même fil court. Tout homme devient poète en refaisant le voyage d’Orphée. »

 

   Sans doute est-ce pour cette raison d’une descente en Enfer qu’il devient si difficile pour tout Existant sur Terre de reprendre à son compte la belle formule de Hölderlin « L'homme habite en poète ». Car, si habiter est habiter le langage et de manière essentielle, tout Vivant n’en acceptera la charge qu’à la seule condition que son chemin d’énonciation ne soit nullement pavé des braises  du Tartare. Pour la plupart, force est de le reconnaître que le registre du bavardage se substitue, le plus souvent,  à celui, plus élevé, d’une exigence de formulation, de nomination poétique. A l’aune de cette aimable distraction, rien d’exigeant ne s’institue, rien de fâcheux ne s’annonce qui ressemblerait à quelque malédiction.

   Que tout Sujet veuille éviter les plaies de l’existence n’est que justice. Seulement le Poète n’est nullement un homme comme les autres. Touché par l’éclair du génie, il ne sera jamais en paix qu’il n’ait créé ce monde symbolique qui l’arrache aux rets étroits de la réalité. Être Poète est le résultat d’une exigence de tous les instants. On n’accède à la Beauté qu’aiguillonné par un vibrant désir de s’arracher à soi, aux autres, au monde. Être Poète, connaître l’étincelle, frôler la flamme, faire se déployer le luxueux étendard des mots, ceci n’a jamais lieu qu’au terme d’une épreuve initiatique, d’un rituel parfois, toujours d’une ascèse qui ne laisse jamais de place pour la moindre compromission. On ne saurait être Poète par intermittences (mêmes si elles viennent du cœur), seulement en ce lieu et non ailleurs, selon l’humeur ou une certaine climatique.

   Entrer en poésie équivaut au fait d’entrer en religion et bien des vies poétiques sont des puretés quasiment monacales, des sacerdoces, des parcours de saints ne se laissant jamais divertir par le bruit de fond du Monde. On n’est poète qu’à l’entretenir, tout comme on veille sur un feu, qu’à accepter une part de retrait de soi des préoccupations quotidiennes, qu’à s’engager dans cette souffrance fondamentalement humaine qui ne trouve jamais la vérité qu’à sa propre combustion, à son éternel ressourcement, à son jaillissement dans l’antre révulsé du corps, dans le chaudron mutilé de la tête, dans la cage d’os qui vibre de son propre effroi. Création est douleur ou bien n’est pas. Se mêler d’art et l’on se confie à la totalité de l’effectivité du paraître sans distinction, dans l’aire souple du Bien, mais aussi, mais surtout, dans le cachot du Mal, dans les oubliettes de l’affliction. Il n’y a pas de création heureuse. Il n’y a qu’une esquive du piège, une échappatoire à la Mort, une jonglerie avec le tragique. On ne saurait cueillir la rose sans en sentir les vénéneuses épines : ainsi sont « Les Fleurs du Mal ». Elles seules conduisent à la pure beauté.

   Revendiquer, tel Rimbaud, le statut ou plutôt le pouvoir d’être Voyant implique la confrontation à la nuit. Toutefois ceci ne suppose nullement que seules les ombres se rendent visibles et entourent le corps de création des étroites et aliénantes bandelettes de momies. Pour que le poème ait lieu, qu’il trouve site pour rayonner, il lui faut le ciel noir cependant traversé par la course des étoiles, animé par la lactescence des astres, la fusion des comètes, l’éblouissement sidéral d’une pluie de lumière. C’est seulement parce qu’il y a le blanc, la clarté, que le noir, l’obscur, l’impénétrable sont convoqués. Quels mots pourraient donc surgir du ventre aveugle de la nuit, si ce ne sont des mots de néant, de non-sens, des mots tellement refermés sur eux-mêmes que, jamais, ils ne parviendraient à leur éclosion. Sans doute le mot porte-t-il en soi sa marge d’obscurité, mais seulement quand il est regardé dans sa densité purement matérielle, son corps phonétique, son repli natif que nul jour ne vient éclairer de sa partition musicale, ne vient ouvrir à la manière d’un chant.

   Prononcez, par exemple, le mot « rocher », plusieurs fois de suite, à la manière d’une litanie, ainsi « rocher », « rocher », « rocher » et vous n’obtiendrez qu’une sorte de chaos, de bruit ne dépassant nullement son aire pour s’ouvrir au monde, mais une récurrence de hoquets insignifiants, de borborygmes frôlant le vent d’une folie. Le mot est immobile, il résiste et, pareil au « rocher » de Sisyphe il ne roulera avec lui qu’une charge aussi confuse qu’absurde de vacuités sans fin. Le mot est demeuré nocturne qui s’enferme dans cette autarcie dont on ne pourra rien tirer. Mais, maintenant, incluons ce même mot dans une phrase. Ecoutons Camus parler du destin de Sisyphe qui lui appartient en propre : « Son rocher est sa chose ». Et voici que ce mot s’éclaire de multiples significations qui en délivrent le sens. Et comment ceci a-t-il lieu ? Mais uniquement grâce au fait qu’une lumière (au double sens  d’énergie lumineuse et d’ouverture d’un orifice permettant à un fluide de s’échapper), une lumière donc  s’est glissée dans les intervalles entre les mots leur apportant la respiration, le jour qui manquait précisément à ce  lexème isolé pour pouvoir se faire entendre.

 

    Continent noir ou le lieu du Nihilisme L’enterrement de Verlaine.  (Plus noir que l’Enfer).

 

  

Blanche, la poésie

   Que reste-t-il de l’être d’Eurydice sinon cette sombre vêture qui n’en révèle rien, même pas l’ombre du corps ?  Le corps s’est absenté, est devenu mutique, bouche scellée, oblitérée par une lourde aphasie. Le visage, ce marqueur essentiel de la personne, cette disposition à l’Autre, cette infinie et toujours renouvelée inclination à l’ouverture d’un sens, la face donc s’est éclipsé et, avec elle, tous les possibles qui y sont attachés. Il n’y a plus ni passé, ni présent, ni futur. Temps aboli, espace sans jeu pour se déployer. Le noir et seulement le noir est cette aporie à laquelle l’on ne peut se rapporter puisque dépourvue de parole, puisque n’émettant aucun langage. L’essence humaine s’est dissipée et corrélativement tout essai de compréhension. Le rocher est rocher, enfermé dans sa matière obscure. Plus de place pour Sisyphe. Plus de lieu pour une fiction, une mythologie, une philosophie. L’absurde lui-même s’est évanoui, autrement dit il y a comme un redoublement de son illisible énigme. Absurde au second degré. Absurde de l’absurde.

   Et la place du poète, où est-elle, lui qui ne peut faire surgir que la lumière des mots ? Toute tentative de poésie échoue sur les rivages mêmes où le ténébreux a posé son linceul nocturne. Ce qui se montrait comme la gloire de Verlaine, que le visage blanc d’Eurydice, fût-il mélancolique, rendait à une claire nomination, donc à la mesure du surgissement du poème, voici que l’ombre sans éclat, l’obscur sans présence devient le lieu de l’aliénation, de l’inhumation, du froid caveau dont l’enterrement de Verlaine est la tragique illustration.

   Mais, ici, il est nécessaire d’étayer notre propos par la genèse de ce sommet de la poésie qu’est « La Divine Comédie » de Dante. Il ne s’agira nullement de lui donner une interprétation mystique ou religieuse mais simplement spirituelle puisque, aussi bien, telle est la quête de tout grand Poète. En définitive tous les chemins, aussi divergents fussent-ils en apparence, convergent vers un même but qui se résume dans la figure symbolique de la Lumière. Ici il convient de l’écrire avec une Majuscule à l’initiale, tout comme on pourrait le faire pour le Langage et la Poésie, indiquant en ceci une identique ascension en direction de l’Art, de l’Esprit, de l’Infini, de l’Absolu toutes notions fusionnant en un même invisible silencieux mais non moins empreint du mystère d’une transcendance. Aussi bien le saint que l’artiste ou le poète cherchent à dépasser leur propre réalité pour en connaître une autre qui renforcera les assises terrestres de celle dont souvent ils souffrent de ne pouvoir suffisamment s’exonérer. Pour cette raison le saint se confond en prières et en extases, l’artiste en infinies recherches, le poète en un fleuve de mots dont il espère que l’étincellement contribuera à l’amener dans l’orbe de la gloire de Verlaine, dépassant en ceci le mortel enterrement par lequel la finitude s’annonce en ses redoutables atours.

 

   Sens général de La Divine Comédie : 

 

   « Le cœur du grand projet, c'est Le Paradis. Le long poème que nous nommons Divine Comédie a été conçu en fonction du Paradis, lui-même composé à la louange d'une femme, Béatrice, ici transfigurée dans une plus haute plénitude. Le Paradis de Dante, comme L'Enfer ou Le Purgatoire, surprennent : aucun repos placide, mais le mouvement incessant, le vol des lumières. Le Paradis, danse de flammes, est éblouissant et dangereux. Le voyageur céleste, guidé enfin par Béatrice, y parcourt des ciels multiples, il y connaît des épreuves, il y éprouve l'éblouissement dans la tension abstraite d'un espace merveilleux et irreprésentable. Il est impossible d'écrire le Paradis, et pourtant le Poème poursuit sa course. La langue de Dante affronte l'impossible, franchit les limites, invente une autre langue, réussit ce que la poésie universelle aura achevé de plus beau. Et l'aventure se termine lorsque, au plus haut terme de la vision, le héros s'absorbe dans l'enfance. Dans " l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles ". »

 

(Source : 4° de couverture de La Divine Comédie.)

 

  

   Commentaires.

 

      Les parties du texte ci-dessus ont été accentuées en tant que polarités majeures du sens. Sur elles porteront quelques hypothèses compréhensives.

  

   * transfigurée  Tout poème est d’abord transfiguration de la langue ordinaire afin de la porter sur des fonts baptismaux qui lui donneront d’autres ressources que le parler vernaculaire ou le bavardage mondain. Ce n’est pas seulement la langue, (autre nom pour Béatrice), qui est métamorphosée, mais aussi l’intime présence du poète qui connaît la fulguration de l’âme. C’est ceci que nous dit Albert Béguin dans « Âme romantique et le rêve » :

  

   « Une magie poétique transfigure tout, dans une extase qui s'accroît jusqu'à l'éclosion des suprêmes clartés. »

  

   * plénitude. Imaginerait-on l’espace d’un instant une plénitude qui serait obscure, fermée en soi, recluse dans son domaine, seulement occupée de son propre retrait ? Evidemment non. Plénitude fait sens en direction du plein, non du vide. Plénitude est gonflement, dilatation, éclosion, telle la rose qui déploie son être au contact de la lumière. Plénitude est lumière. Plénitude est l’irrésistible croissance du mot poétique sous la pulsation de la métaphore, la tension vers le dehors d’une sève qui déborde, s’impatiente de se dire, de paraître aux yeux de ceux qui en attendent la sublime révélation. Pur jaillissement de soi dans la contrée sans mesure d’une félicité, d’une joie immensément renouvelée. Mot amenant un autre mot dans une gerbe signifiante et ainsi de suite jusqu’à la phrase définitive qui clôture la dimension d’infini.

  * le vol des lumières. Purgatoire et  Paradis ne vivent que sous la haute bannière de la lumière. Oui, « Vol des Lumières ». Vol d’abord. Les vers volent chargés de miel, les vers voltigent haut dans le ciel d’azur. Ils sont cette dentelle inaperçue que croisent les oiseaux silencieux dans leurs dérives hauturières. Ils sont le vent, la voile que gonfle la clarté de l’heure. Ils sont la pluie qui féconde la terre, la fait fleurir parce que les larmes célestes sont pures, cristallines, chargées du don infini des espaces interstellaires. Ils sont la pure lumière qui brille aux fronts des enfants, dans les yeux des amants, dans la confiance réciproque de la montagne, de la cime et de ce qui l’éclaire qui toujours se manifeste dans la merveille mais aussi dans l’étonnement. Comment la lumière est-elle donc possible ? Regardez le soleil à l’aurore, le capitule rayonnant du tournesol, lisez Rimbaud ou Rilke et vous serez éblouis parce que rien n’éclaire plus que le fanal magique de l’esprit.

   * danse de flammes ; éblouissement. Comment dire plus haut, porter plus loin le rutilement, le flamboiement du Paradis ? Faut-il s’agenouiller et se réfugier dans la prière ? Faut-il exposer son corps aux rayons de l’étoile blanche et se laisser percer par les flèches d’argent jusqu’à ce que notre intérieur apparaisse comme unique transparence ? Ne faut-il pas seulement, tel Dante, suivre Béatrice-La-Muse, dans l’éclair des « ciels multiples », dans toute joie approchée qui se fait profusion ? De cette nature est l’exaltation du Poète dont le cœur se consume au contact de son Inspiratrice, dans le creuset alchimique de ses vers où, dans l’athanor, se donne à voir l’or incandescent de la pierre philosophale. Toute poésie est alchimie dans la mesure où elle opère la transmutation du langage, où elle substitue aux mots vils la pureté de la matière travaillée, façonnée par l’esprit qui veut savoir, qui vent ouvrir. Or toute ouverture est clarté, est déjà annonce du poème.

   Danser, être ébloui. Danser avec Béatrice. Être ébloui par l’anneau multiple qui se déroule tout autour du monde, immense ode à l’être des choses. Poésie en son incomparable parure. Métamorphose du chaos en son contraire, ce cosmos lumineux qui nous fascine tant. Mais comment le poète pourrait-il renoncer à son amour ? A Béatrice la souffleuse de mots ? Aux mots qui débordent certes le réel et le rendent manifeste ? Immensément manifeste. Le langage, peut-être la seule réalité dont l’homme puisse être assuré, comment pourrait-il apparaître aux seuls caprices des flux et reflux du temps, aux mobilités de l’espace ? En ces temps de nihilisme et de mesure quantitative du vivant, nous avons un immense besoin des poètes, eux seuls peuvent nous sauver de la désespérance et nous soustraire à la prose indigente du monde. Si le Poète nous est indispensable, alors sa Muse l’est tout autant de façon que la source des mots ne tarisse point. Perdre l’inspiration - ce souffle quasiment divin -, revient à connaître la mort, à provoquer, pour soi, « l’enterrement de Verlaine ». Pour le poète, ne plus pouvoir nommer Eurydice, ne plus avoir accès à ce qu’elle fut en tant que Muse, alors le sombre des jours ouvre sa geôle. Alors une suie envahit le ciel olympien d’où les dieux parlaient le langage de la pure grâce. Soudain les dieux se sont enfuis et l’homme de Parole est totalement démuni, privé des attaches grâce auxquelles il se reliait, en tant qu’être d’écriture, à la seule forme qui, pour lui, n’était que la face invisible de son corps de chair, l’écho transsubstantié de l’âme où s’attache toute poésie.  Chair symbolique d’Eurydice qui s’ajointe à la chair du Poète, à la chair de ses mots. Triple incarnation par laquelle quelque chose de vrai se donne et justifie le simple fait de vivre.

   Le Poète est toujours - et nous à sa suite -, en quête d’un être en fuite (Eurydice), indéfinissable, insaisissable que le poème cherche à se réapproprier au plus près de l’expérience qu’autorise le medium symbolique. Ecoutons ce que nous dit René Char dans la belle entente qu’il a de l’épreuve créative :

 

« Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir. » - (Sur la poésie).

 

   Désir demeuré désir d’Eurydice restée aux Enfers. Désir d’Orphée dont les mains ne peuvent plus toucher que les cordes de la lyre afin que, du chant, de la musique, puisse se faire jour le Verbe qui est réminiscence de l’Autre en sa douloureuse absence. Pour cette raison la nature du poème est le reflet de cette infinie tristesse qui aiguillonne et penche, au sein de la nuit, la tête d’un Stéphane Mallarmé dans le rond de lumière de l’opaline au cas où Eurydice en personne apparaîtrait :

 

« Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe

Sur le vide papier que la blancheur défend »

 

   Deux vers suffisent à dire la détresse nocturne du Poète dans cette infinie vacuité qui, jamais, ne semble devoir trouver son accomplissement, la condition de sa plénitude. « Clarté déserte - vide papier - blancheur - défend » -, autant de barrières dressées entre son Enfer et son Présent, cette suspension de l’écriture qui entaille l’âme et ravive le souvenir des pages anciennes que l’encre bleuissait, empreinte de la Muse, de l’Aimée dans la chair disponible du papier. Ici, en seulement deux vers, l’essence de l’amour, de la poésie assemblées dans un creuset hautement signifiant. A la force de la métaphore qui, substituant au réel la puissance incantatoire  et de fascination de l’image, fait apparaître au centuple Celle qui était demandée et ne répondait plus que du creux de son silence, cette blancheur d’où tout se montre, où tout meurt. Comme si le cruel destin de toute poésie n’était que de briller à la cimaise de l’art, le temps de son écriture, de sa lecture, de sa diction. Ensuite est le long sommeil dans quoi tout repose lorsque plus aucun regard, plus aucune oreille ne viennent en capter l’urgent message.

   * au plus haut terme de la vision - " l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles ".  L’ultime du voyage poétique - mystique pour certains ou religieux, mais ceci ne modifie en rien la valeur symbolique de tout l’itinéraire -, le dernier point accessible, le « plus haut de la vision » se laisse apercevoir, pareil à un sillage dans l’immensité du ciel, dans la lumière solaire, dans le crépitement des étoiles, les dernières visions boréales, les dernières écharpes magnétiques au-delà desquelles aucun regard humain ne pourra porter son feu. Sauf dans l’étincellement poétique. Immense parole décrivant sa révolution depuis la Gloire de Verlaine jusqu’à son Enterrement. Ainsi sont les limites humaines, tout Poète pût-il toujours prétendre, par son art, à l’immortalité !

 

Blanche, la poésie

Rosa celeste : Dante et Béatrice

contemplant l'Empyrée.

Illustration de Gustave Doré

pour le Paradis.

 

***

Ne s’agirait-il pas de Dante et Béatrice

admirant

le soleil de la poésie ?

Toute Poésie est Empyrée.

  

 

  

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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