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11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 09:52
Fabrique de l’Homme

Photographie : Blanc Seing

 

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   Murs de moellons jaunes. Murs de lézardes. On entend le vent mugir, les poulies se balancer dans le vide, les machines tisser des mots que creuse l’ennui, que torpille la sombre démesure des délibérations obsolètes. On ne reconnaît guère  ce qui autrefois chantait, allumait dans la garbille des yeux la densité et la mesure de l’accompli en sa garance. Oui, c’était si beau disent les pêcheurs de lune et les histrions, ces mimes que le son mélodieux de la flûte disposait aux sourires des anges et aux bluettes zodiacales.

  

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   On est là, debout, planté dans la masse solaire, gluante. Feu du ciel qui tricote tout contre sa meute ossuaire les lames d’effroi, jette dans la fournaise de l’âme sa langue glacée. Ô froid néantique. Ô rumeur givrée qui glavaude les mors de l’esprit, taillade les ramures de chair, fait couler dans l’outre de sang le chant igné de la finitude. Ô pourquoi faut-il que ce qui est là devant s’agenouille, se prosterne dans la plus violente déraison ? Dante y perdrait son latin, y brûlerait les cercles de la félicité, il ne demeurerait que quelques braises soufflées par Eole et les dieux seraient marris de voir tant d’hébétude humaine.

  

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   Il fait un froid de gerfaut et les dents claquent dans le corridor de la bouche. Et le toboggan de la gorge et les dagues plantées en plein le vide sidéral. Le vide de cristal. Les poumons soufflent leur haleine de forge. Des poutres métalliques, rongées par l’acide du temps, descendent des rhinolophes à la bouche acérée. Filent mauvais coton. Ruminent idées noires. Mines de charbon, boyaux étroits, mineurs, Gueules Noires couchées dans la veine sidérante, la silicose sculpte dans les traverses du corps lacéré les dentelles de l’agonie.  Dentelles de la Mort. La Grande Pute au sourire enjôleur, la Grande Maniérée qui fait ses pas de deux dans votre dos, ses entrechats glaireux. Puis un saut. Violent. Comme ou saute au-dessus d’une fosse à serpents. Venimeux. Lianes mercuriales du péché. Ecailles fascinent, envoûtent, puis sombre venin qui poudre le sang des commissures mauves du Trépas.

 

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    Ô pics à manches courts, ô rivelaines qui émondent la colline de poussière. Et y a le Zacharie et ses moustaches en crochets, le Levaque et son chignon perruquier, le Chaval -d’aucuns l’appellent Cheval -, et le Maheu - certains le nomment Emma -, qui veinent dans la veine bitumeuse et ils meurent à petit feu pour des Empires, des Bourses, des Réceptions broquilleuses dans des salons duveteux avec des Dames pigeonnantes, gloussantes, des Messieurs à plastron, à breloques d’or, des valets en goguette, des quenouilles qui girent à l’unisson dans le beffroi étique des idées.  Creuses, abyssales en leur nouille vacuité. Sidérantes en leurs hémiplégiques et comiques pirouettes. Mais mortelles, tellement catafaltiques, dinguefoles jusqu’à la dernière bouchée arsenicale, ô combien ! Voyez-vous on a des Lettres même chez le Poulbot, le Mécréant, le Zigomateux de la grise matière !

  

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  Ah, cela il faut l’entendre de ses oreilles bouchées de cire. Ah cela il faut le voir de ses yeux usés de cataracte avec des stalactites blanches qui perlent au sol la dette de vivre. Ah il faut le longer de ses membres amputés, de sa fougue de culbuto ivre, de la hargne de ses moignons trempés dans l’acide de la confortable ineptie. Il y a tant d’incomplétude malaveuse et de destins crocheteux, tant de mains aux serres longues, tellement de cerneaux où ne s’agitent que des idées insanes en forme de troupanes, en fouillouses à trous par où suinte une éthique à 4 sous, une morale de bousier épidermique.

  

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   La fabrique est de brique et de moellons jaunes.  De bric et de broc. De fric et de frac. De freux et de frousse. Mais entendez donc mugir le Métier avec ses cliquets qui comptent les passages de vie à trépas, avec ses chaînes qui enchaînent, ses lisses qui maudissent. Mais qu’est-ce qui se trame donc dans ces ruines corporelles car la Fabrique est la fabrique du corps. Car les machines, les tubulures sont les rouages, les harnais, les battants, les éclisses de l’esprit qui se robichonnent dans les glavioles de l’impéritie. Mais que direz-vous pour prendre la défense de tous ces Souffreteux de la pensée qui ne pensent qu’à leur propre vertu, à leurs biens - les si mal nommés -, à leur magot, leur matérialité obtuse ? Que direz-vous, sinon fermer votre clapet, devenir cois, rentrer dans votre coquille de gastéropode silencieux ?

  

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   Plâtras jonchent le sol, débris humains, flaques de sueur, soucis encore visibles sur le ciment maculé de haine. Grandes verrières, elles sont ce qui reste d’une conscience calcinée, usée par des années de lutte et de misère. La misère, le désarroi sont encore là, patents, plus réels que le réel, collés au bleu de clarté, suintant du plafond de verre, cet idéal où s’abîmaient les rivières des songes, les cataractes d’espoir. Ô musique arrêtée des vies en ébullition, ô monde. Ô cheveux flamboyants des ouvrières à contre-jour du temps. Grand temps de rouvrir les vannes de ce qui fut, mais dans le tumulte joyeux, la neuve certitude d’être, la reconnaissance des Errants qui ont donné leur sang, vendu leur cœur, usé leur peau à entretenir de vaines gloires, à lustrer des appétits vénéneux. Merdiques pour tout dire. Obséquieux. Pestilentiels. Ô humaine condition qui trie les Méritants et les Laissés-pour-solde-de-tous-comptes. Mais quelle infinie lassitude de s’en tenir à de pareilles sornettes, à de tels galimatias brodés de galons cloutiques et de brandebourgs rafliscoteux !

  

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   Grand temps de reconstruire la Fabrique de l’Homme, de lui destiner une gloire à sa mesure, un bonheur à sa main. Finis doivent être les temps d’aliénation. Il y a tant à faire dans la mesure du jour. Qu’une fenêtre s’ouvre donc sur l’Infini. Oui, l’INFINI ! Seulement ceci sera notre  mesure si nous voulons donner sens à cette marche de guingois sur les chemins du monde. Qu’enfin cela s’ouvre. Nous étouffons tellement d’être hommes et d’en rester là. Oui, là où l’Être en sa pure Vérité devrait apparaître dans la lumière droite du jour. Droite, non biaisée, de guingois ! Et merde aux Nantis et aux Pisse-vinaigre, aux scrofuleux du fric, aux abîmés de l’ego, aux méprisants du Simple. Oui, merde et que Révolution s’ensuive. Et de suite !

 

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   Le Temps, de son doigt innocent, nous pousse vers l’avant, vers l’abîme. Heureusement y a d’la place pour tout l’monde, les Scrofuleux, les Paralytiques, les Plénipotentiaires, les Snobs, les Filles de joie et de tristesse, les Types du CAC 40, les Pharmaceux, les Notaires vériques, les Réfugiés des paradis fisqueux, les  Vierges fioleuses, les Evêques sacerdotaux, les Grands éduqués et les Petits morpions, les Thuriféraires, les Compte-petits, les Picsous, les Oncles Donald, les Psychopathes, les Truffés d’oseille, les Pauvres, les Sans-Logis pareillement, oh oui, y’a d’la place !

  

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   Mon Grand-Oncle François qui avait des moustaches en guidon de vélo, qui lisait Manufrance à l’envers - y savait pas lire et y trouvait le monde bizarre avec ses postes de TSF, ses bretelles Hercule, ses lampes Tito-Landi, ses almanachs Vermot cul par-dessus tête - oui, bizarre et y disait y’a qu’une justice pour les Pauvres et les Riches, y finissent tous dans le trou et y s’enfilait une rasade de gnole à la santé des déjà-morts, des futurs-morts, des vraiment-morts, de ceux qui faisaient semblant de l’être  et qui l’étaient chaque jour un peu plus.  Morts. Parce qu’y en a aucun qui se sauve disait Grand-Père Oncel même qu’il avait pas tort et, je vais vous dire, moi, y a pas de plus Grande Vérité que celle qui se trousse entre les lèvres des Modestes et des Humbles. Au moins, eux, à la Mort ils y vont sans manière et c’est toujours ça de gagné, l’authentique, le sans embrouille, le franc de collier. Les Autres, les Péquins qui se prennent pour le Pape en personne, Morts, de quoi ils auront l’air ? De quoi ? Je vous le demande ? Z’auront l’air fins, je vous l’dis !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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