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8 mai 2018 2 08 /05 /mai /2018 08:49
Egarée parmi les hommes

                     « Will finds the way »

                     Œuvre : Dongni Hou

 

 

 

***

 

(Version 2 sur une image déjà écrite)

 

 

***

 

 

  Oui elle nous émeut cette minuscule vie en partance pour soi. Où pourrait-elle donc se diriger sinon au lieu de sa propre patrie ? Que fait-elle ici, au cœur de la nuit, dans cette vêture si native qu’on la croirait tout juste sortie des limbes ? Pourrait-on être plus égarés, plus dénués qu’elle en cette flaque de matière noire qui refuse de dire son nom. Si obscur, si dense tout autour d’elle que l’on croirait avoir affaire au nul et non avenu en sa consternante dimension. C’est comme si le langage n’existait pas encore, que le poème était à naître, dissimulé en quelque coin secret de l’univers. La regarder simplement, cette Touchante Enfant, et déjà l’on habite son corps d’angoisse primordiale, archaïque.

   C’est un minuscule grain quelque part dans le vaste concert de l’univers, un secret qui pour l’instant ne saurait procéder à son intime dépliement, une voix serrée dans le tunnel de la gorge, une plainte si mutique qu’elle ressemblerait au sourd craquement des feuilles mortes dans la rigueur déjà automnale. A moins qu’il ne s’agisse des premiers signes du froid, des atteintes des frimas en leur commencement? Alors tout est gelé qui se réfugie dans des langues de glace, des étoiles de givre. On redoute la gelure, on anticipe la mort, on serre ses poings de chair dolente, on se fait minuscules tels la diatomée au creux de sa nacelle de perles, on évite de bouger. Se faire remarquer reviendrait à mettre en branle le combat immémorial du monde. Et l’on serait au risque de connaître une vérité, une terrible vérité.

 

Oui, LE COMBAT IMMEMORIAL DU MONDE

 

   Ouvrez donc vos oreilles aux couleuvrines partout dissimulées qui crachent leur poix visqueuse, boules ignées qui auraient tôt fait de vous reconduire au Néant dont vous provenez. Et ne faites donc pas les malins, pensant tout connaître des rouages complexes de la logique, des arcanes de la philosophie, de la magie des laborantins alchimistes. De la pierre d’or surgissant de la matière vile vous êtes bien loin. Regardez donc vos mains, vous les humains qui parcourez les chemins du Rien, elles ne sont que des battoirs de plomb qui vous disent, en termes métaphoriques, la lourde pesanteur du genre humain.

   Oui, c’est une vérité d’expérience, les hommes vivent sous le principe de la gravitation qui n’est que la mise en musique de la chute des corps. De leurs masses d’abord, lesquelles identiques à celles des risibles culbutos oscillant  sur leurs arrière-trains de façon si étrangement rythmique, ces masses donc, on les croirait éternelles. On peut toujours penser ceci, se rassurer à l’aune de sa fierté naturelle, en appeler au souverain principe de raison, faire des galipettes, des ronds de jambe et prendre ses singulières simagrées pour argent comptant. « Tu parles d’une rigolade », aurait dit mon Oncle qui ne croyait qu’à la bonne chère, à la pitance abondante et aux aventures amoureuses qui lui rendaient la vie douce telle une soie tout droit venue du fascinant Orient.

   Regardant le ciel criblé d’étoiles, lui le Viveur-d’immédiat et de contentement sans anicroche aurait tout juste pris le contrepied de ce bon Kant qui énonçait doctement :

   «Deux choses remplissent le cœur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. Ces deux choses, je les vois devant moi, et je les rattache immédiatement à la conscience ».  

   Eh bien, voyez-vous, pour mon Familier, la conscience c’était de la matière directement accessible, du comestible à proposer à ses papilles, du feu à allumer dans la cheminée pour y concocter quelque savoureuse grillade.

   Non je ne l’ai nullement oubliée la Petite Vie qui avance à tâtons sur le chemin ourdi de sombres manigances. Je l’ai d’autant moins reléguée aux calendes grecques que, pensant à elle, à son avancée parmi les ombres, j’ai, à l’instar de Kant, (mais non rationnellement, non intellectuellement), éprouvé cette profonde émotion, la vraie, la palpitante, celle qui serre le cardia, celle qui vous donne des arythmies, trempe vos mains de sueur, instille dans l’eau de votre corps, dans les marécages de votre lymphe, une brutale et bestiale envie de la porter au-dehors, toute cette énergie violemment contenue, pareille à la conscience qui serait devenue brusque raz-de-marée, irrépressible tsunami, qui déborderait le cadre de votre pensée, qui voudrait se dire en tant que la forme la plus aboutie de cette marche à l’aveugle, avec, au bout du bras, ce mince lumignon, cette si fragile étincelle que le moindre souffle de votre respiration pourrait réduire à néant tous ses vains efforts, ses infructueux sauts de puce afin de s’extraire de cet absurde qui, partout suinte et obombre les parois primitives de la grotte humaine.

   Le soir, avant de vous coucher, de confier votre destin à Hypnos, sortant sur l’aire lisse de votre balcon, inclinant votre nuque en direction du ciel, qu’y voyez-vous qui pourrait vous rassurer infiniment sur votre terrestre trajet ? Une pluie de comètes, une fulguration de météores, le sillage évanescent d’une nuée d’étoiles, les signes hiéroglyphiques des astres qui témoigneraient, pour vous, juste pour vous, de votre course parmi les vastes allées de l’exister ? Qu’y voyez-vous si ce n’est votre propre et inépuisable questionnement réverbéré par l’immense dôme glacé qui vous tient lieu de reposoir. Les étoiles vous fascinent. Les constellations vous appellent à entonner la belle et inépuisable Musique des Sphères. Andromède, Alpha du Centaure, Cassiopée, Couronne boréale et australe, Hydre mâle, Scorpion, Serpent, Microscope, Lyre, Lynx ne sont que vos propres yeux que vous avez lancés à la conquête de l’infini afin que cet infini vous rassure et vous dise les lignes de votre quadrature, ici, en tel lieu, en tel temps, de manière à ce que votre angoisse enfin arrimée n’erre sans cesse et vous fixe à demeure, vous attribue un foyer, vous fasse le don d’un point focal qui serait un baume pour votre âme, une sublime ambroisie pour votre esprit.

   Parlant de vous, parlant d’elle la Petite Perdue dans le corridor du monde, parlant de moi, parlant de tous les Existants nous ne faisons que brasser des volutes d’air qui se dissolvent à peine sorties de nos bouches serties d’angoisse. Car nous parlons POUR RIEN. Car nous ne proférons même pas pour nous puisque, condamnés par avance, nous ne pouvons propulser de chaînes de mots qu’à les projeter dans un puits sans fond dont même l’écho ne nous est pas perceptible. Déjà, du fond de sa conscience en voie d’efflorescence, la Petite Porteuse de Lumière tient au-devant d’elle le fanal qui dit la fermeture, l’occlusion à jamais, les cathédrales de ténèbres qui toujours nous cernent et nous reconduisent aux questions métaphysiques sans fin. « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », selon la célèbre formule de Leibniz. Elle qui avance dans l’épaisseur de la nuit, elle qui ne discerne RIEN  que sa minuscule lanterne, elle qui ne sait où elle va, elle qui demande à connaître mais ne connaît pas encore, elle fait la seule découverte qui soit : celle du NEANT.

  Léo Ferré disait : « A force d'en parler, le néant finit par avoir de la consistance », qu’on pourrait facilement parodier sous la forme « A force de le chercher, le néant finit par avoir de la présence ». Voyez-vous combien il est étrange de parler de Rien, de Disparition, de Finitude (avec des Majuscules s’il vous plaît !) alors que notre propos vise une toute Jeune Vie en train de s’épanouir. Mais c’est simple logique, simple principe biologique que d’énoncer un tel truisme. Toute graine porte en elle le germe de sa propre mort. C’est ceci et RIEN QUE CECI que nous dit cette belle image allégorique dont l’épilogue pourrait comporter l’énoncé lapidaire :

 

NE CHERCHE POINT TU NE TROUVERAS PAS

 

   Or, qu’est donc une quête sans objet sinon la rencontre du RIEN. Les chercheurs d’or de l’Ouest américain ne se munissaient de leur batée, de leur pelle et de leur courage qu’animés de la fièvre de l’or dont pas un seul instant ils ne doutaient qu’ils récolteraient les pépites de la gloire et de la richesse. De même l’amant sur la trace de son amante. L’action de chercher est toujours assortie d’un but, faute de quoi elle bascule dans le tragique du non-sens et s’annule à même son évocation. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître à nos yeux perclus de cécité, rien ne se donne jamais qu’au prix d’une perte. Que serait la valeur d’une quête, fût-elle amoureuse, artistique, intellectuelles, spirituelle dont on connaîtrait à l’avance les subtils arcanes ? Mais ce serait tout simplement donner à l’absurde ses lettres de noblesse. Se trouver immergé dans le lac de la nuit et, déjà, posséder le jour qui va suivre, en savoir la trame, non seulement ôte toute poésie à notre aventure terrestre mais la situe telle l’impossibilité de rêver, de s’agrandir de son propre imaginaire, de transcender le temps présent afin que quelque chose comme un futur se possibilise et vienne à nous selon les milliers de facettes de notre fantaisie, de notre invention, de notre ressource à créer du nouveau, à projeter des hypothèses. Ce qui rend notre mort à la fois gérable et intéressante consiste seulement dans le fait que cet événement est une pure hypothèse dont ni le jour ni l’heure ne nous sont familiers. Le seraient-ils et alors serait énoncée l’idée insoutenable de l’inadmissible, toute épée de Damoclès ne devenant possiblement réelle qu’à être le pur jouet d’une illusion.

   Le bonheur ne s’atteint jamais qu’à être le résultat émergeant du Néant, se hissant du Rien, se haussant une coudée au-dessus du Zéro. En serait-il autrement, le bonheur nous serait-il promis d’avance, tout entouré de faveurs, il ne serait qu’un vulgaire miroir ne reflétant que sa propre insuffisance. Il faut un effort, une douleur, parfois une souffrance de manière à ce qu’une joie se présente et illumine notre âme au sens le plus roturier du terme. Cet immense horizon qui débouche sur le plateau courbe de la mer, nous n’en tirons un réel plaisir qu’à l’aune de cette dune qui, jusqu’au dernier moment, en soustrayait à nos yeux la majestueuse présence. En serait-il de même pour la sublime Mort qui, jusqu’en notre dernière heure précédant notre trépas se réserverait pour l’ultime cérémonie ? Ne parle-t-on pas du « baiser de la Mort », bien évidemment  au second degré, avec la sérénité de ceux qui se pensent hors d’atteinte. Sans doute, mais notre dernière amante sera bien cette Noire Allégorie qui n’ôtera son voile que post-mortem. « Requiescant in pace », selon l’habituelle formule liturgique. « Le plus tard sera le mieux » aurait dit mon Oncle, dont tout le monde aura compris qu’il était un Adepte du Jardin d’Epicure et de ses friandises pendues comme des berlingots et des bêtises de Cambrai aux branches basses d’un terrestre Paradis.

   L’habile représentation de Dongni Hou nous livre cette Esseulée au mitan d’un noir de suie, portant avec toute la grâce que requiert la fleur de l’âge, ce minuscule diamant qu’est toute lumière, en robe de nonne ou bien de communiante, infiniment fragile, perdue dans cet immense chaudron nocturne qui résonne de tous les bruits d’une humanité aux abois, de tous les drames humains qui essaiment leurs rictus aux quatre horizons de la Terre, genre de noviciat ne pouvant se terminer que par la découverte effrayante du loup tapi dans la meute de buissons, repas assuré pour quelques jours. Mais où est donc Mère-Grand ? Mais où sont donc la galette et le petit pot de beurre ? Bientôt la charmante Petite Innocence tirera la chevillette, la bobinette cherra et le loup la mangera. De Perrault à Dongni Hou, toujours la même histoire éternellement recommencée. C’est toujours le Loup qui dévore la Fillette. C’est toujours la Mort qui boulotte la Vie. « C’est juste pour de rire », aurait dit mon Oncle, lequel avait plus d’un tour dans son sac, l’on s’en sera douté !

   « Au moins tu rigoles, au plus t’es triste », tel aurait été son épilogue, lui qui tutoyait volontiers le calembour provençal et son infatigable logique. Que sa philosophie cousue de bon sens repose en paix. Puissions-nous en saisir une once afin que, rassurés sur notre infinitésimale importance, le fait de nous absenter définitivement ne nous apparaisse qu’à la façon de l’ultime pirouette, du dernier saut comique faits sur une scène de théâtre, peut-être celle des « Trois Baudets » ou bien des « Deux Ânes ». Comme ces gentils équidés nous nous entêtons à avancer, tête basse, engoncés dans nos certitudes, ignorant le ravin qui, par delà la colline semée d’herbe verte, nous tend ses bras et ne rêve que de nous conduire dans la suite nuptiale ménagée à notre intention. Savons-nous, au moins, qui sera l’Epousée ? Nous avons tant de hâte à en rejoindre l’éprouvante volupté ! Tant de hâte !

 

 

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