Photographie : Blanc-Seing
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Ce chemin dans la chair
Dont nous pensions
Qu’il nous sauverait de nous
Sans doute l’avions-nous
Trop emprunté
Au gré de nos passions
Au feu de nos instincts
Il était inscrit en nous
De toute éternité
Car nul n’échappe
À la mesure humaine
De ses pas
*
De Toi tu n’avais emporté
Que le deuil de ta séparation
Pour Moi la solitude à jamais
Avec ses ailes de carton
*
Sur du mouvant
Nous nous étions assemblés
Telles les feuilles qui filent
Au ras de l’eau
À leur perte prochaine
Nous étions deux courants
Que rien ne rapprocherait
Tu étais trop lointaine
J’étais bien trop en souci
De mon être
Qu’attend-on
Si ce n’est d’arriver à soi
D’y parvenir jamais
*
Nous étions pareils
A Simon du Désert
En proie au doute éternel
En quête d’absolu
J’errais parmi les dunes
Le silence était grand
L’ombre des barkhanes
Faisait ses sombres croissants
Au creux des nuits que ne visitaient
Ni Lune ni Etoiles
Ciel d’encre dans lequel
Nous dérivions
Orphelins de rêves
Erratiques figures
*
Le matin nous trouvait hagards
Les mains tournées au ciel
Les paumes ruisselantes de vide
Les doigts englués d’aube
Nous avions toutes les peines
A nous hisser hors le pli
De nos cauchemars
Chrysalides empêtrées
Dans cette soie qui aurait dû
Nous être douce
Elle n’était que parois
De notre commune geôle
Nous étions ermites
En nos blanches méditations
Nous étions ascètes
Perdus dans le labyrinthe
D’un morne ennui
Et le Diable soufflait
En nos âmes
La complainte du chagrin
*
Ce pays des Hauts Vents
Hors toute raison
Hors toute présence
Hameau déserté des Vivants
Nous l’avions choisi
D’un commun accord
Pensant que ce lieu vide
Serait le premier mot
D’une phrase que nous dirions
Le premier jour d’un poème
L’existence était en prose
Les heures de plomb
*
Nous passions un long temps
A regarder au travers des vitres
Que le dépoli froissait
Les troupeaux que conduisaient
Les bergers
Nous nous usions
A lire Cioran ou bien Unamuno
Le tragique ornait nos fronts
Les pleurs lissaient nos yeux
La mélancolie tissait nos âmes
Des fils infinis d’une invisible toile
*
Sans doute pour des Etrangers
Aurions-nous été transparents
Tels des phalènes au crépuscule
Qui meurent sans le savoir
Jour et nuit étaient du même goût
Une amande sans saveur
Habitait nos palais
Une amertume creusait
Son vertige
*
Parfois nous allions sur ces collines
Teintées d’argile claire
Sur ces crêtes prises de vent
Que n’habitaient que
De maigres genévriers
Que ne troublait
Que le vol des sauterelles
*
Parfois le calvaire de fer
Tout en haut de son pain de sucre
Nous voyait corps unis
Corps soudés
Il était le météore
Auquel nous confiions
La juste mesure
De notre égarement
La Mer tout au loin
Se laissait apercevoir
Dans un moutonnement bleu
Qui ne manquait de nous étonner
Existait-il encore quelque chose
Qui eût du sens en quelque endroit
Du Monde
Quelque chose qui proférât
En dehors d’une affliction originelle
*
Ce chemin dans la chair
Que nous avions inclus
Dans la dague ouverte
De nos corps
Cette chair repue
Aurait-elle connu
L’instant d’une courte extase
L’éclair d’un possible bonheur
Mais après ces brèves étreintes
Qu’en était-il
De nos vies qui ne soit inutile
La chair est triste hélas
Et j’ai lu tous les livres
disait le Poète Mallarmé
Fuir là-bas fuir
*
Que fuir sinon son être
Qui est toujours en avant de soi
En arrière de soi
Il est si difficile
De coïncider
Avec soi
De faire unité
Avec sa propre chair
De demeurer
Dans la brume infinie
Qui nous fige
Ici
Et nulle part
Ailleurs
*
D’un chemin hors la chair
Nous exilant
De nos tourments
Serions-nous à nous-mêmes
Advenus
Rien n’était moins sûr
Jamais les Hauts Vents
Ne cessaient de souffler
Ici
Dans la courbure
Du jour
Jamais
*