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12 février 2021 5 12 /02 /février /2021 17:46
Une Terre où figurer

Œuvre : Marc Bourlier

 

 

***

 

 

   Cela faisait une éternité que les Petits Boisés giraient en orbite autour de la Terre. Ils avaient appris le nom qu’on lui donnait, en bas, au loin où vivaient les essaims d’hommes : « La Planète Bleue ». Certes les Boisés n’étaient nullement versés dans la pratique des arts décoratifs mais connaissaient sur « le bout des bois » la palette des couleurs. Or, « bleue » était le dernier qualificatif qu’ils auraient donné à cette boule qui tournait sur elle-même sans bien savoir pourquoi elle tournait. « Jaune », « brune », « couleur de cendre », à la rigueur, telles auraient été les exactes nominations qu’ils lui auraient données à défaut d’en inventer eux-mêmes les contours. Cela faisait plusieurs mois qu’ils étrécissaient le cercle de leurs rotations, entreprenant une descente qui, sans être dangereuse, nécessitait cependant un peu de prudence. Bientôt, ils découvrirent une anse abritée au bord d’une plage dont ils firent leur havre de paix. Ils ne prêtèrent guère attention à tous les débris qui jonchaient le sable, aux gravats, aux boules de goudron, aux bois flottés - leurs frères non encore dégrossis -, et construisirent une cabane de feuilles, de mousse et d’écume où ils passèrent une première nuit habitée de rêves « bleus », ils ne pouvaient moins faire sur la Planète éponyme.

   Le matin, dès le lever du soleil, ils confectionnèrent à la hâte un radeau volant qui tenait du ballon dirigeable et de « L’Eole » d’Ader avec ses ailes en toile et ses membrures en bois. Ils avaient chaussé leurs yeux de lunettes d’aviateurs, équipé leurs têtes de casques de cuir avec des oreillettes ce qui contribuait à les rendre risibles aussi bien que sympathiques.

   Longtemps ils dérivèrent dans le ciel empli de fumées grises. Ils en déduisirent que les hommes avaient fait un feu pour se réchauffer à cette heure matinale.

   Longtemps ils volèrent au-dessus de villes embouteillées, où s’entassait une infinité de véhicules qui dégageaient une étrange vapeur jaune. Ils en conclurent que les Terriens avaient de drôles de jeux, des manières de chahut-cars qui, cependant, leur permettaient une agréable promiscuité.

   Longtemps ils frôlèrent de hautes tours de verre nappées d’une brume grise. Ils en tirèrent la leçon que les habitants d’ici, par une sorte de magie incompréhensible, cherchaient à se dissimuler aux yeux de leurs semblables, sorte de jeu de cache-cache auquel les Boisés auraient volontiers participé mais ils souhaitaient se tenir à distance. On ne voit jamais mieux les choses qu’à en être séparés.

   Néanmoins, comme leur fréquentation des hauteurs célestes leur avait appris la grande sagesse des espaces libres, s’approchant au plus près de la Terre, en prenant le pouls, écoutant la hâte de ses battements cardiaques, ses alertes franchement arythmiques, discernant son possible emphysème, auscultant quelques signes d’arthrose, écoutant des assemblées de nobles savants pérorer sur les dangers permanents auxquels la Planète était soumise par la simple illucidité des hommes, les Petits Boisés se questionnèrent sur le sens de leur présence si près de ce qui ressemblait aux prémisses d’une crise, sinon au piège d’un abîme. Questionnant leurs amis les arbres, ils en conclurent, au regard de leur pondération millénaire, que la Terre était bien malade, atteinte de quelques maux incurables auxquels ils ne pouvaient apporter de solution.

   Ils apprirent le déchaînement de la chaleur en été, les orages dévastateurs au fond des vallées ; ils connurent les tsunamis ravageurs de cultures, de maisons et de gens. Ils furent informés des famines qui sévissaient partout sur le globe, des luttes fratricides, des épidémies, des attaques incessantes de la pauvreté sur des populations démunies. Ils aperçurent les palais de guimauve des Riches, ils entendirent l’imprécation affligeante des tyrans, la plainte des sans-logis, les pleurs des enfants aux ventres ballonnés telles des baudruches. Leur conscience, quoique boisée, savait trier « le bon grain de l’ivraie ». Ils se dirent qu’il était urgent de trouver un refuge, quelque part, en un endroit sûr, loin de la folie des hommes.

   Ils regagnèrent leur golfe qu’un crépuscule laiteux inondait de sa semence uniforme. Dans un coin d’ombre ils avisèrent, entre deux buttes de sable, un genre d’écorce plate dont ils pensèrent qu’elle pouvait convenir à leur souhait d’être accueillis dans la discrétion et l’harmonie. Curieusement, le haut de la dosse était habité d’une tête légèrement inclinée qui paraissait douée des meilleures intentions du monde. Ils surent, alors, qu’ils avaient découvert un genre de Mère qui les adopterait. Son regard était si doux, empreint d’une grande bienveillance. Heureusement la plage recélait quelques trésors, notamment une herminette au manche en partie brisé mais qui n’en interdisait nullement l’usage. A l’unisson, les Petits Boisés la prirent en main et commencèrent à creuser une sorte de doline ovale à l’endroit même où devait se loger la cavité du ventre. La nuit n’était pas encore arrivée que la famille des éclisses  se confia en une boule compacte à ce lieu de pure félicité. Leur Mère d’adoption ne s’était nullement plainte des coups qui avaient été portés en son centre. Ce dernier demeurait vacant depuis longtemps, en attente de ce Petit Peuple si attachant.

   L’ombre venue, ils confièrent leur innocence aux rêves les plus exaltants qu’il leur fût donné de ressentir. Les hommes et les femmes étaient enfin sortis de leur terrible cécité. Ils étaient beaux, le visage ruisselant tel une pièce de monnaie. Les rues de villes étaient astiquées, on y déambulait en longues grappes joyeuses. Il n’y avait plus de voitures mais seulement quelques vélos qui glissaient sans bruit sur les pavés brillants. Les rivières étaient de longues lianes bleues et émeraude qui descendaient joyeusement vers leurs estuaires. Le ciel était lisse, pur, sous lequel planait une théorie d’oiseaux blancs. Le soleil, maintenant sans entrave, rebondissait sur la face des lacs, sur les fronts qui devenaient de claires falaises, sur les bras et les jambes qui prenaient des couleurs ambrées : un miel. Les arbres, verts, drus, lançaient leurs frondaisons partout où un œil pouvait les recevoir. Le ciel était enfin serein que ne maculait plus la moindre trace d’avion. Il n’y avait plus de touristes curieux agglutinés aux bastingages des ferries, envahissant les places médiévales et vénitiennes, mais partout, dans la rareté, de respectueuses visites aux œuvres d’art, des célébrations d’architectures aux exactes proportions, des sentiments ouverts à l’unique beauté du monde.

   Ce que, présentement, vous voyez s’élever, Lecteurs,  au-dessus de la ligne d’horizon, ce ne sont ni montgolfière ni ballon dirigeable, mais ce bois en voyage, cette Mère Céleste, flottant avec ses Petits Passagers vers cet idéal auquel ils ont toujours songé qui, maintenant, s’accomplit comme le plus beau destin des hommes. Sachent-ils regarder !

 

 

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