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16 avril 2019 2 16 /04 /avril /2019 09:47
Une barque à la dérive

                          Delta de L’Ebre

                   Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

   L’amour, m’avais-tu dit, est une barque à la dérive. Ceci nous le savions depuis le bourgeon de notre naissance. Mais nous faisions semblant de croire, pour ce qui le concerne, à une possible éternité. Fallait-il que nous fussions naïfs ou bien saisis d’un vif idéalisme ! Toute chose meurt qui, un jour, est née. Regarde donc la plante, te disais-je, sommes-nous si différents d’elle ? Elle croît, fait pousser la sève dans sa tunique verte, lance au loin ses rameaux et ses tiges, se couronne de pétales où reposent les étamines, où brille le pollen de la vie. Puis la chute est là qui reconduit tout au néant. Nous tenions un identique discours et pourtant nous étions deux êtres séparés que le hasard avait réunis afin que quelque chose soit dit d’une rencontre, d’une pullulation des sentiments, de la rougeur d’une braise, des cendres qui suivraient dont nous soupesions toute la gravité.

   L’amour, m’avais-tu dit, est une barque à la dérive. En ce printemps qui se cherchait et ne savait guère les contours de son être - le ciel était d’ardoise, les collines, au loin, mouraient dans leur étole d’ombre -, nous errions à même nos âmes sans bien savoir le terme de notre cheminement. Avions-nous, au moins, un but à atteindre, une œuvre à réaliser en commun qui eût constitué une seule et unique nervure ? Je savais, en mon fond, la solitude des anges et l’étrange « présence » d’un « deus absconditus ». Nietzsche n’avait-il décrété la mort de Dieu ? Ainsi toute force s’épuisait et son déclin ouvrait grandes les portes du nihilisme. Pouvions-nous, nous-mêmes, survivre à cette aporie ? L’idée de Dieu est si grande et nous sommes d’illisibles et d’illusoires images. Tu  t’étonnais de ces mots, pesant comme du plomb, dans la bouche d’un agnostique. Mais, en ces temps de lourde incroyance, pouvait-on encore espérer quelque chose qui fût autre que la corde vibrante du désespoir ? Tout fuyait à l’infini dans de si longs corridors, on n’en percevait que les ténébreuses enfilades et la peur mugissait à tous les carrefours.

   Nous marchions le long de ce delta de l’Ebre, en longions les touffes de roseaux que battait le vent venu de la mer. Entre nous, parfois, une « intermittence du cœur », une brève réminiscence proustienne, la perle d’une confidence puis le bruit continu des oiseaux disséminés au ras de l’eau, les cris aigus de l’aigrette, la fuite rapide du martin-pêcheur, sa tache d’émeraude dans le ciel pâle cerné de gris. Qu’y avait-il d’autre à faire que de marcher le long de nos vies respectives, de tâcher d’en deviner la perspective de soie, parfois une beauté surgissant face aux yeux, parfois le dais d’une tristesse, une nuée à l’horizon dans laquelle nous lisions l’écartèlement de nos destins, la perte du jour dans la nuit qui venait ?

   Là, parmi l’eau plombée du delta, là sous le ciel qui souffrait de n’avoir nulle attache, - il filait si vite vers l’horizon -, là au creux de nos existences qui se divisaient tels les affluents qui ne savaient le lieu de leur perte, tu m’as donné un dernier baiser. Il ressemblait étrangement à ceux des jeunes amants sur le quai d’une gare qu’un train rapide, bientôt, placera à des distances insoutenables, le cœur n’est illimité qui peut s’accroître indéfiniment. Toujours le possible surgissement d’une trahison. Toujours le possible d’une étreinte nouvelle, différente, qui effacera les anciennes, les relèguera dans un coin inaperçu de la mémoire. L’amour, m’avais-tu dit, est une barque à la dérive. Nous en éprouvions la légère ivresse dont le crépuscule paraissait être l’ordonnateur. Ta silhouette fuyait déjà loin de toi-même si ton corps se donnait comme cette belle statuaire antique qui brillait tout contre le miroir de l’eau. Demain arriverait avec son lot de brumes. Le printemps, soudain, ressemblerait à un automne. Les feuilles joncheraient le sol qu’il faudrait pousser du bout du pied. En aurions-nos la force ? Les gestes, parfois, sont si lourds à accomplir !

 

 

 

 

 

 

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