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8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 08:21
Géographie du désir

                       Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

 

Je te voulais à moi seul,

pleine et entière.

Ceci tu le savais.

 Ceci tu en sentais les ondes

au creux même de ton corps.

 

Parfois, rêveuse, romantique,

tu te laissais aller à quelque confidence.

Certes, sans trop t’avancer.

Toujours tu progressais

à pas de loups,

de peur, sans doute,

 que quelqu’un ne te surprenne,

fomentant quelque étrange projet.

 

Donc, parfois tu te vivais

 presqu’île rattachée

à la terre qui était mienne,

immense solitude

que nous partagions à deux.

« Deux-en-un », me disais-tu

 à la manière d’un slogan,

d’une réclame ancienne.

 

 De cette unité assemblée

je me satisfaisais

et les jours coulaient paisiblement

 avec l’insistance légère d’une écume,

d’une plume que le zéphyr aurait emportée.

Le temps volait haut,

ne nous effleurait que de son ineffable palme.

Le soleil nous illuminait

et nos visages brillaient

à la façon de masques anciens vêtus d’or.

 

 Il y avait tant de bonheur simple

à être là,

dans l’immédiate affinité,

sans qu’aucune question

se fût posée quant à nos destins.

 Ils semblaient tracés

de toute éternité,

nous devançant, au loin,

sur le fil de l’horizon

qui vacillait doucement.

 

De te savoir presqu’île,

je me satisfaisais,

ne voulant guère penser à un futur

que chaque jour, chaque heure

modifiaient au gré des événements.

 J’avais bien aperçu,

 ici ou là,

 tes moments de vague à l’âme,

la brume dans tes yeux gris

pareils, quelquefois, à un lac éteint,

à une cendre sur le cône d’un volcan.

 

Tu te réfugiais volontiers

sur ton île,

 la cernais de houle

au cas où quelqu’un

 eût souhaité t’y rejoindre.

Mais d’où te venait donc

cette tristesse native,

 quelle lame plongeait donc en toi

l’insistance d’un souci ?

Te parler ne servait à rien.

Tu refusais toute offrande.

Tu demeurais en silence

des jours entiers.

Sans doute en étais-je affecté

mais j’acceptais ce don de toi

 si parcimonieux.

 

Peut-on quelque chose

 contre une nature,

un penchant qui s’écoule

vers l’aval du temps

avec une manière d’implacable logique ?

 

Des heures durant,

me dissimulant derrière les pages d’un livre,

 je t’observais à la dérobée.

 Je ne sais si tu percevais mon manège

mais ta posture hiératique,

ton immobilité,

le presque effacement de ton aura

te situaient hors d’atteinte.

C’est si mystérieux les êtres de rien,

les fiancés du néant,

les naufragés en plein ciel

pliés sous le vent des nuages !

 

 Décrire ton essence était ceci :

 prononcer, dans l’écho d’une crypte,

les cinq syllabes du mot

I-NA-TEI-GNA-BLE.

Bien sûr, il n’y avait nul retour,

Seulement la venue d’une nuit

semée d’ombres longues.

Successivement, tu avais été

presqu’île,

 puis île,

 puis archipel.

Autrement dit tu t’étais fragmentée

 en des milliers d’éclats,

sortes de paillettes de mica

que le jour divisait à l’infini.

 

Puis, un jour, bien après

que la stupeur t’avait frappée,

tu ne parlais plus,

ni ne souriais,

ni n’aimais,

ta perte fut définitive.

De toi il ne demeure,

dans la grande maison vide

 livrée aux courants d’air,

que cette esquisse peinte qui, sans doute,

était ta parole la plus exacte.

Tu figurais, ta représentation du moins,

sur le crépi d’un mur jaune taché d’empreintes.

 Nue,

totalement.

Allongée sur un genre

 de couverture bariolée,

on aurait dit une bâche militaire.

Ni ta tête,

 ni le bas de tes jambes

n’étaient visibles,

si bien que le titre

de « Femme partielle »

ou bien « fragmentée »

eût constitué le seul commentaire

de cette toile ascétique.

 

Les aréoles de tes seins :

une rapide griffure de graphite.

Ton Mont de Vénus :

 glabre et déserté.

La faille de ton sexe :

un abîme depuis longtemps refermé.

De ce que je nommais aimablement

 « Géographie du désir »,

 ce lavis ne trace plus

que les mailles floues d’anciens souvenirs.

Sais-tu qu’en cette cruelle morphologie

tu ne fais que mimer

l’incapacité de l’existence

 à nous combler ?

 

Oui, nous sommes des êtres

 que la faim torture,

que la soif cloue au pilori

 et pourtant nous vivons

ou tâchons de le faire.

Il est si tragique d’être soi

parmi le vaste désarroi

 du monde !

d’être soi !

 

 

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commentaires

N
Cher ami, si rassurée d avoir de vos nouvelles ! Portez voUs bien et Bon anniversaire !
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B
Bonjour Nathalie. Merci infiniment. Je ne sais si mon Compte est provisoirement ou définitivement désactivé. Facebook ne répond à aucune de mes requêtes. Bien à vous. Amitiés. JP.

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