« Le collier de perles »
Kees Van Dongen
Source : Pinterest
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Ce matin-là, sais-tu,
le ciel était d’ivoire
et de vermeil,
ces teintes
qui devaient dire
à ton oreille
la douceur du monde.
J’aurais pu marcher
jusqu’au bord
de l’horizon,
je sais que je t’y aurais
rencontrée.
Te confondant avec
la simple dragée
d’un nuage,
glissant entre
deux pellicules d’air.
Les rues étaient désertes
et l’ou aurait cru
à une sorte
de renaissance.
C’est un sentiment de plénitude
que de coïncider avec la nature,
de marcher tout au bord du rivage
des êtres et des choses
sans faire plus de trace
qu’un flocon virevoltant
au creux de sa venue.
Cela coule infiniment,
cela n’a nul repos,
cela vient de soi
et s’éloigne
dans la juste mesure
du temps.
C’est si étonnant
cette chorégraphie
si furtive,
ce chant proféré
par des lèvres muettes.
Comme une symphonie
intérieure
qui dilaterait la peau,
ferait se lever
l’écume de la chair.
Vois-tu, nous sommes toujours
ces marcheurs d’impossible,
ces minces aventuriers
qui ne vivent
que de sensations
et d’amours promises.
Nous les souhaitons
fructueuses,
emplies de ce nectar
qui façonne nos âmes
du plaisir du doute.
J’existe, vois-tu,
mais tu ne le sais pas.
Tous les jours
je passe dans ta rue.
Une seule fois,
ce matin-là,
j’ai pu t’apercevoir
accoudée à ta fenêtre,
faisant, dans l’air
qui frissonnait,
des volutes bleues
La vision a été courte
mais d’autant plus belle.
Oserais-je seulement
te décrire,
toi qui n’as guère
que la consistance
d’une vapeur ?
Tes cheveux noirs,
mi courts,
qu’une bande de tissu bleu
retenait,
pareil au flux
d’une vague marine.
Ton regard était
comme perdu
dans l’espace,
deux lentilles sombres
que le jour lissait
de son calme infini.
J’aurais pu demeurer
des heures ainsi,
immobile,
n’ayant plus
ni passé, ni futur,
figé dans ce présent
dont il me plaisait
qu’il se donnât selon
le mode de l’éternité.
Comprends-tu,
toi mon Esseulée,
ce curieux état
de fascination
qui s’est emparé
de ma chair
clouée à demeure,
de mon esprit
qui n’avait
guère plus d’agilité
qu’un lointain souvenir
un peu écaillé
par l’usure du passé ?
Je ne sais combien
de temps
je suis resté
à l’ombre de moi-même,
en cette lisière
du parc crépusculaire
qui cachait à tes yeux
ma peu avouable
curiosité.
Certes, j’étais Voyeur,
mais comment lutter
contre cet irrépressible
sentiment d’exil
qu’aurait été mon retrait ?
Plus même, une fuite,
une désertion de qui j’étais.
La belle clarté s’épanouissait
sur la plaine de tes joues,
y dessinant les broderies
du bonheur.
Mais à quoi donc pensais-tu,
toi l’Immobile,
toi la Secrète
qui semblais ne vivre
qu’au rythme
d’une bien sombre joie ?
Car je ne pouvais douter
qu’elle ne t’habitait
qu’à te conduire au bord
de quelque abîme
dont ton existence
me paraissait être tissée.