On ne reste nullement
à sa fenêtre
aussi longtemps,
pensive,
absorbée,
hors de soi
sans quelque motif
d’inquiétude.
Je regardais
tes longs cils bleus
lissés de khôl,
je les croyais enduits
du givre d’un hiver proche.
Mais l’hiver
n’était-il simplement
en toi,
avec son gel,
sa froidure,
sans même que ta conscience
pût s’enquérir
du ténébreux motif
qui l’installait
en cette basse saison ?
Etais-tu parvenue
à une sorte d’étiage
qui t’abandonnait là,
au seuil d’un illisible futur ?
Ainsi sont les frêles esquifs
qui flottent indéfiniment
sur les eaux grises
des lagunes,
que personne ne voit,
ils sont trop seuls
et leur solitude
ne projette nulle ombre
sur le monde,
juste un balancement
pareil au souci logé
au cœur de l’indicible.
Tes lèvres,
le beau motif
de tes lèvres,
j’en devinais le dessin,
ces deux éminences souples
que fardait,
dans la discrétion,
un rouge assagi,
une teinte rose-thé
qui semblait si bien convenir
à ta venue en présence,
le vol à peine marqué
d’un argus
dans l’indécision de l’aube.
Et ce cou, si long,
il me paraissait infini
comme le sont les voluptés
longuement attendues.
Il jouait avec les ombres,
se teintait tantôt de corail,
tantôt de bleuet
ou de pervenche.
Indiquait-il la variation
de ton humeur,
un rai de plaisir
que voilait, aussitôt,
l’ombre portée
d’un chagrin ?
Et ce collier de perles
du plus vif éclat,
un rubis illuminant
son écrin,
était-il le signe
d’une élégance réservée,
d’un désir couvant
sous la cendre ?
Combien,
depuis mon refuge,
ces arbres,
ces touffes de tamaris,
ces lotus qui dépliaient
leurs corolles blanches,
combien je savourais
la délicieuse vision
que tu m’offrais,
certes à ton insu,
mais ma gratitude
n’en était nullement réduite.
Attentive
à la douceur
des choses,
voici le modeste poème
que j’ai écrit
au titre de ce qui fut,
qui, jamais,
ne s’est reproduit.
Tous les jours
je visite ta rue,
interroge tes volets
sagement repliés,
le voile de tes rideaux
qui, parfois,
flottent au vent
dans l’air semé
d’effluves printaniers.
Jamais je n’ai eu le loisir
de contempler à nouveau
ton si beau profil.
Il se perd aujourd’hui
parmi les caprices
de ma mémoire.
Je te sais là, cependant,
dans cette maison
au crépi jaune,
à la haute façade,
au simple balcon de bois.
Tu es la scansion
de mon temps,
l’intervalle
qui n’en cesse
de finir,
suspendu entre
chaque seconde,
ourlant les heures
de mystérieuses arabesques.
De réalité,
tu n’auras plus
que celle
de ces quelques mots
griffonnés à la hâte
sur mes feuilles blanches.
Tu seras mot toi-même,
tu sais ce mot
indéfinissable,
unique,
dont rêve tout poète,
ce mot qui, à lui seul,
résumerait
le tout du monde
et il n’y aurait
plus rien à dire.
Non,
plus
rien
à
dire !