Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 décembre 2020 4 17 /12 /décembre /2020 09:44
Être si près du Néant

***

 

   Ici, nous allons parler de l’impuissance d’être, de l’impossibilité native de parvenir au bout de notre propre condition, de nous dépasser pour nous connaître en totalité, d’assumer notre essence jusqu’à obtenir notre parfaite transparence. Oui, toujours certaines zones se soustraient à notre conscience, elles sont hors de portée d’une vue nécessairement trop courte. L’homme d’aujourd’hui déploie de puissants télescopes qui explorent le fin fond de l’univers mais il demeure sur le seuil de son être, incapable d’en assumer le subtil rayonnement, de s’immerger dans sa nappe de fulgurante lumière. L’être est ceci qui nous fait tenir au-dessus de nous, nous projette en direction de notre destin, assure notre assomption une coudée au-dessus des accidents terrestres, des orages célestes, mais malgré cette puissante énergie qui nous habite de l’intérieur, nous paraissons harassés par la simple tâche de nous découvrir plus avant. Sans doute existe-t-il chez tout un chacun une angoisse fondatrice d’une procrastination, nous demeurons en nous pareils à la bernique soudée à son rocher, atteints d’une étrange surdi-mutité.

   Est-ce au motif qu’être est toujours une vive brûlure, que s’assumer ontologiquement est, pour nous, de l’ordre d’une impossibilité ? Mais pour quelle raison obscure sommes-nous continuellement assaillis de doute quant à l’exister alors même que nous avons tous les motifs, partant de nous et revenant à nous, de découvrir notre lieu, notre temps, la niche que nous y creusons, qui est singulière, attribuée seulement à nous en notre visage non-duplicable ? Quelle est la nature de cet empêchement dont l’impuissance est toujours la résultante la plus commune ? Serions-nous effrayés à la seule idée de procéder à l’emplissement de notre conscience de manière à effacer les ombres, à ouvrir des clairières de lumineuses figures ? Il y a quelque chose qui nous retient en arrière de nous, nous intime de faire du sur-place, de demeurer au plus près de notre corps (cette geôle), de notre esprit (ce feu vite éteint), de notre âme (ce souffle déjà au loin de nous si nous prenons la peine d’en évoquer la consistance de brume).

   Mais théoriser à l’infini ne ferait qu’ajouter un concept nébuleux à un autre concept en forme de mirage et, bien plutôt que de nous éclairer, ceci nous conduirait à la confusion qui, déjà d’elle-même, est un fardeau lourd à porter. Que nous reste-t-il à faire dans notre silhouette d’homme, sinon à avancer, parfois d’un pas sûr, le plus souvent d’un pas hésitant, de mettre nos pieds aujourd’hui dans la trace d’hier plutôt que de celle que nous aurions pu inventer demain, rassurés par la reconduction à l’identique de nos habitudes qui façonnent notre sculpture toujours de la même manière, si bien que, pris dans cette répétition, les jours glissent sous nos pas sans que nous puissions en sentir la curieuse présence, l’écoulement continu dont le trépas est le geste final, le point d’orgue.

   Placer un Sujet en tant que référence. Disons, afin de le doter d’une valeur aussi bien originelle qu’universelle, que nous considèrerons à partir de maintenant un prototype humain que nous nommerons Adam. Nous prendrons soin de repérer, dans son parcours existentiel, les différentes entraves qui, le plus souvent, le retiennent d’être, l’aliènent et lui ôtent cette belle puissance à laquelle il aurait pu prétendre s’il avait trouvé, en soi, les chemins pour parvenir à une plus haute destinée. Disons qu’Adam est journaliste et qu’en raison de cet attribut il est amené à parcourir le monde pour y prélever des paysages, y rencontrer des personnes, y découvrir des mœurs spécifiques et, méditant tout ceci, en faire une synthèse, dont ses chroniques seront la mise en scène finale. Le Lecteur, la Lectrice se douteront que tous ces voyages ne constitueront nullement le berceau d’un ‘long fleuve tranquille’, que les mille événements d’une vie interfèreront nécessairement avec le présupposé de valeurs définies comme essentielles, joueront avec des postures esthétiques ou bien morales pour la simple raison qu’Adam, tout comme vous, tout comme moi, ne saurait s’abstraire du milieu dans lequel il vit, qui se donne à la manière d’un subtil écosystème. En modifier l’un des éléments bouleverse toute l’économie de l’ensemble, chaque pièce du puzzle demeurant conditionnée par les autres.

   

   Impuissance quant au temps

 

   Qu’Adam ne parvienne que partiellement à maîtriser son propre temps n’étonnera personne. Le temps le traverse tout comme il le franchit d’où il résulte que, sans distance par rapport à ce qui le constitue, il lui soit difficile, sinon impossible de démêler fils de chaîne et fils de trame qui tissent la toile de toute existence. Avoir un problème avec le temps est aussi naturel que de rencontrer des difficultés avec la communauté de ses semblables. Ceci est coalescent au destin humain. Cependant ce qui crée un réel souci à Adam, c’est qu’il ne parvient nullement à saisir son propre temps intérieur. Que l’extérieur lui soit inaccessible, peu lui importe. Mais que ce qui l’anime intimement lui échappe, ceci est constitutif d’une sourde angoisse qui l’habite à bas bruit, dont il ne peut percevoir que l’itératif bourdonnement à défaut d’en pouvoir interrompre le flux incessant. Mais si ce temps de dérobade est toujours une esquisse au loin d’Adam, s’il ne saurait en dire ni l’alpha ni l’oméga, cependant il lui est loisible de décrire les symptômes qui se manifestent à l’aune de cette dépossession. Il y a en lui une manière de tremblement dont il pense qu’il pourrait simplement trouver son explication dans un genre d’écho de la temporalité même. Comme si, à chaque seconde qui passait, une fibre de son corps s’en allait, une pensée fuyait qui jamais ne reviendrait, une émotion se dissolvait dans la trame abîmée de la mémoire. Autrement dit un sentiment de dépossession. S’appartenir en propre mais par défaut, une mystérieuse activité de sape se déroulant dans la crypte sombre de l’inconscient. L’impression des choses en leur fugitive présence. Un château de sable travaillé par une langue d’eau qui en sape la base d’une façon consciencieuse, déterminée.

 

   Impuissance quant à l’espace

 

   Le métier d’Adam suppose de nombreux voyages. A peine a-t-il défait sa valise, de retour chez lui, qu’il doit aussitôt la disposer à de nouvelles aventures. Un incessant va-et-vient pareil au flux et au reflux de la marée. Adam s’en offusque-t-il ? Nullement. Cette vie ultra-nomadique, il l’a choisie en conscience, aussi ne lui adressera-t-il aucun grief. Bien au contraire son existence même se confond avec ce rythme soutenu qui le conduit sur tous les continents, lui fait côtoyer toutes les couleurs de peau, lui fait franchir toutes les latitudes, aussi bien connaître le froid boréal que la touffeur équatoriale. Est-il heureux de ces constants périples ? Il ne saurait vraiment répondre à cette question qu’à nous livrer sa vie de surface que l’on pourrait comparer à une terre superficielle recouvrant des milliers de strates souterraines. Où donc se situe le lieu de la vérité d’Adam ? En surface ? En profondeur ? Nous dirons en profondeur, dont la surface n’est qu’un lointain et pâle reflet. Si tout lui paraît aller de soi dans le vaste monde dont il parcourt incessamment les contrées, rien ne le réconforte cependant lorsqu’il fouille les choses, les interroge afin de savoir quels sont les fondements de tel peuple, ses origines, les sources qui l’alimentent, les motivations existentielles qui en résultent. Le schéma qu’il applique au monde, il se l’applique à lui-même de façon à mieux se connaître, se percevoir, instiller en son âme quelque certitude le confiant à la paix, au repos. Adam, à lui tout seul, est un peuple, à l’image de tout un chacun. Peuple de mots, de souvenirs, de climatiques, de sensations.

   En son fond, tout comme le temps demeurait inaccompli, l’espace d’Adam apparaît fragmenté, fracturé. Il est fait de milliers de pièces dont, le plus souvent, il ne parvient nullement à assembler le divers. Si bien qu’il vit un genre d’éparpillement continuel dont une pluie d’orage pourrait bien figurer la métaphore la plus approchante. Peuple multiple des gouttes venues du ciel en leur simple unité, qui se dispersent au sol en une myriade d’éclaboussures, de filets, de minces ruissellements. En lui, ce pluriel, cet éclatement, cette diaspora.  Plus rien ne subsiste de sa forme antérieure qui conservait encore le souvenir de sa provenance. Parlant des gouttes du ciel en leur confusion, en réalité, je n’ai fait que parler d’Adam, de sa dispersion selon mille méridiens, mille tropiques. Et surtout, Lecteur, Lectrice qui rêvez de voyages sous tous les horizons de la Terre, n’allez nullement croire que le fait de se déplacer continûment soit en mesure de vous apporter quelque félicité que ce soit. L’homme en sa foncière aventure, s’il peut connaître l’ivresse de l’immersion dans le versatile, l’ondoyant, le bigarré, n’en demeure pas moins cette recherche d’unité qui doit synthétiser la pluralité des événements pour la ramener à une unité singulière.

   Ce qui est à saisir, dans le problème d’Adam quant à l’espace, c’est moins une périodique désorientation relative aux décalages horaires, aux confrontations de peuples dissemblables, aux langues-caméléon, aux us et coutumes étranges, insolites. Ceci est simplement de l’ordre du formel. Adam, en sa psyché, est confronté à un réel vertige métaphysique. C'est-à-dire qu’une partie de son être se situe au loin dont il pense qu’il ne pourra jamais rejoindre le territoire devenu mystérieux, hors d’atteinte. C’est tout de même éprouvant pour l’individu de sentir cette presqu’île anatomique et sensorielle qui flotte au large de soi, d’éprouver cette impuissance constitutionnelle, de s’apercevoir comme un élément en voie de constitution qui, jamais, ne pourra parvenir au terme d’une finalité qui eût été ‘logique’. Bien moins que des territoires abandonnés ici ou là, la Finlande et ses lacs, l’Australie et son bush, les Etats -unis et leur Colorado, ce sont des bribes de son propre Soi qui essaiment la planète, qui girent au-delà, qui clignotent telles des étoiles perdues dans la nuit de l’immémorial cosmos.

   Ce qu’Adam abandonne dans ses périples, un ravissement esthétique, le bonheur d’une rencontre, l’ébauche d’un amour, l’émotion face à une œuvre d’art, la vibration d’une mélodie, le sublime d’un paysage. Car ces ‘impressions’ bien plus que d’être de simples contingences, de purs hasards vite oubliés, sont constitutives de l’être, dessinent son architecture interne, tracent la voie selon laquelle s‘orienter dans la vie et ne nullement désespérer. Mais qui donc n’a jamais éprouvé ce sentiment de dépossession lorsque, quittant un lieu affectivement investi, des amis rencontrés, n’éprouve, à ne plus les inscrire dans son champ de vision, un léger pincement au cœur ? Ces légères blessures on les pense vite oubliées alors qu’elles continuent de produire leur manque en quelque endroit secret du corps, au foyer même de l’âme.

 

   Quelques figures de l’impuissance

   

   *** Sisyphe

 

    Rien ne saurait être plus éclairant concernant l’incapacité humaine à atteindre ses buts que de citer l’extrait suivant du ‘Mythe de Sisyphe’ d’Albert Camus :

   "Les mythes sont faits pour que l’imagination les anime. Pour celui-ci, on voit l’effort d’un corps tendu pour soulever l’énorme pierre, la rouler et l’aider à gravir une pente cent fois recommencée ; on voit le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d’une épaule qui reçoit la masse couverte de glaise, d’un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré par l’espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d’où il faudra la remonter vers les sommets."

   Commentaires - Dès le début de sa réflexion, Camus développe essentiellement un concept anatomo-physiologique qui évacue l’âme au profit du corps. Ses expressions sont la douleur physique même mise en mots. Puis, vers la fin, s’opère une ouverture par laquelle sont convoqués (comme dans l’article plus haut) les notions cardinales d’espace et de temps au gré desquelles seulement quelque chose comme un monde peut apparaître à notre conscience. ‘L’espace sans ciel’ fait l’économie cinglante de toute idée de transcendance. ‘Le temps sans profondeur’ élimine d’emblée l’idée d’un quelconque retour en direction du passé. Une abolition de la mémoire qui abandonne le Sujet en un territoire nu dont, immédiatement, toutes les significations ont été ôtées. Quant au dévalement final de la pierre ‘vers  ce monde inférieur’, il est la diction confondante de l’Absurde en son visage le plus investi de Néant qui se puisse concevoir.

    Addendum

   Ce très beau poème glané sur le Net, source : ‘Les soupirs de la Muse’, complètera très utilement la saisie adéquate de la tragédie de Sisyphe, laquelle est renforcée par l’aveuglement qui est le sien dont on peut penser qu’il constitue un redoublement du Mal. Non seulement Sisyphe est condamné à effectuer une tâche absurde, mais il n’en connaît nullement l’origine :

 

« L’inconscience de Sisyphe »

 

« Les dieux sont morts, mais Sisyphe l’ignore

Roulant son rocher du soir à l’aurore

Ecrasé, balafré et mutilé

Par son destin ridicule appelé.

Couvert de sang et de sueur dans l’ombre,

Il ravit le mont, travailleur sombre

Dont l’employeur est sinistre et absent,

Sans gémir, puissant et impuissant,

Regardant son fardeau granitique,

Ne regardant ni le ciel antique

Traversé de fantastiques lueurs,

Ni le désert comme lui en sueur,

Avec des oasis au visage,

Qui s’étend, inexorable passage

Infini, ne conduisant nulle part.

 

Sisyphe poursuit, obstiné, hagard,

Son œuvre devenue deux fois inutile,

Dont nul Thésée ne parvient à sortir,

Et qu’il veut dans le Tartare bâtir. »

 

   *** Balthazar Claës

 

   Dans son roman ‘La recherche de l’absolu’, Balzac campe le personnage de Balthazar Claës dont Wikipédia nous dit :

   « Balthazar Claës, homme riche et cultivé, mène la vie heureuse d’un grand bourgeois flamand (…) Balthazar est pris par le démon de la recherche. Saisi d’une véritable fièvre, il passe de coûteuses commandes de produits chimiques, s’enferme dans son laboratoire de chimie avec son valet, néglige sa femme et ses quatre enfants et conduit sa famille à la ruine. L’intrigue oppose la famille et le dévouement filial à la recherche obsessionnelle du savant, toujours sur le point de trouver « l’absolu » et toujours échouant, jusqu’à sa mort. »

   Extrait du livre :

   « Le jour où il eut achevé la série de ses travaux, le sentiment de son impuissance l’écrasa : la certitude d’avoir infructueusement dissipé des sommes considérables le désespéra. Ce fut une épouvantable catastrophe. Il quitta son grenier, descendit lentement au parloir, vint se jeter dans une bergère au milieu de ses enfants, et y demeura pendant quelques instants, comme mort, sans répondre aux questions dont l’accablait sa femme ; les larmes le gagnèrent, il se sauva dans son appartement pour ne pas donner de témoins à sa douleur. »

   Commentaires - Tel Sisyphe poussant sans but précis sa pierre tout en haut de la montagne, Balthazar Claës est écrasé par un destin dont il ne pouvait se douter au début de ses travaux de recherche qu’il lui serait aussi funeste. Le style réaliste hyperbolique de Balzac (‘une épouvantable catastrophe’) joue le rôle d’une caisse de résonance amplificatrice du désespoir. Non seulement ce Bourgeois ne pourra voir ses travaux couronnés de succès au motif que, jamais, l’absolu ne peut être atteint, mais tout ceci n’a abouti qu’à l’aporie existentielle la plus entière, il est ruiné, sa femme est accablée et il ne se donne à voir, aux yeux de sa famille, qu’à la manière d’un ‘mort’. On ne saurait trouver chute balzacienne plus tragique !  Ici l’impuissance s’est métamorphosée en finitude.

 

   *** Faust

  

    Résumé. Source : ‘Tout Comment’ :

   « Le mythe de Faust est l'histoire fictive d'un savant alchimiste qui a passé un pacte avec le Diable. Il donna son âme pour avoir la connaissance universelle, percer les mystères du monde et jouir de tous les plaisirs défendus. »

   Autre approche subtile : ‘Faust de Goethe : Surhomme et esprit de néant’ - Source : PHILLIT PHILOSOPHIE, LITTÉRATURE ET CINÉMA :

     « C’est l’orgueil de Faust qui est à l’origine de son mal. En n’acceptant pas les limites que lui impose sa condition, en voulant les dépasser dans une « nature surhumaine », en cherchant à se faire l’égal de Dieu, le misérable docteur ménage en son sein une place pour le mal. » « Suis-je moi-même un dieu ? », s’interroge-t-il. Ce questionnement est problématique et renvoie à une thématique qui traverse l’ensemble de la littérature romantique : le Surhomme. En effet, Faust cède à la tentation de l’homme-Dieu. Créature arrogante, il veut être l’égal de ce dont il provient. Il a pour ambition de contenir en lui-même l’univers entier, de le porter et de le féconder. Déçu par le silence que lui impose l’esprit du macrocosme, il va s’incliner vers l’esprit de la terre. En se détournant de la positivité de la transcendance, Faust va se complaire dans la négativité de l’immanence. »

   Commentaires - Si une gradation théorique peut exister quant aux niveaux que la notion d’impuissance pourrait atteindre, alors ici, avec Faust, la limite supérieure indépassable est acquise. Si les deux figures évoquées précédemment, Sisyphe et Claës s’étaient illustrés sous la forme d’hommes voués à une sorte de torpeur, d’inhibition constitutionnelles, c’était en quelque sorte malgré eux, en toute innocence et inconscience qu’ils s’étaient livrés aux affres de la dépossession ultime de soi. Ils avaient rêvé, comme le font les enfants qui, un jour, voient les merveilleux jouets se distraire de leurs mains et s’évanouir à l’horizon de l’inaccompli. Tout à l’opposé, le Docteur Faust s’est jeté librement dans les bras de Méphistophélès, marquant au fer rouge l’empreinte de son destin, tel que le précise François Ost dans ‘Le pacte faustien ou les avatars de la liberté’ - Presses de l’Université Saint-Louis :

   « C’est librement que Faust a conjuré le diable, contracté et exécuté le pacte ; c’est librement qu’il s’est ainsi déterminé pour le mal. Ceci dit, il est vrai que, une fois cette décision prise, l’influence du Diable fut déterminante et ne cessa de l’aliéner davantage. Lucifer lui faisait miroiter des rêves de puissance, il le dissuadait de toute velléité de se détourner du pacte, et le faisait progressivement désespérer de la miséricorde divine. »

    Si quelque chose comme un concept de l’impuissance peut exister, alors Faust l’accomplit en entier, outrepassant les expériences conjuguées de Sisyphe-Claës. Comme si Faust, livré corps et âme à une nature qui le dépasse mais dont il assume la charge, type mégalo-paranoïde, constamment débordé par ses pulsions surhumaines, voulait être soi en soi, au-dehors de soi. Démiurge auto-proclamé, intégrant l’image de Zarathoustra afin de mieux la dépasser, incroyable saut métamorphique de l’Homme au Surhomme, défi inouï d’une existence immanente dont il ne supporte plus la sombre contingence, essai de se déployer à même la transcendance, sinon de surgir dans le Transcendant avec lequel se confondre dans un unique creuset, une absence totale de différenciation.

    Certes tous ces essais de dépassement de la condition humaine en direction de ce qui ne saurait jamais être atteint semblent pointer les insuffisances humaines et seulement ces dernières. Mais considérer la figure trinitaire Sisyphe-Claës-Faust à cette aune d’ample négativité est l’amputer de sa sève la plus efficiente qui soit, la plus remarquable, la plus ouverte. Au travers de ces trois portraits ‘humains plus qu’humains’, ce qu’il convient de voir avant tout, c’est l’effort de l’art tentant d’assurer sa propre transcendance. C’est en ceci que le personnage mythologique de Sisyphe, les figures littéraires de Claës-Faust ici proposées atteignent une inestimable grandeur. Toute impuissance, en son essence, ne fait que témoigner de son envers, cette magnifique puissance créatrice qui est la marque des génies. Impuissance de surface, puissance interne. Autrement dit beauté.

    

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher