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30 décembre 2020 3 30 /12 /décembre /2020 09:22
Le retournement du monde

Source : POTION

 

***

 

     « Puis vient le jour des révélations de l'Apocalypse, où l'on comprend qu'on est maudit, et misérable, et aveugle, et nu et alors, fantôme funeste et dolent, il ne reste qu'à traverser les cauchemars de cette vie en claquant des dents. »

 

‘Sur la route’ - Jack Kerouac

 

*

 

   Bien que ceci soit difficile à concevoir, que ceci apparaisse sous les espèces d’une pure fiction ou bien d’une fantaisie de l’imaginaire, ce qui est à voir, ceci : Adam (son nom est original, sinon originel) avance sur une portion de terre étroite, un genre de piton suspendu au-dessus du vide, sorte de plateau de l’Altiplano duquel l’on aurait soustrait, comme par un coup de baguette magique, aussi bien les crêtes montagneuses, que les cônes fumants des volcans, aussi bien l’étendue fixe et immuable du désert, duquel l’on aurait fait disparaître les croûtes de sel étincelantes du Salar de Coipasa. En réalité, il ne demeure à peu près rien du visage ancien de cette haute terre que même les vigognes à la laine onctueuse ne parcourent plus de leurs pas légers. Autrement dit le terrain d’aventures que foulent les pieds d’Adam s’est réduit à la dimension d’une peau de chagrin dont on ne pourrait revêtir, en s’appliquant à la tâche, que le plus minuscule des ouvrages du monde de jadis. Oui, Lecteur, Lectrice, ne vous étonnez pas de mon étrange formulation de ‘monde de jadis’. Pour vous, je suppose, du moins dans le luxe de votre matière grise, sans doute avez-vous conçu le monde telle cette vastitude habitée d’éternité. Eh bien, s’il en est ainsi, vous vous trompez et peu s’en faudrait que vous ne demeuriez dans votre ignorance si ce bon Adam, dont maintenant vous allez entendre l’histoire, ne contribuait à déciller votre vue, à la rendre plus objective sinon tragique car les nouvelles d’ici sont, pour le moins, inquiétantes.

 

Histoire d’Adam

 

     Comme tout le monde, Adam était né d’un père et d’une mère aimants qui avaient veillé à sa plus stricte éducation, inculquant en son jeune esprit, ici la valeur de l’amitié, là le respect du vivant sous toutes ses formes, là encore les motifs d’une disposition heureuse vis-à-vis de cette Terre qui était son berceau, dont il devait assurer le destin de la plus belle manière qui fût. Adam dont l’amour filial était exemplaire, droit et juste, avait avancé dans la vie de manière adéquate, semant le bien autour de lui, récoltant les approbations de ses coreligionnaires. Adam était apprécié, tout comme il était disposé à répandre, dans son immédiate proximité, les lianes d’une exacte relation. Donc tout allait de soi « dans le meilleur des mondes possibles », comme l’affirmait le Philosophe Leibniz dans ses ‘ Essais de Théodicée’. Pour notre héros, le problème du Mal ne pouvait résulter que d’un excès d’imagination des hommes. Mais qui donc, sur la ‘Planète bleue’ pouvait tirer des plans sur la comète pour nuire à autrui ? Bien évidemment vous aurez deviné la posture pour le moins candide de sa jeune existence.

   Malheureusement, la suite des événements devait infirmer les certitudes de notre Optimiste. Bien avant que son âge adulte ne soit atteint, Adam devait faire l’expérience de quelques vices humains sous les espèces de la fourberie, du mensonge, de l’infidélité, de l’égoïsme, bien entendu cette liste n’étant nullement exhaustive. Vous dire que ces révélations de l’existence d’une âme humaine perverse l’affectèrent serait peu exprimer. A la toute fin de son adolescence, il passa par des épisodes si sombres qu’il croyait venue sa nuit définitive. Mais une certaine rectitude naturelle lui fit redresser la tête et il poursuivit son cheminement cahin-caha, comme tous les humains, tâchant autant que possible d’éviter de chuter de Charybde en Scylla.

   Mais faisons un grand saut dans le temps et portons-nous dans l’âge adulte d’Adam, celui que, par convention, l’on nomme ‘force de l’âge’. Vous vous apercevrez vite que cette supposée ‘force’ est atteinte en son plein, qu’elle ne peut que décliner, consentir à sa propre perte et s’incliner vers la lueur à peine visible d’une hespérie. Ainsi meurent toutes choses qui, un jour, ont commencé ! Constater ceci au cours d’une conversation entre amis autour d’un verre de vin et en accepter la vérité, deux postures opposées, la Vie, la Mort, qui peuvent se résumer en tant qu’affrontement du Principe de plaisir et de celui de réalité. Certes, nous voudrions ne connaître que des aubes claires et ignorer les angoisses crépusculaires. Mais avons-nous le choix ? La réponse est dans la question même.

   Donc Adam parcourt ce qui reste de l’Altiplano, ce genre de désolation, cette manière de croûte de pain que la mie a désertée. C’est bien le creux, le vide, le rien qui s’annoncent à lui et le contraignent à mesurer l’amplitude de ses pas, à en diminuer la foulée et la consistance, de peur qu’une soudaine pression ne vienne le précipiter dans le premier abîme venu. Lecteur, Lectrice, avez-vous mesuré la fosse abyssale qui sépare Adam-en-sa-jeunesse et Adam-en-sa-maturité ? Ce malheureux Adam est condamné au grand écart, comme si l’une de ses jambes se situait sur un mont éloigné, alors que son autre jambe reposerait sur le vestige de ce sol lunaire, à quelques lieues de distance. En quelque sorte un écartèlement digne d’un Ravaillac. Autant dire la déchirure qui traverse son être, corps archipélagique dont aucune partie ne semble reliée à une autre. Morcellement du corps, comme chez le schizophrène qui ne sait jamais où il habite. Un fragment ici, lourd, compact, opaque, un autre fragment au loin, aux confins de l’éther, une buée flottant au large de la conscience.

   Et, croyez-moi bien, je ne force pas le trait, je ne noircis nullement la scène, je me tiens au plus près de cette réalité qui sonne le glas de l’humain, le cloue à même sa propre effigie, comme autrefois on clouait les chouettes sur les portes des masures pour effrayer les braves gens. Quand je vous le disais (par la bouche d’Adam, certes) que l’humaine condition est badigeonnée de ténèbres, que la lumière y figure cependant, mais comme dans la cage d’une lampe-tempête, la flamme est fuyante qui, à chaque instant, peut connaître sa fin ! Et ceci, cette assertion ne consiste pas à jouer les Cassandre. Regardez donc autour de vous voler ces nuées de suie, planer ces compagnies de lugubres freux, ils sont les postes avancés de la Mort, ils viennent à nous afin de nous rendre lucides, de nous incliner à plus de modestie.

   Mais, tout comme Adam, entendez-vous résonner dans les hauteurs de l’éther cette voix tout droit sortie du Néant ? Si vous l’entendez c’est que votre présence est ‘pour le moment’ assurée sur cette Terre dont, bientôt, nul n’en doute, vous allez vous absenter définitivement pour rejoindre qui sait quelle étrange contrée. Cette voix dont chacun eût pu supputer la provenance divine au motif qu’elle envahit la vaste contrée du ciel, n’est ni celle de Dieu, ni celle d’un supposé démiurge, pas plus qu’elle n’est la profération d’un céleste aruspice, d’un Simon prêchant dans le désert. Non cette voix se hisse de sa provenance propre en direction de ceux qui furent présents ici et maintenant, dont ne subsiste plus qu’une vague lueur perdue dans la faille du lointain horizon. Car, Vous que j’interroge, Moi qui écris, ne sommes plus que de tremblantes mémoires perdues aux illisibles confins du temps, des consciences érodées, d’illusoires affections aussi réelles que le sont les momies dans leur lit de bandelettes. Adam SEUL a pu résister à la tempête métaphysique qui a moissonné toutes les têtes hormis la sienne, sans doute en raison même de son appartenance à l’Origine. Nous ne sommes que des témoins de l’inutile, des Voyeurs d’apories.

 

   Du Décalogue, la vive trahison

 

   Donc cette mystérieuse voix sans origine ni fin, cette voix sans lieu ni temps, énonçait tout le jour durant de simples injonctions dont le Lecteur, la Lectrice comprendront qu’il s’agit, tout simplement, de variations des thèmes abordés dans le Décalogue. Ici, pour l’Homme, afin que son destin ne soit nullement une errance parmi tant d’autres, une éthique est souhaitée, seule à même de pouvoir tracer devant lui ce chemin de lumière en dehors duquel aucun salut ne saurait s’annoncer. Ce qui est en question à partir d’ici, énoncer les ‘Commandements’ et interroger l’attitude de l’Homme par rapport à ces paroles de sagesse. Remarque en passant qui se déduit tout naturellement de l’histoire d’Adam : lui qui a été le premier, initiant le parcours humain, devient le dernier, celui qui, par sa probité au regard des paroles essentielles, méritait que son existence fût prolongée le plus longtemps possible. Au travers des commentaires qui émailleront la suite de l’histoire, transparaîtra dans l’évidence, l’esquisse d’Adam, SEUL parmi les hommes à avoir tenu aussi longtemps que possible les promesses faites au ‘Décalogue’. Face aux Commandements Originels, tout homme est faillible, infiniment faillible.

  

   « Tu respecteras la Terre qui porte tes pas »

 

      Au début, au tout début, alors que la Terre conservait en son sein la naturelle félicité du Paradis, les Hommes s’étaient comportés à son égard comme le fait l’Amant vis-à-vis de l’Amante. Les arbres étaient honorés telles des divinités, les fleurs étaient saluées comme des témoignages de la beauté, les prés étaient vénérés pour la simple raison qu’ils portaient la fierté des troupeaux, leur écume de laine blanche. Un air bucolique nappait les têtes des Promeneurs d’une douceur infinie dont la vie pastorale était la manifestation la plus accomplie qui fût. Puis la façon d’exister des Hommes s’était lassée de cette morne répétition. Les arbres cachaient d’autres arbres, les fleurs s’épanouissaient en milliers de bouquets dont nul ne humait plus la subtile fragrance, les prés déroulaient à l’infini leurs plaines de chlorophylle dont on ne percevait plus la teinte d’émeraude. Ce qui, en réalité, apparaissait comme tressant la nature humaine, une hâte à tout connaître qui avait pour inévitable corollaire de faire naître un vif sentiment de lassitude. Certes le Terre était la Terre avec tous ses phénomènes aussi fastueux les uns que les autres, mais un faste recouvrant le précédent, c’est de leur effacement dont il était question.

   Il devenait urgent d’innover. Alors, ce que la surface offrait à profusion ayant été expérimenté, il ne restait plus que de devenir ces fiévreux archéologues dont le rêve était de fouiller le sol jusqu’en ses moindres recoins. Sans doute de prestigieuses gemmes se dissimulaient-elles dans les veines d’argile. Il convenait de les extraire de leur gangue, d’en tailler les facettes brillantes, d’en faire des parures destinées à orner le cou des Belles. On se mit en devoir de creuser, d’ouvrir mines et carrières dans lesquelles les Hommes devaient connaître la misère de leurs conditions. Quelques uns, rares, s’enrichissaient sur le dos de pauvres diables, nombreux, qui ne recevaient pour unique salaire qu’une vague reconnaissance ourlée de la plus vive avidité qui se pût imaginer.

   Ainsi la Terre saignait-elle sous la lumière aveuglante du jour, perdait-elle ses eaux en plein ciel, douloureuse parturiente qui ne pouvait qu’assister à son propre désastre avec la conscience poncée à vif par tant de désinvolture, mais aussi de hargne gratuite déployée par ses bourreaux. Les richesses se nommaient charbon, pétrole, métaux rares, cornaline, chrysocolle, obsidienne, de si beaux noms pour un pillage qui ne voulait dire son être. Ainsi asséchée de ses plus nobles substances, la Terre avait l’allure sinistre d’un gant de peau que l’on aurait retourné, prenant acte de ses déchirures, de ses plaies, de ses usures. La Terre qui, en son essence la plus probable, ne pouvait que vivre sous le sceau de l’éternité, la voici contrainte à accepter ses mortelles blessures, à envisager sa propre fin.

 

    « Tu seras plein d’égards vis-à-vis de la source d’eau »

 

   Bien évidemment il serait fastidieux, à chaque fois, pour tel ou tel ‘Commandement’ de se livrer à décrire sa genèse. On retiendra seulement, en guise de rapide synthèse, cette formulation populaire éclairante : « Tout nouveau, tout beau ». Le dernier présent reçu efface par son effet de surprise tous ceux qui le précèdent. L’Homme en sa naturelle prestance est un joyeux fossoyeur ! Cependant, prenant conscience de ce fait, il ne s’en offusque nullement, préférant répliquer aux objurgations des Cassandre et autres empêcheurs de tourner en rond, la formule habile qui sonne comme une apodicticité : ‘C’est la vie !’, s’exonérant en ceci de verser davantage de pièces au dossier de leur procès.

   Donc l’eau, ils en avaient apprécié la douceur de source, ils en avaient fait leurs ablutions, ils l’avaient reçue en tant que l’eau lustrale de leurs baptêmes, ils avaient irrigué leurs champs, l’avaient entendu chanter dans la gorge profonde des acequias, dans la rumeur verte des oasis, sur les pentes aiguës des cascades. Mais ils l’avaient vite tachée en raison même de leurs fébriles activités. Les fleuves et rivières, les moindres trous d’eau disséminés dans la profondeur des campagnes, ils en avaient fait des cloaques où croupissait une matière noire indéfinissable qui n’avait plus nul souvenir de sa forme originelle.

   L’eau, ils l’avaient gaspillée, emplissant les bassins de leurs vastes piscines, arrosant inconsidérément les pelouses des golfs, y compris en plein désert, ils l’avaient méprisée tout au long de leurs douches sans fin alors qu’une rapide toilette eût été amplement suffisante. Souvenir de nos aïeux qui se toilettaient à l’eau claire de la pompe à la belle saison, nus devant un feu de cheminée en hiver, les pieds immergés dans une bassine d’eau tiède. Les défenseurs de la douche pléthorique : « Autres temps, autres mœurs » et la cause étant entendue, il revient aux conseilleurs de rejoindre leur tub antique, on peut toujours se baigner dans une coquille de noix !

 

    « Tu ne noirciras point le Ciel de tes funestes desseins »

 

      La fin de ce Commandement eût pu aussi bien s’écrire de cette manière « de tes funestes dessins », dont tout le monde aura compris que les dessins des Hommes sont ces infinies et toujours renouvelés traces des fumées qui badigeonnent le ciel de leur outrancière pollution, de ces chapelets de vapeur blanche que sèment derrière eux les voyages intercontinentaux. Le ciel, il faudrait le nettoyer de toutes ses scories, faire le ménage, le vider de tous les objets spatiaux qui en obèrent la pureté. Mais quelqu’un encore, sur Terre, lève-t-il les yeux en direction du grand dôme bleu pour y lire quelque présage, y décrypter les inscriptions de l’imaginaire, y retrouver les traces de la sublime poésie ?

   Ces ciels divinement dressés par les Peintres Impressionnistes, ces grappes de nuages blancs à la Eugène Boudin, ces bleus subtils traversés de touches à la consistance de talc de Claude Monet, ces ciels semés d’étoiles de Vincent Van Gogh, parlent-ils encore le langage de la beauté en dehors des têtes emplies de mystère des esthètes ? Non, le ciel est devenu une denrée comme une autre, un espace à dompter, à soumettre aux caprices de ceux qui ne voient que par l’économie, les équations, les chiffres. Humanité comptable se superposant à une humanité poétique. Là est bien le signe d’une réelle décadence.

 

   « Tu honoreras la Culture en ses plus belles donations »

 

    Partant de son origine rustique, racinaire, l’Homme avait mis des millénaires à lisser ses manières, à poncer ses aspérités, à amoindrir sa nature limbico-reptilienne afin que, devenu enfin présentable, il pût se confronter avec bonheur à la magnifique carrière de l’esprit. Ses ancêtres avaient inventé l’écriture, ces milliers de signes prodigieux qui traversaient les tablettes d’argile de leurs destins cunéiformes, mais aussi la multiplicité étonnante des langages habitant l’infinie Tour de Babel.  Ils avaient écrit des traités d’astronomie, découvert l’univers abstrait des mathématiques, ils avaient façonné toutes sortes de matériaux, lesquels avaient été amenés à illustrer les habiletés de l’artisanat, ils avaient porté sur les fonts baptismaux de l’exister une infinité de points de vue éblouissants : la perspective Renaissante, le lumineux Siècle des Lumières, ils avaient donné acte à la poésie, à la littérature, à la musique.

   Tout ce qui pouvait l’être à l’aune de l’imaginaire, ils l’avaient porté au faîte de son accomplissement. Tout ceci, ils l’avaient hissé au plus haut des espérances humaines. Tout ceci se nommait, écrites en lettres de feu, ‘Civilisation’, ‘Culture’. Sans doute l’humanité avait-elle atteint en maints stades de son Histoire une manière d’apogée de l’être. Or qui est au zénith ne saurait guère poursuivre son ascension en direction des étoiles. Qui a atteint un sommet, tel le fougueux alpiniste, ne peut que redescendre. Et cette constatation logique, l’humain n’avait voulu la battre en brèche mais, bien au contraire, lui donner ses lettres de noblesse.

   Les péristyles de marbre des Musées et des Bibliothèques ne virent plus, bientôt, que de rares passants franchir le seuil qui communiquait avec les salles où se diffusait la plus belle matière des choses de l’esprit. Seuls de vieux savants aux cheveux devenus chenus à force d’étude, seuls de fiévreux chercheurs d’infini hantaient de leurs silhouettes étiques les vastes salles de lecture. Un silence glacial y régnait, si bien qu’on eût pensé congelées les idées sublimes qui figuraient dans le luxe des pages. Les idées tournaient en rond comme les feuilles dans le vent, les pensées giraient lentement tout en haut de l’éther, dont on supputait qu’elles ne visiteraient plus guère les fronts soucieux des Lettrés.

   La beauté du langage antique avait été supplantée, chez les faiseurs de phrases sophistiques,  par une sorte de mélasse amphigourique, sibylline, dont plus rien ne sortait qu’une vague lueur de catacombe. Certains parmi les humains les plus atteints par cette lourde infirmité n’émettaient plus que des sons confus, des manières de plaintes qu’on eût dites animales, peut-être simples simagrées de primates. Quant aux espaces réservés à l’exposition de l’Art, ils avaient pris la figure d’une salle des pas perdus, telles qu’elles existent dans certaines gares, mais d’une salle ne connaissant plus ni son lieu, ni sa forme, ni sa fonction, vide d’âmes mais non point d’une vive inquiétude.  

   Des toiles jadis célèbres flottaient parmi les poussées de vent, pareilles à ces focs de bateaux que l’on affale lors des tempêtes. Seules quelques mémoires conservaient dans leurs archives les souvenirs des œuvres des Maîtres. On les pensait fous d’idolâtrer de si anciennes et inutiles icônes. Autrement dit il ne demeurait, dans le mystère levé du Monde, que de vagues silhouettes semblables à ces énigmatiques moais de l’Île de Pâques interrogeant le ciel de leurs yeux vides.

 

   « Tu tireras les plus édifiantes leçons de la marche de l’Histoire »

 

   Oui, l’Histoire avec sa Majuscule, conglomérat des petites histoires avec des minuscules, est une grande chose. C’est dans le derme profond de l’Histoire que s’écrit l’unique destin des Hommes. Certes, parfois chaotique, parfois sublimement harmonisé en un brillant cosmos. C’est bien là le sort de qui nous sommes, de pouvoir, tout à la fois, successivement et même parfois simultanément, nous porter aussi bien à la hauteur des étoiles que connaître le bleu de nuit des abysses les plus redoutables. Hommes-caméléons aux prodigieux pouvoirs. Hommes-sépulcres qui, parfois, confondent l’ombre et la lumière. Que ne conservent-ils en eux, au plus intime et au lieu le plus lucide de leur être, ces sublimes constellations qui ont traversé le ciel du temps : la beauté de l’âge Grec en ses œuvres inimitables, la dimension archéologique monumentale de l’ancienne Egypte, les étonnantes créations artistiques des Etrusques, les imposantes et mystérieuses pyramides aztèques, les couleurs hautement décoratives crées par le peuple Minoen ?  

   Malheureusement tout s’efface la plupart du temps pour ne laisser place qu’à de lointains mirages, à d’inaccessibles vestiges, à des ruines qui ne vivent jamais mieux que dans la littérature qui, parfois, célèbre le culte de l’Antique. Et non seulement disparaissent les créations matérielles des hommes, mais aussi bien leur patrimoine mémoriel. Qui, aujourd’hui encore, conserve quelque part dans un tiroir de sa conscience l’image des grands drames qui ont émaillé le parcours de l’humanité : la traite des Noirs, les périodes de famine, les tremblements de terre, les ravages des épidémies, le spectre affreux des guerres, les ténèbres des génocides, Hiroshima, la Shoah et la négation même de l’humain ? Qui, encore de nos jours, porte en lui cette plaie vive ? Trop de plaies se sont vite refermées qui ont mis un point final à ces tragédies. Erreurs toujours recommencées qui font penser que le fameux ‘état de nature’ rousseauiste porte en lui le germe de sa propre destruction. Certes l’on ne peut demeurer les yeux constamment fixés sur le nihilisme dont le caractère foncier traverse l’âme humaine. Ne pas le renier cependant, le laisser en veilleuse dans les coulisses, agir à le mettre en sourdine, autrement dit à éviter qu’il ne commette de nouveaux ses ravages.

 

   « Des Sciences et Techniques tu prélèveras le nécessaire, abandonnant l’idée que ces dernières sont des dieux »

 

    Oui, loin est le temps où l’homme sculptait le bâton qui lui servait à assurer sa marche, où il réalisait lui-même les outils nécessaires à son activité, à la lutte contre son asservissement. De l’homme à ce qui le prolongeait en direction de la maîtrise des choses, il y avait continuité, fluidité d’un seul geste qui unissait l’Existant à son environnement proche. Aujourd’hui l’homme est coupé de son milieu dont il ne prend acte, la plupart du temps, qu’à distance, les moyens modernes de communication médiatisant les termes de la relation, de Celui qui éprouve en conscience, de cela qui ne vit que dans l’inconscience, la chose manufacturée par exemple, l’objet consacré aux loisirs.

   En notre début de III° millénaire le statut de ce qui devrait, en tout état de cause, n’apparaître qu’à la manière de biens facultatifs (les gadgets de toutes sortes, le vaste et inépuisable catalogue consumériste), tout ceci devient l’indispensable et à tel point que la privation de la dernière invention génère toutes sortes de frustrations diverses qui peuvent aller jusqu’à un total sentiment de dépossession, porte ouverte à la dépression et la mélancolie. Trop de nos Contemporains s’aliènent à ces possessions qui sont bien plutôt dépossessions que réel pouvoir de dominer le monde de l’avoir. Truisme que d’énoncer que l’être disparaît au profit de l’avoir. Mais que fait-on pour contrecarrer cet état de choses ? Consomme-t-on moins et avec plus de discernement ? Accorde-t-on plus de place à la culture, à la connaissance, à son propre accomplissement dans l’ordre des idées ?

    Non, le constat est sévère qui témoigne d’un glissement progressif de l’humanité vers ce qui la fascine, cette techno-science à laquelle on prête tous les pouvoirs, sauf celui de nous conduire dans l’étroite geôle du conditionnement, c'est-à-dire créer la perte de notre liberté. Mais qui donc encore, en cette période immensément sécularisée, se risquerait à parler de ‘libre arbitre’, de valeur inestimable de la conscience, d’évolution ou d’intuition créatrice pour employer la belle terminologie de Bergson ? Le conflit éternel Matière/Esprit semble avoir pris son parti d’abandonner celui-ci au profit de celle-là. Partout où il passe, le matérialisme moissonne les têtes et ne laisse qu’un champ de ruines. On prête à Malraux l’assertion suivante : « Le XXI° siècle sera spirituel ou ne sera pas ! ». Assurément, en nombre de ses aspects, le Siècle n’est pas !

 

   « Tu feras de tes relations à l’Autre le lieu d’une fête »

 

   Oui, ce commandement dont l’application paraît si évidente (comment pourrions-nous ignorer la place de nos propres frères ?) devient caduc en raison même de l’individualisme chevillé au corps de nos soi-disant modernes sociétés. L’impératif du ‘chacun pour soi’, érigé en règle cardinale de nos comportements, relègue le phénomène de l’altérité en une lointaine banlieue de l’être, manière d’espace interlope dont nous ne percevons même plus la troublante réalité. De plus en plus l’homme devise avec son ordinateur, son téléphone mobile et le peuple des villes déambule, hagard, les yeux rivés sur cette étonnante machine dont ils n’ont plus conscience d’être les victimes, s’en croyant, sans doute, les maîtres. C’est le constat le plus alarmant que nous pouvons faire des retombées négatives du progrès. L’humanité s’enfonce dans sa nuit sans même s’en apercevoir, bien trop heureuse de s’affirmer dans ces conduites qui, faute d’être connues pour ce qu’elles sont, constituent de véritables aberrations que nous commençons à payer au prix fort.

   On n’a plus de considération pour Celui qui fait face. On n’essaie plus de deviner, dans un regard croisé au hasard, les motifs d’une joie ou bien d’une tristesse. L’homme moderne est totalement immergé dans ce que Bruno Bettelheim nommait la ‘Forteresse vide’ qui dit l’enfermement schizophrénique de l’individu dans sa carapace de peau. Leibniz en son temps eût évoqué une monade sans portes ni fenêtres, un genre de non-lieu où pratiquer le culte de soi, où faire briller son ego, Narcisses éblouis par leur propre image dans le miroir du paraître. Ce dernier, bien évidemment, en lieu et place de l’être réduit à la portion congrue. On regarde au travers de meurtrières le monde avancer en direction de son inévitable nihilisme. L’homme n’est plus, sauf à de rares exceptions, cet humaniste, cet héritier des Lumières dont la conscience éclairée illuminait le destin des Existants. On a, en ceci, perdu les soubassements qui nous font être des individus que les Autres accomplissent à la seule force de leur regard. Le phénomène de la vision s’est altéré. Nous sommes devenus myopes qui ne savons guère que retourner notre regard vers qui nous sommes. Dans cette perspective nous devenons si peu, nous sommes amputés d’une partie de nous-mêmes.

  

   « Tu ne mangeras nullement de la chair des animaux, tes semblables au regard de la vie qui

   les anime, tout comme elle t’anime. »

 

    Proférer ce commandement semblait affirmer que la Voix donatrice de sens vivait plus dans l’imaginaire que dans le réel. Pour le peuple des hommes actuels, la frugalité à la Rousseau - quelques fruits, dans le cadre bucolique des ‘Charmettes’ -, ne peut seulement avoir de réalité qu’en tant que témoignage d’une époque révolue, laquelle, tout au plus, prêterait à sourire. Actuellement le romantisme n’a plus de lieu où trouver sa place. L’élégie, l’idylle, le sentiment à fleur de peau, la disposition attentive à la Nature ne sont plus que de vieux chromos végétant dans leur globe de verre sépia, de charmantes fantaisies, des bluettes pour âmes tourmentées. Si la frugalité pouvait se définir en tant que l’un des caractères du romantisme, l’abondance, l’intempérance en constituent aujourd’hui la face opposée. La qualité l’a cédé à la quantité, ce qui rejoint le souci de soi et non de l’Autre comme évoqué ci-dessus. Partout les carnivores dominent. Partout l’on défriche des forêts primaires pour semer des céréales destinées à l’alimentation animale et à celle des hommes, tout en bout de chaîne. Comme quoi c’est toujours l’homme qui est « mesure de toutes choses » pour reprendre la célèbre formule de Protagoras. Certes « mesure de toutes choses », à commencer par la sienne qu’il regarde avec la plus généreuse indulgence qui soit !

   Cette exploitation effrénée des ressources de la planète est inquiétante au regard d’une surpopulation à l’horizon de ce III° millénaire. Il faudra donc choisir qui mangera et qui sera à la diète. Terrible décision lorsqu’elle est portée au comble de son ironie : existerait-il une hiérarchie des Vivants, des vertus reconnues aux uns, déniées aux autres ? Aujourd’hui chacun est informé des enjeux mais l’homme est obstiné qui, toujours, veut sacrifier le Principe de Réalité au Principe de Plaisir. Outre que cette alimentation carnée présente de nombreux inconvénients en termes de santé, c’et le respect de l’animal qui n’est plus assuré. Il n’est plus qu’une vulgaire ‘bête de somme’ destinée à combler les frustrations des humains.

   En effet il faut éprouver un manque important au fond de soi pour le combler de nourritures seulement disponibles au prix d’une exploitation vulgaire d’une espèce tout entière. Ceci s’appelle ‘éthique’, ce comportement vis-à-vis de toute altérité, c’est pourquoi il est urgent d’en redéfinir le contenu et d’en faire apparaître les plus évidents mérites. Tout ce qui est hors de nous est notre Autre, celui par qui l’on vit et prospère. L’oublier est faire allégeance à l’injustice. L’oublier est ouvrir la porte à tous les génocides qui se peuvent concevoir. Pourquoi ne pourrait-on parler de génocide de l’espèce animale ? Si la notion de génocide définit la seule espèce humaine, pourquoi n’en pas élargir le concept à la Nature, elle qui est notre Mère, notre nourrice la plus précieuse ?

 

   « Tu préfèreras le mode de vie sédentaire à celui des nomades »

 

   Être sédentaire c’est s’occuper de son sol, lui prodiguer tous les soins dont il est en attente afin de produire et nourrir les hommes. Le nomade, quant à lui, poursuit les mêmes buts mais en se déplaçant avec ses bêtes. Si les pratiques sont différentes, la finalité est la même : assurer la survie des Existants. Mais cette description canonique de la sédentarité et du nomadisme a vécu. Bien loin de nous les pasteurs qui guidaient les troupeaux vers le lieu de leur pâture. Aujourd’hui c’est un genre de nomadisme bien différent qu’a mis au jour notre société moderne. On ne se déplace plus pour des questions vitales, on voyage pour son agrément, pour satisfaire sa curiosité des choses lointaines, enfin en raison d’un conformisme qui devient de plus en plus la marque insigne de la globalisation. Les conduites qui, autrefois, étaient bien différenciées, voici qu’elles se banalisent, formatées qu’elles sont par un style de vie imposé bien plus qu’il n’autorise de libre choix.

   La ‘dictature du on’ (On va au cinéma, à la mer, au théâtre, on s’habille comme la meute, on pense comme la meute), a imposé sa loi, rabotant toute singularité mais n’aboutissant nullement pour autant à un universalisme qui eût été porteur de remarquables et hautes valeurs. On a tout nivelé, tout arrasé et les Tropiques ressemblent aux Pôles, qui ressemblent à l’ensemble des méridiens de la Terre accueillant la communauté des hommes. Le fameux ‘village global’ dont au siècle dernier on nous faisait miroiter la brillante image n’a de village que le nom car, en réalité, le peuple des hommes est scindé, manifestant peu d’intérêt pour les commensaux rencontrés au cours de leurs interminables périples.

   Ce que l’on cherche, dans l’optique actuelle des grandes migrations humaines, c’est avant tout le Soi en sa plus vive efflorescence. L’Autre n’est que de surcroît. Sillonnant la planète en tous sens, ce sont les cultures qui, petit à petit s’effondrent, les langues qui s’amenuisent au contact d’autres langues dominantes, les traditions qui périclitent lorsqu’elles ne sont uniquement le prétexte à des manifestations folkloriques qui sapent l’essence même de leurs ancestrales et originaires valeurs. Voyages qui riment, bien évidemment, avec pollution, les avions et navires de croisière demeurant rois en la matière. Et pourtant ils sont idolâtrés !

  

   « Tu privilégieras les idées par rapport aux actes »

 

   En ce siècle d’immédiates satisfactions, d’épicurisme facile teinté d’une touche fellinienne à ‘La dolce vita’, les Vivants, plus amateurs de bains dans la fontaine de Trévi que de longues méditations dans les salles silencieuses de la Bibliothèque Richelieu, s’adonnent en toute quiétude et sérénité aux occupations les plus innocentes qui soient, cueillir un amour de passage, déguster un Campari sur les rivages de la Riviera italienne, se divertir d’un spectacle léger, somnoler dans le clair-obscur d’une salle de cinéma. L’on aura compris que cette humanité-là, à défaut de cultiver les Belles Lettres et de se consacrer aux hautes cimaises de l’Art, préfère la douceur d’une existence exempte de soucis. La plupart du temps, ils répugnent à lire, parfois feuillettent les pages glacées des revues de voyage ou de décoration qui leur assurent un dépaysement bon marché.

   Les idées, ils les évitent autant que faire se peut, privilégiant une indolence intellectuelle qui leur tient lieu de baume pour un esprit qui, volontiers, demeure en friche. Certes, comme tout un chacun, quelque opinion vite faite traverse leur tête embrumée, quelque prêt-à-penser vibrionne un instant sur leur front, ne laissant guère plus de trace que le sillage d’un colibri sur la vitre de l’air. Cependant ils cultivent une haute valeur d’eux-mêmes au prétexte que leur aimable farniente leur sert de philosophie. Ce à quoi ils se consacrent avec le plus évident plaisir, commenter le brouet indigeste des médias à la mode, répéter à l’envi quelque formule bien frappée au coin du bon sens, dont la provenance tout droit issue de quelque Café du Commerce fleure bon l’assertion rustique, sûre de sa vernaculaire provenance. 

   De pensée il n’est jamais question. A quoi donc servirait-elle dans l’espace heureux du Paradis qu’ils ont créé à leur juste mesure ? A la rigueur, ils consentiraient à reconnaître la vertu d’une réflexion sur le monde pour tout ceux qui, sur Terre, vivent en Purgatoire ou bien en Enfer. Dans ce cas précis, méditer sur les choses est une sorte de salut, un viatique déployé en direction de plus hautes espérances. Partant du constat, affligeant, de leur propre point de vue, que toute pensée menée à son terme ne débouche jamais que sur du tragique, ils pratiquent l’indolence comme d’autres exercent leur esprit à lire Montaigne ou à comprendre Cioran.

   Contrairement à l’humaniste bordelais, jamais ils ne se seraient enfermés dans une tour, confinés au plaisir de feuilleter quelque incunable et à y commenter une somptueuse idée. Les chemins des idées qui, jadis, étaient de larges avenues, voici qu’ils se sont réduits à la taille de sentiers vicinaux que les broussailles gagnent petit à petit. A cette cadence, il ne demeurera bientôt que de vagues traces des méditations des Antiques et des Modernes. Une dilution homéopathique qui n’aurait même plus la mémoire de sa teinture-mère !

 

   Quand Adam surgit à nouveau

 

   Chacun aura compris ici que je me suis servi de la fiction adamique pour glisser, à son insu (mais sans doute aurait-il navigué de conserve avec quelques unes de mes remarques !), glisser donc des critiques qui, pour paraître sévères, n’en sont pas moins le reflet du réel sous son jour le plus sombre. Bien évidemment il ne s’agit de faire métier de procureur ou de censeur, seulement dresser, en quelques traits rapides, les grandes lignes d’une ‘apocalypse’ existentielle. Le réel dans l’une de ses définitions canoniques est ceci même ‘qui résiste’. Oui le réel est têtu. Oui, le réel en fin de compte, nous impose toujours sa loi. Sans cesse nous essayons d’en contourner l’irrépressible présence, de le modifier au gré de notre imaginaire, de notre pensée. Mais rien n’y fait, le destin en son essence est une forme géométrique tracée de toute éternité qui ne connaît jamais que le parcours de sa propre logique.

   Poursuivons un instant le périple du Premier Homme qui, selon cette fiction, sera le Dernier. Adam, parvenu à la toute extrémité d’un hypothétique Altiplano privé de ses habituels prédicats, ne fait en réalité que métaphoriser, allégoriser la marche en avant de l’humain en direction d’une destinée qui ne peut être rien moins que mortelle en son essence. Le problème qui se pose ici est de savoir comment l’homme peut envisager une eschatologie qui ne lui soit trop douloureuse. C’est donc sa nature, la valeur de son passage entre les points Alpha et Omega de son parcours terrestre qui se trouvent posées. Si rien ne saurait remédier à la fin des Existants, cependant il n’importe nullement que le séjour parmi les Hommes se fasse de telle ou de telle manière. C’est bien entendu à la manière éthique que cette fantaisie convie tout Lecteur en quête de sens. « L’homme est condamné à être libre », selon la belle et efficace assertion sartrienne, indiquant par là que nous sommes responsables de nos actes en chacun de leurs gestes, en l’entièreté du temps qui nous est alloué. Soyons libres en conscience. Sans doute la tâche la plus admirable qui puisse échoir à Adam et à sa suite !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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