"Nous nous sommes assis sur le talus. Je me suis tenu tout près de toi, fée de mon adolescence et, comme au premier jour, j'étais ravi, transporté, avec tout l'émoi et la tendresse de l'évidence première. Mûri par la souffrance et les épreuves de la vie, et c'est à cet instant, sous le soir tiède, parfumé, chargé d'étoiles, que j'ai savouré ce gout d’Éternité."
Sur un texte de
Pierre-Henry Sander
***
[L'écriture en partage. Facebook paraissant avoir pour vocation essentielle de favoriser le partage, le texte ci-après voudrait répondre à cette exigence. Manière d'écriture à 4 mains, entrelacement du texte de Pierre-Henry Sander avec le mien. Ecriture que prolonge une autre écriture dont nous souhaiterions que le lecteur s'emparât afin de continuer la tâche entreprise. NB : Le texte en italiques « entre guillemets », est le texte originel de son Auteur. Celui en graphies normales est mon apport personnel dont je souhaiterais qu'il soit perçu dans un prolongement tissé d'affinités avec cela qui fait sens et autorise ainsi la poursuite d'une mince tâche interprétative.]
*
« Nous nous sommes assis sur le talus », tout près du miroir de l'eau. L'heure était à la méditation, empreinte de douceur. Nous étions à la dérive, nos yeux égarés parmi la lueur du crépuscule. Cette césure si éphémère avant que la nuit n'étale son lac d'ombre, sa tache d'encre, écriture permissive avant la perte, le sommeil. La teinte assourdie du jour était une note à peine cuivrée, un genre de grésillement, un parfum d'ivoire que traversait l'écume blanche des cygnes, leurs becs noirs tendus vers un possible destin. Je te devinais, si près de moi, pareille à une cariatide dressée à mi-ciel, le visage nimbé de lumière, la dune de tes épaules caressée de clarté, les plis de ta tunique plongeant dans l'étoupe proche de la terre, pareillement à une disparition qui, à chaque instant, pouvait survenir. C'était donc cela, le bonheur d'exister, cette vibration inaperçue qui s'installait entre nous comme pour nous dire l'urgence à coïncider avec nos propres effigies.
« Je me suis tenu tout près de toi, fée de mon adolescence », dans ce lieu qui semblait nous avoir été prescrit de tout temps afin que nous nous disposions à quelque événement. Seulement nous n'étions guère conscients de ce qui en serait la révélation. Penchés au bord de la métamorphose sans en connaître la suite, cette merveilleuse mue imaginale qui, selon les hasards, pouvait être Argus bleu ou bien Goutte de sang. Le tragique, sous les tumultes de la passion. Mais avions-nous cette démesure des sentiments ou inclinions-nous vers une simple amitié, amour que le temps aurait gommé, le laissant au seuil du vraisemblable, du toujours en mesure de nous étreindre ? Nous étions dans cette incertitude et flottions au gré de nos égarements. Le doute entretenait cette flamme blanche qui, un jour lointain de notre jeunesse, nous avait épinglés l'un à l'autre sur le liège de l’immédiat amour. Mes rêves d'alors te voyaient Uranie, Hespérie, papillon butinant pollen et autres étamines. Genre d'allégorie du déploiement, de l'éphémère aussi, du passé infini qui, inévitablement au fil des ans, deviendrait le seul lieu possible de notre habitation commune.
« et, comme au premier jour, j'étais ravi, transporté, » ouvrant aux nuages mes yeux incrédules, y cherchant une probable éternité. Te savoir là, à mes côtés, suffisait à ma félicité. Qu'aurions-nous eu besoin d'aller au-delà de cette présence onirique, de ce flottement entre deux eaux ? Sans doute le baiser du silence - nous parlions si peu -, nous eût-il réunis mieux que la fougue charnelle, le corps à corps, le tumulte de la chair. Nous étions comme deux céladons fragiles posés sur la courbure des choses, lissés de lumière. Une trop vive clarté, une exaltation nous eussent ternis avant même que notre accord ne fût scellé. Il fallait demeurer dans cette mutité, fermer nos yeux à la clameur du monde.
« avec tout l'émoi et la tendresse de l'évidence première » et avoir la force, sinon la démesure de ne rien transgresser. Nous savions la pente fatale de ces évidences à nous entraîner dans des abîmes dont jamais nous ne serions ressortis. Combien le réel nous enserrait dans sa gangue de plomb, mettait en danger cette liberté que nous avions appris à faire nôtre depuis que nos yeux s'étaient croisés. Il fallait, funambules, rester sur le fil tendu au-dessus de nos existences et éviter les faux-pas, les tentations montant du sol mondain, les murmures d'effroi.
« Mûri par la souffrance et les épreuves de la vie », j'avais gagné quelques rides sous la meute des difficultés et ne cherchais nullement à m'enfermer dans la glu des préoccupations, le réseau dense des apories. Chaque jour suffisait à entretenir le feu sourd de l'angoisse, le crépitement des questions, l'avancée dolente vers l'inévitable finitude. Au bord de cette eau sereine, si près des ondulations souples de la glaise, alors que le ciel virait doucement dans des teintes plombées, secrètes, je me laissais envahir de langueur, le temps glissait infiniment pareil à une eau lagunaire qui serait venue du plus loin, apercevant, comme dans un rêve, cette vive braise adolescente, tes yeux au bord d'une révélation, la courbure de tes lèvres, ta jeune poitrine soulevée par la rumeur du jour, tes jambes à l'effusion de lianes, la plénitude de ton bassin, l'amphore étroite de tes hanches, la lyre de ton ombilic, la fièvre arc-boutée de ton désir, « et c'est à cet instant, sous le soir tiède, parfumé, chargé d'étoiles que j'ai savouré ce gout d’Éternité."