Edward Hopper, Rooms by the sea, 1951
Kazoart Blog
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Cette lumière blanche,
cette blancheur
qui vient de si loin !
Aujourd’hui : il n’y a plus
d’aujourd’hui,
le temps s’est absenté.
Absenté de lui-même.
Moins d’épaisseur qu’un trait,
moins de présence
que le point sur la page.
Le point final qui clôture tout
et renvoie chaque chose au néant.
D’où vient-elle cette lumière ?
Du ciel ?
De la terre ?
De l’eau au loin
qui bat dans le bleu ?
Du-dedans de qui-je-suis,
pourtant il y a tant de noir,
tant d’obscur en arrière
de la barbacane du front
Un vaste chaudron noir
habité de la suie du non-sens.
Le dehors est le dehors,
je suis le dedans,
je suis le néant qu’habite
une parole vide.
Monacale est ma cellule.
Verticale ma solitude.
Cependant je ne souhaite
nulle agora parcourue
de l’aquilon des mots.
Ils percutent, ils entaillent,
ils rebondissent
de bouche en bouche
et regagnent leur tanière,
tachés de la malédiction
du monde.
Dehors la chambre,
l’eau bat doucement,
reflet des abysses,
dans ses plis les entailles
et l’insignifiance de l’heure,
le jour est long à se traîner,
il tient, en ses étiques mains,
la lourde affliction des Vivants.
Des Vivants qui longent l’abîme,
ne le savent pas,
le redoutent seulement
et c’est leur foncière errance
qui les destine
aux pires maux qui soient.
Ce rectangle de lumière.
Ce surgissement de la vérité
tout contre le globe vitreux
de mes yeux.
La vérité ils ne la savent pas,
la devinent,
ici dans la belle toile,
là dans la forme accomplie de l’art.
Dans la haute esquisse humaine,
parfois, rarement,
ils la croisent,
en longent l’abrupt parapet.
Vérité est comme Nature,
aime à se cacher.
Héraclite a raison et nul ne l’écoute.
Mais pourquoi écouter un Sage ?
Il y a tant de jouissance immédiate
dans le vice
et la vertu est si abstraite,
tellement loin de soi
Le ciel est partagé
en deux parties égales.
Le haut est clair,
presque translucide,
il attire, magnétise
mais rejette en même temps.
Il exige tellement d’attention,
il veut à l’excès
de hautes pensées.
La moitié inverse
est le ciel de la mer.
Des flots pareils à des mots
de beauté et de béatitude.
L’eau est mystère,
elle m’attire
et me repousse,
Mère bienveillante
en même temps
que refermée
sur sa sourde densité.
Fenêtre, battants ouverts
par où pénètre la jonglerie
assourdie du monde.
Des cris au loin.
De plaisir.
De jouissance.
De douleur.
Des cris langage du corps,
lexique de l’âme.
Des cris, ils disent
l’immense souffrance
des hommes.
Ils disent l’aporie
de la guerre.
Ils disent la dague urticante
de la laideur.
Partout est la révolte
d’être homme.
En soi, dans le pli de sa peau.
Hors de soi dans la sombre
éructation du réel.
La lumière a posé
sa boîte oblongue
sur le parquet ciré.
Catafalque de clarté qui mêle,
en une seule et même image,
le désir de vivre,
l’attente de mourir.
Seule La Mort nous sauve
de la Mort.
Elle nous ôte nos chaînes,
elle nous pousse, tête devant,
dans la gueule ouverte
et bienfaisante du néant.
Ô joie immense
du retour aux sources.
Ô sublime satisfaction
de rejoindre
la margelle primitive,
de libérer l’eau de sa fontanelle,
de la mêler aux eaux primordiales,
de devenir simple fluide
parmi l’écoulement infini
de l’univers.
Au-dessus de la lumière
le mur est gris.
Gris-bleu qui reflète
la mer du ciel ;
le ciel de la mer.
Qui reflète l’eau de mes yeux
où roulent les larmes
de l’humaine condition.
Pourquoi cette folie des hommes,
cette folie arbustive qui croît
à la mesure de sa propre déraison ?
Ecoutez le bruit de la tyrannie.
Ecoutez le bruit de la mitraille,
il dit la démence depuis
longtemps accumulée,
elle déborde de soi,
elle fait ses hoquets,
ses convulsions,
elle lance en toutes directions
les boulets de la haine.
Criez de toutes vos forces
depuis la soie de vos fenêtres,
hurlez depuis le confort douillet
de vos chambres
et que le monde s’apaise enfin
à la hauteur de votre sédition
Jamais le monde n’est en paix.
Toujours un Tyran se lève
à l’Est, à l’Ouest
qui veut humilier
l’être humain,
le plier sous le fer
de ses bottes de cuir.
Milices, factions, phalanges,
images du délire, de la frénésie,
de la passion qui se retourne
contre elle-même
et décime tout ce qui passe
là-devant qui voudrait exister
selon son propre bonheur.
La lumière est blanche qui jaunit,
qui dit la haute présence du soleil,
sa brûlure bientôt
sur la plaine fragile
des épidermes.
Déjà la vérité décroît
dans le jour qui monte.
Déjà le mensonge habille
les lèvres,
les ourle de mauve,
cette couleur des abysses.
Les yeux ont du mal
à soutenir l’épreuve du feu.
Ils cillent, ils clignotent,
la porcelaine de la sclérotique se fend,
des résilles sourdes tombent
du double mystère des yeux.
Deux pièces en enfilade.
Une première avec
le rectangle de clarté.
Une seconde en abyme
avec un angle de clarté
plus étroit.
Un tableau au mur,
on ne voit que son angle gauche.
Qu’a-t-il à dissimuler ?
Une guerre, un viol,
une exaction, un pogrom,
une Shoah ?
Un sofa rouge
couleur de sang éteint.
Le flanc d’une commode
de bois foncé.
Rien dans la pièce
que ces meubles
qui dialoguent
en silence.
Métaphore,
faucille du temps
qui moissonne tout.
Où sont-ils les humains ?
Habitent-ils quelque part ?
Ou bien la Terre est-elle déserte,
envahie de hautes herbes
et des touffes vert-de-gris
des lichens ?
Cette lumière blanche.
Elle meurt en moi.
Je meurs en elle.
Cette lumière !