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27 février 2022 7 27 /02 /février /2022 10:29
Celle lumière blanche

Edward Hopper, Rooms by the sea, 1951

Kazoart Blog

 

***

 

Cette lumière blanche,

cette blancheur

qui vient de si loin !

Aujourd’hui : il n’y a plus

d’aujourd’hui,

le temps s’est absenté.

Absenté de lui-même.

Moins d’épaisseur qu’un trait,

moins de présence

que le point sur la page.

Le point final qui clôture tout

et renvoie chaque chose au néant.

D’où vient-elle cette lumière ?

Du ciel ?

De la terre ?

De l’eau au loin

qui bat dans le bleu ?

Du-dedans de qui-je-suis,

pourtant il y a tant de noir,

tant d’obscur en arrière

 de la barbacane du front

Un vaste chaudron noir

habité de la suie du non-sens.

 Le dehors est le dehors,

je suis le dedans,

je suis le néant qu’habite

une parole vide.

Monacale est ma cellule.

Verticale ma solitude.

Cependant je ne souhaite

nulle agora parcourue

de l’aquilon des mots.

Ils percutent, ils entaillent,

 ils rebondissent

de bouche en bouche

 et regagnent leur tanière,

tachés de la malédiction

du monde.

 

Dehors la chambre,

l’eau bat doucement,

 reflet des abysses,

dans ses plis les entailles

et l’insignifiance de l’heure,

le jour est long à se traîner,

il tient, en ses étiques mains,

la lourde affliction des Vivants.

Des Vivants qui longent l’abîme,

ne le savent pas,

le redoutent seulement

et c’est leur foncière errance

qui les destine

aux pires maux qui soient.

Ce rectangle de lumière.

Ce surgissement de la vérité

tout contre le globe vitreux

de mes yeux.

La vérité ils ne la savent pas,

la devinent,

ici dans la belle toile,

là dans la forme accomplie de l’art.

Dans la haute esquisse humaine,

 parfois, rarement,

ils la croisent,

en longent l’abrupt parapet.

Vérité est comme Nature,

aime à se cacher.

 Héraclite a raison et nul ne l’écoute.

Mais pourquoi écouter un Sage ?

Il y a tant de jouissance immédiate

dans le vice

et la vertu est si abstraite,

tellement loin de soi

 

Le ciel est partagé

en deux parties égales.

Le haut est clair,

presque translucide,

il attire, magnétise

mais rejette en même temps.

Il exige tellement d’attention,

il veut à l’excès

de hautes pensées.

 La moitié inverse

est le ciel de la mer.

Des flots pareils à des mots

de beauté et de béatitude.

 L’eau est mystère,

elle m’attire

et me repousse,

 Mère bienveillante

en même temps

que refermée

sur sa sourde densité.

Fenêtre, battants ouverts

 par où pénètre la jonglerie

assourdie du monde.

Des cris au loin.

De plaisir.

De jouissance.

De douleur.

Des cris langage du corps,

lexique de l’âme.

Des cris, ils disent

l’immense souffrance

des hommes.

Ils disent l’aporie

de la guerre.

Ils disent la dague urticante

de la laideur.

 Partout est la révolte

d’être homme.

En soi, dans le pli de sa peau.

Hors de soi dans la sombre

éructation du réel.

 

La lumière a posé

sa boîte oblongue

sur le parquet ciré.

Catafalque de clarté qui mêle,

 en une seule et même image,

le désir de vivre,

l’attente de mourir.

 Seule La Mort nous sauve

de la Mort.

Elle nous ôte nos chaînes,

elle nous pousse, tête devant,

dans la gueule ouverte

et bienfaisante du néant.

Ô joie immense

du retour aux sources.

Ô sublime satisfaction

de rejoindre

la margelle primitive,

de libérer l’eau de sa fontanelle,

de la mêler aux eaux primordiales,

de devenir simple fluide

parmi l’écoulement infini

de l’univers.

 

Au-dessus de la lumière

le mur est gris.

Gris-bleu qui reflète

la mer du ciel ;

le ciel de la mer.

Qui reflète l’eau de mes yeux

où roulent les larmes

de l’humaine condition.

 Pourquoi cette folie des hommes,

cette folie arbustive qui croît

à la mesure de sa propre déraison ?

Ecoutez le bruit de la tyrannie.

Ecoutez le bruit de la mitraille,

 il dit la démence depuis

longtemps accumulée,

elle déborde de soi,

elle fait ses hoquets,

ses convulsions,

elle lance en toutes directions

les boulets de la haine.

Criez de toutes vos forces

depuis la soie de vos fenêtres,

 hurlez depuis le confort douillet

de vos chambres

 et que le monde s’apaise enfin

 à la hauteur de votre sédition

Jamais le monde n’est en paix.

Toujours un Tyran se lève

à l’Est, à l’Ouest

qui veut humilier

l’être humain,

 le plier sous le fer

de ses bottes de cuir.

Milices, factions, phalanges,

images du délire, de la frénésie,

 de la passion qui se retourne

contre elle-même

et décime tout ce qui passe

là-devant qui voudrait exister

selon son propre bonheur.

 

La lumière est blanche qui jaunit,

qui dit la haute présence du soleil,

sa brûlure bientôt

sur la plaine fragile

des épidermes.

 Déjà la vérité décroît

dans le jour qui monte.

Déjà le mensonge habille

les lèvres,

 les ourle de mauve,

cette couleur des abysses.

Les yeux ont du mal

 à soutenir l’épreuve du feu.

Ils cillent, ils clignotent,

la porcelaine de la sclérotique se fend,

des résilles sourdes tombent

du double mystère des yeux.

 

Deux pièces en enfilade.

Une première avec

 le rectangle de clarté.

Une seconde en abyme

 avec un angle de clarté

plus étroit.

Un tableau au mur,

 on ne voit que son angle gauche.

Qu’a-t-il à dissimuler ?

Une guerre, un viol,

une exaction, un pogrom,

une Shoah ?

Un sofa rouge

couleur de sang éteint.

Le flanc d’une commode

de bois foncé.

Rien dans la pièce

que ces meubles

qui dialoguent

en silence.

 Métaphore,

faucille du temps

qui moissonne tout.

Où sont-ils les humains ?

Habitent-ils quelque part ?

Ou bien la Terre est-elle déserte,

envahie de hautes herbes

et des touffes vert-de-gris

des lichens ?

Cette lumière blanche.

Elle meurt en moi.

Je meurs en elle.

Cette lumière !

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