"Aurore cet après-midi..."
Œuvre : André Maynet
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De quelle vision
est-elle atteinte ?
Que voit-elle, hormis
sa propre empreinte ?
Son nom est natif.
Son nom est de pure virginité.
Son nom d’Aurore lui va si bien.
Puisque Aurore est qui elle est,
elle se lève dès avant le soleil.
Son premier geste est
d’amour pour la Nature.
Elle descend le frais
vallon empli de brumes,
elle confie son corps
aux fils de la Vierge,
elle le prête à l’eau
cendrée du lac.
L’eau fait, sur sa
mince anatomie,
une pellicule d’argent.
L’eau est son Amie
et lui veut du bien.
L’eau est la première
lustration
avant que le jour
ne déplie ses membranes,
ne prenne son essor,
ne vibre pour monter au zénith.
Toujours une déchirure, le jour,
toujours une douleur,
sortir de Soi et s’exposer
au fer du Monde.
Et aller au rythme
qui vous dépasse,
vous sépare de vous,
vous dispose à être
cet Autre, cette Énigme
dont vous ne pouvez
même pas connaître l’existence,
c’est si opaque un mystère,
si voilé qui, toujours, se retire
à la mesure de votre regard.
De quelle vision
est-elle atteinte ?
Que voit-elle, hormis
son singulier horizon ?
Le rituel de l’ablution terminé,
Aurore regagne sa colline,
s’alimente d’une pomme,
de deux noix, d’un rien
et cette quête du peu
est à son image,
une douceur infinie,
une marche de ballerine,
le glissement d’un flocon
dans l’air printanier.
Aurore, jamais, ne peut
se confondre avec
une tâche ordinaire
que la Nature aurait
déposée en elle,
au hasard de ses semaisons.
Aurore est, tout à la fois,
une Jeune Femme bien réelle,
une Existante sur Terre
et, tout à la fois,
une manière d’Elfe
flottant au plus haut du ciel,
un oiseau ivre de sa liberté.
Ses occupations ?
Mais le terme est
si mal choisi,
tellement fardé de roture
et de sourde nécessité.
Aurore, tâchons de la dire
en quelques mots légers.
Visage de blanche porcelaine
qu’entoure la dentelle
des cheveux,
Le nez est droit,
les lèvres légèrement
pulpeuses
que souligne un rose-thé,
une pure délicatesse.
Le cou est discrètement ombré,
les clavicules minces,
les épaules si diaphanes,
elles se confondent avec la
trace neuve de la lumière.
La poitrine chuchote,
le nombril se noie
dans une onde invisible,
les bras s’effacent
dans la modestie.
Le sexe se dissimule,
les jambes sont évoquées,
le bas du corps nous est ôté
car le sol lui-même,
n’aurait rien à nous dire
qui nous instruirait.
De quelle vision, Aurore ?
De quelle vision
est-elle atteinte ?
Que voit-elle qui,
nullement,
ne se signale ?
Car nous n’avons
pas parlé des yeux,
ces opales qui disent
le tout d’Aurore,
le pli de sa conscience,
la faille ouverte de son être.
Ou, du moins, devraient le dire
mais échouent à y parvenir.
Ce-qui-la-regarde est trop vaste,
trop haut, trop loin d’une pensée
qui prétendrait en atteindre
les rives escarpées.
Les yeux sont si clairs,
au risque de nous y perdre,
de n’en jamais revenir.
Le regard est oblique,
transparent,
perdu au fond de quelque
longue méditation.
Que voit Aurore que,
Voyeurs distraits,
nous n’approcherions
qu’à la mesure de
notre propre vertige ?
« Aurore cet après-midi »,
mais l’heure, le moment
ont-ils encore
une importance ?
Aurore ne voit rien
qui pourrait se décliner
sous le nom d’une
chose du Monde.
Ce que voit Aurore ?
Son écho, sa réverbération,
sa limpidité, le translucide
de qui-elle-est,
une fuite parmi
le désordre de l’Univers,
une fugue parmi
les folies de tous ordres,
une évasion, une sortie
de tout ce qui blesse
et porte le destin des Hommes
tout au bord de l’abîme.
Pour cette raison son
regard est insaisissable,
flou, en-elle-au-delà-d’elle
dans un cosmos qui toujours fuit
et ne dit nullement son nom.
En l’existence, se donnent
des distances infranchissables,
des abysses se creusent
emplies des eaux
bleu-marine du doute,
des ravines s’ouvrent
par où s’enfuit le sens,
par où notre peine est infinie
de trouver une voie
qui nous accomplirait en totalité.
Nous regardons dans le miroir
et c’est la fragmentation
qui nous revient
et c’est Aurore
au regard inquiet.
De quelle vision, Aurore ?
Qui donc pourrait le dire
qui serait encore vivant ?
En quel endroit de la Terre ?
En quelle langue inouïe
qu’une étrange Babel
dissimulerait
dans la complexité
de son édifice ?
Quelle vision ?