Saintes-Maries-de-la-Mer
Entre mer et marais…
Photogtaphie : Hervé Baïs
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Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
Il y avait si peu de bruit.
Il y avait si peu de lumière.
Il y avait si peu de mouvement.
Vous pensiez être SEUL
sur la face de la Terre.
Mais, peut-être, le Monde
n’était-il encore venu à lui ?
Du creux d’indolence
et de douce patience
où vous séjourniez,
vous attendiez.
Longtemps vous attendiez.
En réalité, et ceci était clair
comme un cristal de roche,
c’est vous que vous attendiez,
longue imago en attente
de sa métamorphose.
Votre forme, vous ne l’aviez
encore nullement imaginée.
Cuivre des Marais aux ailes orangées
criblées de menus points noirs
ou Semi-Apollon au corps
couleur de plomb,
aux fines nervures dessinant
le pur motif de la venue à l’être ?
Oui, être Papillon, vivre votre
vie d’Éphémère et retourner
dans les limbes luxueux
du Néant.
Ni bruit.
Ni lumière.
Ni mouvement.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
Puis, soudain ça bouge
au plein des ténèbres.
Puis soudain ça fourmille
dans la tunique de votre corps.
Puis soudain vous sentez
le flux de la vie couler en vous.
Vous percevez des respirations.
Vous percevez d’infimes tropismes.
Vous percevez quelque chose
comme une étincelle
qui pourrait se lever de la nuit,
un éclat soudain illuminer le ciel,
l’emplir de sa prodigieuse présence.
Vous discernez, mais quoi ?
Les choses, dans cette manière
d’évanouissement sont
si floues, si éthérées,
pareilles à un fil de soie
qui pourrait rompre
d’un moment à l’autre.
Vous appréhendez
quelque présence.
Une forme, oui,
puis plusieurs,
des genres d’ellipses,
d’ovales indéterminés
mais qui, bientôt, diront
le secret, qu’en eux,
ils dissimulent.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
Ces oblongues venues au jour,
voici qu’elles commencent à signifier,
qu’elles commencent à parler.
Mais oui, l’évidence est là,
ces ellipses enferment en elles
la naissance de regards,
comme une origine à partir de laquelle
tout se déploierait jusqu’aux
limites de l’infini.
Tout, petit à petit, sort de l’ombre,
tout s’extrait de la chrysalide d’argile
et le Tout, soudain, se ramène à l’unité
d’un SEUL REGARD.
Ce regard est celui du Marais.
Il est large, couleur d’argent éteint,
de jour triste mais c’est en ceci qu’il est beau,
sa douce mélancolie est un enchantement
pour qui le regarde.
Et vous le Quidam qui sortez à peine
de votre marécage de ténèbres,
avouez-le, vous êtes envoûté par ce Regard,
par cet œil unique qui regarde le Monde,
le révèle, le porte devant vous
comme la seule chose à connaître.
Vous êtes vous-même,
en votre for intérieur,
et vous êtes aussi
ce REGARD qui se lève
et boit le divin Cosmos.
La duplicité de votre regard
associé à celui du Monde,
c’est ceci qui ouvre la voie
à un chemin semé de Poésie.
Vous êtes Vous et le Monde
en un seul geste de la Vision.
Vous, le Marais, le Monde,
une seule et même effusion,
une seule ligne claire
à la surface des choses.
Tout, maintenant, dans
la naturelle retenue de l’Aube
vous parle le langage des choses
secrètes et précieuses à l’être,
à ne se dévoiler que
sur le mode du Rare.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
Le Ciel est très large et très haut.
Il vole à d’incroyables hauteurs
avec ses cortèges d’oiseaux
immobiles, invisibles,
sauf aux yeux de l’âme,
elle qui voit Tout
au milieu du Rien.
Le Ciel, aussi bien,
c’est Vous,
la meute de vos idées,
la libre expression de vos pensées,
la floculation plurielle de votre imaginaire.
Le ciel, sa toile blanche, virginale,
c’est vous lorsque, tel l’Enfant,
vous souriez aux Anges.
Le ciel, c’est vous et les nuages légers
sont les peines qui sèment parfois
à votre front les rides de l’ennui.
Le ciel, c’est vous et les vastes
et lumineux projets
qui vous habitent et vous portent
bien plus loin que votre corps
ne pourrait le faire.
La ligne d’Horizon est basse,
simple trait de charbon
qui sépare l’Idéal,
des Choses Terrestres.
Là, vous explorez le Réel,
là, vous lui donnez
ses assises les plus sûres.
Car il faut bien s’amarrer
quelque part, n’est-ce pas ?
Car il faut un môle, un amer
où cesser de dériver
car, alors, l’on pourrait
sortir de Soi,
au risque de n’y
jamais revenir.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
La Mer est une langue
qui ressemble
à la lame d’un étain vieilli.
Quelques formes illisibles
y fourmillent,
tels d’antiques signes d’imprimerie
que le temps d’un palimpseste
aurait partiellement effacés.
C’est peut-être votre Histoire qui s’écrit là,
sur le territoire lacustre des hommes,
là où toujours ils ont posé leur havresac,
bivouaqué afin d’être
Hommes parmi les Hommes.
Puis il y a le Rivage semé des brindilles
sombres de la végétation.
Il est posé entre
la plaque de la Mer
et la feuille du Marais.
Il est pareil à une Vigie
qui interrogerait l’horizon,
là d’où le danger pourrait surgir
qui anéantirait les efforts des Hommes,
détruirait leur inlassable patience.
Vous êtes ce Rivage,
cette mince lisière tendue
d’une ligne de Vie
à son effacement
dans la tubéreuse Mort,
ce retour à l’invisible des choses.
Le Marais. L’œil du Marais,
unique mais nullement cyclopéen.
Le Regard au gré duquel
le tout du Monde
s’illumine et vient à vous
dans la plus pure joie.
Vous êtes ce Regard
qui regarde le Monde
mais aussi qui êtes
regardé par le Monde.
Il faut ce flux et ce reflux,
cet étonnant battement,
cette infinie oscillation
du Jour et de la Nuit,
du Noir et du Blanc,
vous en êtes
le Guetteur,
le Médiateur
en même temps que
le Voyeur ébloui.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?
La sclérotique du Marais,
cette platine lissée de jour,
porte en son centre la touffe
menue de la pupille,
cette mesure presque
invisible mais si nécessaire.
Lorsque l’heure bascule,
que la clarté s’efface,
la Pupille, votre Conscience,
s’élargit et connaît l’incroyable
phénomène de la mydriase,
cette splendeur
qui vous fouette à vif
et aiguise le scalpel
de votre lucidité.
Alors, voyant le Monde
d’une manière exacte,
vous devenez à même
de le juger,
de le comprendre,
une des plus estimables valeurs
de la Destinée Humaine.
C’est le jeu continuel du temps qui passe,
l’œil du Marais reçoit la vaste parure du Ciel,
reçoit la réflexion de la ligne d’Horizon,
reçoit les reflets nocturnes du Rivage.
Le Sens même du Monde est ceci :
cette infinie réverbération
au sein de laquelle
chaque Chose se connaît
et connaît l’autre
qui vient à son encontre.
Puis le dernier Rivage,
celui dont la proximité
est la plus grande,
cette herse noire
qui paraît muette,
c’est simplement le rideau
qui se fermera provisoirement
sur la Grande Scène du Monde
et alors, par le mouvement inverse
qui vous avait porté là où vous étiez,
par une sorte d’involution,
vous reviendrez
à votre nuit native,
Papillon,
puis Imago,
puis Chenille,
puis peut-être
Simple Rien
en attente de paraître.
Cependant,
deveniez-vous
ce Rien,
vous n’aurez
rien oublié,
ni le Ciel,
ni l’Horizon,
ni le Rivage,
ni ce Regard
du Marais
ils vous escorteront
aux plus lointains confins
qui, alors, seront les vôtres.
Le Regard, ce sera VOUS.
Sous le regard du Ciel
Qu’étaient les Choses
Venant à leur être ?