Vous qui songez, moi qui suis captif
Une illumination a eu lieu
et mon âme s’est embrasée
qui comburera à jamais.
Voyez-vous,
il y a d’étranges aubes,
des échardes blanches de clarté,
une nébulosité nichée
au plus haut des fins bouleaux.
Rien ne semble exister
qu’à l’aune
de la légèreté,
de la fragilité.
C’est heureux que ce
mince fil d’Ariane
se soit tendu entre Vous
qui n’êtes pas encore,
Moi qui viens à vous avec l’espoir
de vous connaître enfin.
Et d’avoir accès à qui je suis.
Mais connait-on jamais l’Autre,
ce mystérieux continent,
cette ombre que nul soleil ne profère,
cette pluie que nul nuage ne libère,
cette feuille que nul vent n’envole
vers le clair horizon ?
Serez-vous enfin alertée de ma persistance
(sans doute penserez-vous à quelque entêtement,
peut-être à une obsession congénitale ?),
de mon obstination à vous connaître,
Vous l’Inconnaissable par essence.
Å me connaître ou à tâcher de le faire,
j’ai usé l’amadou
de mon esprit,
j’ai réduit mes mains
au spectre de moignons,
j’ai fait de mes jambes
des tubercules hémiplégiques.
Vous qui songez, moi qui suis captif
Sachez qu’à s’inventorier,
l’on ne procède qu’à sa propre destruction.
Ce que l’on prenait pour une découverte
(sonder les raisons pour lesquelles la Beauté
nous étreint si fort, si douloureusement),
n’est rien de moins que cette illusion
qui tremble, vacille tel le feu-follet,
il est bientôt disparu et l’on demeure
sur le bord du marigot, assoiffé d’eau
qui, de toute manière, eût procédé
à notre propre extinction.
Oui, toujours j’ai été atteint
de la flamme glacée du Tragique
et Phèdre, la divine Phèdre,
est la Compagne de mes nuits,
la Conseillère de mes soucis
les plus féconds,
les plus fertiles,
ceux sur lesquels croissent
les lianes de mon Angoisse,
sans elle je ne serais
que cette inconsistance livrée
à la première giboulée,
à la neuve bourrasque d’automne,
au vent fou qui balaie la terre
de ses lianes mobiles.
Car il faut ce lien direct
de la Vie à la Mort
pour que toutes choses
prennent sens
sur cette Planète,
qu’elles ne demeurent
de simples
tours de passe-passe.
Vous qui songez, moi qui suis captif
La photographie
que j’ai de vous,
le feu de vos cheveux,
la noire auréole dans laquelle
s’inscrit votre jolie tête,
les deux traits sûrs de vos sourcils,
vos yeux que je crois noirs, profonds,
la sobre élégance d’un nez discret,
la pulpe à peine visible de vos lèvres
et ces lunules de clarté qui dessinent
sur votre visage des ovales plus clairs,
on dirait des pièces de monnaie
ou de fins bijoux, tout ceci,
ce nimbe d’étrange lumière
concourt à vous rendre
encore plus sibylline,
plus lointaine.
Le demi-sourire
que vous esquissez
n’est-il la simple
réverbération
de votre bonheur à vous
rendre indéchiffrable
en quelque manière,
hors de portée, tel un
précieux incunable
protégé par sa
paroi de verre ?
Vous qui songez, moi qui suis captif
Vous étonnerais-je au rythme
soutenu de mes questions ?
Ou bien est-ce Moi
qui m’inquièterais de vivre,
de ressentir, de humer
ici telle fragrance,
d’éprouver là un frisson
douloureux sur ma peau,
d’entendre quelque voix de miel
que seul mon esprit aurait portée
au-devant de Moi afin que, de ceci,
mon existence pût s’en déduire,
mes jours trouver un pôle
sur lequel, enfin, diriger
la boussole de mes désirs
les plus enfouis,
les plus capricieux ?
Pouvez-vous a
u moins sonder
le vertige continuel
de mes interrogations,
le voir métaphoriquement
telle la lentille d’eau
qui réverbère le jour
au fond du puits sans
possibilité aucune
de n’en jamais connaître
la belle texture,
les copeaux de lumière qui dansent
aux fronts des Insoucieux,
des Libres de Soi dans
un temps affranchi
de contraintes,
doué des virtualités
les plus estimables :
aller là où ne règne que
le luxe de la clarté,
là où ne se donne que
le nectar des Choses Belles ?
Vous qui songez, moi qui suis captif
Vous étonnerais-je, vous avouant
que je vous préfère ainsi,
dans cette marge
d’invisibilité, d’incertitude,
cette absence fouettant mon sang bien mieux
que ne l’aurait fait votre libre venue jusqu’à moi,
une sorte d’évidence si vous préférez.
Sans doute, notre seule union possible, sera-t-elle
ce regard que je porte sur votre image,
ce non-retour que suppose votre représentation
sur une feuille de papier puisque, aussi bien,
vous ne me connaissez pas,
moi qui cherche à percer votre secret,
à habiter votre propre dimension.
Un Étranger s’inquiète
du sort d’une Insondable.
Une Mystérieuse s’enveloppe
dans les plis insus d’une âme inquiète.
Il y aurait là matière à tracer la voie
d’une aventure romantique,
à faire se dresser la « Fleur Bleue » d’un Novalis,
à suivre Lord Byron sur les chemins d’Orient
avec cette indéfinissable mélancolie désenchantée
qui est la marque de ses Héros,
à se trouver, dans l’instant,
dans le corps et l’esprit mêmes
du « Voyageur contemplant une mer de nuages »
du très précieux Caspar David Friedrich
et de n’en jamais ressortir,
car ressortir serait mourir.
Vous qui songez, moi qui suis captif
Pouvez-vous, dans un effort
de tension en ma direction,
estimer la dimension d’Univers
qu’ouvre à mon regard,
que propose à mon imaginaire,
qu’offre à mon insondable curiosité
la seule vision que j’ai de Vous,
qui irrigue la totalité de mon être
si bien que, pensant fortement
à qui vous êtes,
je ne m’appartiens plus guère,
que mes contours deviennent flous,
que ma sensation d’être sur
cette Terre semée d’argile,
devient si éthérée que je pourrais
aussi bien y disparaître,
y trouver mon dernier repos
sans que quoi que ce fût
ait alerté ma conscience.
S’immoler à Soi
dans la présence de l’Autre,
ne serait-ce ici l’un des
plus beaux thèmes d’un
Romantisme fou,
mais il ne s’agit que
d’un innocent pléonasme,
toute Passion est Folie
en son essence.
Alors, voyez-vous, je crois
que je n’aurai d’autre alternative
que de m’annuler moi-même
en quelque façon,
que de vous offrir la dague
rubescente de ma Folie,
elle est ma Compagne habituelle,
celle par qui je vois le Monde,
celle par qui je vous vois
et vous désire tel le Petit Enfant
fasciné par le sein
gorgé de lait de sa Mère,
il est tout à la fois
le Lait,
la Nourrice,
le Désir.
Il n’est que par cette
source trinitaire au gré de laquelle
il Meurt et Vit tout à la fois.
Acceptez au moins, que
par le geste d’une
pensée désespérée,
le drap dramatique
qui est mon linceul,
je suis sa Momie,
consente un instant
à déplier ses
bandelettes de tissu,
que je devienne
dans l’éclair
de qui vous êtes
l’Enfant Chéri,
tel Romulus,
qui connaîtra
l’ivresse
de votre Sein.
Oui, l’ivresse.
Oui, de votre Sein.