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1 décembre 2022 4 01 /12 /décembre /2022 09:46

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

Une illumination a eu lieu

et mon âme s’est embrasée

qui comburera à jamais.

Voyez-vous,

il y a d’étranges aubes,

des échardes blanches de clarté,

une nébulosité nichée

au plus haut des fins bouleaux.

Rien ne semble exister

qu’à l’aune

de la légèreté,

de la fragilité.

C’est heureux que ce

mince fil d’Ariane

se soit tendu entre Vous

qui n’êtes pas encore,

 Moi qui viens à vous avec l’espoir

de vous connaître enfin.

Et d’avoir accès à qui je suis.  

Mais connait-on jamais l’Autre,

ce mystérieux continent,

cette ombre que nul soleil ne profère,

cette pluie que nul nuage ne libère,

cette feuille que nul vent n’envole

vers le clair horizon ?

Serez-vous enfin alertée de ma persistance

(sans doute penserez-vous à quelque entêtement,

peut-être à une obsession congénitale ?),

de mon obstination à vous connaître,

Vous l’Inconnaissable par essence.

Å me connaître ou à tâcher de le faire,

j’ai usé l’amadou

 de mon esprit,

j’ai réduit mes mains

au spectre de moignons,

j’ai fait de mes jambes

des tubercules hémiplégiques.

 

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

Sachez qu’à s’inventorier,

l’on ne procède qu’à sa propre destruction.

Ce que l’on prenait pour une découverte

(sonder les raisons pour lesquelles la Beauté

nous étreint si fort, si douloureusement),

n’est rien de moins que cette illusion

qui tremble, vacille tel le feu-follet,

il est bientôt disparu et l’on demeure

sur le bord du marigot, assoiffé d’eau

qui, de toute manière, eût procédé

à notre propre extinction.

Oui, toujours j’ai été atteint

de la flamme glacée du Tragique

 et Phèdre, la divine Phèdre,

est la Compagne de mes nuits,

la Conseillère de mes soucis

les plus féconds,

les plus fertiles,

ceux sur lesquels croissent

 les lianes de mon Angoisse,

sans elle je ne serais

que cette inconsistance livrée

à la première giboulée,

à la neuve bourrasque d’automne,

au vent fou qui balaie la terre

de ses lianes mobiles.

Car il faut ce lien direct

de la Vie à la Mort

 pour que toutes choses

prennent sens

sur cette Planète,

qu’elles ne demeurent

de simples

 tours de passe-passe.

  

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

La photographie

que j’ai de vous,

le feu de vos cheveux,

la noire auréole dans laquelle

 s’inscrit votre jolie tête,

les deux traits sûrs de vos sourcils,

vos yeux que je crois noirs, profonds,

la sobre élégance d’un nez discret,

la pulpe à peine visible de vos lèvres

et ces lunules de clarté qui dessinent

sur votre visage des ovales plus clairs,

on dirait des pièces de monnaie

ou de fins bijoux, tout ceci,

ce nimbe d’étrange lumière

concourt à vous rendre

encore plus sibylline,

plus lointaine.

Le demi-sourire

que vous esquissez

 n’est-il la simple

réverbération

de votre bonheur à vous

rendre indéchiffrable

en quelque manière,

hors de portée, tel un

précieux incunable

protégé par sa

paroi de verre ?

 

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

Vous étonnerais-je au rythme

soutenu de mes questions ?

Ou bien est-ce Moi

qui m’inquièterais de vivre,

de ressentir, de humer

ici telle fragrance,

d’éprouver là un frisson

douloureux sur ma peau,

d’entendre quelque voix de miel

que seul mon esprit aurait portée

 au-devant de Moi afin que, de ceci,

mon existence pût s’en déduire,

mes jours trouver un pôle

sur lequel, enfin, diriger

la boussole de mes désirs

les plus enfouis,

les plus capricieux ?

Pouvez-vous a

u moins sonder

 le vertige continuel

de mes interrogations,

le voir métaphoriquement

telle la lentille d’eau

qui réverbère le jour

au fond du puits sans

possibilité aucune

de n’en jamais connaître

la belle texture,

les copeaux de lumière qui dansent

aux fronts des Insoucieux,

des Libres de Soi dans

un temps affranchi

de contraintes,

doué des virtualités

les plus estimables :

 aller là où ne règne que

le luxe de la clarté,

là où ne se donne que

le nectar des Choses Belles ?

 

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

Vous étonnerais-je, vous avouant

que je vous préfère ainsi,

dans cette marge

d’invisibilité, d’incertitude,

cette absence fouettant mon sang bien mieux

que ne l’aurait fait votre libre venue jusqu’à moi,

une sorte d’évidence si vous préférez.

Sans doute, notre seule union possible, sera-t-elle

ce regard que je porte sur votre image,

ce non-retour que suppose votre représentation

 sur une feuille de papier puisque, aussi bien,

vous ne me connaissez pas,

moi qui cherche à percer votre secret,

à habiter votre propre dimension.

Un Étranger s’inquiète

du sort d’une Insondable.

Une Mystérieuse s’enveloppe

dans les plis insus d’une âme inquiète.

Il y aurait là matière à tracer la voie

d’une aventure romantique,

à faire se dresser la « Fleur Bleue » d’un Novalis,

à suivre Lord Byron sur les chemins d’Orient

avec cette indéfinissable mélancolie désenchantée

qui est la marque de ses Héros,

à se trouver, dans l’instant,

dans le corps et l’esprit mêmes

du « Voyageur contemplant une mer de nuages »

du très précieux Caspar David Friedrich

et de n’en jamais ressortir,

car ressortir serait mourir.

 

Vous qui songez, moi qui suis captif

 

Pouvez-vous, dans un effort

de tension en ma direction,

 estimer la dimension d’Univers

qu’ouvre à mon regard,

que propose à mon imaginaire,

 qu’offre à mon insondable curiosité

la seule vision que j’ai de Vous,

qui irrigue la totalité de mon être

si bien que, pensant fortement

à qui vous êtes,

je ne m’appartiens plus guère,

que mes contours deviennent flous,

que ma sensation d’être sur

cette Terre semée d’argile,

devient si éthérée que je pourrais

aussi bien y disparaître,

y trouver mon dernier repos

sans que quoi que ce fût

 ait alerté ma conscience.

S’immoler à Soi

dans la présence de l’Autre,

 ne serait-ce ici l’un des

plus beaux thèmes d’un

Romantisme fou,

mais il ne s’agit que

d’un innocent pléonasme,

toute Passion est Folie

en son essence.

Alors, voyez-vous, je crois

 que je n’aurai d’autre alternative

que de m’annuler moi-même

en quelque façon,

que de vous offrir la dague

 rubescente de ma Folie,

elle est ma Compagne habituelle,

celle par qui je vois le Monde,

celle par qui je vous vois

et vous désire tel le Petit Enfant

fasciné par le sein

gorgé de lait de sa Mère,

il est tout à la fois

le Lait,

la Nourrice,

le Désir.

Il n’est que par cette

source trinitaire au gré de laquelle

 il Meurt et Vit tout à la fois.

Acceptez au moins, que

par le geste d’une

pensée désespérée,

le drap dramatique

qui est mon linceul,

je suis sa Momie,

consente un instant

à déplier ses

bandelettes de tissu,

 que je devienne

dans l’éclair

de qui vous êtes

l’Enfant Chéri,

tel Romulus,

qui connaîtra

l’ivresse

de votre Sein.

Oui, l’ivresse.

Oui, de votre Sein.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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