"Morte saison".
Œuvre : André Maynet.
***
« La teinte automnale des feuilles jaunies,
et ce vêtement de la nature déjà flétrie,
convient mieux à l'habitude des rêveries profondes
et des pensers amers ».
Senancour, Rêveries.
***
Souvent lorsque les feuilles tombaient
Longues et infinies chutes
Dans la décroissance du jour
Tu me disais
Morte saison
Et demeurais en silence
Comme si
Après cette parole
Rien ne pouvait advenir
Que néant
Et perdition
Dans la faille
Immensément ouverte
Du Temps
Je te disais alors le luxe
A proprement parler inouï
Inentendu
A peine frôlé
Que ta méprise
Des choses muettes
Laissait dans l’ombre
De l’oubli
***
Ainsi, parfois nous passions de longues heures devant la lumière de l’âtre
Perdus dans nos pensées et rien ne s’annonçait que cet étrange ennui
Qui crépitait parmi le rougeoiement des braises
Dans l’entrecroisement des heures
Dans la scission qui s’immisçait
Entre nous
Comme si nos pensées
Soudain distraites
Subissaient l’outrage incompréhensible
D’une diaspora
Et nous errions, alors, illisibles
L’Un
À
L’autre
Dans cette impermanence des choses qui nous tirait
A hue
Et à dia
Intime déchirure dont nos âmes souffraient
À seulement entendre ce vent de déraison
Cette sombre pliure qui faisait de nos destins
Des feuilles mortes envolées par le vent
Tu me disais
Morte saison
Je te répondais
Belle saison
Et ici combien nous sentions la brusque dérive de nos vies
Nos avancées en forme de fétu de paille que de sombres flots auraient balloté
A l’unisson de vents et marées dans l’indécision à être qui nous faisait
Etrangement penser à l’hibernation de la chrysalide
Emmurée
Dans son cocon de soie
Jamais sûre de pouvoir un jour franchir les parois
De cette geôle de carton gravée des illisibles signes de l’absence.
Tu me disais
Morte saison
Et je voyais la justesse de tes yeux plier dans le vague
Leur surface s’iriser de bien étranges lueurs
Ce que tu aimais
Sans doute une projection de ton tempérament fantasque
Jamais réconcilié avec lui-même
Ce que tu aimais
Te presque entièrement dénuder
Une buée blanche
Un léger frimas
La touche d’une aquarelle
Nimbant le précieux de ta chair
Le reflet d’un fruit sur le vernis d’une coupe
Te disais-je
A quoi tu répliquais
D’une Nature Morte
Ta voix s’infléchissait
Dans la texture libre du monde
Cette Majuscule double
Nature
Morte
Par laquelle te donner à voir dans
ce vêtement de la nature déjà flétrie
Tu te plaisais à citer cette phrase si juste de Senancour
L’un de tes auteurs préférés
Cette prose qui semblait ne devoir jamais
Toucher terre
Tellement l’espace de la mélancolie est cet impalpable
Toujours
En suspens
Après lequel tu courais
Tel un enfant chassant l’invisible papillon
Qui toujours se dérobe
Relançant ainsi au centuple l’immarcescible flamme
Du
Désir
***
C’était bien cela tu te vêtais de ce rien à seulement attirer mon attention
A poser mon propre corps dans l’orbe inatteignable du tien
Cette fuite à jamais
Cette perte
Oui
Cette perte
Je te répondais
Belle saison
Et, cependant en pensais-je le moindre mot
En éprouvais-je la sensation épicée
D’un épicurisme
Ou bien alors n’avais-je le choix que d’un refuge
Dans un vertical stoïcisme
Jouer les Héros, scintiller d’une dernière braise
Avant que ses escarbilles ne s’effacent dans la nuit
***
Mais, maintenant, il me faut parler du haut de ton corps
Cette si tentante effigie
Que tu dresses et tresses pareille à une vannerie dont jamais on ne viendrait à bout
Seulement en apercevoir la complexité abritée en quelque lieu secret
Alors que ton en-dehors se donne à saisir comme cette lumière ineffable
Dont tu sembles tissée à ton insu
Sans doute
Ce subtil rayonnement
De toi
Cette exacte évanescence de la peau en sa sourde rumeur
Comment en lire le chiffre subtil
En décrypter le message
En deviner la source faisant couler en mille ruisselets
L’urgence à être parmi les oscillations mondaines
Certaines choses ne peuvent être dites
Non en raison d’une impossibilité foncière
Seulement parce que le langage échoue parfois à faire venir
Devant soi
Une si impalpable réalité qu’elle s’oublie
À même son essai
De vouloir se donner
Dans la présence
***
Mais voilà je m’égare dans un labyrinthe
Alors qu’il ne s’agit que
De toi
Du silence dont il faut tâcher de te faire surgir
Aube montant de la nuit
Douceur d’une apparition dans la soie d’un songe
Tes bras si frêles qu’ils ont la vibration d’un cristal
Ton cou ce rameau sur lequel ta tête repose
Pareille à ces rêveries profondes
Dont tu t’entoures
Comme pour te sauver de toi
Le seul danger qui te menace
A tout jamais
Tu me disais
Morte saison
Tu me disais
pensers amers
Et tu semblais te fondre dans cette toile armoriée des murs
Dont on aurait volontiers pensé qu’elle était
Une allégorie de l’Automne
Un appel hivernal
Déjà le souffle de la bise aux angles vifs des rues
Et ce miroir
Qui était-il
Oui
QUI
Car il ne pouvait être simple chose dans l’éparpillement du temps
Simple remuement inaperçu de l’espace
Simple retrait en lui d’une chose banale
Il fallait qu’il eût une histoire
Un destin
Il fallait qu’il te retînt au monde dans la parole ineffable qu’il semblait t’adresser
Mais quelle aventure donc avais-tu été avant même que je te connaisse
***
Par un simple et facile essor de l’imaginaire
Voici que je te dessine sur cette feuille d’ennui qui te ressemble tant
Vêtue d’une longue robe blanche
Sur une infinie dalle de pierre qui fuit vers l’horizon
Sans doute de ces granits assourdis qui sont l’âme
Des terres du Septentrion
Où souffle le vent du Nord
En longues rafales
Ton haut est couvert d’une sorte de cardigan noir à l’aspect bien sévère
Tu sembles regarder comme dans un rêve cette sombre lande qui s’étend
Ensauvagée
Insoumise
Rebelle
Seule
Une
Au loin sont des nuages gris et blancs qui font leur étrange gonflement
T’atteignent-ils au moins du rêve dont ils paraissent habités
Et cette terre qui court au loin semant ses haillons dans l’invisible
T’invite-t-elle à penser la densité des choses
Leur esseulement parfois
Quand le givre est venu qui recouvre tout de son immense linceul
Blanc
***
Blanc
Cette teinte qui n’en est une
Cette page qui tremble au loin en attente de ton écriture
De l’empreinte de ton signe
De la trace de tes lèvres
Oui de tes lèvres
Ces portes par où passent ces mots du langage
Qui te définissent bien mieux que ton corps ne saurait le faire
Tes yeux le signifier
Ta main en saisir
L’évanescente feuillaison
***
Tout est en dette de soi
Dès l’instant où
Absents au réel
On n’en est plus que l’indésignable nervure
La perte du sens
Dans la faille
Irrémédiable
De la saison
Sa décision de reprendre en son sein l’aventureuse marche qui nous affecte
Et nous plie souvent sous les fourches caudines
De quelque chose qui nous dépasse
Infiniment
Que nous ne pouvons nommer
Mutisme que la vacuité du présent ouvre sous les pas que nous voulons porter
Au-devant de nous
Qui parfois nous clouent au pur immobilisme
Alors l’angoisse fait son bruit de méticuleux bourdon
Et nous demeurons
Ici
Là
Dans la confondante irrésolution de cet être
Dont nous croyons pouvoir jouir
Alors que c’est
Lui
Et uniquement
Lui
Qui mène la danse
Et nous conduit au bal du Néant
***
Vois-tu combien est étrange cette métamorphose
Dans laquelle ma longue patience t’a déposée
Je t’ai vêtue de mots plus que de linges
Et voici que ces feuilles qui étaient tombées de ton âme
J’en ai fait un bouquet
Afin qu’automnales elles se dotent d’un bel envol printanier
Celui-là même dont je voudrais te vêtir
Pour qu’enfin reconnue en ton
Unique
Pût se lever en toi
La phrase du Poète
Telle une lumière au bout du chemin
J’aimerais tant
Oui tant
Changer ces
pensers amers
En
rêveries profondes
M’en accorderas-tu la faveur
Oui la faveur
***
Deux lumières brillent encore
Que je n’avais nullement évoquées
Celle de ton avoir-été
Celle de ton avoir-à-être
Alors que sera ton présent
Que cette lumineuse présence
Dans la courbure automnale
Que sera donc ton présent
Je l’attends
Tu me disais
Morte saison
Je te répondais
Belle saison